Interview de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, dans "Les Echos" du 16 septembre 2002, sur la gestion du personnel de la fonction publique, les objectifs de la réforme de l'Etat et les grands axes de la politique de l'aménagement du territoire.

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Média : Energies News - Les Echos - Les Echos

Texte intégral

Le projet de budget prévoit une légère baisse du nombre de fonctionnaires. Ne craignez-vous une rentrée sociale agitée dans la fonction publique ?
Tout d'abord, je voudrais rendre hommage au dévouement admirable et au sens élevé du service public de tous les fonctionnaires qui se dépensent sans compter dans les régions touchées par les inondations. La raison d'être de la fonction publique, c'est aussi dans ces moments là qu'elle apparaît. Et l'on peut mesurer concrètement sa disponibilité, sa réactivité, son efficacité. Il faut cesser de raisonner en termes comptables. Le problème n'est pas le nombre de fonctionnaires, mais l'efficacité de l'action publique. Si l'Etat ne s'adapte pas aux attentes de la société, sa légitimité sera contestée. Il faut donc s'interroger systématiquement à tous les niveaux de l'Etat, sur toute dépense d'argent public pour savoir si elle est justifiée et en tirer les conséquences. Il faut bien admettre que nous ayons des diminutions d'effectifs dans certaines administrations et des hausses dans d'autres. La réduction des effectifs n'est pas une punition, mais la conséquence de l'adaptation de la gestion à l'évolution des missions de l'Etat. Dans le contexte des départs à la retraite massifs et du profond renouvellement des agents qui s'ensuit, l'adaptation de la fonction publique est notre défi collectif. Cela passe aussi par un effort pour rendre ses métiers attractifs.
Comment envisagez-vous de rendre la fonction publique " attractive " ?
Nous voulons nous attaquer au grand chantier de la gestion des ressources humaines avec une donnée qui a peut être été trop ignorée : le salaire n'est pas la seule motivation des fonctionnaires. Ils parlent aussi de leurs conditions de travail, de la reconnaissance de leurs efforts et de leurs compétences ainsi que de leur déroulement de carrière. Nous souhaitons aussi faciliter la mobilité fonctionnelle, géographique, et entre les trois fonctions publiques. Je vais d'ailleurs réunir prochainement les trois conseils supérieurs de la fonction publique, Etat, collectivités locales et hôpitaux, pour y travailler.
Le précédent gouvernement prévoyait d'augmenter les fonctionnaires de 0,7 %, le 1er décembre. Allez-vous tenir cet engagement et que comptez-vous faire pour 2003 ?
Les fonctionnaires ont eu en 2002 une augmentation de 0,6%. Quant à la suite pour les mois à venir, les décisions seront annoncées en temps voulu. Il faut attendre d'y voir plus clair sur les hypothèses économiques et budgétaires avant d'ouvrir des négociations probablement avant la fin du premier semestre 2003. D'ici là, je vais proposer aux organisations syndicales d'ouvrir très rapidement un cycle de négociations sur la gestion des ressources humaines, portant sur les recrutements, la formation, la mobilité, les parcours de carrière et les métiers.
Le projet de loi Fillon assouplit les 35 heures dans le privé. Allez-vous faire de même dans le public, au-delà des policiers et des personnels hospitaliers ?
Les 35 heures sont une réalité. Néanmoins, on ne peut que constater que dans certains secteurs, leur application perturbe le bon fonctionnement du service public. Je ne serais donc pas opposé à ce qu'un assouplissement des 35 heures soit négocié là où cela s'avère indispensable.
Allez vous revoir le décret organisant le temps de travail dans la fonction publique ?
Non, cela n'est pas nécessaire. Il ne s'agit pas de remettre en cause la réduction du temps de travail pour les fonctionnaires mais il faut assouplir les modalités des 35 heures dans les administrations, les services, les territoires, où cela est nécessaire, dans les cas d'événements exceptionnels, ou de carence de compétences par exemple. Avec les syndicats, on peut imaginer un système de rachat des heures supplémentaires en fin d'année.
Le 3 octobre, les électriciens et gaziers sont appelés à manifester contre la réforme de leur régime de retraite. Craignez-vous une contagion chez les fonctionnaires qui s'étaient retrouvé avec eux dans la rue en 1995, sous le gouvernement Juppé ?
Nous n'avons pas la mémoire courte. Nous sommes orientés sur l'avenir mais n'en avons pas pour autant oublié de retenir les leçons du passé. Cependant il ne faut pas tout mélanger. EDF et GDF sont des entreprises publiques qui ne relèvent pas de la fonction publique d'état.
Depuis quelques semaines, la réforme de l'Etat est présentée dans la majorité comme la réponse à tous les maux. Depuis quinze ans, tous les gouvernements en ont fait une priorité mais tous ont plus ou moins échoué ?
Pour la première fois, la réforme de l'Etat bénéficie d'une forte volonté politique, du Président de la République et du Premier ministre et cela fera toute la différence. Pas besoin de faire de grandes opérations médiatiques non suivies d'effets. Notre réforme de l'Etat se conduira dans l'action, quotidiennement, et de manière déterminée, comme nous l'avons fait avec la déconcentration de la gestion des fonds structurels européens. Avec les départs massifs de fonctionnaires en retraite, nous bénéficions d'une opportunité sans précédent pour engager une vraie remise à plat des missions de l'Etat. De plus, la décentralisation que veut mener Jean-Pierre Raffarin, nous permettra de disposer d'un autre levier formidable. Je souhaite mettre en place des contrats d'objectifs avec évaluation des résultats. Il nous faut libérer les énergies des secteurs public et privé au service d'une croissance économique nécessaire pour garantir l'avenir de notre pays.
Quelle est la méthode que vous évoquez ?
Nous poursuivons simultanément trois objectifs : l'efficacité de l'action publique, un meilleur service aux usagers, des fonctionnaires valorisés et encouragés. Pour cela, nous aborderons la réforme de l'Etat par plusieurs biais : par celui de la décentralisation en premier, puis par la mise en place de la réforme des finances publiques, enfin par la modernisation de la gestion des administrations. Notre véritable point de référence, c'est l'usager. Henri Plagnol, le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat, s'est engagé dans cette démarche. Nous allons tenter d'améliorer, pas à pas, mais résolument, la qualité des services que nous offrons aux usagers. Pour cela, nous allons généraliser les démarches qualité, simplifier le droit et la langue administrative, continuer de développer les technologies de l'information et mettre en place un numéro vert grâce auquel tout citoyen pourra être orienté dans le labyrinthe administratif. Enfin, nous voulons réformer les structures de l'Etat, chasser les doublons, opérer des rapprochements de services, être plus réactifs : pour cela il faut associer les syndicats et les usagers. De plus, le Président de la république a souhaité responsabiliser les ministres sur la réforme de leur administration. Chaque année, ils défendront devant le Parlement, au moment de la discussion budgétaire, l'état d'avancement de leur réforme.
Valoriser les carrières, améliorer le service, restructurer dans la paix sociale.., tout cela a un coût, du moins dans les premières années. Or lorsque la majorité parle de réforme de l'Etat, c'est toujours dans l'optique de réaliser des économies.
La décentralisation permettra de revoir les organigrammes, les réformes de structure, de gagner en efficacité, nous aurons une politique de guichet de proximité qui nous permettra d'être plus réactifs et donc de gagner du temps. Notre priorité, ce n'est pas la recherche d'économies pour les économies, mais la recherche de l'efficacité. Votre équation doit donc être inversée. C'est parce que nous recherchons l'efficacité qu'au bout du compte nous réaliserons des économies.
On ne peut donc pas en attendre immédiatement des économies ?
Nous avons cinq ans devant nous pour réussir. A nous d'en faire le meilleur usage.
En matière d'aménagement du territoire, quels seront les grands axes de votre politique ?
Il s'agit de parvenir à un accord " gagnant gagnant " avec les territoires et leurs représentants. Sur les services publics, nous sommes prêts à mener des expérimentations avec les collectivités territoriales, intégrant leurs aspirations à gérer davantage dans la proximité et notre projet de faire émerger des pôles de compétences. Nous allons aussi rechercher, avec les élus, la façon d'obtenir le meilleur effet de levier dans l'utilisation de l'argent public. Dans chaque région, nous allons chercher à mieux utiliser les fonds européens pour faire émerger des projets. La rencontre que nous aurons le 7 octobre avec Michel Barnier, commissaire européen à la politique régionale, nous dira si ces fonds peuvent jouer en matière de téléphonie mobile et de communication haut-débit. La couverture des territoires en téléphonie mobile est l'expression d'une volonté locale très forte. Elle sera notre priorité dans les trois ans. Nous allons aussi travailler à l'articulation de ces fonds avec les contrats de plan Etat-régions dont le bilan d'exécution nous a été commandé pour la mi-2003.
Il est question d'amender les lois d'aménagement du territoire votées sous le précédent gouvernement. Sur quels points ?
Les lois Voynet, Chevènement, Gayssot et Vaillant, pêchent par manque de cohérence sur le rôle et l'organisation des territoires, à commencer par le pays. Fruit d'une volonté politique des élus locaux, le pays doit conserver un caractère souple et informel. C'est un espace dans lequel doit à la fois s'élaborer un projet de territoire et s'amorcer une réflexion sur la réorganisation d'une partie des services publics. Lieu d'articulation entre administration locale et intercommunale, il ne doit, en aucun cas, constituer une structure administrative supplémentaire mais complémentaire.
Comment doivent évoluer les missions et l'organisation de la DATAR ?
La DATAR doit retrouver sa vocation originelle, c'est à dire nourrir la réflexion prospective de l'Etat stratège et des décideurs politiques. C'est par exemple le sens de l'audit sur les infrastructures de transports qui lui a été confiée. La DATAR doit adapter ses structures, se rapprocher de ses partenaires régionaux et des décideurs locaux pour être plus efficace, notamment dans la mobilisation des aides ( Prime d'Aménagement du Territoire, FNADT...). Elle a aussi vocation à peser, notamment dans les comités interministériels de
l'aménagement du territoire, les CIADT, sur les choix stratégiques et leurs moyens de mise en uvre, comme pour la téléphonie mobile et le haut débit. Le délégué à la DATAR, Nicolas Jacquet, me fera prochainement des propositions sur les adaptations de structure à réaliser.
De plus, nous réintroduirons la ruralité au cur de nos préoccupations et présenterons avec Hervé Gaymard un plan pour le développement rural. Le conflit rural - urbain doit être dépassé pour nous consacrer au développement des territoires.

(source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 30 septembre 2002)