Déclaration de M. Robert Hue, président du PCF, sur les raisons de l'échec du PCF au premier tour de l'élection présidentielle, sur la nécessité d'avoir un large débat sur la place du parti communiste dans la société française et sur l'attitude du parti pour le deuxième tour de l'élection présidentielle face au danger d'extrême droite, Paris le 29 avril 2002.

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Circonstance : Conseil national du PCF, Paris le 29 avril 2002.

Texte intégral

Cher-e-s camarades,
Le résultat du premier tour de l'élection présidentielle constitue un choc considérable pour tous les communistes et - de nombreux témoignages en ont attesté dès le 22 avril - pour des millions de Françaises et de Français de gauche, quels qu'aient été leurs votes au 1er tour. Il suscite, également, beaucoup d'incompréhensions.
J'ai bien entendu une opinion sur les raisons du résultat particulièrement mauvais, décevant, et inquiétant pour l'avenir de notre parti, que j'ai dû enregistrer, comme candidat communiste, le 21 avril. Et je veux, à ce titre, remercier les communistes, les amis de notre parti qui, par centaines, m'ont exprimé leur amitié, et leur soutien dès lundi dernier et depuis sans discontinuer.
Ce résultat me conduit à beaucoup de réflexions, de mise en question, de retours critiques sur ce qu'ont été nos prises de position, nos pratiques politiques, notre action. Dans la campagne présidentielle, bien sûr, mais pas seulement, et pas principalement : c'est de notre rôle et de notre politique de Parti communiste sur toute une période historique, dans la société et le monde tels qu'ils se transforment aujourd'hui qu'il s'agit. C'est pourquoi je partage la proposition de Marie-George Buffet d'un débat nécessaire et vital.
Ces réflexions et retours critiques renvoient pour l'essentiel à des débats que nous avons déjà eus ici, à l'occasion de nos derniers congrès et - j'y pense bien sûr tout particulièrement - au lendemain des élections municipales de 2001 pour en tirer les enseignements.
Mais ils ne renvoient pas seulement à des débats. Ils renvoient à ce qui est résulté de ces débats. Ont-ils toujours été menés jusqu'au bout ? Toutes les décisions nécessaires ont-elles été prises ? Et ne devons-nous pas nous interroger, quand des décisions ont été prises, sur la façon dont elles ont ou non été suivies d'effets dans notre activité de direction, dans l'activité générale du parti, dans ses liens avec les mouvements sociaux ?
Je retrouve dans la discussion beaucoup de mes propres réflexions. Ce que j'entends ici, au Conseil national, ainsi que la lecture des comptes rendus des comités départementaux et des assemblées générales, comme celle des points de vue publiés par l'Humanité, montrent qu'il n'y a pas, sans doute, une mais des explications à l'échec que nous venons de subir. Et cela implique la nécessité pour chacune et chacun d'entre nous en même temps que collectivement - dans cette assemblée, et au-delà dans tout le parti - d'approfondir toutes les questions posées, sans aucune frilosité, en se gardant des simplismes qui rassurent ou confortent telle ou telle opinion pré-établie mais ne font rien avancer.
Pour ma part, j'ai besoin d'entendre et de lire. De vous entendre : vous les femmes et les hommes élus par notre congrès pour assumer les responsabilités de direction du parti. D'entendre les communistes dans la richesse de leur diversité croiser leurs analyses et leurs expériences de terrain.
J'ai aussi le souci de ne rien faire qui pourrait faire peser sur la libre discussion nécessaire une sorte " d'opinion officielle " fusse-t-elle celle du Président du parti, candidat le 21 avril, placerait par avance des bornes à un débat qui doit au contraire être ouvert à toutes les questions que se posent les communistes et celles et ceux qui sont attachés à l'existence et à l'action d'un parti communiste dans notre pays.
J'ai dit " ouvert " : je ne vous le cache pas, ce souci d'ouverture du parti communiste - ouverture sur lui-même, sur ses adhérentes et adhérents, et ouverture sur la société - ne cesse de me tarauder. Je sais trop par expérience comment les échecs, électoraux ou autres, peuvent conduire un parti comme le nôtre au repli, au rétrécissement des idées comme des pratiques. Je souhaite que l'on ait dans le débat ce danger constamment présent à l'esprit pour s'en prémunir absolument.
Cela dit, j'en reviens à mon propos : je souhaite entendre et lire, tirer le maximum pour ma propre réflexion de la discussion qui ne fait que commencer, ici et dans le parti. C'est pourquoi je me garderai de proposer aujourd'hui une analyse et des orientations.
Je ne resterai pas muet dans le débat bien sûr. Mais je me laisse un délai d'écoute et de réflexion avant de faire part au conseil national et, en même temps à l'ensemble des communistes qui m'ont désigné par un vote comme leur candidat à cette élection présidentielle et que j'ai consultés dans tout le pays pour orienter ma campagne comme ils le souhaitaient, de mon opinion sur les questions posées par le 21 avril et après le 21 avril.
Pour aujourd'hui, je dirai simplement qu'il est confirmé que la politique à laquelle nous avons participé depuis cinq ans - et en dépit de l'action des ministres et parlementaires communistes - n'a pas répondu aux attentes populaires, et que la gauche est sanctionnée pour avoir profondément déçu. C'est un fait sur lequel il faut se garder de passer trop vite, même s'il n'est pas question d'en faire usage pour nous exonérer de l'indispensable effort de réflexion sur nos propres responsabilités.
Ainsi, à l'évidence, le mot d'ordre " Ancrer la gauche à gauche " s'est avéré impossible à crédibiliser. Et probablement ce constat ne renvoie pas seulement à l'hégémonie socialiste sur la " gauche plurielle ", ni à notre action des cinq dernières années, à ses limites face aux pressions libérales exercées sur le gouvernement et qui, finalement, l'ont emporté dans la conduite de son action. C'est plus généralement que la question de la place et du rôle du Parti communiste dans la société française, et celle de la vision qu'il a de cette société et de son mouvement, et celle de ses rapports avec elle, sont posés.
Il s'agit donc de procéder à un examen approfondi des causes de notre échec et des difficultés persistantes à surmonter les contradictions, les insuffisances relevées dans nos analyses et dans notre activité par nos derniers congrès.
Pour l'heure, nous devons affronter une urgence politique. Que va-t-il se passer le 5 mai ?
Pour les communistes, il ne peut y avoir aucune ambiguïté. Selon les termes de la résolution adoptée par le conseil national lundi dernier, il s'agit de tout entreprendre afin que Le Pen soit " le plus bas possible ".
Je suis certain que Jacques Chirac veut être réélu Président de la République. Je ne suis pas sûr, en revanche, qu'il se réjouirait de l'être avec une écrasante majorité, obtenue essentiellement grâce à l'apport d'un très grand nombre des voix de l'électorat de gauche, décidée à battre Le Pen !
Si tel n'était pas le cas, on voit bien qu'il se prévaudrait d'un vote en faveur de sa personne et de sa politique ; c'est ce qu'il recherche.
A l'inverse, plus le score de Le Pen sera faible, plus Jacques Chirac sera en difficulté pour donner à son résultat le sens d'une adhésion massive à sa candidature. Et, au-delà - c'est surtout cela qui compte - pour mettre en uvre la politique de revanche sociale de la droite.
Pour qu'il en soit ainsi il n'y a qu'une solution : la mobilisation des abstentionnistes et de l'électorat de gauche avec le bulletin au nom de Jacques Chirac. Soyons clairs : il y a encore beaucoup à faire pour atteindre cet objectif. Quant à moi j'appelle, sans la moindre réserve, tous les communistes à s'investir totalement, dans les jours qui viennent, afin que le candidat du Front national soit battu le plus largement possible le 5 mai.
Pour une raison simple : Chirac élu avec une forte poussée d'extrême droite ce serait obligatoirement une aggravation sensible de la politique que la droite se propose de faire, alors qu'elle est déjà lourde de régressions sociales et démocratiques pour notre pays et notre peuple.
Je dis " une raison simple " ; je veux ajouter que c'est l'unique raison pour laquelle on peut se mobiliser ainsi, à gauche, avec le bulletin au nom de Chirac.
J'ai lu et entendu, dans la dernière période, des propos qui témoignent d'une surdité persistante à l'égard de l'électorat de gauche et du message qu'il a adressé le 21 avril au gouvernement et à la majorité sortante.
Il ne peut s'agir en effet, le 5 mai, de préparer le 3ème tour que constitueraient les élections législatives afin de tenter de conserver à la gauche les moyens de poursuivre la politique et les pratiques politiques qui viennent d'être sanctionnés.
On ne permettra pas, en vue du second tour, la nécessaire et ample mobilisation que je viens d'évoquer si l'on ne montre pas clairement à gauche - et en tout état de cause, au parti communiste - la volonté d'un changement radical de cap et de comportement.
Faute de cela, les Françaises et les Français pourraient juger sévèrement ce qui leur apparaîtrait - avec raison - comme des atermoiements et des manuvres politiciennes, indignes des circonstances extrêmement graves dans lesquelles se trouvent placés notre pays et notre peuple.

La dignité politique commande, aujourd'hui, d'avoir le courage politique de tout faire, sans la moindre hésitation et par un engagement sans restriction, pour faire baisser Le Pen le 5 mai. C'est l'urgence absolue. On doit cela aux Françaises et aux Français qui ont si durement sanctionné le 21 avril des comportements politiques qu'ils rejettent de plus en plus.
Voilà ce que je voulais vous dire, cher-e-s camarades, à ce moment de notre discussion. Je souhaite que celle-ci se poursuive, ici, dans le respect des responsabilités dont nous a investi le congrès du parti, en nous confiant, à nous, conseil national, la responsabilité de direction collective du parti. Et je souhaite qu'elle se poursuive comme elle a débuté : avec la gravité, le sérieux, la rigueur, le respect de la parole des uns et des autres qu'exigent la situation de la France et l'avenir du Parti communiste.
(source http://www.pcf.fr, le 2 mai 2002)