Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur le projet de budget de l'Union européenne, les orientations de la politique européenne et la contribution française au budget communautaire, à l'Assemblée nationale le 16 octobre 1997.

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Circonstance : Débat sur la contribution française au budget de l'Union européenne à l'Assemblée nationale le 16 octobre 1997

Texte intégral

Comme chaque année, le gouvernement vous rend compte du projet de budget de l'Union européenne pour l'année à venir, et de ses conséquences sur le budget de l'Etat à travers le prélèvement européen.

Je souhaite donc, à cette occasion, vous apporter bien sûr une appréciation circonstanciée sur ce projet de budget, sur les orientations qu'il dessine, sur les équilibres financiers communautaires et nationaux qu'il s'efforce de respecter. Mais, pour mettre en perspective notre débat, et pour répondre à certaines des préoccupations qui se sont déjà exprimées à cette tribune, je m'efforcerai d'aller au-delà. L'agenda européen est en effet chargé dans les mois à venir. Plusieurs échéances essentielles pour le devenir de l'Union se profilent à un horizon très proche : Conseil européen sur l'emploi en novembre, Conseil européen en décembre avec des décisions attendues sur ce qu'on appelle le pôle économique ou encore sur le processus d'élargissement de l'Union européenne, et enfin, et je m'en tiendrai là, décisions sur le passage à l'euro en mai prochain. Je vous dirai comment le gouvernement prépare actuellement ces rendez-vous, et ce que nous en attendons pour l'Union et pour le pays.
Mais auparavant, je voudrais remercier Mme Marie-Hélène Aubert, rapporteur pour avis de la commission des Affaires étrangères, M. Didier Migaud, rapporteur général du budget de l'Etat, M. Gérard Fuchs, rapporteur spécial, ainsi que M. Alain Barrau qui représente la Délégation pour l'Union européenne, laquelle exerce en permanence, en particulier en application de l'article 88-4 de la Constitution, la vigilance de votre Assemblée sur les actes de la Communauté et leur traduction en droit interne. J'ai travaillé avec eux de manière étroite et extrêmement positive, et je veux saluer la qualité de leur réflexion.
Je tiens, en premier lieu, à vous donner quelques éléments d'information sur la manière dont la procédure budgétaire communautaire s'est déroulée jusqu'à aujourd'hui, et sur la façon dont elle va se poursuivre jusqu'à la fin de l'année.

Ainsi que vous le savez, c'est la Commission qui a l'initiative dans le domaine budgétaire, et elle a élaboré dès le début de l'année 1997 un avant-projet de budget. Elle a fait preuve, à l'approche de l'échéance décisive de la monnaie unique, d'un souci de rigueur certain en présentant un avant-projet de budget avec une progression limitée à 2,4 % en crédits d'engagement et à 2,9 % en crédits de paiement, soit respectivement 91,3 Mds écus et 84,7 Mds écus.

Ces chiffres, qui peuvent paraître élevés, n'en marquent pas moins une rupture notable par rapport aux habitudes, hélas, traditionnellement beaucoup plus dépensières, prises par la Commission dans le passé. C'est pourquoi j'ai tenu à exprimer la satisfaction du gouvernement au commissaire Liikanen, en charge du budget, que j'ai rencontré à deux reprises au cours de l'été à Bruxelles puis à Paris.

Chacun se rend néanmoins bien compte que ce rythme de progression, proposé par la Commission, demeure encore beaucoup trop élevé au regard des contraintes fortes qui s'exercent sur les budgets nationaux, sur le budget que l'Assemblée est en train d'examiner, en particulier dans les pays impliqués par le processus de convergence. C'est la raison pour laquelle il s'est trouvé une majorité d'Etats - et la France en fait partie - pour demander au sein du Conseil une plus grande maîtrise budgétaire au niveau de l'Union.

En juin et juillet derniers, la France a donc plaidé à Bruxelles, par la voix de M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au Budget, pour une croissance nominale nulle du budget de l'Union. Cette démarche a été payée de succès, comme l'année dernière du reste, puisque le conseil budget a adopté, le 24 juillet dernier, un projet de budget en croissance de 1,9 % en crédits d'engagement et de 0,7 % seulement en crédits de paiement, soit respectivement 90,9 Mds d'écus et 82,9 Mds d'écus.

La France s'est efforcée de faire valoir à Bruxelles un certain nombre de principes, qui ont également dirigé son action pour l'élaboration de son propre budget national : rigueur d'ensemble pour l'évolution des dépenses, mais identification de priorités clairement assumées. Pour le reste - et j'aurai l'occasion d'y revenir -, le gouvernement a choisi de faire prévaloir un principe de sincérité dans l'évaluation de la contribution française au budget communautaire, en retenant un montant de 91,5 Mds de francs, qui est soumis à votre approbation.

Le projet de budget de l'Union est maintenant entre les mains du Parlement européen. La commission des budgets est en train d'achever son examen et le Parlement européen devrait se prononcer en séance plénière le 23 octobre prochain, c'est-à-dire la semaine prochaine. Le voeu du gouvernement est que le Parlement européen fasse preuve de sagesse, comme l'année dernière, en ne remettant pas en cause les efforts d'économies entrepris par le Conseil, qui touchent aussi bien les dépenses obligatoires que les dépenses non obligatoires.

De ce point de vue, j'espère que le "trilogue", habituellement mené par la Commission, le Conseil et le Parlement européen, et considérablement facilité par les règles établies dans le cadre de l'accord inter-institutionnel de 1993, portera ses fruits. En tout état de cause, le Conseil se prononcera en deuxième lecture le 27 novembre. Le budget définitif de l'Union sera adopté à l'issue de la seconde lecture du Parlement européen, en principe vers la mi-décembre.

Bien entendu, nous respectons les prérogatives du Parlement européen en matière budgétaire. Mais je tiens à vous affirmer, en écho à plusieurs des interventions, que nous serons vigilants sur deux points :

- le maintien d'une évolution d'ensemble compatible avec les disciplines de l'UEM qui s'imposent aux Etats membres ; je note le soutien de M. le Rapporteur général à une approche rigoureuse, je le partage entièrement ;

- le maintien d'un certain équilibre dans la répartition de l'effort de maîtrise budgétaire entre les différentes rubriques, afin de garantir un développement harmonieux de l'Union.
J'en viens à présent au fond du projet de budget adopté par le Conseil en première lecture.

En ce qui concerne la Politique agricole commune tout d'abord, le Conseil a décidé une économie de 1,4 Mds d'écus, s'appliquant linéairement au taux de 3,3 % à l'ensemble des lignes du FEOGA-Garantie. Cela s'est fait en substitution à l'économie d'un montant équivalent initialement proposée par la Commission, mais qui ne s'appliquait qu'aux aides compensatoires. Compte tenu du taux de retour, particulièrement élevé pour notre pays, sur les aides compensatoires aux grandes cultures notamment, le schéma finalement retenu respecte mieux les intérêts de notre agriculture, et nous nous félicitons qu'il ait pu être adopté par le Conseil, à vrai dire sur l'initiative française.

En outre, cette économie ne remettra aucunement en cause l'engagement de l'Union en faveur de l'agriculture. Le montant arrêté des dépenses, qui s'élèvera à 41 Mds d'écus, reste supérieur de 5 % aux paiements effectivement constatés en 1996, année pourtant exceptionnelle en raison des aides tout aussi exceptionnelles débloquées pour apporter une réponse aux éleveurs victimes de la crise de la "vache folle".
Les modalités du soutien en accompagnement de la réforme de la PAC décidée en 1992 ne sont affectées en aucune manière.

Le paquet-prix pour la campagne 1997-1998, qui reconduit pour l'essentiel le paquet prix de l'année précédente, est intégralement financé S'agissant de la politique structurelle, le projet de budget, qui s'établit à 33,5 Mds d'écus en crédits d'engagement et à 27,4 Mds d'écus en crédits de paiement, respecte pleinement la programmation arrêtée à d'Edimbourg en 1992.
Cette programmation marque un engagement résolu à réduire dans un délai raisonnable les disparités de développement entre les différentes régions de l'Union. Sa traduction concrète dans le projet de budget est indispensable pour assurer le bon fonctionnement du marché unique et la poursuite du processus de convergence.
Pour autant, cette programmation ne dispense pas d'un effort d'analyse lucide sur la politique structurelle. La complexité des procédures administratives, celle des circuits de financement également, constitue un frein indéniable au bon déroulement des projets. Ces difficultés de mise en oeuvre sont clairement attestées par l'écart important que l'on constate année après année entre les engagements et les paiements. Confronté à ce phénomène, le Conseil a décidé d'apporter deux types de réponses.

La première, de court terme, a consisté à décider une économie de 1 Md d'écus sur les crédits de paiements de la rubrique 2. Là encore, cette économie ne gênera en aucune manière l'exécution des programmes en cours ou à venir, puisqu'elle est concentrée sur les objectifs caractérisés par une sous-exécution chronique. L'objectif 1 et le fonds de cohésion, qui sont caractérisés au contraire par un taux d'exécution satisfaisant, sont totalement exonérés de cette économie, ce qui ne préjuge pas de la suite qui sera donnée à ces crédits dans la réforme à venir. Je crois donc que l'on peut dire que, dans cette affaire, le Conseil a agi avec un certain discernement.

Mais il faut aller plus loin pour traiter le problème à la racine, et assurer un meilleur contrôle sur la dépense communautaire de manière à en accroître l'efficacité. A cet égard, le Conseil a souhaité que l'on complète les mesures déjà prises au cours des dernières années pour améliorer les circuits financiers et permettre un acheminement plus rapide des crédits structurels sur le terrain.

Le respect de l'engagement solennel d'Edimbourg conduit à une progression des dépenses structurelles de 6,3 % en engagements. Le souci d'une plus grande rigueur de gestion conduit, lui, à une progression des dépenses structurelles limitée à 4,2 % en paiements après prise en compte de l'abattement de 1 Md d'écus que je viens d'évoquer.

La France, par définition, n'est pas la principale bénéficiaire des fonds structurels, puisque nous faisons partie des pays les plus développés de l'Union. Pour autant, l'apport de la politique structurelle au développement de nos régions n'est pas, chacun ici le sait, négligeable. Ainsi, sur la période couverte par les perspectives financières actuelles (1994-1999), c'est un peu moins de 100 Mds d'écus que nous recevrons, en provenance de Bruxelles, au titre de cette politique.

S'agissant des politiques internes, que l'on regroupe dans la rubrique 3 du budget, les crédits d'engagement sont en réduction de 8,8 % et les crédits de paiement également en réduction de 6,6 % par rapport à 1997
On peut s'interroger sur ces fortes baisses. Elles ne sont en réalité que la traduction budgétaire de la forte sous-exécution qui caractérise cette catégorie de dépenses. Les niveaux adoptés par le Conseil tant en engagements qu'en paiements, soit respectivement 5,4 Mds d'écus et 4,8 Mds d'écus, se situent, en effet, au-dessus du niveau atteint par les dépenses de la rubrique 3 en 1996 en exécution.

De plus, nous avons veillé à assurer un traitement favorable à deux catégories de dépenses, qui représentent à elles seules près des trois-quarts des dépenses de la rubrique 3, et auxquelles le gouvernement est particulièrement attaché, comme le parlement.

Ces deux politiques, que nous tenons absolument à préserver, sont la politique de recherche d'une part, la politique mise en place pour les réseaux trans-européens d'autre part. Ces deux politiques sont, en effet, emblématiques des dépenses d'avenir que nous voulons privilégier aussi bien à Bruxelles qu'au sein du budget de l'Etat. Elles illustrent le bon usage que l'on peut faire de la puissance publique pour développer notre compétitivité tant au plan européen qu'au plan national. A ce titre, elles doivent bénéficier de toute notre sollicitude.

Le projet de budget pour la recherche-développement marque une progression de 2,2 % en engagements et une légère réduction de 1,4 % en paiements et cette baisse a été justement remarquée par M. Gérard Fuchs. Les paiements s'établissent toutefois à plus de 3 Mds d'écus, soit une progression de plus de 6 % par rapport à l'exécution 1996. Conformément au quatrième programme-cadre de recherche et de développement, ces crédits seront consacrés pour près des deux tiers à trois secteurs clés pour l'avenir de l'Europe comme grande puissance industrielle: les technologies de l'information et de la communication, l'énergie et les technologies des matériaux.

Les crédits pour les réseaux trans-européens sont en nette augmentation de 16,4 % en engagements et de 22,9 % en paiements, soit de très loin la plus forte augmentation sur l'ensemble du budget communautaire. Celle-ci correspond à une volonté politique, insuffisante sans doute, mais marquée, de mettre en uvre le programme de grands travaux adopté au Conseil européen d'Essen en décembre 1994, dont j'espère qu'il sera confirmé et amplifié dans les mois et les années qui viennent.

A cet égard, je suis conscient comme l'ensemble des parlementaires qui sont intervenus dans ce débat que la mobilisation des ressources du budget communautaire est indispensable, mais sans doute pas suffisante. Comme vous le savez, les concours de l'Union sur la ligne "réseaux " ne peuvent pas dépasser 10 % du coût total des l'ouvrage. Le complément peut être apporté par des co-financements nationaux, mais aussi par des prêts de la BEI. Celle-ci a déjà octroyé pour près de 30 Mds d'écus de prêts à long terme pour un coût total des travaux estimés à 100 Mds d'écus.

Cet effort considérable est encore trop souvent méconnu et, il doit être amplifié si l'on veut voir les ouvrages sortir de terre à un horizon pas trop éloigné, et je pense en particulier au TGV Est, dont on a parlé ici même hier, au TGV Sud Madrid-Barcelone-Perpignan-Montpellier et au TGV Lyon-Turin, et même s'il ne figure pas dans les grands travaux d'Essen, au TGV Rhin-Rhône dont j'espère aussi la réalisation. C'est pour ces raisons que la France a souhaité et obtenu à Amsterdam que le Conseil européen invite la BEI à présenter des propositions en vue d'intensifier ses interventions en faveur des projets prioritaires de grands réseaux européens. Ces propositions feront l'objet d'un examen approfondi lors du Conseil européen extraordinaire sur l'emploi le 21 novembre prochain dont j'attends, comme le gouvernement, des résultats concrets et opérationnels après le très bon travail préparatoire de la Commission et du Conseil.
Pour être tout à fait complet sur ce panorama de la dépense communautaire prévue pour 1998, je voudrais en venir à présent à l'action extérieure de l'Union en direction des pays tiers, dont Mme Aubert a souligné l'importance.

Dans ce domaine, le projet de budget prévoit une réduction des crédits de 2,2 % pour les engagements et de 6,5 % pour les paiements, soit respectivement 5,4 Mds d'écus et 4,2 Mds d'écus. Néanmoins, là encore, même si n'y a pas lieu de se réjouir de cette évolution, le montant des dépenses arrêté par le Conseil représente une quasi-reconduction du niveau atteint en exécution 1996 pour les engagements et surtout une progression de plus de 11 % pour les paiements toujours par rapport à cette dernière référence.

Le projet de budget est donc conforme aux engagements souscrits au Conseil européen de Cannes sous présidence française, en faveur des pays d'Europe centrale et orientale comme des pays méditerranéens.

Les pays d'Europe centrale et orientale bénéficient d'une enveloppe de 1125 millions d'écus en crédits d'engagement. Cette dotation a principalement pour objet de promouvoir la réforme économique à l'Est à travers les actions du programme Phare et la coopération transfrontalière. Dans le cadre de la stratégie de pré-adhésion, dont je parlerai ultérieurement, les actions du programme Phare seront réorientées vers les priorités directement liées à l'élargissement.

La politique méditerranéenne de l'Union est dotée de 1142 millions d'écus en crédits d'engagements. Il s'agit d'aider à la stabilité politique l'ensemble du bassin méditerranéen, en contribuant à son développement.

Au total, ce tableau rapide des actions que l'Union entend mener en 1998, mais je voulais un peu déchiffrer ce sabir, conduit à un budget communautaire de 90,9 Mds d'écus en crédits d'engagement et de 82,9 Mds d'écus en crédits de paiement.

Compte tenu du système de ressources de l'Union, j'en viens à mon troisième point, l'évaluation de la contribution française au budget de l'Union pour 1998 s'établit à 91,5 Mds de francs, soit une progression de 5,2 % par rapport au montant révisé de notre contribution pour 1997, qui est estimée à 88 Mds de francs.

Je comprends que ces évolutions aient suscité la perplexité de la Commission. Je reprends à mon compte, intégralement, les explications fournies pas son rapporteur général, M. Didier Migaud.

En effet, comme vous le savez, l'exécution du budget communautaire se traduit en fin d'année par ce qu'on appelle un solde positif, qui correspond à l'écart entre les dépenses arrêtées dans le projet de budget communautaire et l'exécution réelle. Il se traduit concrètement par un excédent de ressources propres appelées par la Commission, qui est ensuite déduit du prélèvement opéré l'année suivante.

Le chiffrage du prélèvement européen en loi de finances initiale intègre donc l'effet de ce "solde positif" sur la contribution nationale de la France. Or, l'adoption d'un budget en croissance zéro l'année dernière, visant principalement à anticiper la sous-exécution prévisible du budget communautaire, conduit à ne retenir pour 1998 qu'un abattement de 2,6 Mds de francs seulement au titre du "solde positif", inférieur de moitié environ à l'abattement effectué en 1997. Cette différence entre un budget plus sincère, auparavant sous-estimé, explique la progression relativement forte de notre contribution au budget communautaire pour 1998, ce qui ne devrait plus être le cas ultérieurement dès lors que le rythme de croissance du budget communautaire reste durablement maîtrisé. Vous ne devriez pas assister au même effet l'année prochaine.

Au total, en l'état actuel des prévisions, le prélèvement européen devrait représenter, comme vous l'avez tous dit, 6,3 % des recettes fiscales nettes de l'Etat en 1998, soit très précisément le même niveau que celui qui devrait être atteint en clôture d'exécution 1997.


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Comme je vous l'indiquais dans mon propos liminaire, et comme les parlementaires qui se sont exprimés à cette tribune en ont exprimé la demande, la présentation du budget communautaire doit être resituée dans la perspective de nos prochains rendez-vous européens.

Car, d'une certaine manière, ce projet de budget illustre bien ces prochains engagements :
- engagement en faveur de la monnaie unique, à travers une évolution globale des dépenses compatibles avec les efforts nationaux de maîtrise budgétaire ;
- engagement en faveur de l'emploi, avec la préservation et le développement des lignes budgétaires les plus créatrices d'emplois européens pour l'avenir ;

- engagement en faveur des pays d'Europe centrale et orientale, avec l'effort consenti au titre de la stratégie de pré-adhésion.

Je voudrais vous indiquer brièvement la manière dont la France entend aborder ces échéances.

Je commencerai par l'euro, tant la réussite de ce grand projet européen conditionne désormais celle de tous les autres chantiers qui nous attendent et que nous entreprenons. Ma conviction rejoint celle des rapporteurs : elle est aujourd'hui que l'euro se fera, sur une base large et stable, et bien sûr que la France sera au rendez-vous, et les prévisions de la Commission le montrent. C'est pourquoi il nous faut d'ores et déjà voir loin, et réfléchir, au-delà du "comment faire l'euro" ou du "va-t-on faire l'euro" au "comment vivre avec l'euro".

Aujourd'hui, notre principal souci, et je partage là-dessus l'approche de M. Gérard Fuchs, est de parvenir à organiser le "pôle économique", qui doit permettre une réelle coordination des politiques économiques en Europe. Les pays qui participeront à l'euro dès 1999 doivent pouvoir se retrouver dans le cadre d'une enceinte pour confronter leurs analyses sur la situation économique de l'Union et sur la cohérence de leurs politiques budgétaires et fiscales, ainsi que sur leurs politiques structurelles.

La politique économique est en effet un tout. On ne peut pas avoir d'un côté une autorité monétaire et de l'autre côté neuf, dix, onze ou douze gouvernements qui restent totalement autonomes pour la mise en uvre des instruments de politique économique qui restent entre leurs mains. Une telle construction serait en effet déséquilibrée par nature. Je l'ai dit à plusieurs reprises, le Premier ministre l'a dit, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'industrie s'est exprimé sur ce sujet. Nous respectons pleinement l'indépendance de la future banque centrale européenne. Cela fait partie, comme l'a dit M. Jospin, de notre culture. Cette indépendance est la meilleure garantie pour assurer la stabilité interne de l'euro, objectif auquel nous sommes tous, surtout le président de la commission des Finances, très attachés. Mais l'indépendance n'est pas l'apesanteur. Comme dans tous les pays qui sont dotés d'une banque centrale indépendante, il faut que la Banque centrale européenne soit en mesure d'anticiper ou de réagir à des orientations de politique économique fixées par des autorités politiques. Il faut donc que ces orientations puissent s'incarner dans une instance à la fois visible et légitime, même si elle est informelle. Ce sujet sera discuté, et je crois qu'il sera tranché, lors du Conseil européen de décembre à Luxembourg. Je crois d'autant plus qu'il le sera, après la conclusion d'un tout récent accord sur ce point entre les ministres français et allemand de l'Economie et des Finances, MM. Strauss-Kahn et Waigel, la création d'un eurogroupe dont M. Strauss-Kahn rendait compte lors de la question de réponses aux questions d'actualité.

Faire ce pôle économique est la condition pour bâtir cette Europe puissante, cette Europe politique que plusieurs d'entre vous ont appelée de leurs voeux, mais il faut être conscient que cette Europe politique, cet euro lui-même, seront jugés aussi, et sans doute d'abord, à l'aune de leur capacité à créer un environnement européen plus favorable à l'emploi, et c'est la deuxième orientation que je veux développer.

Nous devons sans tarder remettre l'emploi et la préservation des droits sociaux au coeur de l'union économique. C'est l'enjeu du prochain Conseil européen extraordinaire consacré à l'emploi, demandé et obtenu, et je m'en réjouis avec
Alain Barrau, par la France à Amsterdam.

Nous souhaitons, je l'ai dit, et Mme Aubert y a insisté, que ce Sommet débouche sur des résultats concrets démontrant que l'Union économique peut aussi servir l'emploi.

Nous sommes particulièrement attachés à mettre en place les instruments d'une vraie coordination des politiques de l'emploi, notamment à travers une série d'objectifs quantifiés, mis en relation avec des politiques adaptées, actuellement en discussion au sein du Conseil. Il y a eu les "critères" de Maastricht, pourquoi n'y aurait-il pas les "objectifs" de Luxembourg. Ils n'auraient sans doute pas la même portée contraignante, mais sûrement beaucoup plus de capacité de mobilisation. Nous devons affirmer clairement une volonté des Quinze de mettre la lutte pour l'emploi au premier rang de leurs priorités.

Au-delà des engagements pris par les Etats, il faudra d'ailleurs que l'Union elle-même se mobilise pour réorienter ses propres politiques dans un sens plus favorable à l'emploi. J'évoquais à l'instant l'initiative que nous attendons de la BEI en faveur d'une relance des grands réseaux. Une stratégie européenne au service des PME innovantes, principales créatrices d'emplois nouveaux, doit, sur les mêmes bases, également être élaborée. Enfin, les politiques structurelles doivent être plus systématiquement évaluées au regard de leur impact sur l'emploi.

Quelques mots enfin de l'élargissement et sur le financement futur de l'Union, qui constitueront le coeur de l'ordre du jour du Conseil européen de décembre, le Conseil européen ordinaire de Luxembourg.

Ce Conseil européen de Luxembourg devra prendre une décision sur le lancement des négociations d'adhésion. La Commission a présenté ses avis sur chacun des dix pays candidats d'Europe centrale et orientale. Elle recommande d'ouvrir les négociations avec la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Slovénie et l'Estonie. Comme vous le savez, par ailleurs, le Conseil a déjà pris l'engagement d'ouvrir des négociations avec Chypre.

La Commission propose, en outre, de mettre en oeuvre une stratégie commune à l'ensemble des candidats : pré-adhésion, conclusion de partenariats d'adhésion qui instituent un contrat entre chacun des candidats et l'Union, réorientation du programme Phare.

Faut-il le rappeler ? Le gouvernement soutient le processus d'élargissement, chance historique de réunifier le continent européen une décennie seulement après la chute du mur de Berlin.

Les avis de la Commission constituent à cet égard un travail technique d'une très grande qualité, et nous ne pouvons que saluer le sérieux de la démarche proposée. Cependant, et j'y insiste, il est essentiel que tous les pays candidats se sentent inclus dans une même démarche d'adhésion future, quelle que soient les décisions qui seront prises sur l'ouverture pratique des négociations d'adhésion avec les uns ou les autres.

C'est pourquoi la France propose un projet de conférence européenne, qui a pour objet de préciser le sentiment d'appartenance au même ensemble et à faire en sorte que le processus d'élargissement soit un processus global et évolutif.

Nous ne répondrons pas de façon satisfaisante au défi de l'élargissement si nous donnons le sentiment de préférer les uns aux autres. Prenons garde à ne pas créer des lignes de fracture artificielles au coeur de l'Europe, quand la logique même de l'élargissement est au contraire de refermer les fractures anciennes. Prenons garde aussi de ne pas laisser de côté un pays comme la Turquie, dont nous connaissons tous les spécificités, dont nous savons aussi qu'il a une vocation européenne et dont je dois rappeler qu'il est le premier pays associé depuis 1963 à l'Europe.

En revanche, il est vrai de dire que l'Union actuelle doit se préparer à accueillir ses futurs membres dans de bonnes conditions. Notre position sur la question institutionnelle, que nous avons abordée sans fard dans la déclaration conjointe faite avec l'Italie et la Belgique et annexée au Traité d'Amsterdam - dont la ratification, Mme Aubert, viendra en temps utile devant le parlement, mais il y a auparavant toute une procédure à respecter, avec notamment la consultation du Conseil Constitutionnel - doit être bien comprise. Il ne s'agit en aucune manière de refermer la porte de l'Union. Il s'agit simplement d'indiquer qu'aucun Etat - qu'il soit dans l'Union ou qu'il soit candidat à entrer dans l'Union - n'a intérêt à vivre demain dans une Europe diminuée, où tous les mécanismes de prise de décision seraient grippés, alors qu'on sait déjà qu'ils sont dans un état de dysfonctionnement marqué. Le gouvernement estime donc qu'il est sage de résoudre ce problème difficile à Quinze. C'est la raison pour laquelle il souhaite faire de la réforme institutionnelle un préalable, non pas à l'ouverture, mais à la conclusion des négociations d'élargissement.

Quant au financement de l'élargissement, je tiens à indiquer clairement ici que nous souhaitons qu'il soit justement proportionné aux besoins des pays d'Europe centrale et orientale qui entreront dans l'Union. Nous commençons actuellement à Bruxelles l'examen des premières idées avancées par la Commission dans le cadre de sa communication dite "Agenda 2000". Alain Barrau souhaite que nous informions l'Assemblée nationale du déroulement de ces travaux; nous le ferons, bien entendu, mais à ce stade, il est trop tôt pour en dire beaucoup. Je me contenterai d'indiquer quelques orientations. Notre souhait est de dissocier très clairement dans cet exercice les besoins entraînés par l'élargissement et les besoins liés à la poursuite des politiques communes actuellement menées à Quinze. A ce titre, nous défendrons à Luxembourg, le principe d'une double programmation permettant d'assurer l'étanchéité entre les dépenses consacrées à la poursuite des politiques communes des Quinze et les dépenses nouvelles consacrées aux nouveaux adhérents.

La nouvelle programmation financière devra en outre marquer une certaine rigueur pour les dépenses bénéficiant aux quinze, dans la lignée de l'approche "croissance zéro" développée depuis deux ans. En effet, il est bien entendu nécessaire de tenir compte des contraintes fortes qui pèsent sur nos propres équilibres budgétaires. En même temps, il faut s'assurer que les politiques communes pourront continuer à être financées dans de bonnes conditions, dans leur périmètre actuel. C'est le sens des observations que les rapporteurs ont faites. M. Fuchs et Mme Aubert ont noté, à propos de la future programmation financière, des approches, par exemple, en terme de juste retour. Ces approches ne doivent pas être retenues car elles sont étrangères à la logique financière, à la logique politique de l'Union européenne. Si des dispositions doivent être revues, elles devront l'être par la redéfinition des politiques et non pas par le biais des contributions ou des soldes.

Nous pensons que le maintien du plafond de ressources propres à 1,27 % doit permettre d'assurer le financement de l'élargissement dans des conditions satisfaisantes tout en préservant nos politiques communes. Pour autant, j'y insiste, ce plafond doit demeurer un plafond de ressources et en aucun cas devenir un objectif de dépenses.

Les contraintes de l'exercice sont fortes, mais je suis convaincu qu'un équilibre satisfaisant pourra au bout du compte être trouvé, et nous avons déjà commencé, avec Hubert Védrine à travailler en ce sens au Conseil Affaires générales.

Pour le reste, et ce sera mon dernier mot, nous plaiderons également pour une approche dynamique de la réforme de la politique agricole commune et la réforme des fonds structurels.

S'agissant particulièrement de la PAC, nous n'en sommes qu'à l'examen préliminaire des suggestions de la Commission. D'ores et déjà, le gouvernement a exprimé son souhait et même sa volonté de maintenir la ligne directrice agricole, dans son principe et dans ses modalités d'indexation. Pour le reste, il veillera jalousement, dans cette négociation, à la défense des intérêts français et donc à la préservation du modèle social agricole, compétitif, tourné vers l'exportation, mais aussi soucieux du maintien de structures familiales et d'une occupation équilibrée de l'espace.

Un tout dernier mot sur Strasbourg. Comme M. Didier Migaud, je me réjouis de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, conforme aux souhaits exprimés par la France. Nous avons demandé au Parlement européen de tenir compte de cet arrêt pour revenir sur ses décisions quant aux sessions prévues pour 1998. Il doit se prononcer la semaine prochaine sur ce point. Nous avons confiance en sa sagesse, sachant aussi que l'arrêt de la Cour nous donne des armes pour faire prévaloir une position que nous croyons juste.

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En conclusion, Mesdames et Messieurs les Députés, je veux réaffirmer avec force l'engagement européen sans faille du gouvernement. Cet engagement marque l'ensemble de la politique économique et sociale que nous conduisons : comme l'a dit le Premier ministre, Jospin, notre priorité est claire, nous voulons l'emploi avec l'euro.

Comme nous l'avions dit avant d'accéder aux responsabilités, nous voulons en même temps faire l'Europe sans défaire la France. Nous veillerons donc scrupuleusement au respect des intérêts nationaux. En particulier, nous affirmerons sans relâche notre volonté de réorienter la construction européenne dans un sens plus favorable à la croissance et à l'emploi.

Le gouvernement, Mesdames et Messieurs les Députés, rêve d'une Europe à nouveau populaire qui réponde aux aspirations des Français, notamment des plus modestes d'entre eux, d'une Europe qui ne soit plus perçue comme une menace mais comme l'espace indispensable au plein épanouissement de notre pays.

Je crois que dans ce rééquilibrage, dans cette construction nouvelle, dans cette conception nouvelle, la représentation nationale doit apporter son concours. Il est indispensable et il sera bienvenu.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 octobre 2001)