Point de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, notamment sur la reprise des négociations de paix entre Israël, la Syrie et le Liban, le Timor Oriental et l'embargo contre l'Irak, New York le 24 septembre 1999.

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Circonstance : 54ème session de l'Assemblée générale des Nations-Unies (ONU) à New York (Etats Unis) du 21 au 25 septembre 1999

Texte intégral

Q - Que pouvez-vous nous dire sur votre rencontre avec le ministre syrien ?
R - Il faut d'abord la replacer dans son contexte. Nous sommes dans une phase de contacts intenses, à New York et dans les capitales occidentales. Les Israéliens et les Palestiniens ont repris les négociations. Ils sont maintenant engagés ensemble sur l'application des accords déjà conclus et ils se préparent à engager l'affaire, compliquée, de la négociation sur le statut final. Nous sommes près d'eux, nous sommes au contact. La France est spécialement présente et active comme vous le savez. Nous répétons - le président de la République, le Premier ministre et moi-même - que nous sommes disponibles pour être utiles à tout moment, naturellement. Cela suppose que nous soyons, dans les semaines et les mois qui viennent, en contact, tout le temps, puisque cette phase va être décisive. Cela explique les contacts à New York, les voyages à Paris, comme à Washington ou ailleurs, et cela explique notamment les déplacements à venir dans la région, en octobre et novembre.
En ce qui concerne Israël et la Syrie, les choses sont un peu différentes puisqu'ils n'ont pas repris les discussions. Ils sont en phase d'approche. La France a la même position que sur la question précédente. Nous sommes disponibles pour aider, si c'est utile, en plus des moyens directs qu'ils ont. Mais on n'en est plus à la phase où ces différents protagonistes du conflit ont besoin des autres pour nouer le dialogue. Le dialogue est direct, profitable ou pas, mais il est direct. L'utilité des Etats-Unis, de l'Europe, de la France, de l'Egypte ou d'autres pays actifs, apparaît à d'autres moments. Pas pour nouer le dialogue, mais quand le dialogue s'enlise ou se bloque, ou quand il faut aider à préciser tel ou tel aspect des accords ou quand il faudra les garantir. Il ne faut pas isoler tel ou tel contact pendant cette phase de contacts intenses.
J'ai rencontré, ici, le président Arafat, le ministre syrien, le ministre jordanien et le ministre égyptien et le Premier ministre a rencontré le Premier ministre libanais. Nous avons donc été en contact avec toutes les parties et dans le même temps, M. Barak était à Paris, en attendant M. Arafat. Voilà où nous en sommes.
Q - (inaudible)
R - Encore une fois, c'est d'abord entre Israéliens et Syriens que cela se passe. Je pense qu'ils parviendront, mais je ne sais pas quand, je ne sais pas comment. Compte tenu de ce que je sais de l'écart des positions et des sujets à surmonter je crois qu'ils vont arriver à renouer leur dialogue. Après, il y aura la discussion. Elle sera compliquée. Mais je crois que c'est relativement moins difficile de trouver une solution sur l'affaire du Golan que sur l'ensemble des sujets à traiter entre Israéliens et Palestiniens. Et je crois que, dans un cas comme dans un autre, il, y a la volonté d'avancer.
Q - Quelle est l'attitude de la France sur le volet libanais ?
R - Le Président Chirac l'a dit il y a longtemps. S'agissant du Liban, notre attitude générale est la même que sur les autres points. Il est très important pour les protagonistes de savoir qu'il y a cette disponibilité française précisément. Pour aller plus loin il faudrait que les négociations entre eux aient avancé. Pour passer des disponibilités à des propositions concrètes, il faudrait en savoir plus sur cet accord.
Q - L'élection de M. Barak a-t-elle modifié les choses ?
R - Oui, je pense que l'élection de M. Barak a créé une situation nouvelle au Proche-Orient, que l'on a affaire à quelqu'un qui ne cherche pas de prétextes pour interrompre les négociations. Mais il s'agit de quelqu'un qui traite les difficultés avec exigence. Il sera un négociateur difficile, mais notre analyse est qu'il veut trouver un accord. Aussi bien avec Palestiniens, les Syriens, que les Libanais. Cela ne diminue pas la taille des difficultés mais la volonté de les surmonter n'a aucun rapport encore une fois avec ce qu'était l'attitude de M. Netanyahou qui ne cherchait pas du tout à surmonter les problèmes. Il cherchait à ne prendre aucun engagement ou s'il en prenait il ne les tenait pas, il cherchait à délier son pays des engagements pris avant lui et à bloquer le processus. Il appliquait d'ailleurs le programme sur lequel il s'était fait élire.
Nous sommes donc dans une situation radicalement différente. Mais encore une fois, l'optimisme relatif que j'exprime, qu'expriment d'ailleurs plusieurs de mes homologues, n'implique pas une sous-estimation des difficultés à traiter. Les mois qui viennent seront vraiment importants. On le dit souvent au Proche-Orient, mais je crois que c'est vraiment le moment de le dire. Ce n'est pas complètement absurde de commencer à imaginer un Proche Orient en paix. Je ne fixe pas de date. On entend dire que tel pays, tel protagoniste veut conclure avant telle date. Je constate qu'il y a une volonté d'aboutir, et on ne peut pas l'enfermer dans un calendrier.
Q - Les discussions ne sont-elles vraiment impossibles, M. Arafat reparle de proclamer l'Etat palestinien ?
R - Non, c'est comme quand M. Barak dit au Monde que Jérusalem réunifiée est la capitale éternelle d'Israël et qu'il n'y a rien à négocier. Ce sont des positions. Le vrai déblocage porte, pour le moment, sur l'engagement commun d'appliquer les accords conclus avant. C'est très important. Lorsqu'ensuite les protagonistes se préparent à aborder la négociation sur le statut final, il est clair qu'ils rappellent de part et d'autre leurs positions, avec intransigeance. Il y a un problème intérieur de chaque côté. Le jour venu il faudra des compromis. Aucun des deux camps ne sera complètement satisfait. Les deux négociateurs en chef - au-dessus des équipes de négociateurs au sens technique du terme - M. Barak et M. Arafat - auront à prendre une responsabilité historique sur les accords à signer. Ils en sont à rappeler les exigences. Pour moi ce n'est pas un signe négatif, cela s'explique par le calendrier.
Q - Votre rencontre avec le ministre indonésien?
R - J'ai rencontré M. Alatas et je l'ai questionné essentiellement sur la façon dont son pays allait se comporter et allait coopérer avec la communauté internationale dans les phases qui viennent. La phase immédiate et la phase qui débutera après le vote de l'Assemblée indonésienne, et la phase où Timor oriental sera complètement indépendant.
Il m'a expliqué que son pays coopérerait, que l'attitude de son pays n'avait aucun rapport avec celle de l'Iraq ou de la Serbie par exemple, puisque c'est son pays qui a accepté le référendum, la venue de la force, que l'Assemblée de son pays votera, sous une forme que je ne connais pas en détail, la reconnaissance du référendum. C'est une position différente, même si à un moment donné sur le terrain cela a dégénéré comme vous savez.
Je l'ai interrogé sur les enquêtes sur les violations des Droits de l'Homme en lui disant que d'une façon ou d'une autre il y aurait une commission internationale sur les violations des Droits de l'Homme Il m'a répondu que de toute façon il y aurait en Indonésie une commission nationale indépendante chargée d'enquêter sur les violations des Droits de l'Homme et que d'ailleurs c'était aussi une chose que Mme Robinson avait demandé.
Q - Il ne vous a pas dit qu'il acceptait une commission internationale de l'ONU ?
R - Il ne m'a rien dit contre la commission, tout en espérant qu'elle travaille honnêtement. Il m'a même dit que la commission nationale indonésienne pourrait de son propre mouvement avoir des contacts avec des experts internationaux des Droits de l'Homme. Mais il a insisté sur ce fait : "nous estimons que ce n'est pas une commission contre nous, contre l'Indonésie, compte tenu de l'attitude que le Président et le gouvernement indonésien ont eu dans cette crise". Je lui ai dit que cela n'empêchera pas la création d'une commission internationale.
La France a dit que nous étions engagés par ce qu'avait dit la présidence finlandaise à ce sujet, mais les discussions sur les modalités ont lieu en ce moment même à Genève.
Il faut être à la fois exigeant et responsable sur l'affaire du Timor.
Il faut être exigeant sur la mise en oeuvre du processus instauré sous l'égide de l'ONU entre, notamment, le Portugal et l'Indonésie. Ce n'est pas quelque chose qui a été imposé à l'Indonésie, c'est quelque chose qui a fait l'objet d'un accord garanti par l'ONU, que les Indonésiens ont mis en oeuvre. Nous sommes donc en droit d'être exigeant sur l'application de cet accord, sur le fait de revenir à l'application du processus prévu vers l'indépendance qui a été tranché par référendum, mais il y a une question de mise en oeuvre.
Mais si l'on doit être à la fois exigeant sur ce plan, il faut aussi être responsable par rapport à la situation de l'Indonésie qui est un pays en transition difficile vers davantage de démocratie. Notre rôle est d'intégrer tous ces paramètres et de ne pas nous concentrer que sur l'un d'entre aux. D'ailleurs j'ai vérifié que bien que l'Indonésie ait suspendu l'accord de coopération avec l'Australie, elles ont évidemment gardé une relation de travail avec les Australiens, y compris sur les problèmes immédiats que la force rencontre à Timor.
Q - Sur la transformation de la force multinationale en force de l'ONU ?
R - C'est un débat distinct de la réaction de l'Indonésie. Je ne pense pas que sa réaction change fondamentalement en fonction de la nature juridique de la force.
C'est la troisième phase. On est censé transformer la force multinationale en force classique de maintien de la paix en troisième phase, après le vote du parlement indonésien début novembre.
Q - Cela ne sera pas avancé ?
R - Les Indonésiens disent que ce n'est pas possible, qu'ils doivent s'organiser.
Q - L'attitude du parlement indonésien après la consultation ?
R - M. Alatas dit que le débat sera difficile, qu'il y a un parti nationaliste fort, qui est très choqué de la façon dont les choses se sont passées, et encore plus choqué de la façon dont les choses sont présentées à l'opinion mondiale. Mais ils pensent qu'au bout du compte ce sont les positions du président Habibie et celles du gouvernement qui seront suivies par l'Assemblée. Qu'elle prendra acte.
Q - C'est un moment charnière. Habibie est en fin de mandat, on va nommer un nouveau président. On n'a pas peur d'un conflit ?
R - Nous ne pouvons changer les dates. On prend les difficultés telles qu'elles se présentent. Si on a peur d'une réaction nationaliste il ne faut pas alimenter les nationalistes indonésiens. Donc, il est très important, par exemple, que dans la force il n'y ait pas que des occidentaux..
Q - Vous avez abordé l'Iraq dans votre réunion hier avec le Secrétaire général ?
R - A propos de l'Iraq, nous nous étions mis d'accord sur le petit texte que vous connaissez. Nous trouvions que le mieux à ce stade des discussions était de parler de la nouvelle résolution. Nous avons parlé d'ingérence et de souveraineté.
Q - Et les Chinois ?
R - Ils sont favorables à la souveraineté.
Q - On nous a dit qu'ils ont encouragé un débat sur l'intervention ?
R - Oui, tout le monde est pour le débat.
Q - Les Russes aussi ?
R - Les Russes aussi. Les Russes sont assez favorables à la souveraineté en disant que l'utilisation inconséquente du thème de l'ingérence est quand même quelque chose d'explosif. Mais ils ne sont pas opposés au débat, ils n'ont pas une position extrême. Je suis convaincu que le débat va être très intéressant, car aucun pays ne pourra camper sur une position totalement univoque là-dessus.
Q - Un débat sous quelle forme ?
R - On peut l'imaginer de deux façons : on peut imaginer des débats organisés au sein de l'ONU, dans des organes spécialisés, des rapports, des prises de position, tout cela étant résumé sous une forme que je ne connais pas encore dans la réunion spéciale sur ces thèmes que Kofi Annan a prévu en septembre 2000.
Il y a donc deux formes de débat : il y a le débat qui est organisé, canalisé dans des assemblées, qui aboutit à des textes, etc... et puis il y a le débat que personne ne contrôle mais qui est le vrai débat, à base de déclarations, d'articles, de polémiques etc., débat qui a à la fois une portée globale et qui en même temps est nourri par chaque événement : Kosovo, Timor etc.
L'affaire du Timor et l'affaire du Kosovo, sont deux cas totalement différents. Si Milosevic avait accepté que l'on consulte les Kosovars, s'il avait accepté une force, l'affaire du Kosovo n'aurait plus aucune espèce de rapport avec ce qu'elle est devenue. C'est différent parce qu'il n'y a pas d'affaire de colonisations diverses dans l'affaire serbe.
Q - Il y a eu un pas en avant sur l'Iraq. Quelles sont les étapes suivantes ?
R - Il y a eu des avancées depuis des semaines. Les Américains ont petit à petit commencé à nous prendre au sérieux, ils ont fini par trouver intéressantes mais trop vagues nos idées de contrôle, alors nous les avons précisées. Sur le volet du réarmement, sur le volet financier, nous avons eu de nombreuses discussions techniques, notamment avec les Britanniques. Les avancées ont été nombreuses.
Les Américains qui ne voulaient absolument pas entendre parler de "suspension" ont fini par accepter de travailler sur l'idée, sans donner d'accord. Et ils ne voulaient pas que cela englobe les exportations et les importations. Il serait dommageable, alors qu'on a réussi à faire cela depuis des semaines, que l'unité du Conseil de sécurité est une arme entre nos mains, que c'est une des seules façons d'amener les Iraqiens à se montrer raisonnables sur une nouvelle commission de contrôle, ce serait vraiment absurde d'arrêter à ce stade et d'abandonner ou de précipiter le vote d'une résolution que nous ne pourrions pas tous voter. En conclusion, il faut continuer les discussions.
Q - Donnez-vous une échéance pour aboutir ?
R - Non. C'est artificiel.
Q - Vous avez parlé avec M. Ivanov ?
R - J'ai beaucoup parlé avec M. Ivanov cette semaine. M. Ivanov a dit à tous, dans toutes les enceintes : "Ce qui se passe dans le Caucase nord est extrêmement grave pour nous mais en aucune façon cela ne peut remettre en cause le calendrier électoral. Ni législatif, ni présidentiel". Dont acte.
Cette session n'était pas dominé par un drame particulier. On a travaillé sur l'Iraq, mais dans les travaux l'Iraq n'occupait pas une place centrale. Il y avait beaucoup de sujets, un très grand éventail et j'ai trouvé ça plutôt mieux, sur le plan du travail de fond.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 1999)