Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, à "France 2" le 12 juin 2002, sur les négociations concernant le service minimum garanti à la SNCF, la réouverture totale du tunnel du Mont-Blanc, son hostilité à l'implantation d'un troisième aéroport en région parisienne, et sur la place de son parti, l'UDF, au sein de la majorité à l'issue des élections.

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Texte intégral

R. Sicard Je voudrais d'abord revenir d'un mot sur la défaite, hier, de l'équipe de France. Non pas pour vous demander une analyse, mais parce qu'il y a quatre ans, la victoire des Bleus avait créé un formidable enthousiasme, un regain d'optimisme, un regain de moral, ce qui n'est pas sans incidence sur l'économie. Est-ce que, cette fois-ci, la défaite peut avoir l'effet inverse ?
- "Je ne sais pas, ou du moins, je souhaite que les Français restent sur l'image d'il y a quatre ans. C'était une très belle victoire. On a vibré et c'était vraiment fantastique comme émotion populaire et collective. Aujourd'hui, il y a une défaite. Surtout, n'accablons pas nos sportifs. On va analyser cela sur le plan sportif. Mais restons sur l'image d'il y a quatre ans et c'est la plus belle image qui soit. Il y aura d'autres victoires."
Est-ce qu'au sein du Gouvernement, on s'interroge sur un éventuel coup de blues des Français à la suite de cette défaite ?
- "Je pense que les Français résisteront à une déception qui est énorme bien sûr. Elle est énorme, mais elle est passagère. Il vaut mieux voir l'avenir plutôt que de se pencher sur les malheureux matchs de cette semaine et de la semaine dernière."
Autre élément qui peut lui aussi saper le moral des Français, ce sont les grèves à répétition et notamment à la SNCF. Il y a plusieurs mouvements en ce moment, dans les régions en particulier, liés souvent aux horaires d'été. Le président de la République, pendant la campagne, avait parlé d'un service minimum garanti. Est-ce que vous, qui êtes ministre des Transports, vous êtes favorable à cette idée ?
- "Je veux d'abord qu'on engage le dialogue social dans les entreprises qui pourraient, le cas échéant, aboutir sur un service minimum. Cela existe déjà dans de grandes entreprises publiques. Avant tout, c'est la méthode. Ne commençons pas par dire "il faut ceci ou il faut cela", sans interroger les partenaires sociaux. J'ai commencé, dans mon ministère, à recevoir les partenaires sociaux. Je vais continuer à les recevoir et je vais leur demander quelles sont leurs propositions dans ce domaine, car ils sont très attachés eux-mêmes au service public. Et tout en respectant le droit de grève, je leur demanderai jusqu'où, jusque quand et comment on peut imaginer quand même d'assurer la continuité dus service public. Ils y sont attachés, nous aussi. Ce sont les méthodes qui comptent : le dialogue social."
C'est bien de s'occuper des partenaires sociaux, mais c'est aussi bien de s'occuper des clients du service public, comme ceux de la SNCF. De ce côté, il y a une demande pour un service minimum garanti ?
- "On arrivera à satisfaire les clients du service public dans la mesure où la qualité du dialogue social dans les grandes entreprises publiques sera tellement bien menée, élaborée et poursuivie à terme que l'on aboutira à de bons résultats. C'est ainsi qu'avec le sens du devoir et du service public que je connais et qui est partagé - notamment à la SNCF par les cheminots, qui ont une très grande culture du ferroviaire et en même temps du service public -, que l'on aboutira, le cas échéant, avec eux, à trouver des solutions pour assurer ce service public."
Pour le moment, franchement, les syndicats sont vent debout devant cette idée de service minimum garanti. Vous pensez que cela peut évoluer ?
- "Bien entendu, il ne faut pas parler et tout de suite aboutir à des conclusions. Je voudrais connaître de leur part quelles sont leurs propositions. C'est bien plus intéressant de connaître les propositions de ceux qui sont à même d'assurer ce suivi du service public, plutôt que de leur dire : "Voilà comment il faut faire, vous n'avez plus qu'à suivre". Je suis le ministre des Transports notamment, et dans ces transports, je serai le ministre du dialogue social."
Autrement dit, le service minimum garanti, ce n'est pas pour demain ?
- "Je n'en sais rien. Cela dépendra des partenaires sociaux. Ne brûlez pas les étapes avant qu'on engage justement cette concertation. C'est de la concertation ou de la qualité de cette concertation que dépendra la qualité du résultat pour le service public."
Parlons maintenant de la campagne électorale : vous êtes un des rares à l'UDF à être resté fidèle à F. Bayrou. Est-ce que vous continuez à être hostile à cette idée de grand parti unique de la droite que les Français, d'une certaine manière, ont quand même plébiscité dimanche dernier ?
- "Enfin, plébiscité, je ne sais pas ! En tout cas, ce que les Français ont dit dimanche dernier, c'est qu'ils veulent une stabilité du pouvoir exécutif avec une vraie majorité parlementaire stable. Quand vous me demandez s'il faut un parti unique, je crois que personne n'a le monopole de l'architecture de la nouvelle majorité législative, si nous sommes majoritaires dimanche prochain. Soyons modestes, on ne connaît pas les résultats. Néanmoins, ce que je sais, c'est que ma famille politique, l'UDF, a deux devoirs dans sa feuille de route. Le premier est d'être loyal au Gouvernement et à la majorité parlementaire issue des urnes - si nous sommes majoritaires dimanche prochain. Et deuxièmement, elle a un deuxième devoir qui est celui d'être stimulante dans la majorité parlementaire. Loyale et stimulante me paraissent être les deux caractéristiques de l'UDF au sein de la majorité."
En général, quand on veut exister on doit critiquer. Est-ce que ce n'est pas le risque pour un groupe UDF à l'Assemblée ?
- "Je ne suis pas d'accord avec vous. Dans un passé très récent, l'UDF a été la famille qui a le plus proposé. Voulez-vous que je vous donne deux ou trois exemples ? En matière de construction européenne, jamais nous en serions au point où nous en sommes s'il n'y avait eu l'UDF. Deuxièmement, en matière de retraite, si la gauche n'était pas arrivée en 1997, nous aurions eu la loi Thomas qui était votée et dont le Gouvernement de gauche n'a pas pris les décrets d'application. Le problème des retraites des Français serait réglé, aujourd'hui, avec une initiative UDF. Vous voyez que, sans vouloir nous accaparer tel ou tel mérite, nous sommes complètement complémentaires et loyaux et nous serons stimulants dans la majorité parlementaire, sans être forcément critiques. La critique est souvent perçue comme étant négative, alors que la critique peut être positive et proposante."
Revenons au dossier des transports : un des dossiers le plus chaud sera le 25 juin la réouverture totale du tunnel du Mont-Blanc. Dans la vallée de Chamonix, les gens sont vent debout contre cette idée. Est-ce que la réouverture totale est inéluctable ? Quelles dispositions allez-vous prendre sur ce point ?
- "C'est un dossier très important. Il existe les Alpes. Ce n'est pas nous qui les avons faites. Il y a un très fort trafic entre l'Italie et la France. Il faut donc assurer ce trafic. Aujourd'hui, il y a deux tunnels : le tunnel du Fréjus avec la vallée de la Maurienne - hyper saturé parce que le tunnel du Mont-Blanc est fermé pour les causes que vous connaissez : il y a eu deux ans de travaux. Nous sommes obligés de réouvrir le tunnel du Mont-Blanc, sinon ce ne serait pas "chic" par rapport aux gens de la vallée de la Maurienne. Nous allons faire un trafic équilibré entre ces deux vallées et entre ces deux tunnels. Le tunnel du Mont-Blanc est hyper moderne et hyper sécurisé maintenant. Il faut savoir que dans la vallée du Mont-Blanc, dans la vallée de Chamonix ou dans la vallée de la Maurienne que j'ai la ferme intention de pousser le ferroutage entre Lyon et Turin. C'est un très gros projet, qui mettra peut-être dix ans à aboutir, mais nous aurons ensuite une très grande partie des marchandises sur camions et sur rails - le ferroutage - qui pourront assurer la liaison entre Lyon et Turin. Il y a donc des perspectives d'avenir."
C'est un projet qui est lancé ou c'est un projet qui est dans les cartons ?
- "Ce n'est pas un projet qui n'est pas dans les cartons. C'est un projet qui est ouvert sur mon bureau avec d'autres. Je me suis entretenu avec la présidente de la région Rhône-Alpes, Mme Comparini, tout récemment, qui pousse beaucoup le dossier. La région Rhône-Alpes pousse et cofinance, le département pousse et cofinance et l'Europe qui va aider. C'est donc un dossier qui devrait vraiment aboutir. Je ne voudrais pas donner de calendrier, car j'ai horreur de m'engager sur une date précise, mais ce sera la solution pour soulager la liaison et disons le franchissement des Alpes. Il y a d'autre solutions possibles que pousse, par exemple, Madame Ameline, la secrétaire d'Etat à la Mer, auprès de moi, qui est aussi le cabotage maritime, c'est-à-dire le transport par voie maritime de courte distance, par exemple entre Marseille et l'Italie. Il y a là des voies de compensations."
D'un mot : le dossier aussi du troisième aéroport de la région parisienne. Vous vous étiez dit hostile à l'implantation de cet aéroport dans la Somme. Où en est-on maintenant ?
- "C'est un dossier franchement qui était mal préparé et c'était un leurre du précédent gouvernement. Ce n'était pas bien, une fausse concertation."
Pourtant le Gouvernement avait fait une concertation ?
- "Non, il n'y a pas eu de concertation. L'essentiel est que nous remettons à plat ce dossier. Nous allons profiter du travail qui a été fait par beaucoup d'experts, beaucoup de participants, qui apportent des éléments importants pour savoir d'abord quel sera le trafic aérien dans les prochaines années, deuxièmement pour savoir, si on a besoin d'un troisième aéroport, où sera-t-il ? Cela est la vraie concertation. Mais à court terme, ce dont je dois m'occuper - et j'ai été sur le terrain écouter les avions, les gens et les élus -, ce sont les nuisances provoquées et dont souffrent les riverains de Roissy, du Bourget et d'Orly. A court terme, c'est un objectif."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 juin 2002)