Interview de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, à RTL le 15 février 2002, sur la grève des médecins et les déclarations de M. Jacques Chirac sur ce conflit.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief - Aujourd'hui, nouvelle journée sans toubib. C'est la cassure définitive entre le gouvernement socialiste et les médecins ?
- "Non, sûrement pas. D'abord parce que nous travaillons beaucoup depuis un an sur le Grenelle de la Santé. Ce sont des réunions multiples que j'ai commencé à réunir il y a exactement un an, au mois de janvier 2001, parce que j'avais senti qu'il y avait un malaise profond et d'ailleurs ancien chez l'ensemble des professionnels libéraux."
Quand vous dites "ancien", c'est une manière de répondre à J. Chirac en lui disant que c'était un malaise qui existait aussi avant la gauche au pouvoir ?
- "C'est un malaise ancien parce qu'il y a des horaires très lourds, un travail exténuant pour les médecins, des gardes qui s'enchaînent et d'autre part un moindre respect dans le corps social. C'est tout cela qui s'additionne depuis très longtemps."
Face à ce constat, avez-vous répondu aux demandes quantitatives et qualitatives ? Apparemment, les médecins et les syndicats ne l'estiment pas.
- "Ce Gouvernement a fait plus et fait plus pour les médecins libéraux qu'aucun gouvernement auparavant. Pourquoi ? D'abord parce qu'il y a eu des revalorisations de rémunérations qui sont tout à fait conséquentes..."
18,50 euros, au lieu des 20 euros qu'ils demandaient !
- "Si on additionne tout ce qui a été proposé par la Cnam dans cet accord, il y a la rémunération à 18,50 euros - c'est une majoration, - mais il y a beaucoup d'autres éléments, comme par exemple, la majoration de la visite de nuit à 60 euros ou encore la visite à 30 euros pour l'ensemble des visites aux personnes qui ne peuvent pas se déplacer. Ce sont des augmentations très importantes qui, au total, font qu'on augmente de 2.300 francs par mois les honoraires des médecins dès la première année et, au bout de trois ans - puisque c'est un plan pluriannuel -, ce sera une augmentation qui sera équivalente à 6.000 ou 7.000 francs par mois."
Alors, qu'est-ce qui ne va pas ?
- "Il y a cela et puis il y a tout le reste, c'est-à-dire les conditions de travail et les conditions de vie. A la suite des travaux du Grenelle de la Santé que nous avons menés pendant six mois - ils se sont terminés en juillet 2001 -, j'ai passé l'été à rédiger des propositions pour le Parlement, qui ont été votées à l'automne dernier et que nous mettons en place maintenant et qui concernent les aides à l'installation - car il y a des zones dans lesquelles il n'y a pas de médecins -, qui concernent les aides aux réseaux de soins, qui concernent les aides aux gardes, parce qu'on voit bien que si on n'organise pas les gardes, alors, le médecin individuellement est soumis à un rythme de travail effrayant. Tout cela est en train d'être mis en place et cela n'avait jamais été fait auparavant."
Pourtant le malaise existe, les syndicats sont en colère - pas tous, mais les majoritaires. Est-ce que cela voudrait dire que finalement, c'est votre manière de gérer ce conflit qui a été très critiquée et qui établit ce climat de défiance ? On vous a reproché d'avoir accaparé le dossier sans vous appuyer sur le docteur Kouchner, de ne pas avoir reçu les syndicats d'emblée, d'avoir eu un ton peut-être un peu techno - si vous me permettez l'expression. Est-ce que c'est ça qui n'a pas fonctionné ? Le style Guigou qui n'est pas passé ?
- "Chacun peut avoir son interprétation."
Quelle est la vôtre ?
- "La mienne est que le Grenelle de la Santé est un travail de fond et un travail sérieux, pendant un an, que j'ai mené aussi avec B. Kouchner à partir du moment où il est revenu au Gouvernement, c'est-à-dire à partir d'avril 2001. Nous avons fait toutes ces réformes ensembles puisqu'elles ont été votées soit dans la loi de financement de Sécurité sociale soit..."
Mais je parle concrètement du conflit...
- "Le conflit, c'est pareil. B. Kouchner a vu les médecins généralistes juste avant Noël. Moi, je les avais vus juste un peu avant. Et nous les avons reçus ensuite, dès lors que les négociations sur les rémunérations étaient faites avec la Cnam. Nous avons défini et nous continuons d'ailleurs ensemble - car nous gérons ce dossier ensemble - à proposer aux médecins d'avancer très concrètement. Ce que je voudrais dire, c'est que nous sommes dans une réforme qui va tourner le dos définitivement au plan Juppé de maîtrise comptable des dépenses de santé. Je fais voter par le Parlement - et ce sera sans doute le dernier texte de la session parlementaire, puisque la dernière lecture interviendra jeudi prochain - une réforme qui va constituer à dire aux médecins : "Il n'y aura plus jamais de sanctions financières. Nous vous faisons confiance et nous vous proposons un nouveau contrat de confiance pour pouvoir ensemble maîtriser les dépenses de santé, éviter les gaspillages et avoir au fond une maîtrise médicalisée des dépenses"."
Cela ressemble à ce qu'a dit J. Chirac hier devant les médecins...
- "Je pense que c'est parce que le candidat Chirac a compris le danger - finalement toutes nos réformes vont dans le sens d'un pacte de confiance avec les médecins - qu'il a sans doute éprouvé le besoin de faire ce mea culpa, de formuler de nouvelles promesses."
Ce n'est pas bien de faire un mea culpa quand on est un homme politique ? C'est plutôt pas mal, non ?
- "Peut-être. En tout cas, pas de faire des promesses dont on peut douter de la crédibilité puisqu'en 1995, déjà, le candidat Chirac avait promis de ne pas plafonner les dépenses et quelques mois après, en novembre, tombait le plan Juppé. Il me semble que face à tout cela, j'ai l'impression que le candidat Chirac cherche, en effet, à profiter du malaise des médecins..."
Vous auriez fait pareil, si vous étiez dans l'opposition, pour arriver au pouvoir !
- "Ce malaise a été considérablement augmenté par la politique menée par M. Chirac et par les sanctions financières instituées par le plan Juppé."
S'il arrive à surfer sur ce malaise, est-ce que ce n'est pas le problème du Gouvernement qui n'est pas arrivé à le régler, à le gérer plutôt que du malaise en lui-même ? Si J. Chirac parle devant les médecins et que cela passe, c'est que les médecins sont malheureux ou se sentent maltraités. C'est peut-être de votre responsabilité ?
- "Je ne sais pas si le discours de M. Chirac est passé, parce que j'ai le sentiment que les promesses que fait M. Chirac, il y a longtemps qu'on doute de leur crédibilité. Je pense que vraiment, c'est quelque chose qui est là."
Mais est-ce que cela suffit pour invalider le discours adverse de dire que cela ne marche pas ?
- "Je considère que dans le discours de M. Chirac, hier, il n'y avait aucune propositions nouvelles, autres que celles que nous faisons déjà. Toutes les propositions concrètes - les aides à l'installation, l'agence régionale de santé qui est présenté ce matin comme une grande novation - sont dans nos projets ! Nous avons aussi des contrevérités sur la démographie médicale : je veux vous souligner que le numerus clausus pour les médecins était de 3.500 entre 1995 et 1997. Il n'a pas bougé. Et nous avons augmenté le nombre de places pour les médecins à 4.700. J'ajoute à nouveau que les crédits de recherche, qui avaient diminué de 12 % sous le gouvernement Juppé, ont augmenté de 28 % cette année."
Voilà une série de chiffres que nos auditeurs méditeront. L'affaire Teulade : elle égratigne aussi le Parti socialiste. Est-ce un handicap moral pour le candidat Jospin ? Est-ce que cela peut entacher la candidature Jospin ?
- "Non, je ne crois pas. R. Teulade est quelqu'un pour qui j'ai beaucoup d'estime et d'amitié. Il a à s'expliquer devant la justice. Nous n'intervenons pas dans les affaires judiciaires. Il faut que la justice joue son rôle. C'est très bien qu'il en soit ainsi. Nous n'avons pas l'intention non plus de laisser le débat politique tourner autour des affaires."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 février 2002)