Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur la prévention du suicide, Paris le 5 février 2002.

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Circonstance : Ouverture du colloque organisé par l'UNESCO pour l'Union nationale pour la prévention du suicide dans le cadre de la journée de prévention du suicide à Paris le 5 février 2002

Texte intégral

Je souhaite en premier lieu, en cette journée nationale de prévention du suicide, dire combien je salue l'initiative de l'Union Nationale pour la Prévention du Suicide (UNPS), et de son Président, M. le Pr Michel Debout, pour l'organisation de ces Journées de réflexions et de débats autour de la prévention du suicide.
C'est votre 6ème journée de ce type. Vous avez su depuis 1997 créer un rendez-vous annuel, le 5 février pour que soit brisé le silence autour de ce sujet qui heureusement est de moins en moins tabou dans notre société.
Cette année vous apportez à cette journée une dimension nouvelle, celle de votre collaboration avec les autres pays francophones et méditerranéens. Vous avez voulu associer à votre réflexion et à vos pratiques de prévention et d'action celles des autres pays.
Votre démarche comme votre réussite vous honorent.
Le suicide concerne tous les âges, et tout à la fois l'individu, l'institution, - qu'elle soit éducative, sociale, sanitaire, pénitentiaire -, la vie privée, comme la vie professionnelle, dont l'importance est aujourd'hui pleinement reconnue.
Il est l'expression d'un désespoir d'une coupure avec l'environnement familial ou social.
En ce sens, c'est une priorité de santé publique majeure.
L'Union Nationale pour la prévention du Suicide fédère les vingt grandes associations qui luttent pour la prévention du suicide, celles qui écoutent et qui rencontrent avec les suicidants, les familles de suicidants ou endeuillés par le suicide. Ces associations regroupent les professionnels du soin et de nombreux bénévoles. En même temps vous avez créer les conditions pour que toutes les associations qui adhèrent à votre union, puissent le faire sur la base d'une charte éthique de la prévention suicide. Je voudrais souligner ici l'importance de cette action et votre contribution primordiale à l'action de l'Etat dans la prévention du suicide. Cette action s'inscrit d'ailleurs dans la droite ligne des instructions du Premier ministre relatives à la place et au rôle des associations dans notre organisation institutionnelle. Place et rôle que nous avons célébré le 1er juillet dernier en l'honneur de la loi 1901.
Vous avez résolument placé vos journées de travail dans le contexte international des pays européens francophones et latins, souhaitant développer une approche spécifique de nos sociétés sur la prévention du suicide, qui bien entendu est aussi affaire de culture.
Ces échanges internationaux constituent un temps fort qui permet de mutualiser les compétences et de favoriser des échanges de pratiques ainsi que la réévaluation constante des stratégies de prévention. Cela est fondamental car s'il est un domaine où nous ne pouvons avoir de certitudes, c'est bien celui-là.
C'est d'ailleurs dans un tel contexte que la Stratégie française d'actions face au suicide portant sur la période 2000-2005, a été présentée lors d'un colloque européen sur la prévention du suicide des Jeunes organisé à Nantes en septembre 2000, dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne. Notre pays tenait en effet à mettre en exergue cette problématique de santé publique au niveau européen.
Les travaux en cours avec le Québec participent également de cette démarche. Et vous savez que la France participera activement au Comité européen de l'OMS sur la prévention du suicide qui s'est installé à Copenhague à la fin de l'année 2001, et dont M. le Pr Soubrier, membre de l'UNPS, assurera la tâche de correspondant français.
Enfin, les expériences de santé communautaire, développées notamment en Italie, Grande-Bretagne ou Espagne dans le domaine de la santé mentale, ont été prises en compte dans le cadre des réflexions menées en France pour l'élaboration du plan gouvernemental de santé mentale, que nous avons annoncé le 14 novembre 2001.
La France est l'un des pays les plus touchés par le suicide. Chaque année 160 000 personnes font une tentative de suicide et 11 000 en meurent, ce qui représente plus de 2 % de l'ensemble des causes des décès. Nous savons que le suicide n'est pas l'apanage d'une seule classe d'âge. Il peut intervenir aux trois âges de la vie, chez les jeunes, chez les adultes et chez la personne âgée.
Le suicide est la 2eme cause de mortalité chez les 15-24 ans juste après les accidents de la route, soit 16 % de la mortalité dans cette tranche d'âge, et la 1ere cause de mortalité chez les 25-34 ans. Cependant, en nombre absolu, c'est entre 35 et 54 ans que les décès par suicide sont les plus importants ; on note aussi une augmentation du taux de suicide après 70 ans chez les hommes. L'impact du phénomène est maximum dans la période de maturité, certainement en raison de la densité des liens psycho-sociaux noués à cette époque de la vie.
Nous savons aussi que les décès par suicide avant 15 ans ne sont pas répertoriés cependant les services hospitaliers d'urgence, notamment en pédiatrie, mais on constate depuis quelque temps la réalité de ce phénomène dans cette tranche d'âge.
La tentation suicidaire prend souvent à cet âge, le masque d'une conduite à risque pas toujours identifiée comme telle et qui doit pourtant recueillir la même attention.
La prévention du suicide touchant ainsi toutes les classes d'âge nécessite dès lors la mise en place de politiques articulées autour de plusieurs axes mais dont l'axe central est d'abord celui de la relation humaine.
" La relation humaine en question " thème central de vos journées, vous incite à traiter de la relation éducative, la relation au travail, la relation amoureuse, la privation de la relation et l'exclusion la relation aux soins. Votre approche traduit parfaitement la complexité de ce phénomène multifactoriel qu'est le suicide.
Lorsque j'étais à la chancellerie, j'ai été confronté à la progression importante du nombre de suicides dans les prisons françaises, C'est autour de la relation humaine que nous avons abordé la prévention de ces actes en milieu carcéral. J'avais décidé en juin 2000, la constitution d'une mission d'études sur les dispositifs mis en place dans d'autres pays pour prévenir le suicide en milieu carcéral. La mission (composée de magistrats, d'inspecteurs de l'Inspection Générale des Affaires Sociales et de l'Inspection Générale des Services Judiciaires) s'est déplacée en Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas.
À la suite de ces travaux, nous avons défini des axes d'amélioration possibles de la prise en charge des détenus, pour maintenir ou restaurer l'espoir et l'envie de vivre chez les personnes incarcérées, lors des moments les plus difficiles de leur parcours pénitentiaire, par exemple le retour en prison après la garde à vue, et nous avons défini les méthodes de prévention pour les plus fragiles.
Le suicide constitue toujours une violence sur soi mais vécue soit comme une solution finale ou au contraire comme un dernier appel lancé à la solidarité du groupe. En effet, les facteurs sociaux renvoient souvent à une déficience dans l'intégration sociale ou à la dégradation des liens familiaux et sociaux. La survenue d'événements de vie fragilisant est également un facteur de risque suicidaire reconnu.
L'importance des facteurs de risques psychiatriques a été mise en évidence par les études dites d'"autopsie psychologique". Ces études ont montré que plus de 90 % des suicidés sont affectés par un ou plusieurs de ces troubles.
L'existence d'antécédents de tentative de suicide représente un autre facteur majeur de risque ainsi que l'existence de violences subies pendant l'enfance ou l'adolescence ou encore à l'âge adulte, violences qu'il s'agit également de reconnaître, de prévenir et de traiter.
Les progrès que nous faisons dans la connaissance du phénomène, désormais clairement identifiés montrent une maturation de la réflexion et des expériences menées tant au niveau local, national et international, dans le domaine de la prévention du suicide mais également dans les évolutions de la prise en charge des personnes en situation de souffrance psychique ou atteintes de troubles mentaux.
Vos journées évoluent, au départ, essentiellement issue d'un milieu associatif impliqué, ces journées 2002 traduisent une évolution vers la nécessaire fédération et implication de l'ensemble des acteurs confrontés à la problématique du suicide, qu'il s'agisse des représentants des personnes affectées par leur tendance suicidaire et de leurs familles que des différents intervenants du champ éducatif, social et sanitaire.
Le suicide nous concerne tous, certes sur le plan individuel, mais également en tant que phénomène " social ". Il nous interpelle tans dans notre relation à l'autre que dans la collectivité. Les questions relatives au sentiment de rejet social ou de l'inutilité sociale, de la souffrance jusqu'à la mort sont au coeur de ces problématiques.
Accordé à la prévention du suicide c'est aller vers société plus solidaire et une amélioration de la qualité de vie.
Dans le domaine du travail, le rapport du conseil économique et social " Travail, violences et environnement " mené sous votre autorité et rendu public en avril 2001, insiste sur les liens entre le stress lié aux conditions de travail et le suicide. Nous avons tiré immédiatement des enseignements de vos travaux puisque j'ai fait voter la loi dite de modernisation sociale du 17 janvier 2002, des dispositions visant la lutte contre le harcèlement moral au travail. L'objectif étant d'éviter une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de la personne, et d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Des sanctions disciplinaires et pénales sont prévues en corollaire du non-respect de ces dispositions.
Une autre dimension apparaît aussi, dans la tentative de suicide celle liée à la rupture du contrat de travail, au licenciement voire à la menace de licenciement. Ces situations dramatiques sont toujours vécues comme une remise en cause des capacités et de l'identité de la personne. Elles peuvent elles aussi conduire à des tentatives de suicide, directement liées à la violence des rapports humains et sociaux.
Cette dimension psychologique liée à ces ruptures n'est pas aujourd'hui suffisamment prise en compte. Nous voulons que lorsqu'un plan social intervienne, dans les dispositifs mis en place, une cellule d'accompagnement psychologique soit mise en place pendant une période relativement longue, après les premiers effets de l'annonce du licenciement.
Par ailleurs, de nombreux travaux ont conclu que l'exclusion, étroitement liée à des sentiments d'inutilité sociale et de dévalorisation de soi, entraîne une intense souffrance psychique et renforce plus encore l'isolement social. C'est particulièrement vrai chez les jeunes en grande difficulté, en situation d'exclusion sociale pour lesquels le suicide est vécu, hélas, comme une alternative.
Nous savons que parmi les personnes touchées par l'exclusion les jeunes représentent une proportion importante.
Un effort financier considérable à été effectué dans le cadre de la loi de finances pour 2002 pour la lutte contre les situations de précarité et d'exclusion. Dans ce nouveau plan de lutte, nous avons décidé d'intensifier en particulier les programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins, dont une grande partie est consacrée aux problématiques de souffrance psychique. Dans ce cadre, des crédits ont spécifiquement été identifiés 2,30 M (15 MF) pour renforcer les dynamiques de partenariats entre les professionnels du champs social et médico-social et ceux des secteurs de psychiatrie afin de proposer des réponses concertées autour des besoins spécifiques des personnes en situation de souffrance.
Et puis il y a le suicide de personnes âgées qui existe mais c'est un phénomène sous évalué et banalisé. Vous dites à juste titre qu'il ne provoque que peu d'émoi médiatique.
C'est pourquoi, une de nos priorités réside également dans la nécessité de permettre à chacun de vieillir dignement, de faire que le dernier âge, soit celui des choix individuels et de la dignité de la personne. A cet effet, en sus de la mise en oeuvre de l'Allocation Personnalisée Autonomie qui est entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2002, nous avons souhaité développer les centres locaux d'information et de coordination (CLIC). L'objectif de 320 CLIC en 2002 et de 1 000 CLIC en 2005 devra être atteint pour que tout le territoire national soit maillé de ces centres d'information, d'accueil et d'écoute, formant ainsi des réseaux qui permettront de mieux prendre en compte les attentes des personnes âgées (vie quotidienne, soins, prévention, accompagnement, vie culturelle et citoyenne...).
Outre ses axes visant à améliorer la qualité de vie, la prévention du suicide induit une réflexion sur la politique de santé mise en oeuvre dans notre pays. Bernard Kouchner, qui viendra clôturer vos travaux, développera plus avant les orientations de la rénovation de notre politique de santé mentale.
Il me paraît cependant très important de réaffirmer devant vous que le dispositif de santé mentale ne peut être limité au seul système de soins, qu'il fasse appel au secteur psychiatrique en particulier ou à l'ensemble des acteurs de soins.
En effet, une approche plus large inscrivant la prévention du suicide dans une démarche globale de prévention médicale et sociale est indispensable. S'il y a un domaine où la santé publique s'impose, c'est bien celui de la Santé mentale et de la prévention du suicide en particulier.
Cette prévention du suicide justifie donc le développement d'une multitude d'actions au plus près des personnes en souffrance. Elle nécessite d'inscrire ces actions dans le cadre de programmations régionales de santé, les plus décentralisées possibles.
Ces programmations favorisent en effet une dynamique de réflexion et de suivi, une forte coordination des partenaires institutionnels, associatifs et bénévoles bien au-delà du seul champ soignant, et ces démarches décentralisées doivent aider à construire un partenariat, voire un réseau impliquant les différents acteurs confrontés à la problématique du suicide.
La Stratégie nationale d'actions face au suicide (2000-2005) trouve d'ailleurs son fondement premier et sa déclinaison logique dans le cadre de ces programmations régionales.
Il importe désormais de mieux articuler ces programmations régionales, entre elles d'une part et d'autre part avec l'organisation du dispositif de soins, qui a finalement assez peu intégré cette dimension de santé publique que constitue la prévention du suicide.
Les prochains schémas régionaux d'organisation des soins devraient systématiser la prévention du suicide en la replaçant dans un contexte d'ensemble concourant à la bonne prise en charge de la santé mentale des personnes.
Nos orientations, coïncident avec les vôtres car vos travaux, consistent à mieux articuler les différentes solutions proposées à la problématique de la prévention du suicide et à prévoir leur évaluation afin le cas échéant de réévaluer les stratégies de prévention.
Dans cette optique, la recherche et les études évaluatives tiennent une place centrale et je voudrais souligner ici mon attachement à une telle démarche qui s'est concrétisée par l'obtention de crédits spécifiquement dédiés à cette question. Nos partenaires associatifs et professionnels seront bien entendu étroitement associés à toute initiative en ce sens, comme cela a toujours été le cas.
Les réflexions de ces journées 2002 participent d'ailleurs de cette approche et je tiens à vous en remercier vivement.
D'ores-et-déjà, je puis vous dire que nous serons très attentifs aux préconisations qui résulteront de ces échanges. Je souhaite que vos travaux soient très fructueux.

(source http://www.sante.gouv.fr, le 7 février 2002)