Interview de M. Laurent Fabius, membre du Conseil national du PS, à RTL le 10 juin 2002, sur le danger de voir un seu parti, l'UMP, cumuler tous les pouvoirs, sur les premières annonces du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin concernant notamment la baisse des impôts, le Smic et l'augmentation du prix de la consultation médicale, sur les perspectives du PS.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief Votre score du premier tour est de 49,25 % en Seine-Maritime. Vous avez raté la victoire d'un cheveu !
- "D'un cheveu... Avec moi, c'est paradoxal !"
Vous avez plaidé pendant toute la campagne du premier tour, vous avez essayé d'avertir les électeurs, en leur disant "attention, la droite va accumuler tous les pouvoirs". Cet argument ne les a apparemment pas ébranlés. Peut-être même que c'est ce qu'ils veulent : ils veulent de la cohérence, ils veulent tous les pouvoirs au même camp ?
- "De la cohérence, oui. C'est vrai que nous n'avons pas été suffisamment convaincants, sinon le résultat ne serait pas celui-là. Je retiens dans les résultats, deux ou trois choses évidentes : d'abord, comme l'a dit A. Duhamel, l'importance massive de l'abstention. Je parlerais volontiers d'une espèce de "lassitude civique". C'est vrai que plus le temps se déroule et plus l'abstention est importante et en plus, c'est la troisième fois que l'on vote en un mois à peu près. Donc, il y a cette lassitude, même si on peut le regretter et appeler à la mobilisation pour le deuxième tour. Sur le rapport des forces, c'est vrai que la droite progresse, la gauche n'est pas en forme, c'est le moins que l'on puisse dire, même si le PS résiste relativement. Sur les arguments, il y a au fond deux arguments principaux et on va les répéter, les amplifier d'ici le second tour. Il y a la question du déséquilibre démocratique : même s'il n'a pas été suffisamment convaincant, il faut le répéter, tout simplement parce qu'il est juste. Il n 'y a pas un pays dans les démocraties où un même parti, le RPR rebaptisé "UMP", cumulera autant de pouvoirs. Je considère qu'il est bon qu'il y ait une majorité, il faut être clair, que ce soit la gauche ou la droite, mais..."
Pour la première fois, depuis quelque temps, le même parti, la même famille politique, va peut-être avoir plus de moyens pour appliquer sa politique ; est-ce que ce n'est pas ce que les Français veulent ?
- "La question est une question de proportions. Il faut qu'il y ait une majorité, c'est sûr. Il semble, même si je le regrette..."
Que ce ne soit pas vous...
- "Une chose est d'avoir une majorité, autre chose est d'avoir tous les pouvoirs ! Il n'y a pas un pays au monde, une démocratie où le même camp, le même parti ait à la fois la présidence de la République, le Gouvernement, l'Assemblée nationale, le Sénat, la majorité des conseils généraux, la majorité du pouvoir économique, la majorité du pouvoir médiatique, le contrôle de l'audiovisuel..."
La majorité du pouvoir médiatique ? Pardon ?!
- "Oui, vous ne l'aviez pas remarqué ?"
Nous, journalistes, nous constituons un contre-pouvoir !
- "Oui."
Merci !
- "Mais prenons un exemple, puisque vous vous arrêtez sur ce sujet. Vous savez que l'équilibre au sein des médias est assuré par un conseil qui s'appelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Actuellement, il fait son travail tout à fait correctement. Si la droite l'emporte dans les proportions qui sont annoncées, cela veut dire que tous les membres de cette formation - tous - seront nommés par le RPR. Il n'y a pas une démocratie où cela existe. Et vous, du point de vue qui est le votre, celui de journaliste, il faut mieux avoir un certain équilibre."
Cela ne changera rien à notre travail au quotidien...
- "Vous verrez. L'autre argument est évidemment de nature sociale, parce que l'analyse que nous faisons, c'est que le programme de la droite a commencé - cela reste encore mezzo voce -, sur certains points, des reculs sociaux. On le voit en matière de Smic, en matière fiscale, on commence à le voir en matière sociale en général. S'il n'y a pas une opposition forte en face, excusez l'expression un peu triviale, "ils vont rentrer comme dans du beurre". Il faut qu'il y ait des équilibres dans une démocratie."
Vous êtes le moderne en économie, et on peut remarquer que le Smic, le petit coup de pouce de juillet, n'a pas été donné ces dernières années par le gouvernement de gauche. Alors, est-ce qu'il n'y a pas un peu de surenchère maintenant de la part du PS, pour un peu faire peur ?
- "Non, ce n'est pas exact. Depuis cinq ans, le Smic a augmenté exactement de 15,6 %. Si on enlève l'inflation, cela fait 8 % de progression. Donc, quand on dit qu'il n'y a pas eu de coup pouce, il y en a eus même s'ils ont varié selon les années. Là, on se trouve dans une situation où le Gouvernement - c'est ça qui choque beaucoup de monde - dit : "En ce qui concerne les impôts des gens les plus fortunés, je décide de les baisser ; en ce qui concerne les médecins - ça peut tout à fait se comprendre -, je décide d'augmenter le revenu des médecins de un Smic et demi par mois. Mais en ce qui concerne les smicards, je ne veux pas augmenter le Smic de 5 %". Et c'est cette différence de traitement, je crois, qui retient, d'une façon choquante, l'attention de beaucoup de monde. Il faut essayer d'avoir une gestion économique et sociale équilibrée et en même temps efficace."
Apparemment, le FN a reculé...
- "Oui."
Est-ce qu'on ne peut pas créditer le nouveau Gouvernement de ce score du FN, comme si d'une certaine façon, la droite au pouvoir ferait reculer le FN, alors qu'avec la gauche, le FN arrive en tout cas au deuxième tour de la présidentielle ?
- "Honnêtement, je ne sais pas répondre encore à cette question. Il faudra qu'on analyse clairement où sont allées les voix du FN. Aujourd'hui, ce matin je ne sais pas répondre. Ou bien elles sont allées à la droite républicaine - ou à la gauche -, dans ce cas, je dirais à la limite très bien, mais à condition qu'il n'y ait pas de porosité des idées du FN sur la droite. Ou bien c'est une abstention, mais faisons attention, car ce qu'a exprimé le FN n'a pas disparu en huit jours. Vous vous rappelez, on avait dit : "Le Pen n'existe plus" quand il y avait la division avec Mégret. Moyennant quoi, il a été deuxième aux présidentielles. Donc, faisons attention. Je ne sais pas expliquer exactement aujourd'hui où les voix sont allées..."
La gauche n'oubliera pas le message du 21 avril dans sa reconstruction ?
- "Evidemment, et il ne faut pas oublier, même si les résultats ne nous font pas plaisir, c'est la population qui, par son vote, s'exprime et tranche."
J. Dray a dit hier soir : "Quand s'use un programme s'use aussi la génération qui l'a porté". Est-ce que ça veut dire qu'après, il va y avoir un climat de règlement de comptes au PS ?
- "Non, ce serait désagréable pour J. Dray qui est un garçon remarquable et il ne faudrait pas qu'il disparaisse, puisqu'il est de cette génération-là !"
Je ne pense pas que c'était lui qui se sentait visé ! Je crois qu'il visait d'autres gens...
- "Non. Ce que je crois... Je vous dirais deux choses : d'abord, il y a un aphorisme assez amusant, que j'ai toujours appris, qui est : "Un pur trouve toujours un plus pur qui l'épure". C'est une chose qu'il faut se rappeler ! Maintenant sur le fond, je crois que PS, qui a relativement résisté - relativement, simplement - doit s'ouvrir et s'assumer tel qu'il est. C'est un point très important."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juin 2002)