Texte intégral
(Interview à LCI à Paris, le 4 septembre 2002) :
Il y a un an, le 11 septembre, l'attaque terroriste contre les deux tours de Manhattan et contre le Pentagone ont marqué le début du 21ème siècle. S'agit-il du début d'une guerre ou d'un énorme fait divers ? Est-ce une guerre de civilisation ? Est-ce un conflit religieux ? Est-ce un mouvement de rébellion ? Là-dessus, chacun a son opinion et chacun se souvient de ce qu'il faisait le 11 septembre dernier, de ce qu'il a pensé à ce moment précis.
Il y a un an, vous étiez à l'Elysée, vous souvenez-vous de ce à quoi vous avez pensé lorsque vous avez découvert la catastrophe à la télévision ?
R - J'étais secrétaire général de l'Elysée, dans mon bureau, la télévision était allumée, je l'ai donc appris directement, au moment où les faits ont été connus. Ma première pensée a été bien sûr de prévenir le président de la République, il n'était pas à Paris, il était à Rennes, il s'apprêtait à prononcer un discours à la Faculté des métiers, un discours sur l'écologie, sur l'agriculture et ma première inquiétude a été de le prévenir. Je l'ai joint au téléphone, il venait lui-même d'apprendre la nouvelle par le Service de presse de l'Elysée présent à ses côtés et il a immédiatement décidé de rentrer.
Il a donc prononcé quelques mots devant l'assemblée qui l'attendait, quelques mots pour informer ceux qui étaient présents de la gravité de l'incident. Nous avons tout de suite compris qu'il y avait quelque chose d'exceptionnel, de dramatique, une dimension terroriste.
Il fallait donc rentrer à l'Elysée, préparer un Conseil restreint, ce qui a été fait, préparer les mesures qui s'imposaient pour assurer la sécurité des Français - le plan "Vigipirate" a été déclenché le soir même -, adresser les condoléances aux Américains et le président s'est aussi adressé, en fin de soirée, directement à la Nation.
Q - Auriez-vous signé ce qui, à l'époque a fait le titre d'un quotidien : " Nous sommes tous des Américains ?"
R - Oui, parce l'émotion a été immense, nous voyons cette ville que nous avons connue et que nous aimons tous, une ville debout, face à l'Atlantique, martyrisée, lacérée, et cela a été une immense douleur pour chacun de nous que de constater cette marque sanglante faite au cur de l'Amérique.
Q - Il y a eu l'esprit du 12 septembre, l'hymne américain joué à l'Elysée, au mépris de tout protocole, les manifestations autour de l'ambassade et du consulat, comment expliquez-vous aujourd'hui, l'incroyable force de l'anti-américanisme en France ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse parler d'anti-américanisme. Il peut y avoir la tentation, ici et là, face à une puissance qui a des responsabilités particulières dans le monde, de s'interroger sur la place, le rôle, la responsabilité de l'Amérique. Tout ceci, il faut le restituer dans une séquence particulière. Tout à coup, l'Amérique est marquée, le 11 septembre, découvre sa vulnérabilité, la peur devant une menace qui concerne l'ensemble des pays, l'ensemble des puissances du monde et qui n'épargne aucun d'entre nous.
Q - Il n'y a donc pas d'anti-américanisme en France ni à droite, ni à gauche ?
R - Je ne crois pas et c'est une question qui est posée aujourd'hui sur la scène internationale, je crois que les Français sont trop conscients de la gravité de la crise que nous vivons.
Q - Et il n'y a pas de francophobie aux Etats-Unis non plus ?
R - Non. Aux Etats-Unis, il y a eu, à un moment donné, une question sur la situation en France et sur un éventuel antisémitisme qui pouvait exister en France à la suite d'actes ponctuels. Nous nous en sommes expliqués, nous avons expliqué aux Américains la réalité des choses et le président l'a fait de façon très claire. Ainsi, je crois que l'Amérique a compris. Dans les conversations que nous avons eues avec des responsables américains, le message est clairement passé.
Aujourd'hui, le problème auquel nous sommes confrontés, les uns et les autres, ce n'est pas un problème qui se pose à l'échelle de la France, il se pose à l'échelle du monde. Il s'agit de savoir comment nous allons organiser la planète. Comment faire en sorte d'arriver, dans le désordre qui est celui de la planète aujourd'hui, à un nouvel ordre. Il y a une responsabilité particulière, les attributs de la puissance américaine lui donnent bien sûr une responsabilité singulière mais c'est aussi notre responsabilité propre de Français, d'Européens. Chaque pays a aujourd'hui sa part, chaque citoyen dans les démocraties a aujourd'hui sa responsabilité et c'est cela la vraie révolution qui intervient après le 11 septembre.
Q - Ben Laden, j'y viens ; il court toujours. D'après vous, quel était son objectif ?
R - La marque des terroristes qui frappent le 11 septembre est justement d'avoir combiné les facteurs, d'utiliser plusieurs arguments. Il y a un argument religieux, un amalgame religieux . Il y a l'argument contre l'Occident, contre le capitalisme, contre l'ordre mondial, un argument culturel extrêmement fort qui est le rejet de la présence extérieure au Moyen-Orient, en Arabie Saoudite notamment. Ben Laden est originaire du sud de l'Arabie saoudite et je crois que cette dimension régionale est très présente au cur des préoccupations d'une personnalité comme Ben Laden.
Q - Le prétexte de faire évacuer les Américains de leur base en Arabie saoudite, mais pourquoi des millions de musulmans se reconnaissent-ils dans le combat et le soutien de cet homme aujourd'hui ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse parler ni de soutien ni de reconnaissance.
Q - Il est très populaire !
R - Je crois qu'il y a un risque, et c'est bien cela qui marque aujourd'hui le destin du monde, il y a un risque que des amalgames s'opèrent, une tentation de se méprendre sur le sens de l'événement. C'est bien la responsabilité de l'ensemble des dirigeants du monde aujourd'hui que de faire en sorte que cet amalgame ne soit pas inéluctable, ne soit pas une fatalité et c'est tout le sens du message qu'a adressé le président de la République, quelques jours après les événements du 11 septembre, à la tribune de l'UNESCO, dans un grand discours sur le dialogue des cultures. Nous avons aujourd'hui un monde qui doit s'organiser autour de valeurs nouvelles, les valeurs du partage, de la tolérance, du respect de l'autre. Il ne s'agit pas aujourd'hui de problèmes de concurrence entre les nations, ce n'est pas l'excès de la puissance qui menace le monde et contre laquelle il faudrait lutter et s'opposer, c'est bien le vide de la puissance.
Q - Ce n'est pas l'hyper-puissance dont parlait votre prédécesseur, c'est le mutisme des Américains.
R - Je crois que le monde change profondément de nature le 11 septembre. Ce qui nous saisit tous, et ce qui peut permettre, effectivement, de prédire ou de marquer une inquiétude très profonde, c'est le risque de désordre, de vertige. Ce qui fait problème aujourd'hui, c'est le vide de la puissance.
Q - Etes-vous en guerre ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse dire cela. Qui dit guerre, implique un ennemi connu, un ennemi visible.
Q - Les réseaux d'Al Qaïda !
R - Bien sûr, des groupes, mais nous sommes tous conscients qu'il y a des menaces très ciblées et très particulières.
Q - Un an après, sommes-nous mieux préparés sur le plan moral, politique, militaire, sanitaire à affronter cette menace ?
R - Oui, beaucoup a été fait en un an. D'abord, dans la mobilisation contre le terrorisme, dans la détermination affichée par les puissances.
Voyez des nations aussi diverses que celles du Proche-Orient, de l'Amérique latine, des pays d'Asie qui s'affirment tous et se reconnaissent tous dans cet objectif de lutte contre le terrorisme, contre le problème de la prolifération, les réseaux mafieux. Il y a là tout un ensemble qui gangrène véritablement le monde. Nous sommes tous convaincus de la nécessité d'agir, tous aussi convaincus de ne pas céder à la tentation, à la facilité des amalgames. Il est très important aujourd'hui de marquer cette ouverture à la diversité de l'autre, sans quoi, nous sommes alors amenés à considérer, derrière chaque musulman, derrière chaque pays qui se reconnaît dans l'Islam, un adepte de Ben Laden. C'est une faute qu'il ne faut pas commettre.
Q - Comprendre et combattre ?
R - Comprendre, agir et construire. Nous avons la responsabilité de construire un nouvel ordre international et c'est là où l'enjeu européen et l'enjeu culturel prennent toute leur signification.
J'étais hier en Afghanistan et je serai dans quelques jours dans les Balkans. Quelle en est la signification, quelques jours avant le 11 septembre ?
Savoir que nous sommes responsables et comptables de la gestion des crises, des drames humains qui se déroulent à travers la planète. Les crises régionales, les crises locales, comme on les baptise pudiquement, il faut les régler, les cicatriser, il ne suffit pas que la tension baisse entre l'Inde et le Pakistan, en Afghanistan ou dans les Balkans. Il faut régler les problèmes. Le risque de voir des conflits ouverts devenir alors des zones mafieuses, continuer de devenir des zones dangereuses susceptibles de nourrir, à nouveau, des ferments de terrorisme, de haine et d'hostilité qui peuvent, le jour venu, engendrer de nouvelles guerres, doit être pris en compte par nous. Il faut donc construire. Il est très important que nous ne baissions pas la garde, que nous ne courions pas d'une crise à l'autre, que nous soyons comptables des difficultés. Pour le Proche-Orient, nous avons le devoir d'essayer de franchir un cap, au-delà d'une politique de sécurité indispensable car l'inquiétude des Israéliens devant le terrorisme quotidien comme l'inquiétude des Palestiniens devant l'absence d'avenir, doivent trouver une réponse.
Q - N'avez-vous pas l'impression que la France est hors-jeu ?
R - Mais la France n'a jamais été davantage dans le jeu, tout autant que l'Europe. Davantage responsable et consciente de ses responsabilités. Nous sommes aujourd'hui au cur des problèmes du monde.
Q - En effet, on regarde votre emploi du temps et on comprend le sentiment d'urgence qui vous habite. Vous avez visité plus d'une trentaine de pays en l'espace de cinq mois, vous l'avez dit, vous étiez à Kaboul hier, vous serez à Pristina après-demain ainsi qu'à Sarajevo, à quoi sert-il d'aller passer quelques heures à Douchanbé ou à Kaboul ?
R - Mais, ce n'est pas mon emploi du temps qui constitue pour moi l'indication de l'urgence, c'est le regard de nos partenaires, le regard des peuples sur la planète. Il y a aujourd'hui une formidable attente de la France car notre discours sur la diversité culturelle, sur le respect, sur la tolérance est un discours qui valorise les peuples ; c'est un discours qui valorise les individus et ce discours a besoin d'être entendu. Il y a un besoin de reconnaissance, d'action collective. Quand, sur l'Iraq, nous disons qu'il s'agit de légitimer une action collective, de passer donc par le Conseil de sécurité des Nations unies, lorsque nous parlons à Johannesburg, par la haute voix du président de la République, de la nécessité de se préoccuper du développement durable à long terme, c'est une conscience de l'avenir commun de la communauté internationale dans un monde interdépendant où une crise au bout du monde modifie et infléchit notre vie quotidienne, c'est la prise de conscience de ce devenir commun. Il y a une vraie communauté de destins et c'est une donnée nouvelle.
Q - Le président explique cela, le ministre met en oeuvre la politique.
R - Absolument.
Q - Vous étiez à Kaboul, un dossier intéresse directement les Français et les Afghans, c'est la présence à Sangatte, depuis des années, de réfugiés. Il y a entre 14 et 16000 clandestins qui se trouvent dans des conditions détestables là-bas, la majorité d'entre eux sont des Afghans. Avez-vous parlé avec M. Karzaï de leur rapatriement ?
R - J'ai bien évidemment évoqué cette question. Le ministre de l'Intérieur a travaillé en liaison avec le HCR, avec nos amis britanniques. Nous sommes dans la phase où nous préparons un accord avec le HCR et les Afghans. Nous avons évoqué cette perspective et rencontré une oreille très attentive car les Afghans sont bien conscients de l'effort formidable que fait la France pour leur pays, de l'implication de la France pour lutter contre le terrorisme en Afghanistan. Nous avons fait partie des pays les plus impliqués : les avions français étaient les seuls avec les avions américains dans le ciel afghan.
Q - Si tard, si peu ?
R - Mais c'est une énorme erreur, "si tard, si peu". Nous avons été présents tout au long, dans la durée, dans le souci d'accompagner ce mouvement d'ouverture, cette marche vers la démocratie, vers la reconstruction. Il s'agit d'une action à long terme. Je suis allé dans les deux lycées de Kaboul, le lycée des garçons et celui des filles. La France, en quelques mois, a restauré ces deux lycées, a contribué au plan de l'éducation, de la santé, de la démocratie. Nous oeuvrons pour aider les Afghans à préparer une Constitution. Dans le domaine de la sécurité, 500 hommes sont présents là-bas.
Q - On est là pour 100 ans si vous attendez une démocratie en Afghanistan ?
R - Nous sommes là pour aider la communauté internationale, aider les Afghans à prendre en main leur propre destin. Je l'ai dit au président Karzaï, nous ne voulons pas nous substituer à eux. Lorsque nous contribuons à la formation de l'armée afghane - nous avons créé et formé un premier bataillon, nous en formons un second -, c'est justement avec l'idée que les Afghans, avec ces forces, ces moyens, puissent, sur l'ensemble du territoire, prendre en main leur destin.
Notre objet n'est pas de rester sur place, c'est de permettre aux Afghans de prendre en main ce destin et d'oeuvrer durablement au développement d'une coopération entre la France et l'Afghanistan. Songez qu'au début du siècle, nous étions le pays qui a accueilli et mis en valeur le patrimoine afghan, avec la première exposition à laquelle participait le roi Amanullah à Paris, au musée Guimet.
Il y a quelques mois, c'est à nouveau le président Karzaï qui est venu à Paris pour l'inauguration, avec le président Chirac, d'une nouvelle exposition sur l'art afghan. Quelle n'a pas été la fierté du peuple afghan de se voir reconnu, alors même que les grands bouddhas de Bamian ont été détruits, de voir découvrir à quel point leur culture est importante pour nous tous ! Il y a donc une conscience, une valorisation de ce qu'ils sont, de leur identité culturelle. Voyez aussi le rôle tout au long de ces années, dans les moments de la résistance afghane face à l'Union soviétique, face aux Taleban, des ONG françaises.
Q - Mais des Taleban ont été reçus ici, le commandant Massoud a été reçu ici, la France a toujours eu des relations avec l'Afghanistan.
R - Oui, mais toujours avec le souci de défendre les intérêts du peuple afghan, avec le souci de valoriser cet apport tout à fait essentiel pour nous de la culture afghane dans cette identité culturelle. Nous pensons qu'il y a là, un élément, un ferment de stabilité du monde dans la valorisation des cultures.
Q - Il y a également le dossier dont tout le monde parle, l'Iraq. On a appris aujourd'hui que l'US Navy avait affrété un gros navire pour acheminer, dès la fin de ce mois, des blindés, des chars dans le Golfe. Est-ce une gesticulation ou le début d'un compte à rebours ou plutôt, pensez-vous que Georges Bush peut encore reculer ?
R - Je crois que l'Iraq, aujourd'hui, pose une question à la communauté internationale. Il y a une question concernant le problème de prolifération des armes de destruction massive en Iraq et dans la région. A partir de là, la détermination, la responsabilité de la communauté internationale est bien évidemment de se saisir de cette question.
Q - L'Iraq représente donc une menace pour vous ?
R - Nous ne pouvons pas accepter que l'Iraq ne se conforme pas aux exigences de la communauté internationale.
Q - L'Iraq représente-t-il une menace ?
R - Il pose une question à l'équilibre et à l'ordre international. Dans la mesure où le Conseil de sécurité des Nations unies demande à l'Iraq le retour des inspecteurs pour vérifier justement la compatibilité entre la situation iraquienne et les exigences internationales, c'est un point très important que de savoir de quelles armes biologiques et chimiques, de quel degré d'avancée dans le domaine nucléaire, nous avons un principe de responsabilité qui est central. D'où notre détermination, il faut que l'Iraq se conforme. C'est très clair, à partir de là, il faut que les inspecteurs des Nations unies puissent retourner en Iraq faire ce travail. Notre position est soucieuse de la légitimité, de la cohérence, de la responsabilité de la communauté internationale. Et si cela n'est pas possible, il faut alors que le Conseil de sécurité des Nations unies se saisisse de façon à envisager les différentes actions possibles.
Q - On a l'impression que la position de la France est extrêmement légaliste. On dit que l'Iraq est une dictature, on sait qu'elle prolifère, on sait que Saddam Hussein ne cesse de s'armer et d'acquérir des armes de destruction massive mais on ne veut pas que les Américains y aillent seuls. Après tout, qu'il y aillent ! Pourquoi aller s'embourber dans cette affaire ?
R - La position de la France est une position de responsabilité vis-à-vis de la communauté internationale. La question n'est pas d'agir le lundi et de constater les effets le mardi, mais d'avancer et de contribuer à un nouvel ordre international. Il est très important que la légitimité d'une action ne puisse être contestée par personne, qu'aucune suspicion ne puisse intervenir. Il est très important de savoir quel objectif nous visons. Celui qui est visé aujourd'hui par la communauté internationale, c'est le retour des inspecteurs des Nations unies. Notre préoccupation est la prolifération, soyons pragmatiques, soyons soucieux de faire avancer et de régler les questions. De grâce, ne mélangeons pas les questions ! A partir de là, le moment venu, nous tirerons les conclusions.
Q - C'est-à-dire que, si l'Iraq s'entête à refuser le retour des inspecteurs, s'il y a des résolutions votées au Conseil de sécurité, à ce moment-là...
R - Le Conseil de sécurité des Nations unies envisagera l'ensemble des options...
Q - Et donc, la France pourra, à ce moment-là, accompagner l'Amérique.
R - ...y compris militaires bien sûr. Mais il est très important que cela ne se fasse pas ni contre un peuple, ni contre une région. C'est là où l'on ressent la sensibilité des questions. Eviter les amalgames, préciser les objectifs, établir une communauté d'objectifs, une même compréhension devant ce qui doit être fait, c'est la base du principe de responsabilité collective qui est celui de la communauté internationale.
Q - Il y a une cacophonie européenne, Joschka Fischer dit que ce serait une erreur fatale de combattre Saddam Hussein.
R - J'étais à Elseneur ce week-end, je peux vous dire qu'il n'y a aucune cacophonie européenne, il y a même une communauté de vues des Européens pour penser que le Conseil de sécurité des Nations unies doit assumer sa responsabilité dans ce domaine.
Q - Vous allez à Kaboul un jour, vous allez à Luanda, la capitale de l'Angola, vous irez dans les Balkans, n'est-ce pas fuir la seule question que vous ayez à régler très vite, à savoir, résoudre la paralysie des institutions européennes ?
R - Je ne crois pas du tout. Je crois que le monde dans lequel nous vivons est marqué par l'urgence et par l'interdépendance. Il est donc très important d'en saisir la globalité. Ce qui se passe en Angola nous concerne. Un processus de paix qui s'enclenche en Afrique, une situation dramatique sur le plan humanitaire, évidemment, cela nous concerne. Ce qui se passe en Afghanistan, dans les Balkans, cela nous concerne. Et nous devons apprendre à régler les problèmes, les menaces anciennes, comme les crises locales, mais aussi les menaces nouvelles comme la prolifération. Nous devons tout autant nous attacher à résoudre les problèmes de la pauvreté. Aujourd'hui, tout cela forme un tout. Nous ne pouvons pas considérer qu'il faut se focaliser sur un point plutôt qu'un autre.
Vous parlez des questions européennes, c'est au coeur de nos préoccupations. Il y a un défi formidable pour l'Europe. L'élargissement, le passage de quinze à vingt cinq, c'est un défi essentiel. Mais, parallèlement, puisque nous engageons un processus politique, aujourd'hui inéluctable, qui est de modifier la carte de l'Europe, d'effacer les frontières, c'est un choix politique d'une immense ampleur. Il faut être capable d'assumer cette responsabilité, de guider cette Europe non plus à 15 mais à 25. Il faut donc approfondir notre capacité à le faire, c'est-à-dire réfléchir sur les institutions, sur les politiques qui doivent être menées ensemble. Il y a là un chantier formidable, mais croyez bien que la diplomatie française, non seulement est à la manuvre mais a engagé une réflexion très approfondie et fera très rapidement des propositions pour avancer. Nous avons un devoir européen, nous le menons dans une concertation très étroite. Le président de la République dînera ce week-end à Hanovre avec le chancelier allemand, nous avons avec l'Allemagne une concertation extrêmement approfondie, le couple franco-allemand est le moteur de l'Europe et nous entendons continuer à assumer cette responsabilité.
Q - Avec Schröder comme avec Stoiber ?
R - Absolument. Je crois que ce qui est important, au-delà des hommes, c'est la conscience d'un devenir et d'un destin communs. L'enjeu européen est important pour le monde, c'est important pour les Américains, le monde a besoin de stabilité, le monde a besoin de responsabilités et il faut donc que chacun l'assume. Il est évident que l'Europe représente une diversité culturelle extraordinaire, entre le nord et le sud, l'est et l'atlantique. Nous avons une capacité à agir, nous avons une diversité qui est une richesse, il faut s'en servir.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 septembre 2002)
(Interview à France info à Paris, le 4 septembre 2002) :
Q - Nous sommes à une semaine du 11 septembre et vous rentrez tout juste d'une visite symbolique en Afghanistan. Qu'avez-vous vu à Kaboul, Monsieur de Villepin.
R - J'ai vu le chemin parcouru depuis un an par un pays qui a connu plus de vingt ans de guerre, de souffrances, et ce chemin aujourd'hui permet aux Afghans de retrouver l'espoir. C'est un enjeu très important, non seulement pour l'Afghanistan, mais aussi pour la région et pour le monde. Il s'agit de restaurer la sécurité, d'avancer dans la voie de la démocratie et de reconstruire un pays. La France, l'Union européenne, la communauté internationale sont mobilisées pour aider les Afghans.
Q - Alors la sécurité. Les attentats là-bas reprennent contre les forces occidentales qui assurent la sécurité au moins de la capitale. Il y a même des appels à chasser les mécréants. La guerre a été gagnée facilement, contre les Taleban, mais la paix est-elle gagnée, peut-elle encore être perdue ?
R - Vous avez raison, tout n'est pas réglé, et il est important que la communauté internationale ne baisse pas la garde. C'est l'un des grands messages que j'ai voulu apporter là-bas. Il faut inscrire notre action dans la durée. Il faut ne pas se contenter uniquement de rapiécer, d'amender une situation douloureuse et difficile. Il faut véritablement essayer de refaire de cette région un pôle de stabilité. Il est important que la communauté internationale garde la mémoire des difficultés et des défis à relever. Nous devons sur chacune de ces crises avoir le souci, l'obsession de trouver et d'avancer dans la voie d'un règlement. C'est vrai en Afghanistan, c'est vrai au Proche-Orient.
Q - Et en Afghanistan, pas plus de soldats occidentaux, et pas ailleurs qu'à Kaboul ?
R - Il est très important de travailler directement en liaison avec le gouvernement Karzaï. Il est très important de faire en sorte que les Afghans puissent eux-mêmes, sur l'ensemble du territoire, prendre en main leur destin. Nous contribuons par une présence importante, et l'Union européenne est le principal contributeur à la force d'intervention qui est aujourd'hui à Kaboul. Nous sommes, nous, Français, en liaison avec les Américains parmi ceux qui contribueront à la formation de l'armée afghane. Nous avons formé un premier bataillon, nous allons former un second bataillon. Il faut faire en sorte que cette armée puisse assurer la sécurité face à ce qu'on appelle les "Seigneurs de la guerre". Il est important que cette responsabilité puisse être assurée par les Afghans et il ne faut pas se substituer à eux.
Q - Dans une semaine, le 11 septembre. Monsieur de Villepin, qu'est-ce que cela a changé en un an pour la diplomatie française ?
R - Beaucoup. Le monde a changé et la diplomatie française nécessairement aussi. Elle est mobilisée par l'urgence. Nous devons nous préoccuper de tout ce qui aujourd'hui constitue des menaces pour le monde. Les menaces anciennes - les épidémies, la pauvreté, les crises régionales -, mais aussi les menaces nouvelles - le terrorisme, les risques de prolifération, les problèmes de l'environnement. Il faut donc chercher, dans un monde qui est aujourd'hui global, interdépendant - c'est la deuxième caractéristique de ce monde - à traiter l'ensemble des problèmes. A partir de là, la diplomatie doit évidemment elle-même se réformer. C'est ce que j'ai dit à nos ambassadeurs.
Q - Redéploiement des moyens. Mais y a-t-il pour autant évolution de doctrine. Aux Etats-Unis on est un peu dans le "tout terrorisme". Et pour la France, est-ce que ce combat doit prendre le pas sur tout le reste ?
R - Nous sommes soucieux de prendre la mesure de la complexité des problèmes. Il y a bien sûr une dimension importante dans le monde d'aujourd'hui qui est celle de l'insécurité. Il faut donc des politiques de sécurité qui soient à la mesure des problèmes. C'est le cas au Proche-Orient - faire face au terrorisme -, c'est le cas en Afghanistan. Mais la sécurité seule, la politique de sécurité ou la politique de force seule ne suffit pas. On le voit contre le terrorisme. Une action militaire ponctuelle peut être indispensable, mais elle doit s'accompagner d'autres mesures. Par exemple, contre le terrorisme, concertation dans le domaine policier, dans le domaine de la justice, sur les circuits financiers, sur le plan judiciaire, tout ceci est indispensable.
Q - La France continuera d'avoir cette position singulière d'être le pays occidental le plus à l'écoute du Tiers monde ?
R - Oui, parce que nous sommes, je crois, les plus conscients de l'indispensable diversité culturelle. Là où l'autorité et la responsabilité s'exerçaient au Moyen Age vis-à-vis de peuples soumis par le biais de la protection, aujourd'hui il faut partager.
Q - Un an après le 11 septembre, on parle de guerre. Avez-vous en votre possession Monsieur de Villepin ces "preuves indiscutables" évoquées par le Premier ministre britannique Tony Blair qui montreraient que l'Iraq de Saddam Hussein est une menace pour le monde ?
R - Nous sommes en permanence soucieux de faire une évaluation des risques, et nous le faisons, bien évidemment, en liaison avec nos partenaires européens. J'étais avec les Quinze à Elseneur. Nous avons évoqué, y compris avec nos amis britanniques la situation de l'Iraq. A travers ce lien très approfondi, il y a aujourd'hui une inquiétude très forte de la communauté internationale. Ce qui justifie, et je vous le rappelle, la position française. Premier axe de cette position, notre détermination face aux risques de prolifération des armes de destruction massive. La France, le monde, ne peuvent pas s'accommoder d'un tel risque. Et c'est pour cela que nous demandons avec insistance, avec force, le retour des inspecteurs des Nations unies en Iraq, la conformité de l'Iraq aux exigences de la communauté internationale. Si ce n'est pas le cas, il appartient au Conseil de sécurité de se prononcer, et c'est très important de comprendre pourquoi le Conseil de sécurité, car toute action internationale a besoin aujourd'hui, pour être comprise, pour être efficace, pour être en dehors de toute suspicion, d'être légitime.
Q - Pour autant la France réclame le retour des inspecteurs de l'ONU, elle ne réclame pas la fin du régime de Bagdad ?
R - Notre objectif est bien celui là. Notre objectif est concret, précis. Notre conviction, c'est qu'il ne faut pas poursuivre plusieurs lièvres à la fois. Il y a une exigence aujourd'hui : le retour des inspecteurs. Un autre objectif, mettre fin à la prolifération. A partir de là, le retour des inspecteurs permet d'assurer un contrôle, une vérification, et dans toute autre hypothèse, le Conseil de sécurité doit être saisi et décider.
Q - Mais cette idée qu'il y a des preuves que Bagdad menace le monde, vous ne reprenez pas cette formule à votre compte ?
R - J'ai parlé longuement avec le chef de la diplomatie britannique. Nous partageons des informations et il n'est évidemment pas question de dévoiler ces échanges.
Q - Et Tony Blair annonce que ces preuves vont être publiées bientôt .
R - L'important, c'est la responsabilité. Qu'il y ait aujourd'hui le sentiment qu'un pays puisse disposer d'armements chimiques, biologiques, qu'il puisse y avoir une menace, c'est bien évidemment notre responsabilité de l'évaluer, et nous sommes mobilisés pour faire face à ce défi. Ce ne sont pas des sujets que nous pouvons évidemment traiter sur la place publique, cela demande sérénité, cela demande sérieux, et je crois qu'il faut donc se garder de toute dispersion..."
Q - Et de propos va-t-en guerre ?
R -Bien sûr de tous propos va-t-en guerre. Je crois qu'il est important que des décisions aussi importantes se prennent dans la sérénité.
Q - Dans cette diplomatie de l'après 11 septembre, vous percevez Monsieur le Ministre la tentation américaine vers l'unilatéralisme ?
R - Je crois que l'Amérique a été frappée, blessée par le 11 septembre. Elle a découvert sa vulnérabilité, c'est la première fois qu'elle a été touchée sur son propre territoire. Dans la communauté internationale, nous sommes tous concernés, c'est mon point de départ, c'est ma conviction.
Q - Paradoxalement le 11 septembre nous rapproche du monde.
R - Tout à fait, parce que la prise de conscience douloureuse d'une menace globale, c'est vrai dans une famille, la maladie, la difficulté, cela rapproche. Cela oblige à parler, cela oblige avec lucidité, avec exigence à faire face au destin. C'est bien cela à quoi nous sommes confrontés.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 septembre 2002)
Il y a un an, le 11 septembre, l'attaque terroriste contre les deux tours de Manhattan et contre le Pentagone ont marqué le début du 21ème siècle. S'agit-il du début d'une guerre ou d'un énorme fait divers ? Est-ce une guerre de civilisation ? Est-ce un conflit religieux ? Est-ce un mouvement de rébellion ? Là-dessus, chacun a son opinion et chacun se souvient de ce qu'il faisait le 11 septembre dernier, de ce qu'il a pensé à ce moment précis.
Il y a un an, vous étiez à l'Elysée, vous souvenez-vous de ce à quoi vous avez pensé lorsque vous avez découvert la catastrophe à la télévision ?
R - J'étais secrétaire général de l'Elysée, dans mon bureau, la télévision était allumée, je l'ai donc appris directement, au moment où les faits ont été connus. Ma première pensée a été bien sûr de prévenir le président de la République, il n'était pas à Paris, il était à Rennes, il s'apprêtait à prononcer un discours à la Faculté des métiers, un discours sur l'écologie, sur l'agriculture et ma première inquiétude a été de le prévenir. Je l'ai joint au téléphone, il venait lui-même d'apprendre la nouvelle par le Service de presse de l'Elysée présent à ses côtés et il a immédiatement décidé de rentrer.
Il a donc prononcé quelques mots devant l'assemblée qui l'attendait, quelques mots pour informer ceux qui étaient présents de la gravité de l'incident. Nous avons tout de suite compris qu'il y avait quelque chose d'exceptionnel, de dramatique, une dimension terroriste.
Il fallait donc rentrer à l'Elysée, préparer un Conseil restreint, ce qui a été fait, préparer les mesures qui s'imposaient pour assurer la sécurité des Français - le plan "Vigipirate" a été déclenché le soir même -, adresser les condoléances aux Américains et le président s'est aussi adressé, en fin de soirée, directement à la Nation.
Q - Auriez-vous signé ce qui, à l'époque a fait le titre d'un quotidien : " Nous sommes tous des Américains ?"
R - Oui, parce l'émotion a été immense, nous voyons cette ville que nous avons connue et que nous aimons tous, une ville debout, face à l'Atlantique, martyrisée, lacérée, et cela a été une immense douleur pour chacun de nous que de constater cette marque sanglante faite au cur de l'Amérique.
Q - Il y a eu l'esprit du 12 septembre, l'hymne américain joué à l'Elysée, au mépris de tout protocole, les manifestations autour de l'ambassade et du consulat, comment expliquez-vous aujourd'hui, l'incroyable force de l'anti-américanisme en France ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse parler d'anti-américanisme. Il peut y avoir la tentation, ici et là, face à une puissance qui a des responsabilités particulières dans le monde, de s'interroger sur la place, le rôle, la responsabilité de l'Amérique. Tout ceci, il faut le restituer dans une séquence particulière. Tout à coup, l'Amérique est marquée, le 11 septembre, découvre sa vulnérabilité, la peur devant une menace qui concerne l'ensemble des pays, l'ensemble des puissances du monde et qui n'épargne aucun d'entre nous.
Q - Il n'y a donc pas d'anti-américanisme en France ni à droite, ni à gauche ?
R - Je ne crois pas et c'est une question qui est posée aujourd'hui sur la scène internationale, je crois que les Français sont trop conscients de la gravité de la crise que nous vivons.
Q - Et il n'y a pas de francophobie aux Etats-Unis non plus ?
R - Non. Aux Etats-Unis, il y a eu, à un moment donné, une question sur la situation en France et sur un éventuel antisémitisme qui pouvait exister en France à la suite d'actes ponctuels. Nous nous en sommes expliqués, nous avons expliqué aux Américains la réalité des choses et le président l'a fait de façon très claire. Ainsi, je crois que l'Amérique a compris. Dans les conversations que nous avons eues avec des responsables américains, le message est clairement passé.
Aujourd'hui, le problème auquel nous sommes confrontés, les uns et les autres, ce n'est pas un problème qui se pose à l'échelle de la France, il se pose à l'échelle du monde. Il s'agit de savoir comment nous allons organiser la planète. Comment faire en sorte d'arriver, dans le désordre qui est celui de la planète aujourd'hui, à un nouvel ordre. Il y a une responsabilité particulière, les attributs de la puissance américaine lui donnent bien sûr une responsabilité singulière mais c'est aussi notre responsabilité propre de Français, d'Européens. Chaque pays a aujourd'hui sa part, chaque citoyen dans les démocraties a aujourd'hui sa responsabilité et c'est cela la vraie révolution qui intervient après le 11 septembre.
Q - Ben Laden, j'y viens ; il court toujours. D'après vous, quel était son objectif ?
R - La marque des terroristes qui frappent le 11 septembre est justement d'avoir combiné les facteurs, d'utiliser plusieurs arguments. Il y a un argument religieux, un amalgame religieux . Il y a l'argument contre l'Occident, contre le capitalisme, contre l'ordre mondial, un argument culturel extrêmement fort qui est le rejet de la présence extérieure au Moyen-Orient, en Arabie Saoudite notamment. Ben Laden est originaire du sud de l'Arabie saoudite et je crois que cette dimension régionale est très présente au cur des préoccupations d'une personnalité comme Ben Laden.
Q - Le prétexte de faire évacuer les Américains de leur base en Arabie saoudite, mais pourquoi des millions de musulmans se reconnaissent-ils dans le combat et le soutien de cet homme aujourd'hui ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse parler ni de soutien ni de reconnaissance.
Q - Il est très populaire !
R - Je crois qu'il y a un risque, et c'est bien cela qui marque aujourd'hui le destin du monde, il y a un risque que des amalgames s'opèrent, une tentation de se méprendre sur le sens de l'événement. C'est bien la responsabilité de l'ensemble des dirigeants du monde aujourd'hui que de faire en sorte que cet amalgame ne soit pas inéluctable, ne soit pas une fatalité et c'est tout le sens du message qu'a adressé le président de la République, quelques jours après les événements du 11 septembre, à la tribune de l'UNESCO, dans un grand discours sur le dialogue des cultures. Nous avons aujourd'hui un monde qui doit s'organiser autour de valeurs nouvelles, les valeurs du partage, de la tolérance, du respect de l'autre. Il ne s'agit pas aujourd'hui de problèmes de concurrence entre les nations, ce n'est pas l'excès de la puissance qui menace le monde et contre laquelle il faudrait lutter et s'opposer, c'est bien le vide de la puissance.
Q - Ce n'est pas l'hyper-puissance dont parlait votre prédécesseur, c'est le mutisme des Américains.
R - Je crois que le monde change profondément de nature le 11 septembre. Ce qui nous saisit tous, et ce qui peut permettre, effectivement, de prédire ou de marquer une inquiétude très profonde, c'est le risque de désordre, de vertige. Ce qui fait problème aujourd'hui, c'est le vide de la puissance.
Q - Etes-vous en guerre ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse dire cela. Qui dit guerre, implique un ennemi connu, un ennemi visible.
Q - Les réseaux d'Al Qaïda !
R - Bien sûr, des groupes, mais nous sommes tous conscients qu'il y a des menaces très ciblées et très particulières.
Q - Un an après, sommes-nous mieux préparés sur le plan moral, politique, militaire, sanitaire à affronter cette menace ?
R - Oui, beaucoup a été fait en un an. D'abord, dans la mobilisation contre le terrorisme, dans la détermination affichée par les puissances.
Voyez des nations aussi diverses que celles du Proche-Orient, de l'Amérique latine, des pays d'Asie qui s'affirment tous et se reconnaissent tous dans cet objectif de lutte contre le terrorisme, contre le problème de la prolifération, les réseaux mafieux. Il y a là tout un ensemble qui gangrène véritablement le monde. Nous sommes tous convaincus de la nécessité d'agir, tous aussi convaincus de ne pas céder à la tentation, à la facilité des amalgames. Il est très important aujourd'hui de marquer cette ouverture à la diversité de l'autre, sans quoi, nous sommes alors amenés à considérer, derrière chaque musulman, derrière chaque pays qui se reconnaît dans l'Islam, un adepte de Ben Laden. C'est une faute qu'il ne faut pas commettre.
Q - Comprendre et combattre ?
R - Comprendre, agir et construire. Nous avons la responsabilité de construire un nouvel ordre international et c'est là où l'enjeu européen et l'enjeu culturel prennent toute leur signification.
J'étais hier en Afghanistan et je serai dans quelques jours dans les Balkans. Quelle en est la signification, quelques jours avant le 11 septembre ?
Savoir que nous sommes responsables et comptables de la gestion des crises, des drames humains qui se déroulent à travers la planète. Les crises régionales, les crises locales, comme on les baptise pudiquement, il faut les régler, les cicatriser, il ne suffit pas que la tension baisse entre l'Inde et le Pakistan, en Afghanistan ou dans les Balkans. Il faut régler les problèmes. Le risque de voir des conflits ouverts devenir alors des zones mafieuses, continuer de devenir des zones dangereuses susceptibles de nourrir, à nouveau, des ferments de terrorisme, de haine et d'hostilité qui peuvent, le jour venu, engendrer de nouvelles guerres, doit être pris en compte par nous. Il faut donc construire. Il est très important que nous ne baissions pas la garde, que nous ne courions pas d'une crise à l'autre, que nous soyons comptables des difficultés. Pour le Proche-Orient, nous avons le devoir d'essayer de franchir un cap, au-delà d'une politique de sécurité indispensable car l'inquiétude des Israéliens devant le terrorisme quotidien comme l'inquiétude des Palestiniens devant l'absence d'avenir, doivent trouver une réponse.
Q - N'avez-vous pas l'impression que la France est hors-jeu ?
R - Mais la France n'a jamais été davantage dans le jeu, tout autant que l'Europe. Davantage responsable et consciente de ses responsabilités. Nous sommes aujourd'hui au cur des problèmes du monde.
Q - En effet, on regarde votre emploi du temps et on comprend le sentiment d'urgence qui vous habite. Vous avez visité plus d'une trentaine de pays en l'espace de cinq mois, vous l'avez dit, vous étiez à Kaboul hier, vous serez à Pristina après-demain ainsi qu'à Sarajevo, à quoi sert-il d'aller passer quelques heures à Douchanbé ou à Kaboul ?
R - Mais, ce n'est pas mon emploi du temps qui constitue pour moi l'indication de l'urgence, c'est le regard de nos partenaires, le regard des peuples sur la planète. Il y a aujourd'hui une formidable attente de la France car notre discours sur la diversité culturelle, sur le respect, sur la tolérance est un discours qui valorise les peuples ; c'est un discours qui valorise les individus et ce discours a besoin d'être entendu. Il y a un besoin de reconnaissance, d'action collective. Quand, sur l'Iraq, nous disons qu'il s'agit de légitimer une action collective, de passer donc par le Conseil de sécurité des Nations unies, lorsque nous parlons à Johannesburg, par la haute voix du président de la République, de la nécessité de se préoccuper du développement durable à long terme, c'est une conscience de l'avenir commun de la communauté internationale dans un monde interdépendant où une crise au bout du monde modifie et infléchit notre vie quotidienne, c'est la prise de conscience de ce devenir commun. Il y a une vraie communauté de destins et c'est une donnée nouvelle.
Q - Le président explique cela, le ministre met en oeuvre la politique.
R - Absolument.
Q - Vous étiez à Kaboul, un dossier intéresse directement les Français et les Afghans, c'est la présence à Sangatte, depuis des années, de réfugiés. Il y a entre 14 et 16000 clandestins qui se trouvent dans des conditions détestables là-bas, la majorité d'entre eux sont des Afghans. Avez-vous parlé avec M. Karzaï de leur rapatriement ?
R - J'ai bien évidemment évoqué cette question. Le ministre de l'Intérieur a travaillé en liaison avec le HCR, avec nos amis britanniques. Nous sommes dans la phase où nous préparons un accord avec le HCR et les Afghans. Nous avons évoqué cette perspective et rencontré une oreille très attentive car les Afghans sont bien conscients de l'effort formidable que fait la France pour leur pays, de l'implication de la France pour lutter contre le terrorisme en Afghanistan. Nous avons fait partie des pays les plus impliqués : les avions français étaient les seuls avec les avions américains dans le ciel afghan.
Q - Si tard, si peu ?
R - Mais c'est une énorme erreur, "si tard, si peu". Nous avons été présents tout au long, dans la durée, dans le souci d'accompagner ce mouvement d'ouverture, cette marche vers la démocratie, vers la reconstruction. Il s'agit d'une action à long terme. Je suis allé dans les deux lycées de Kaboul, le lycée des garçons et celui des filles. La France, en quelques mois, a restauré ces deux lycées, a contribué au plan de l'éducation, de la santé, de la démocratie. Nous oeuvrons pour aider les Afghans à préparer une Constitution. Dans le domaine de la sécurité, 500 hommes sont présents là-bas.
Q - On est là pour 100 ans si vous attendez une démocratie en Afghanistan ?
R - Nous sommes là pour aider la communauté internationale, aider les Afghans à prendre en main leur propre destin. Je l'ai dit au président Karzaï, nous ne voulons pas nous substituer à eux. Lorsque nous contribuons à la formation de l'armée afghane - nous avons créé et formé un premier bataillon, nous en formons un second -, c'est justement avec l'idée que les Afghans, avec ces forces, ces moyens, puissent, sur l'ensemble du territoire, prendre en main leur destin.
Notre objet n'est pas de rester sur place, c'est de permettre aux Afghans de prendre en main ce destin et d'oeuvrer durablement au développement d'une coopération entre la France et l'Afghanistan. Songez qu'au début du siècle, nous étions le pays qui a accueilli et mis en valeur le patrimoine afghan, avec la première exposition à laquelle participait le roi Amanullah à Paris, au musée Guimet.
Il y a quelques mois, c'est à nouveau le président Karzaï qui est venu à Paris pour l'inauguration, avec le président Chirac, d'une nouvelle exposition sur l'art afghan. Quelle n'a pas été la fierté du peuple afghan de se voir reconnu, alors même que les grands bouddhas de Bamian ont été détruits, de voir découvrir à quel point leur culture est importante pour nous tous ! Il y a donc une conscience, une valorisation de ce qu'ils sont, de leur identité culturelle. Voyez aussi le rôle tout au long de ces années, dans les moments de la résistance afghane face à l'Union soviétique, face aux Taleban, des ONG françaises.
Q - Mais des Taleban ont été reçus ici, le commandant Massoud a été reçu ici, la France a toujours eu des relations avec l'Afghanistan.
R - Oui, mais toujours avec le souci de défendre les intérêts du peuple afghan, avec le souci de valoriser cet apport tout à fait essentiel pour nous de la culture afghane dans cette identité culturelle. Nous pensons qu'il y a là, un élément, un ferment de stabilité du monde dans la valorisation des cultures.
Q - Il y a également le dossier dont tout le monde parle, l'Iraq. On a appris aujourd'hui que l'US Navy avait affrété un gros navire pour acheminer, dès la fin de ce mois, des blindés, des chars dans le Golfe. Est-ce une gesticulation ou le début d'un compte à rebours ou plutôt, pensez-vous que Georges Bush peut encore reculer ?
R - Je crois que l'Iraq, aujourd'hui, pose une question à la communauté internationale. Il y a une question concernant le problème de prolifération des armes de destruction massive en Iraq et dans la région. A partir de là, la détermination, la responsabilité de la communauté internationale est bien évidemment de se saisir de cette question.
Q - L'Iraq représente donc une menace pour vous ?
R - Nous ne pouvons pas accepter que l'Iraq ne se conforme pas aux exigences de la communauté internationale.
Q - L'Iraq représente-t-il une menace ?
R - Il pose une question à l'équilibre et à l'ordre international. Dans la mesure où le Conseil de sécurité des Nations unies demande à l'Iraq le retour des inspecteurs pour vérifier justement la compatibilité entre la situation iraquienne et les exigences internationales, c'est un point très important que de savoir de quelles armes biologiques et chimiques, de quel degré d'avancée dans le domaine nucléaire, nous avons un principe de responsabilité qui est central. D'où notre détermination, il faut que l'Iraq se conforme. C'est très clair, à partir de là, il faut que les inspecteurs des Nations unies puissent retourner en Iraq faire ce travail. Notre position est soucieuse de la légitimité, de la cohérence, de la responsabilité de la communauté internationale. Et si cela n'est pas possible, il faut alors que le Conseil de sécurité des Nations unies se saisisse de façon à envisager les différentes actions possibles.
Q - On a l'impression que la position de la France est extrêmement légaliste. On dit que l'Iraq est une dictature, on sait qu'elle prolifère, on sait que Saddam Hussein ne cesse de s'armer et d'acquérir des armes de destruction massive mais on ne veut pas que les Américains y aillent seuls. Après tout, qu'il y aillent ! Pourquoi aller s'embourber dans cette affaire ?
R - La position de la France est une position de responsabilité vis-à-vis de la communauté internationale. La question n'est pas d'agir le lundi et de constater les effets le mardi, mais d'avancer et de contribuer à un nouvel ordre international. Il est très important que la légitimité d'une action ne puisse être contestée par personne, qu'aucune suspicion ne puisse intervenir. Il est très important de savoir quel objectif nous visons. Celui qui est visé aujourd'hui par la communauté internationale, c'est le retour des inspecteurs des Nations unies. Notre préoccupation est la prolifération, soyons pragmatiques, soyons soucieux de faire avancer et de régler les questions. De grâce, ne mélangeons pas les questions ! A partir de là, le moment venu, nous tirerons les conclusions.
Q - C'est-à-dire que, si l'Iraq s'entête à refuser le retour des inspecteurs, s'il y a des résolutions votées au Conseil de sécurité, à ce moment-là...
R - Le Conseil de sécurité des Nations unies envisagera l'ensemble des options...
Q - Et donc, la France pourra, à ce moment-là, accompagner l'Amérique.
R - ...y compris militaires bien sûr. Mais il est très important que cela ne se fasse pas ni contre un peuple, ni contre une région. C'est là où l'on ressent la sensibilité des questions. Eviter les amalgames, préciser les objectifs, établir une communauté d'objectifs, une même compréhension devant ce qui doit être fait, c'est la base du principe de responsabilité collective qui est celui de la communauté internationale.
Q - Il y a une cacophonie européenne, Joschka Fischer dit que ce serait une erreur fatale de combattre Saddam Hussein.
R - J'étais à Elseneur ce week-end, je peux vous dire qu'il n'y a aucune cacophonie européenne, il y a même une communauté de vues des Européens pour penser que le Conseil de sécurité des Nations unies doit assumer sa responsabilité dans ce domaine.
Q - Vous allez à Kaboul un jour, vous allez à Luanda, la capitale de l'Angola, vous irez dans les Balkans, n'est-ce pas fuir la seule question que vous ayez à régler très vite, à savoir, résoudre la paralysie des institutions européennes ?
R - Je ne crois pas du tout. Je crois que le monde dans lequel nous vivons est marqué par l'urgence et par l'interdépendance. Il est donc très important d'en saisir la globalité. Ce qui se passe en Angola nous concerne. Un processus de paix qui s'enclenche en Afrique, une situation dramatique sur le plan humanitaire, évidemment, cela nous concerne. Ce qui se passe en Afghanistan, dans les Balkans, cela nous concerne. Et nous devons apprendre à régler les problèmes, les menaces anciennes, comme les crises locales, mais aussi les menaces nouvelles comme la prolifération. Nous devons tout autant nous attacher à résoudre les problèmes de la pauvreté. Aujourd'hui, tout cela forme un tout. Nous ne pouvons pas considérer qu'il faut se focaliser sur un point plutôt qu'un autre.
Vous parlez des questions européennes, c'est au coeur de nos préoccupations. Il y a un défi formidable pour l'Europe. L'élargissement, le passage de quinze à vingt cinq, c'est un défi essentiel. Mais, parallèlement, puisque nous engageons un processus politique, aujourd'hui inéluctable, qui est de modifier la carte de l'Europe, d'effacer les frontières, c'est un choix politique d'une immense ampleur. Il faut être capable d'assumer cette responsabilité, de guider cette Europe non plus à 15 mais à 25. Il faut donc approfondir notre capacité à le faire, c'est-à-dire réfléchir sur les institutions, sur les politiques qui doivent être menées ensemble. Il y a là un chantier formidable, mais croyez bien que la diplomatie française, non seulement est à la manuvre mais a engagé une réflexion très approfondie et fera très rapidement des propositions pour avancer. Nous avons un devoir européen, nous le menons dans une concertation très étroite. Le président de la République dînera ce week-end à Hanovre avec le chancelier allemand, nous avons avec l'Allemagne une concertation extrêmement approfondie, le couple franco-allemand est le moteur de l'Europe et nous entendons continuer à assumer cette responsabilité.
Q - Avec Schröder comme avec Stoiber ?
R - Absolument. Je crois que ce qui est important, au-delà des hommes, c'est la conscience d'un devenir et d'un destin communs. L'enjeu européen est important pour le monde, c'est important pour les Américains, le monde a besoin de stabilité, le monde a besoin de responsabilités et il faut donc que chacun l'assume. Il est évident que l'Europe représente une diversité culturelle extraordinaire, entre le nord et le sud, l'est et l'atlantique. Nous avons une capacité à agir, nous avons une diversité qui est une richesse, il faut s'en servir.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 septembre 2002)
(Interview à France info à Paris, le 4 septembre 2002) :
Q - Nous sommes à une semaine du 11 septembre et vous rentrez tout juste d'une visite symbolique en Afghanistan. Qu'avez-vous vu à Kaboul, Monsieur de Villepin.
R - J'ai vu le chemin parcouru depuis un an par un pays qui a connu plus de vingt ans de guerre, de souffrances, et ce chemin aujourd'hui permet aux Afghans de retrouver l'espoir. C'est un enjeu très important, non seulement pour l'Afghanistan, mais aussi pour la région et pour le monde. Il s'agit de restaurer la sécurité, d'avancer dans la voie de la démocratie et de reconstruire un pays. La France, l'Union européenne, la communauté internationale sont mobilisées pour aider les Afghans.
Q - Alors la sécurité. Les attentats là-bas reprennent contre les forces occidentales qui assurent la sécurité au moins de la capitale. Il y a même des appels à chasser les mécréants. La guerre a été gagnée facilement, contre les Taleban, mais la paix est-elle gagnée, peut-elle encore être perdue ?
R - Vous avez raison, tout n'est pas réglé, et il est important que la communauté internationale ne baisse pas la garde. C'est l'un des grands messages que j'ai voulu apporter là-bas. Il faut inscrire notre action dans la durée. Il faut ne pas se contenter uniquement de rapiécer, d'amender une situation douloureuse et difficile. Il faut véritablement essayer de refaire de cette région un pôle de stabilité. Il est important que la communauté internationale garde la mémoire des difficultés et des défis à relever. Nous devons sur chacune de ces crises avoir le souci, l'obsession de trouver et d'avancer dans la voie d'un règlement. C'est vrai en Afghanistan, c'est vrai au Proche-Orient.
Q - Et en Afghanistan, pas plus de soldats occidentaux, et pas ailleurs qu'à Kaboul ?
R - Il est très important de travailler directement en liaison avec le gouvernement Karzaï. Il est très important de faire en sorte que les Afghans puissent eux-mêmes, sur l'ensemble du territoire, prendre en main leur destin. Nous contribuons par une présence importante, et l'Union européenne est le principal contributeur à la force d'intervention qui est aujourd'hui à Kaboul. Nous sommes, nous, Français, en liaison avec les Américains parmi ceux qui contribueront à la formation de l'armée afghane. Nous avons formé un premier bataillon, nous allons former un second bataillon. Il faut faire en sorte que cette armée puisse assurer la sécurité face à ce qu'on appelle les "Seigneurs de la guerre". Il est important que cette responsabilité puisse être assurée par les Afghans et il ne faut pas se substituer à eux.
Q - Dans une semaine, le 11 septembre. Monsieur de Villepin, qu'est-ce que cela a changé en un an pour la diplomatie française ?
R - Beaucoup. Le monde a changé et la diplomatie française nécessairement aussi. Elle est mobilisée par l'urgence. Nous devons nous préoccuper de tout ce qui aujourd'hui constitue des menaces pour le monde. Les menaces anciennes - les épidémies, la pauvreté, les crises régionales -, mais aussi les menaces nouvelles - le terrorisme, les risques de prolifération, les problèmes de l'environnement. Il faut donc chercher, dans un monde qui est aujourd'hui global, interdépendant - c'est la deuxième caractéristique de ce monde - à traiter l'ensemble des problèmes. A partir de là, la diplomatie doit évidemment elle-même se réformer. C'est ce que j'ai dit à nos ambassadeurs.
Q - Redéploiement des moyens. Mais y a-t-il pour autant évolution de doctrine. Aux Etats-Unis on est un peu dans le "tout terrorisme". Et pour la France, est-ce que ce combat doit prendre le pas sur tout le reste ?
R - Nous sommes soucieux de prendre la mesure de la complexité des problèmes. Il y a bien sûr une dimension importante dans le monde d'aujourd'hui qui est celle de l'insécurité. Il faut donc des politiques de sécurité qui soient à la mesure des problèmes. C'est le cas au Proche-Orient - faire face au terrorisme -, c'est le cas en Afghanistan. Mais la sécurité seule, la politique de sécurité ou la politique de force seule ne suffit pas. On le voit contre le terrorisme. Une action militaire ponctuelle peut être indispensable, mais elle doit s'accompagner d'autres mesures. Par exemple, contre le terrorisme, concertation dans le domaine policier, dans le domaine de la justice, sur les circuits financiers, sur le plan judiciaire, tout ceci est indispensable.
Q - La France continuera d'avoir cette position singulière d'être le pays occidental le plus à l'écoute du Tiers monde ?
R - Oui, parce que nous sommes, je crois, les plus conscients de l'indispensable diversité culturelle. Là où l'autorité et la responsabilité s'exerçaient au Moyen Age vis-à-vis de peuples soumis par le biais de la protection, aujourd'hui il faut partager.
Q - Un an après le 11 septembre, on parle de guerre. Avez-vous en votre possession Monsieur de Villepin ces "preuves indiscutables" évoquées par le Premier ministre britannique Tony Blair qui montreraient que l'Iraq de Saddam Hussein est une menace pour le monde ?
R - Nous sommes en permanence soucieux de faire une évaluation des risques, et nous le faisons, bien évidemment, en liaison avec nos partenaires européens. J'étais avec les Quinze à Elseneur. Nous avons évoqué, y compris avec nos amis britanniques la situation de l'Iraq. A travers ce lien très approfondi, il y a aujourd'hui une inquiétude très forte de la communauté internationale. Ce qui justifie, et je vous le rappelle, la position française. Premier axe de cette position, notre détermination face aux risques de prolifération des armes de destruction massive. La France, le monde, ne peuvent pas s'accommoder d'un tel risque. Et c'est pour cela que nous demandons avec insistance, avec force, le retour des inspecteurs des Nations unies en Iraq, la conformité de l'Iraq aux exigences de la communauté internationale. Si ce n'est pas le cas, il appartient au Conseil de sécurité de se prononcer, et c'est très important de comprendre pourquoi le Conseil de sécurité, car toute action internationale a besoin aujourd'hui, pour être comprise, pour être efficace, pour être en dehors de toute suspicion, d'être légitime.
Q - Pour autant la France réclame le retour des inspecteurs de l'ONU, elle ne réclame pas la fin du régime de Bagdad ?
R - Notre objectif est bien celui là. Notre objectif est concret, précis. Notre conviction, c'est qu'il ne faut pas poursuivre plusieurs lièvres à la fois. Il y a une exigence aujourd'hui : le retour des inspecteurs. Un autre objectif, mettre fin à la prolifération. A partir de là, le retour des inspecteurs permet d'assurer un contrôle, une vérification, et dans toute autre hypothèse, le Conseil de sécurité doit être saisi et décider.
Q - Mais cette idée qu'il y a des preuves que Bagdad menace le monde, vous ne reprenez pas cette formule à votre compte ?
R - J'ai parlé longuement avec le chef de la diplomatie britannique. Nous partageons des informations et il n'est évidemment pas question de dévoiler ces échanges.
Q - Et Tony Blair annonce que ces preuves vont être publiées bientôt .
R - L'important, c'est la responsabilité. Qu'il y ait aujourd'hui le sentiment qu'un pays puisse disposer d'armements chimiques, biologiques, qu'il puisse y avoir une menace, c'est bien évidemment notre responsabilité de l'évaluer, et nous sommes mobilisés pour faire face à ce défi. Ce ne sont pas des sujets que nous pouvons évidemment traiter sur la place publique, cela demande sérénité, cela demande sérieux, et je crois qu'il faut donc se garder de toute dispersion..."
Q - Et de propos va-t-en guerre ?
R -Bien sûr de tous propos va-t-en guerre. Je crois qu'il est important que des décisions aussi importantes se prennent dans la sérénité.
Q - Dans cette diplomatie de l'après 11 septembre, vous percevez Monsieur le Ministre la tentation américaine vers l'unilatéralisme ?
R - Je crois que l'Amérique a été frappée, blessée par le 11 septembre. Elle a découvert sa vulnérabilité, c'est la première fois qu'elle a été touchée sur son propre territoire. Dans la communauté internationale, nous sommes tous concernés, c'est mon point de départ, c'est ma conviction.
Q - Paradoxalement le 11 septembre nous rapproche du monde.
R - Tout à fait, parce que la prise de conscience douloureuse d'une menace globale, c'est vrai dans une famille, la maladie, la difficulté, cela rapproche. Cela oblige à parler, cela oblige avec lucidité, avec exigence à faire face au destin. C'est bien cela à quoi nous sommes confrontés.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 septembre 2002)