Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, candidat du Mouvement des citoyens à l'élection présidentielle de 2002, dans "Le Télégramme" le 25 février 2002, sur le fondement de sa candidature à l'élection présidentielle, sa position sur l'économie mondiale, sur les retraites, sur la réforme de l'Etat et sur la politique régionale.

Prononcé le

Média : Le Télégramme de Brest et de l'Ouest

Texte intégral

1- Avez-vous le sentiment de mener une élection primaire droite contre Jacques Chirac dans la perspective du premier tour ?
Non, je représente le seul choix véritable par rapport à ce que j'appelle " le système du pareil au même ".
Deux Français sur trois ne souhaitent pas un duel Jacques Chirac, Lionel Jospin au 2e tour, parce qu'ils savent bien, que, sur les sujets essentiels, ils ont toujours fait les mêmes choix d'abandon, qu'il s'agisse de l'acquiescement à la mondialisation libérale de la déconstruction de l'Etat, de la Corse où Jacques Chirac a cautionné le retournement à 180° de la politique suivie, de l'outre-mer, de l'indépendance des parquets qui a démantelé l'unité de notre politique pénale, de l'affaissement des armées du fait d'une professionnalisation sans moyens...
Tous les Français qui souhaitent sortir de cette fausse alternance du pareil au même mesurent que ma candidature est la seule crédible : le puissant courant de sympathie qui se forme autour de ma candidature me portera jusqu'au second tour.
Je battrai Jacques Chirac et Lionel Jospin. Dans quel ordre ?
Peu me chaut.
2.Quelle est la cohérence du Pôle républicain qui est un rassemblement très hétéroclite ?
Toutes les personnalités, tous les courants politiques qui m'apportent leur soutien, le font sur la base de mon projet, que j' ai présenté dès le 9 septembre 2001, à Vincennes. Dix orientations fermes et précises pour relever la République et relever la France.
Sur cette base, sur cette exigence de refondation républicaine, un rassemblement très large est en train de s'opérer. Chacun voit bien que la France ne sait plus où elle va. Il lui faut un cap et un capitaine. Le pôle républicain manifeste cette capacité à réunir toutes les sensibilités politiques du pays dès lors qu'elles font passer l'intérêt public et l'intérêt national avant les considérations de partis.
3.Certains vous accusent à droite d'avoir amplifié le regroupement familial et d'avoir perdu auprès de Jospin vos arbitrages budgétaires pour accroître les effectifs de police.
Si vous êtes éIu, comment être plus efficace pour lutter contre l'insécurité ?
Le regroupement familial a été mis en oeuvre par MM. Giscard d'Estaing et Chirac en 1974, et toujours appliqué depuis; je ne sache pas qu'on veuille le remettre en cause. Le droit de vivre en famille est explicitement mentionné par la Déclaration européenne des Droits de l'Homme dont la France est signataire.
Quant à la lutte contre l'insécurité, je demanderai au gouvernement, dans les cent jours, de préparer la réforme de l'ordonnance de 1945 pour mettre fin à l'impunité de fait des mineurs délinquants, le décrassage de la loi Guigou qui freine l'action des magistrats et des policiers, et la création rapide, sur décrets d'avance de Centres de retenue pour mineurs délinquants multirécidivistes.
Deux lois de programmation, l'une pour la police et la gendarmerie, l'autre pour la Justice programmeront les nouveaux moyens affectés pour garantir un droit, égal pour tous, à la sécurité.
Il faut croire que ces propositions, pour lesquelles je me bats depuis des années malgré, il est vrai, plusieurs arbitrages défavorables au sein du gouvernement sont bonnes puisque Jacques Chirac vient de les reprendre à son compte sans les avoir jamais ni mises en pratique quand il le pouvait, ni soutenues quand je les avançais. Mais si on ne fera pas l'économie de la fermeté, on ne fera pas non plus l'économie de la générosité. Il faudra mettre en oeuvre une grande politique d'accès à la citoyenneté en faveur des jeunes aujourd'hui frappés plus que d'autres par le chômage et la discrimination.
4 -La posture gaullienne que vous adoptez est-elle adaptée à l'économie mondialisée dans laquelle nous baignons aujourd'hui ?
Le rassemblement de Porto Alegre n'avait-il pas surtout des vertus incantatoires ?
Tous les peuples de la planète s'alarment des dérives d'une mondialisation financière qui creuse des inégalités entre le Nord et le Sud et plonge plusieurs grands pays du Nord dans la récession. Il s'agit de fixer des règles à cette mondialisation. Les Etats, parce qu'ils sont l'outil de la démocratie, l'instrument de la volonté des peuples, sont les mieux en mesure d'y contribuer dès lors qu'une prise de conscience s'effectue
comme on a pu le voir au Forum social mondial de Porto Alegre.
Je ne confonds pas l'universalisme, le dialogue des cultures, l'ouverture au monde, que j'appelle de mes voeux, avec une mondialisation purement marchande. Il faut replacer l'homme au coeur de tout projet.
5- Avez-vous le sentiment comme l'a affirmé le président de la République que, grâce à son action, la France est désormais plus forte sur la scène internationale ?
Il suffit d'ouvrir les yeux : la France n'a plus de moyens de défense opérationnels suffisants, car la professionnalisation a été conduite sans moyens et donc au détriment des crédits d'équipement.
Dans les Balkans, elle s'en est remise à l'OTAN, au Proche Orient, elle est muette, le désengagement en Afrique est préoccupant, il n'y a pas de politique méditerranéenne... C'est un effacement lourd de conséquences.
Or la France doit à mes yeux demeurer une grande puissance politique capable de faire entendre sa voix dans les affaires du monde : le message de la Citoyenneté serait précieux pour les peuples déchirés par les rivalités ethniques, le message du dialogue des cultures est nécessaire au moment où certains voudraient creuser un fossé entre le Nord et le Sud de la planète.
6- Que comptez-vous faire sur des dossiers de fond qui n'ont pas été traités, faute de courage politique, comme les retraites ou la réforme de l'Etat ?
En matière de retraite, il faut agir sur les deux paramètres clés qui garantiront le niveau des prestations : la démographie et le renouvellement des générations -ce qui appelle une politique familiale active dont j'ai exposé les grands traits-, et un bon niveau d'activité économique et d'emploi -ce qui nécessite de mobiliser tous nos moyens pour la croissance.
D'autre part, la souplesse sera nécessaire pour le départ de l'âge de la retraite, et une concertation sera engagée pour aller vers un régime de retraite universel. Il faut agir avec discernement et sens de la justice : la retraite, c'est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas. Voilà pourquoi je défendrai bec et ongles le principe de la répartition, pour ne pas mettre nos aînés à la merci des fonds de pension et des aléas boursiers.
Quant à la réforme de l'Etat, je suis un décentralisateur. Je l'ai montré à l'Education nationale où j'ai mené à bien la décentralisation des collèges et des lycées, où à l'Intérieur où j'ai fait adopter la grande loi sur l'intercommunalité, le plus grand texte de décentralisation de ces dix dernières années. Il faut décentraliser, dans le cadre de la loi commune et en respectant les devoirs de l'Etat, garant de l'égalité.
7- Vous avez marqué, avec votre démission du ministère de l'Intérieur, votre refus de l'évolution institutionnelle préconisée par Lionel Jospin en Corse. Pour une région comme la Bretagne qui a, elle aussi, une forte identité, êtes-vous hostile à toute évolution en matière de décentralisation ?
Le fiasco corse tient d'abord au fait que le processus de Matignon a été dicté par le chantage à la violence des indépendantistes. Il ne peut y avoir de place, en démocratie, pour la violence.
J'ajoute que légalité des citoyens devant la loi, posée par la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, est un principe avec lequel aucun républicain ne saurait transiger.
Le processus de Matignon, retournement à 180° de la politique du gouvernement en Corse, est donc l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire. En revanche, la décentralisation réglementaire, la définition de blocs de compétences attribués à chaque niveau de collectivité locale, l'indépendance des ressources fiscales, l'extension de l'intercommunalité, le changement de mode d'élection des conseils généraux sont les grands traits des réformes à venir.
Toutes les régions de France ont une forte identité. Elle doit être respectée et la capacité d'initiative doit être stimulée et encouragée. La France a besoin de régions dynamiques. Mais si la République respecte les différences, elle ne les exacerbe pas. La France est une nation politique c'est-à -dire d'abord une communauté de citoyens.
8- La Bretagne est une région dont l'économie est tournée vers l'Europe. Etes-vous prêt à évoluer dans ce domaine quand on connaît vos convictions nationalistes ?
Je combats le nationalisme. Je suis un républicain, patriote, et l'idée républicaine de la nation, communauté de citoyens sans distinction d'origine, unie par le débat public, est pleine d'avenir.
C'est l'antidote véritable au nationalisme ethnique et souvent haineux que j'ai toujours combattu. Je suis euro-ambitieux, car l'Europe peut ajouter aux nations, au lieu de s'y substituer. J'oeuvrerai pour une Europe des projets, utilisant la procédure des coopérations renforcées pour mener à bien de grandes réalisations communes : trains à grande vitesse, initiative de co-développement en Méditerranée, recherche, politique aéronautique et spatiale...
Je demanderai à nos partenaires d'assigner à la Banque centrale européenne la mission de veiller non seulement à l'inflation mais aussi au niveau d'activité et d'emploi en Europe. Je proposerai de réformer la politique de la concurrence pour soutenir nos entreprises et faire valoir la préférence européenne.
Et la démocratie doit cesser d'être évacuée : la publicité des délibérations et des votes au Conseil sera très utile, le droit d'initiative doit être partagé avec le Conseil représentant des peuples. Bref un programme ambitieux pour une Europe fondée sur les projets, puisant dans la volonté des peuples.
Propos recueillis par Hubert Coudurier
(Source : www.chevenement2002.net, le 4 mars 2002)