Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à Europe 1 le 16 septembre 2002, sur la responsabilité de l'Etat dans la crise de France Télécom et sur les solutions envisageables, sur la stratégie du gouvernement pour les entreprises publiques et sur les risques de conflit en Irak.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - Dans le sort de France Télécom, quelle part de responsabilité reconnaissez-vous à la gauche puisque, pendant cinq ans, l'Etat c'était vous ?
- "La responsabilité est d'abord celle de ceux qui ont conduit l'entreprise, c'est quand même la logique. Quand je dis "conduit", c'est à la fois le président, mais aussi le conseil d'administration. D'ailleurs, le bilan doit être contrasté. Il ne s'agit pas, là aussi, d'accabler tel ou tel. Que savons-nous aujourd'hui ? Que l'entreprise a réussi un développement considérable, fait un bénéfice d'exploitation, mais est très endettée et a été obligée de constater une perte liée à une acquisition malheureuse qui s'est produite en Allemagne. La bonne logique, lorsqu'on est au gouvernement, c'est d'essayer de stabiliser cette entreprise. Or, que fait précisément le Gouvernement ?"
Mais est-ce qu'il y a des parts de responsabilité ? Il y a la responsabilité des représentants de l'Etat dans les conseils d'administration et des syndicats aussi. Quelle part vous vous reconnaissez ? La gauche a gouverné pendant cinq ans. Est-ce qu'elle a exercé fortement la tutelle de l'Etat sur France Télécom et sur M. Bon ou alors l'a-t-on laissé faire en approuvant tout ce qu'il proposait ?
- "Sur France Télécom, l'Etat a joué son rôle, c'est-à-dire a permis à cette entreprise de se développer. C'était un enjeu considérable face à la dérégulation et à la mise en concurrence de l'ensemble de ces entreprises. Deuxièmement, l'Etat a donné y compris des moyens financiers pour se faire, à travers l'ouverture du capital. Enfin, l'Etat a, en tant qu'actionnaire, suivi l'entreprise, mais n'a pas sans doute joué suffisamment son rôle de contrôle. Quand je dis son "rôle de contrôle", c'est dans un conseil d'administration, même s'il y a eu, à chaque fois, la volonté de demander des comptes à M. Bon, ce qui est normal."
Quelle solution soutiendriez-vous maintenant ?
- "La solution n'est pas de déstabiliser l'entreprise. Or, ce qu'a fait le gouvernement Raffarin en faisant démissionner M. Bon, à tort ou à raison - c'est sa responsabilité - sans présenter de successeur et donc sans plan de rechange, cela a conduit à inquiéter les actionnaires, à juste raison, à déstabiliser l'entreprise et à mettre les personnels dans le doute. Ce qu'il faut faire maintenant, et je le demande vraiment instamment au Gouvernement, c'est d'abord de choisir un remplaçant à M. Bon, le plus vite possible. Ce remplaçant doit mettre en place avec l'Etat-actionnaire et avec tous ceux qui appuieront ce mouvement, notamment les banques, un plan permettant de conforter financièrement l'entreprise - parce que sur le plan industriel, elle va bien..."
Augmentation massive de capital ?
- "Non, il ne s'agit pas de cela."
Vente des actifs ? Est-ce qu'il faut qu'ils gardent ou qu'ils vendent Orange ?
- "Il s'agissait de régler la question de l'endettement de l'entreprise en consolidant ses dettes et en la garantissant, et en faisant en sorte aussi de céder un certain nombre de participations pour justement renverser l'effondrement."
Vente d'Orange ?
- "Sûrement pas Orange, puisque c'est le noyau le plus rentable de l'entreprise. Ce serait quand même un paradoxe qu'au moment où cette entreprise, non pas a des difficultés économiques - elle va bien sur le plan de son exploitation - mais des problème financiers, de l'affaiblir sur le plan économique. Donc, le Gouvernement, vraiment, doit maintenant ne plus tergiverser, prendre une décision ; elle est attendue, parce que sinon c'est l'entreprise elle-même qui peut être affaiblie."
Est-ce qu'il doit stopper ou accélérer ses projets de privatisation ?
- "Le Gouvernement devrait y réfléchir à deux fois avant de privatiser, dans le contexte boursier que l'on connaît, avec aujourd'hui des incertitudes qui sont grandes par rapport à l'avenir. Ce serait sans doute mal servir l'Etat et mal servir les entreprises que de lancer un mouvement de privatisation. Mais ce qui m'inquiète le plus, c'est la manière avec laquelle le Gouvernement aborde ces questions d'entreprises publiques. Il ne s'agit pas de définir une stratégie ? Jamais ! D'ouvrir une perspective ? Nulle part cette question n'est évoquée ! Il s'agit, à chaque fois, de remplacer des PDG par d'autres. Est-ce que c'est cela une stratégie ? Quelquefois, on n'arrive même pas à trouver les PDG qu'on vient de remplacer !"
Vous voyez également ce mouvement vers l'EDF, la SNCF, Areva et la suite ?
- "Je vois une stratégie qui se met en place depuis maintenant quatre mois, qui consiste, plutôt que de donner des perspectives industrielles, de fixer des règles, et de donner la position de l'Etat-actionnaire, de faire partir les PDG, parfois même ceux qui ont été nommés par A. Juppé lui-même. C'est le cas de M. Bon."
Ne croyez-vous pas que le gouvernement Raffarin - et c'est cela qui vous agace - et son imposante majorité sont plus prudents et plus pragmatiques que vous ne le croyez et ne le dénonciez vous-même ?
- "Etre pragmatique n'est pas un défaut. Il ne faut jamais être animé par le sectarisme ou par l'idéologie absolue. Mais sous couvert de pragmatisme, il s'agit d'hésitation le plus souvent. Finalement, la stratégie du gouvernement Raffarin est illisible, parce qu'elle est impossible à tenir. C'est une équation qui n'arrive pas à être résolue. Le Premier ministre doit à la fois régler les promesses de campagne de J. Chirac - elles sont nombreuses -, il doit aussi tenir compte d'une croissance affaiblie, qu'il a lui-même affaiblie et enfin, il est sous la pression de groupes spéciaux et notamment du Medef. Alors, il ne peut pas agir directement ; il agit de biais. C'est un gouvernement qui est celui de la godille : il avance par mouvements assez sinusoïdaux."
Ah, qu'il est facile de critiquer !
- "Vous me posez la question, je vous réponds. Je dis qu'on ne peut pas mettre en cause un style - cela ne suffirait pas -, mais le fond d'une politique. Et le fond de cette politique, c'est qu'en définitive, le seul objectif du gouvernement Raffarin, c'est de défaire ce qu'a fait et engagé son prédécesseur. C'est assez pauvre comme perspective."
L'Irak. Trois députés UMP sont, de leur propre chef, allés à Bagdad, désavoués par le Quai d'Orsay. Auriez-vous accepté que des élus socialistes aillent à Bagdad ?
- "D'abord, je l'ai appris cette initiative ce matin. Elle me paraît étrange, stupéfiante même. Comment des députés peuvent-ils partir, avec quels moyens, sous quel couvert ? Je ne mets pas en cause la recherche de tout ce qui peut être fait pour la paix. Mais, quel est le sens, le cadre et l'origine de cette initiative ? Mais, plutôt que d'insister là-dessus, je voudrais quand même, là aussi, révéler ce qui est un problème pour la représentation nationale. Nous ne disposons d'aucune information, d'aucune donnée venant du Gouvernement sur la situation en Irak, ou sur les préparatifs du gouvernement américain pour une intervention."
Alors ?
- "Je demande - là encore, c'est le droit de l'opposition et le droit de la représentation nationale - à ce que le Premier ministre nous donne à l'opposition, à ceux qui la représentent, les informations indispensables pour nous former un jugement. Ce jugement, nous l'avons, mais nous voulons quand même l'étayer par un certain nombre d'informations. Et si, finalement, des parlementaires, en l'occurrence de droite, prennent ce type d'initiative, c'est qu'ils sont sans doute eux aussi démunis. Mais cela ne devrait pas franchement les conduire à prendre n'importe quelle initiative."
Sur le fond, s'il y a conflit malgré les Nations unies, pour le PS, la France doit-elle ou pas s'engager ?
- "D'abord, il y a des règles à poser. La première est celle du Conseil de sécurité de l'ONU. La seconde est celle de savoir pourquoi intervenir, avec quels objectifs et quelles conséquences. Pour nous, aujourd'hui, l'ONU n'a pas pris sa position et, deuxièmement, nous n'avons pas les éléments qui nous permettent de penser qu'une intervention serait aujourd'hui la forme la plus efficace, et peut-être même serait-elle la plus dangereuse."
Pour aller vite, M. Alliot-Marie a proposé que les dépenses militaires de tous les pays de l'Europe sortent du Pacte de stabilité. C'est oui ou c'est non pour vous ?
- "Le Gouvernement est en train d'utiliser sa politique de défense pour se soustraire à ses obligations européennes. Cela ne peut pas marcher. On peut avoir une politique de défense - et je conteste celle qui est aujourd'hui mise en place -, mais on ne peut pas essayer d'avoir une politique de défense pour ne pas respecter ses engagements européens."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 16 septembre 2002)