Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur les priorités du budget de la culture pour 1998 notamment la valorisation du patrimoine culturel et du spectacle vivant, à l'Assemblée nationale le 12 novembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation du budget du ministère de la culture et de la communication pour 1998 à l'Assemblée nationale le 12 novembre 1997

Texte intégral


Monsieur le Président, Messieurs les rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les députés,
Je souhaite vous présenter le projet de budget de mon ministère pour 1998, instrument de la politique culturelle ambitieuse qu'il nous permettra de mettre en uvre.
Ce budget s'établira à 15,109 milliards de francs en dépenses ordinaires et crédits de paiement : c'est une augmentation de 550 millions de francs par rapport à la loi de finances initiale de 1997. Cette augmentation atteint même 1,174 milliard si l'on ne parle que des moyens réellement disponibles en 1997, après les annulations de crédits en conséquence des gels décidés par le précédent gouvernement.
Ce budget de reconstruction permet une avancée significative vers l'objectif de 1 % du budget de l'État défini par le Premier ministre.
Mais au delà de cet objectif symbolique, certes important en lui-même car il prouve notre attachement à un domaine essentiel de l'intervention publique, au cur de tous les enjeux de citoyenneté, c'est la manière de mettre en uvre ce budget et la politique qu'il traduit qui importe.
Ce que je veux vous exposer ici, c'est comment, grâce à ces moyens nouveaux, nous pourrons engager une politique entièrement tournée vers la démocratisation de la culture.
Que veut dire l'accès de tous à la culture ?
J'entends dire parfois que le ministère de la culture, en poursuivant cet objectif de démocratisation, deviendrait une sorte d'animateur social, de médecin d'urgence de la fracture sociale, plus préoccupé de divertissements, que de culture et de création.
Cette idée est fallacieuse : il s'agit bien au contraire de démontrer que le service public de la culture a un sens. Ce sens réside justement dans la rencontre entre le public et la création, dans le fait qu'en permettant à tous de disposer des clés de compréhension et des possibilités matérielles de découvrir une uvre, on favorise la création plutôt qu'on ne la dégrade, on permet à chacun d'accéder à une compréhension du monde plus large, plus riche, plus libre.
La démocratisation de la culture, la recherche de sa plus grande diffusion n'implique absolument pas que le ministère de la culture remette en cause son exigence d'excellence : tout au contraire, c'est par la qualité de l'offre culturelle que nous pouvons attirer, faire comprendre, partager, convaincre.
C'est aussi pour cette raison que j'ai voulu organiser le projet de ce ministère autour de deux pôles essentiels et complémentaires : le spectacle vivant et le patrimoine. Il s'agit d'en finir avec une vision manichéenne où l'on serait conservateur en politique parce qu'on s'occupe de patrimoine, et où l'on serait " progressiste parce qu'on s'occupe de spectacle vivant. L'enjeu de démocratisation concerne l'ensemble des champs culturels, et la citoyenneté se constitue autant dans la reconnaissance de notre patrimoine que dans la compréhension de la création la plus contemporaine.
Ma première priorité budgétaire pour cette année 1998 concerne donc la valorisation et la meilleure connaissance de notre patrimoine, au sens large du terme.
Permettez-moi de vous présenter d'abord, pour prendre un exemple concret de ce que peut impliquer la recherche d'une démocratisation dans ce domaine, mon projet de rapprochement de l'architecture et du patrimoine.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire en d'autres lieux, la culture unit, met en relation ce qui existe et ce qui pourrait être, affirme le caractère sédimentaire de nos identités. En cela, l'architecture a sa pleine place à la culture, car, c'est une évidence, l'architecture est le patrimoine de demain, en cours de constitution. L'union institutionnelle de l'Architecture et du Patrimoine que j'ai voulue a donc tout son sens culturel. Non seulement j'assume entièrement le transfert de cette discipline sur le budget de mon ministère, mais je consacre une part importante des mesures nouvelles de 1998 à conforter ses missions.
Nous devons penser la ville avec les habitants, les architectes et les urbanistes, prendre en compte les contraintes et les aspirations afin de composer et recomposer les espaces de vie, et d'y trouver et retrouver une urbanité. C'est là que se situe l'objectif de démocratisation : il faut faire une architecture pour tous.
Cela passe par des actions de sensibilisation, à l'égard des jeunes dans le cadre scolaire, mais aussi par la création de nouveaux lieux d'exposition. Le Palais de Chaillot, pour lequel je prévois une ouverture de crédits d'investissements à hauteur de 65 MF, en sera un bon exemple, puisqu'il intégrera des logiques du patrimoine et des logiques de l'architecture, et permettra la création d'un centre national réconciliant mémoire et projet.
L'architecture pour tous, c'est aussi des architectes pour tous. Il n'est pas admissible que l'architecture soit réservée aux plus fortunés, aux mieux informés, et que les 2/3 des travaux de construction ou d'amélioration se fassent sans le concours des architectes. Cela veut dire qu'il faut moderniser la profession pour mieux l'adapter aux besoins rencontrés, et les moyens que je consacre à la réforme de l'enseignement de l'architecture sont un premier moyen d'y répondre, sur le plan budgétaire. Les écoles voient leurs dotations progresser de 19 MF (14 %). Ces crédits leur permettront d'améliorer l'encadrement pédagogique des étudiants, créant ainsi de bonnes conditions pour l'entrée en vigueur de la réforme de l'enseignement. Des postes d'enseignants seront créés, et les effectifs d'encadrement seront renforcés. Les conditions d'accueil des étudiants seront en outre améliorées et des moyens d'investissements immobiliers nous permettront de tenir les engagements pris auprès des collectivités territoriales, dans le cadre du programme architecture 2000 pour rééquilibrer l'offre territoriale d'enseignement et poursuivre les réflexions sur la carte scolaire de l'Ile-de-France.
L'architecture pour tous n'a qu'un but : permettre de construire une ville de qualité, que l'on parle ici des espaces d'habitation ou des espaces publics. Des liens sont à tisser avec les logiques du patrimoine, puisque le monument historique était jusqu'à aujourd'hui placé sous la responsabilité de la direction du patrimoine, tandis que ses abords dépendaient de la direction de l'architecture. La politique de la ville patrimoniale dépendra désormais d'une seule direction : vous l'avez compris, la restructuration administrative est commandée par un projet politique et culturel.
Après une forte baisse de ces crédits en 1997, le patrimoine monumental stricto sensu connaîtra un retour à des dotations comparables à celles prévues par la loi programme sur les monuments historiques 1994-1998. Le projet de budget que je vous présente prévoit ainsi 1616,52 millions de francs en autorisations de programme consacrés à la restauration des monuments historiques, soit une augmentation de 39,3 % par rapport à 1997.
Mais, au delà de cet effort considérable sur les monuments historiques, je compte ajouter à la gestion conservatoire des espaces protégés une politique dynamique de mise en valeur du cadre de vie.
Dans ses projets d'investissements propres, le ministère de la culture intégrera ces préoccupations de qualité, grâce au concours de la mission interministérielle sur la qualité des constructions publiques, mais aussi grâce à la création d'un nouvel établissement public constructeur né de la fusion de l'Établissement public du grand Louvre et de la Mission interministérielle pour les grands travaux. Cet établissement assurera la maîtrise d'ouvrage ou la conduite d'opérations de nombreux investissements, comme la restauration du Grand Palais, ou la construction du Centre de la mémoire contemporaine de Reims. En tout, ce sont 970 MF d'autorisations de programme ouvertes en 1998 dont l'établissement public constructeur aura la charge.
Je me suis longuement expliquée sur ce que j'entends faire pour le patrimoine urbain, parce qu'il est emblématique du rapport que la politique culturelle entretient avec la constitution de la citoyenneté. Mais il est clair que je n'envisage pas une politique du patrimoine qui ne prenne pas en compte aussi ses autres aspects essentiels : notre patrimoine est aussi artistique, littéraire. J'entends également le valoriser et le faire connaître.
Ainsi, l'ouverture de nouveaux lieux pour les musées sera possible grâce aux crédits que le ministère entend consacrer aux nouvelles salles du musée du Louvre, et de l'Union centrale des arts décoratifs, mais aussi à des nouveaux musées, comme celui consacré à l'art et à l'histoire du judaïsme, et aux musées régionaux, qui bénéficieront de plus de 90 millions de francs en 1998 pour leur rénovation.
Le projet de création d'un Institut national d'histoire de l'art s'inscrit également dans cette politique de valorisation du patrimoine artistique, en la liant très fortement à la recherche et à l'enseignement. Pour cette opération, 20 MF seront ouverts en 1998 afin de pouvoir démarrer les études concernant le cur du projet, situé rue Vivienne, à Paris.
Les crédits d'acquisition consacrés au patrimoine artistique sont également sensiblement augmentés, de 29 millions de francs. Ainsi le fonds du patrimoine sera ainsi doté au total de 97 MF, réservés en priorité à l'acquisition des uvres ayant fait l'objet de refus de certificat arrivant à échéance, pour éviter leur sortie du territoire et un appauvrissement de notre patrimoine artistique national.
Enfin, des efforts importants seront menés en 1998 pour permettre à tous la découverte de notre patrimoine littéraire. Pour ne citer qu'un exemple, la Bibliothèque nationale de France constituera le centre du réseau national des bibliothèques. 20 millions de francs seront essentiellement consacrés aux actions de coopération qu'elle engagera avec les bibliothèques françaises. En outre, de nombreuses actions seront engagées pour rendre le livre accessible à tous les publics, avec un effort particulier en direction des enfants et des étudiants.
Le deuxième pôle structurant de ma politique culturelle sera le spectacle vivant. Les enjeux liés à la démocratisation de la culture y sont également particulièrement sensibles. Celle-ci passe par l'élargissement des publics mais aussi par l'encouragement et la reconnaissance des nouvelles pratiques artistiques. Afin de donner tout son sens à cette notion de spectacle vivant, j'envisage la possibilité de rapprocher les directions de la musique et de la danse et du théâtre et des spectacles, dans la même logique que celle en cours en matière de patrimoine et d'architecture.
Ce sont 4 milliards 240 millions qui seront consacrés en 1998 au spectacle vivant. Il s'agit d'une progression de 277 millions de francs par rapport à 1997, qui témoigne à elle seule de cet attachement à la création artistique la plus riche et à sa diffusion plus large. Le cinéma fait également partie de mes priorités. En 1998, 222,7 millions de francs y seront consacrés en dépenses ordinaires sur le budget du ministère de la culture, ainsi, je le rappelle pour mémoire, que 2,425 milliards de francs provenant du compte de soutien (contre 2,29 milliards de francs en 1997).
Ces moyens supplémentaires permettront de mieux faire connaître le spectacle vivant, d'en assurer la diffusion. Ils permettront également de mieux soutenir la création.
La politique de diffusion du spectacle vivant est organisée autour de trois axes :
conforter le réseau d'institutions et d'établissements publics, acteurs majeurs de la diffusion ;
renforcer les moyens consacrés à l'enseignement des disciplines du spectacle ;
proposer une offre de spectacles plus importante en région.
Tout d'abord, le réseau des institutions culturelles est conforté. Une charte du service public du spectacle vivant sera élaborée en concertation avec l'ensemble des professions intéressées : elle permettra de donner corps à notre objectif d'élargissement des publics.
Les établissements publics du ministère ont aussi un rôle important à jouer dans cette politique de diffusion. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité donner à l'Opéra national de Paris les moyens nécessaires à la poursuite de son projet artistique dans un régime de croisière, avec un objectif de 350 représentations par ans, pour 800 000 spectateurs.
Deuxième axe de la politique de diffusion culturelle, la formation et l'enseignement des disciplines artistiques du spectacle seront renforcés.
Des moyens supplémentaires conséquents sont prévus pour l'enseignement de la musique : 8 millions de francs de crédits d'intervention supplémentaires et 11 millions de francs d'autorisations de programme pour réaliser les investissements nécessaires. Ils seront employés principalement à consolider le réseau des conservatoires nationaux de région et des écoles nationales de musique, de manière à améliorer la qualité de l'enseignement et à favoriser l'enseignement des disciplines nouvelles. Les interventions en milieu scolaire seront multipliées : elles constituent l'un des plus sûrs moyens de sensibiliser les jeunes à la création musicale. L'éducation à l'image, en particulier en direction des plus jeunes, sera également encouragée.
Troisième axe enfin, l'offre culturelle en région sera accrue. Je souhaite que soit mis en place un fonds de contractualisation avec les collectivité territoriales, qui permettra dans ces deux domaines de coordonner les efforts des partenaires publics, d'encourager le développement de projets innovants. Il sera doté de 23 millions de francs en 1998.
Par ailleurs, des institutions culturelles nouvelles vont être implantées dans les régions, et seront consacrées au spectacle. C'est le cas, par exemple, du centre national du costume de scène de Moulins qui sera lancé en 1998, ou du Cargo à Grenoble. La friche de la Belle de mai à Marseille, lieu innovant et pluridisciplinaire fera également l'objet d'un programme d'investissement.
Enfin, la politique de conventions de développement cinématographique sera poursuivie, pour favoriser le rapprochement du cinéma - des cinémas, les plus diversifiés - des grands films populaires aux uvres d'art et d'essai - et de la population la plus large.
J'ai déjà indiqué combien il était essentiel selon moi de ne pas disjoindre l'objectif de démocratisation des pratiques culturelles et la politique d'excellence. C'est pour cela que nous devons mieux encourager les formes nouvelles de création dans le domaine du spectacle. Ce sont 8 millions de francs supplémentaires qui sont alloués en 1998 au soutien à la création théâtrale et aux arts de la rue. La création chorégraphique sera encouragée. La création du Centre national de la danse, installé à Pantin, participe de cet effort. De même, je souhaite que les musique actuelles bénéficient de moyens nouveaux afin de rendre possible la création de lieux appropriés à cette nouvelle forme de création artistique.
L'année 1998 permettra donc de lancer de nombreux chantiers pour que la culture appartienne à tous les citoyens. Le projet de budget que je vous présente traduit cette ambition. Mais il ne s'agit pas seulement de l'évolution des crédits budgétaires, il faut aussi réformer les modes d'administration pour mettre en uvre ce grand projet.
La mise en place d'une véritable proximité culturelle nécessite en effet d'inscrire l'action du ministère dans le cadre local,au niveau des régions, des départements, des villes et de mettre en uvre une association étroite de l'ensemble des partenaires publics oeuvrant dans le domaine de la culture. Une politique systématique de contractualisation avec les collectivités territoriales sera mise en place. La coopération avec les collectivités locales s'accompagnera d'un mouvement de déconcentration en faveur des directions régionales des affaires culturelles, qui s'affirmeront dans tous les domaines comme l'instance de décision et de gestion de droit commun des crédits d'intervention. La nomenclature du budget de la culture pour 1998 porte la marque de cette orientation qui me paraît essentielle. Au sein du titre IV, en particulier, j'ai voulu que soient distingués les crédits des institutions nationales de ceux des organismes culturels implantés dans les régions, qui sont désormais inscrits sur deux chapitres budgétaires différents. Ce partage doit améliorer la capacité des services déconcentrés à programmer leurs actions, au profit, me semble-t-il, des bénéficiaires de subventions que sont les orchestres, les compagnies dramatiques, les centres d'art et bien d'autres organismes régionaux, départementaux ou communaux.
De manière à préserver la capacité d'appréciation du Parlement ainsi que le suivi des dépenses par l'administration centrale du ministère, j'ai voulu que chacun de ces deux nouveaux chapitres soit subdivisé selon les grands secteurs d'intervention culturelle, tout d'abord le patrimoine, puis les spectacles, et enfin le développement culturel et les formations.
Je conçois bien que le passage de l'une à l'autre nomenclature ait pu présenter des difficultés de lecture mais je crois que la nouvelle nomenclature, tout en sauvegardant la capacité d'appréciation politique par domaine, permet de faire un pas important vers la déconcentration, synonyme, pour moi, de développement culturel dans les régions.
L'administration de l'État s'engage ainsi dans une importante réorganisation, et je tiens à souligner que le ministère de la culture joue un rôle pilote dans ce domaine. L'administration centrale rationalisera ses modes d'intervention, se recentrera sur ses missions principales de définition et d'évaluation des politiques nationales.
Une administration modernisée, capable de dialogue et de coopération avec les acteurs locaux, au service d'un objectif : la démocratisation de la culture. Voilà ce que ce projet de budget qui vous est soumis nous permettra de mettre en uvre en 1998.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 24 janvier 2002)