Texte intégral
Q - L'aide au développement existe depuis 40 ans et pourtant jamais la pauvreté n'a été aussi criante. N'est-ce pas un constat d'échec ?
R - Il faut nuancer. En quarante ans, le nombre des PMA (pays moins avancés) est passé de 21 à 49, c'est certes une pente dangereuse. Sur le plan de la démocratie il y a eu plutôt plus d'élections, mais moins d'électeurs. Malgré cela, en terme d'autosuffisance alimentaire, la situation s'est globalement améliorée, notamment en Afrique. Les transferts d'alimentation vers le Sud ont été moindres, alors même que la démographie est en hausse. L'extrême pauvreté en Chine et en Inde, par exemple, a été réduite.
Dans le même temps, l'Aide publique au développement (APD) a baissé dans des propositions importantes. On ne peut que mettre en parallèle cette chute de l'intérêt en direction du Sud avec la disparition de l'enjeu stratégique Est-Ouest après la chute du mur de Berlin. C'est aussi parce qu'il y a eu une crise de foi en l'APD qu'elle a pu s'effondrer.
Q - La baisse du volume de l'aide n'est-elle pas simplement la conséquence de son inefficacité ?
R - Il est vrai que la corruption a été utilisée pour dénoncer une APD insuffisamment ciblée et contrôlée. C'est pour cela que ce gouvernement, avant de se poser la question du volume de l'aide, s'est soucié de sa réforme pour la mise en oeuvre de meilleurs outils de coopération. C'est pourquoi je peux vous l'affirmer, il n'y aura pas eu "d'éléphants blancs" financés au cours de la dernière période.
S'agissant du volume de l'APD, la baisse la plus importante a été enregistrée entre 1994 et 1997. Le gouvernement de Lionel Jospin a inversé la tendance : l'APD a commencé à remonter en 2001 à 0,34% et devrait atteindre 0,36% à la fin de l'année 2002.
Q - Comment expliquez-vous cette remontée ?
R - Les raisons sont multiples. On observe, notamment depuis 2000, une amélioration des "décaissements" du Fed (Fonds européen du développement), le premier outil d'intervention de l'Europe en Afrique, qui représente 15 milliards d'euros sur 7 ans. La France y joue un rôle prépondérant puisque nous finançons près de 25% du Fed. Au total, avec les autres programmes d'aide européenne, nous décaissons plus d'un milliard d'euros par an au titre de l'aide communautaire.
Au cours de notre présidence européenne, un certain nombre de mesures ont été prises pour un meilleur fonctionnement de l'aide. Nous avons en même temps révisé les accords de Cotonou (Ex-Lomé) dans lesquels il est, entre autres, demandé un dialogue politique plus exigeant.
L'autre facteur de remontée de l'APD, c'est la montée en puissance de l'effacement de la dette. Lionel Jospin a d'ailleurs arbitré favorablement pour ce qui est du principe d'additionnalité de l'effacement de la dette.
Q - Néanmoins, on est encore loin de l'objectif annoncé de 0,70% du PNB ?
R - La moyenne européenne s'établit aujourd'hui à 0,33 %, tirée, il est vrai par les pays nordiques qui pour certains consacrent jusqu'à 1 % à l'APD. L'objectif de 0,70 % a été réaffirmé à Laeken, mais personne ne se risque à afficher un calendrier précis. Dans la perspective de Monterrey, l'Europe discute actuellement d'un objectif intermédiaire de 0,39 %, assorti, lui, d'une date de mise à exécution.
Q - Qu'allez-vous défendre à Monterrey en matière de financement du développement ?
R - Le concept des biens publics mondiaux est en train de gagner en légitimité, au fur et à mesure que l'on se rapproche du Sommet de Johannesbourg, consacré au développement durable. L'idée de préserver et de promouvoir ces biens publics mondiaux y sera évoquée, ce qui pose la question de leur financement. Dès lors, il est clair qu'il nous faut trouver d'autres financements que l'APD.
Cela renvoie notamment à une taxation internationale, dont l'assiette reste à définir, mais qui permettrait de lutter contre les excès de la mondialisation et fournirait un financement complémentaire pour le développement. Il pourrait s'agir par exemple, de taxer les transactions financières spéculatives, le commerce des armes ou l'émission de CO2. Nous voudrions qu'une déclaration européenne, qui intègre ce concept de biens publics mondiaux, puisse enrichir ainsi les discussions à Monterrey.
Mais nous n'en sommes pas là, les sensibilités sont encore trop différentes entre pays européens. Et je ne parle même pas des Etats-Unis pour qui la question du développement se limite à une question de commerce. C'est sans doute parce qu'ils pensent d'abord à l'Amérique latine et l'Asie. Or l'Afrique est très loin de ces considérations...
Q - L'Afrique apparaît justement comme la grande oubliée de ces discussions. Qu'en pensez-vous ?
R - L'Afrique a besoin d'un traitement particulier. De toute évidence, la liberté du commerce ne peut en aucun cas suffire à elle seule à améliorer sa situation. C'est pour cela que la France a du mal à faire partager sa vision du développement parce qu'elle est la seule, avec la Grande-Bretagne, à porter un regard particulier à l'Afrique.
Notre coopération a été élargie à l'ensemble de l'Afrique, en prenant en compte l'interactivité entre les pays. Tous reconnaissent le bien fondé de cette politique qui contribue à les désenclaver les uns par rapport aux autres.
En tout état de cause, la coopération doit aider à la démocratisation.
Q - Quelles sont vos propositions en faveur d'une meilleure gestion du développement ?
R - Il faut donner plus de poids aux Nations unies sur ces questions et renforcer la primauté du politique dans les institutions financières internationales. New York doit regagner sa place par rapport à Washington. La France plaide pour la création, dans un cadre multilatéral, d'un Conseil de sécurité économique et social, ainsi que pour la création d'une commission du surendettement pour traiter le cas des Etats en situation de faillite, impliquant davantage le secteur privé.
Cette "nouvelle architecture" nous parait être la condition de la régulation, pour un développement équitable et durable, dont le monde a besoin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mars 2002)