Interview de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "Europe 1" le 6 juin 2002, sur l'état des finances publiques, les priorités du Gouvernement, notamment assouplir l'application des 35 heures, baisser les impôts sur le revenu de 5 %, rétablir l'équilibre budgétaire prévu par les pays européens dans le Pacte de stabilité.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach
Bienvenue à Europe 1 pour votre première vraie déclaration publique. Quel est l'état aujourd'hui des dépenses publiques ou en tout cas la tendance ?
- "La tendance n'est pas très favorable. Les perspectives que nous avons, suite au rapport dont nous connaîtrons le résultat à la fin de ce mois, montrent que les dépenses ont pris un peu trop fortement et les recettes n'ont pas évolué dans le bon sens."
C'est-à-dire que vous prévoyez des déficits lourds ?
- "Il est très probable que nous aurons un déficit supérieur en tout cas à la fourchette qui avait été indiquée par le précédent gouvernement en février et mars, c'est-à-dire 1,8 à 1,9 % du PNB."
Ce sera plus lourd ?
- "Ce sera un plus élevé."
Comment allez-vous boucler le budget 2003, puisque vous êtes en train de le préparer ?
- "Il va falloir choisir. Gouverner, c'est prévoir peut-être, mais c'est aussi choisir pour afficher nos priorités et simultanément en tirer les conséquences dans d'autres domaines où nous devrons être moins dispendieux."
Choisir entre quoi et quoi ?
- "Ce n'est pas choisir entre quoi et quoi, mais c'est choisir entre ce qui est bon pour notre pays, à savoir le mettre au travail, accélérer sa croissance et, en même temps, bien entendu, ne pas oublier de s'occuper de ceux qui sont un peu laissés pour compte."
Quand vous dites "les mettre au travail" : une des priorités de Bercy, la priorité de Bercy, à vous et à A. Lambert, quelle est-elle ? C'est de faire quoi pour les Français ?
- "C'est de montrer aux Français que l'avenir leur appartient. Ils ne doivent pas subir cet avenir et ils ont toutes les capacités, à condition qu'on les aide un petit peu en créant un environnement favorable pour se mettre au travail, réussir par eux-mêmes et réussir pour les autres."
L'économie reprend, apparemment, en Amérique et en Europe. Les ménages français ont le moral : pourtant, les Bourses plongent. Est-ce que vous vous attendez à un rebond ou à une poursuite de la chute ?
- "Ce qui est important, c'est le moral des troupes. Le moral des troupes - car nous sommes dans un monde très psychologique - montre que les Français, et plus généralement d'ailleurs les Européens, ont confiance dans l'avenir. Simultanément, on voit effectivement des Bourses qui anticipent des résultats moins favorables, notamment de l'économie américaine et qui, par conséquent, en tirent les conséquences. Je ne pense pas que ceci soit un signe particulièrement inquiétant."
De plus, il y a le dollar qui s'affaiblit, l'euro qui pavane. Est-ce que c'est inquiétant pour des entreprises françaises, d'après vous qui avez été patron de l'industrie ?
- "Je suis le partisan, personnellement, d'un euro qui ne soit pas forcément fort mais solide car, au passage, quand vous avez une monnaie solide, vous pouvez importer de la désinflation. Ce qui va nous permettre, dans les prochains mois, d'afficher en Europe, et notamment en France, des perspectives d'inflation très modestes et donc très positives pour le consommateur."
Vous dites qu'il ne faut pas oublier les laissés pour compte. Est-ce qu'il faut augmenter le taux-horaire du Smic, du taux normal le 1er juillet ou de 4 à 5 % ?
- "On a un vrai problème sur le Smic : c'est la multiplication des Smics, avec un horizon 2005 complexe et je crois que c'est cela la priorité que nous devons traiter. C'est un reliquat de la loi sur les 35 heures qui me parait dangereux si nous ne savons pas le maîtriser."
Cela veut dire qu'il faut simplifier, réduire à un Smic mensuel. Mais vous l'augmentez comment ?
- "D'abord, il sera mécaniquement augmenté à travers le calcul de l'inflation des 12 derniers mois. Faut-il ou non allez plus loin ? C'est matière à discussion."
Votre avis ?
- "Je ne suis pas personnellement convaincu qu'en dehors d'un geste symbolique, ceci soit dans l'intérêt des entreprises et par conséquent des travailleurs."
Vous pensez que les entreprises ne pourraient pas supporter un Smic trop élevé ?
- "Ce n'est pas que les entreprises ne pourraient pas le faire - parce que si elles sont obligées de le faire elles le feront -, mais ceci ne facilite pas leur capacité de développement."
Il y aurait un effet d'entraînement pour d'autres ?
- "Disons que les conséquences au-delà du Smic seront que tous ceux qui sont entre 1, 2 ou 3 Smic voient automatiquement leur hiérarchie des salaires s'écraser et n'apprécient pas particulièrement."
Pour vous, quelle est la plus grosse erreur de vos prédécesseurs socialistes ?
- "Je crois que c'est d'avoir traité le problème de la réduction du temps de travail comme ils l'ont fait, c'est-à-dire de manière autoritaire. Il est clair que la réduction du temps de travail fait partie des acquis de l'histoire économique et que, dans le futur, ce temps de travail continuera à baisser. La manière dont cela a été décidé et imposé aux entreprises me paraît très contre-productif pour nos entreprises."
Cela se corrige ?
- "On va essayer d'assouplir ce que l'on peut assouplir, de manière à en minimiser les conséquences négatives."
Je suppose que vous allez tenir évidemment la promesse présidentielle de réduire - et vite - de 5 % l'impôt sur le revenu. Maintenant, vous savez comment ?
- "Je l'ai déjà dit et je le répète : les impôts sur le revenu seront baissés de 5 %. Cela se verra sur la feuille de paye..."
Vous savez comment ?
- "On est en train de préciser les positions et en temps utile, c'est-à-dire le mois prochain, l'Assemblée aura une proposition."
Et à quelle compensation ou geste êtes-vous prêt pour les bas salaires, ceux de "la France d'en bas", comme dit M. Raffarin ?
- "Il y a des évolutions qui étaient inscrites dans les perspectives du précédent gouvernement, en ce qui concerne la prime pour l'emploi. Il y a donc un sujet, là, qui permettra d'envoyer un signal à tout le monde."
Comment allez-vous faire ? Parce qu'on dit qu'il faut des milliards pour la justice et la police qui en ont besoin, pour le Smic, pour les retraites, les dépenses de santé, les crédits de la défense pour qu'elle soit efficace contre le terrorisme et contre toutes les menaces : allez-vous pouvoir, vous qui êtes à Bercy, régler l'addition ?
- "Il est clair qu'il faut choisir les priorités. Vous en avez évoqué un certain nombre et je les partage; il est normal que les fonctions régaliennes de l'Etat soient mieux assurées; il n'est pas forcé d'ailleurs que pour mieux les assurer, ceci se traduise par beaucoup plus de dépenses. Vous pouvez aussi, en même temps, imaginer des changements de fonctionnement de l'Etat, permettant de fonctionner de manière plus performante."
Exemple ?
- "Si vous voulez en matière de police par exemple, sans nier du tout la nécessité d'améliorer la protection des Français, on peut très bien imaginer que des tâches qui aujourd'hui sont assurées par des policiers dans un certain nombre de bureaux, le soient dorénavant par des non-policiers, ce qui permettra, instantanément, aux policiers de se retrouver sur le terrain."
On revient à ce que vous voulez faire : lutter contre les dépensiers ?
- "Pas du tout. Ce n'est pas lutter contre les dépensiers : c'est mieux fonctionner. Quand vous regardez une entreprise - même si l'Etat n'est pas une entreprise -, vous découvrez que vous n'êtes pas obligé d'augmenter les moyens pour être plus performant."
Est-ce que vous reprenez, aujourd'hui, ce que vous disiez le premier jour de votre arrivée, il y a un mois : "Il faut récompenser le salarié qui travaille bien, le sanctionner quand il travaille mal" ? On vous a trouvé audacieux et courageux. Est-ce que vous le ferez et est-ce que vous le répétez ?
- "Il est normal, puisque c'est le salarié et l'entreprise en général qui créent la richesse, que ceux qui travaillent mieux que d'autres en tirent plus de profit."
Cela peut se faire ?
- "Cela doit se faire."
Vous avez eu une première sortie européenne à Luxembourg, parmi les quatorze. Votre première sortie a été remarquée. Sur le retour à l'équilibre budgétaire, vous n'avez pas fait de promesses pour 2004, mais vous n'avez pas exclu de tenir le rendez-vous. Est-ce que, pour vous, il y a une nécessité de rétablir l'équilibre d'ici à deux ans ?
- "Il n'y a pas de symbole dans une date particulière. Aujourd'hui, tous les Européens se sont mis d'accord sur cet objectif de 2004. Nous allons essayer de le tenir. Mais je voudrais surtout vous rappeler à quoi cela sert : diminuer les déficits puis les annuler a un seul objectif, c'est de permettre à notre pays, comme aux autres pays européens, de mieux affronter les problèmes qui sont devant nous et qui sont liés à la croissance des dépenses de santé et au vieillissement de la population."
Est-ce que la France pourrait demander, avec d'autres Etats, de renégocier le Pacte de stabilité ?
- "Le Pacte de stabilité n'est pas inscrit dans le marbre et le contenu de ce Pacte, notamment à travers ce que vous avez évoqué sur les investissements, la dette, le fonctionnement et les dépenses militaires, peut être largement remis en cause dans une réflexion commune."
Est-ce que je peux ajouter qu'il est prévu que le Pacte de stabilité s'applique "sauf circonstances exceptionnelles" ? Est-ce que le choc politique du 21 avril, la montée du populisme et de l'extrême droite, avec toutes ses raisons, ce n'est pas une circonstance exceptionnelle ?
- "D'abord, j'espère que les prochaines élections vont démontrer que les circonstances exceptionnelles continuent à être maîtrisées. Deuxièmement, je pense que nous devons savoir affronter ces situations, y compris en adaptant nos objectifs, comme on saura le faire avec nos collègues européens."
Est-ce que je peux vous demander comment vous concevez votre rôle à Bercy ? Est-ce que c'est d'abord de plaire d'abord à ceux qui vous ont nommé ou est-ce que c'est de décider ce qu'il faut décider, quoi qu'il en coûte ?
- "Je décide personnellement de ce que je peux proposer à un Gouvernement. Mon objectif n'est pas de plaire, car mon objectif est d'être utile à mon pays."
Vous pensez que vous pourrez longtemps parler comme ça ?
- "Je n'ai pas tellement la capacité de changer mon caractère. Je parlerai donc comme cela tant qu'on m'autorise à parler ainsi."
Vous devenez un politique ou pas ?
- "Faire de la politique, c'est avoir des convictions et c'est être capable de créer les conditions pour que ses convictions passent. Cela ne veut pas dire être politicien."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 juin 2002)