Texte intégral
R. Sicard
Vous aviez axé la campagne du premier tour sur le thème "il ne faut pas que les Français mettent tous les oeufs dans le même panier", "il faut éviter un Etat-UMP". On a l'impression que les Français, finalement, n'ont pas eu peur de cet Etat-UMP...
- "Ils n'ont pas eu peur de l'Etat UMP mais peut-être ont-ils eu peur de la cohabitation puisque c'était le seul thème qui était en discussion de la part de la droite tout au long de cette campagne, prenant soin d'éviter tout sujet qui aurait pu ramener au fond de la politique. Que fait-on pour l'emploi, les retraites, la protection sociale ? Aujourd'hui, la crainte, ce n'est plus la cohabitation. La menace, c'est d'avoir une concentration des pouvoirs dans les mêmes mains pour mener une politique que nous estimons, nous, encore et toujours dangereuse pour notre pays puisqu'il s'agit de l'avenir même des Français. L'abstention ayant été à ce point forte, c'est elle qui est la grande inconnue encore pour le second tour. Je lance après beaucoup d'autres, un appel pour que tous ceux qui, jusqu'à présent, n'ont pas vu dans le premier tour de l'élection législative un enjeu, le voit maintenant au second tour."
Est-ce que les Français n'ont pas voulu rendre leur cohérence aux institutions en disant : on a voté pour Chirac au premier tour et au deuxième tour de l'élection présidentielle ; aux législatives, il faut lui donner la majorité qu'il demande pour qu'on ait une politique vraiment cohérente ?
- "Au second tour de la présidentielle, 82 % des Français ont voulu faire barrage à l'extrême droite et ont voté ainsi J. Chirac. Il ne s'agissait pas, là, de donner une majorité pour autant, sur le plan parlementaire, à J. Chirac. Mais aujourd'hui, tel est le cas. Il y a toutes les conditions pour que le président de la République ait une majorité à l'Assemblée nationale. Faut-il qu'elle soit à ce point écrasante ou faut-il qu'elle soit limitée ? Je le dis encore : les jeux ne sont pas complètement faits. Il y a une abstention très forte. Rendez-vous compte : c'est l'abstention la plus forte depuis le début de la Vème République. Il y a là sans doute, pour la gauche, un réservoir de voix, de gens qui ne voyaient pas tout à fait dans l'élection législative la façon de corriger l'élection présidentielle. Maintenant, ils ont tous les moyens pour réagir."
A propos de réservoir de voix, une des grandes difficultés qui va se présenter pour le Parti socialiste, c'est que ses alliés, et notamment les communistes, se sont littéralement effondrés et que, de ce côté-là, il n'y a pas de réservoir de voix. Comment allez-vous faire, quand vous allez affronter l'UMP, pour trouver des voix supplémentaires sachant que les communistes ne pourront rien apporter parce qu'ils n'ont pratiquement rien obtenu ?
- "Il y a une leçon au moins de l'élection présidentielle qui a été tirée, c'est que la dispersion n'a pas été tolérée par l'électeur, aussi bien à gauche qu'à droite. Le Parti socialiste a fait en définitive un bon résultat dans ces élections législatives de premier tour. Parfois, effectivement, nos partenaires se sont effondrés à notre bénéfice. Mais le vrai réservoir est non pas chez nos partenaires - même s'il faut mobiliser toute la gauche, je dis bien "toute la gauche" car il y a là comme une nécessité de rassemblement - mais il est chez les abstentionnistes puisque nous savons qu'il y a beaucoup d'électeurs de gauche qui sont restés à la maison pour le premier tour des élections."
Comment expliquez vous cet effondrement du Parti communiste ? Est-ce que ce n'est pas justement parce que la gauche de pouvoir n'a pas fait suffisamment une politique de gauche et que les partis les plus à gauche sont les partis les plus sanctionnés ?
- "Si c'était l'observation qui devait être faite, les partis les plus à gauche auraient connu au contraire un succès. Ce que je pense - et cela vaut pour tout le monde -, c'est qu'il faut regarder ce qui s'est passé depuis plusieurs semaines, depuis le premier tour de l'élection présidentielle, c'est-à-dire qu'il y a un besoin de clarté, d'identité et qu'en définitive, nous, les socialistes, nous représentons la force politique principale de la gauche parce que nous essayons d'avancer conformément à nos valeurs mais en fonction de ce que nous pouvons faire au Gouvernement. Nos partenaires n'ont peut-être pas toujours eu, y compris en participant au Gouvernement, cette même recherche d'identité. Mais, en même temps, nous avons besoin de toute la gauche, de toute cette diversité. Et je ne me félicite pas, loin de là, de la difficulté que rencontrent nos partenaires. Il y a eu aussi - il faut quand même le reconnaître et c'est ce qui explique le tassement de nos partenaires - un réflexe de vote utile au premier tour dont le Parti socialiste a été, pour une grande part, bénéficiaire."
Pour le second tour, vous espérez limiter la casse ou vous espérez encore pouvoir gagner ?
- "Tout va dépendre maintenant de ce que vont vouloir faire les Français qui, précisément, n'ont pas voulu se déplacer pour le premier tour de l'élection. Soit ils considèrent qu'en définitive, cinq ans, ce n'est rien dans la vie d'un citoyen, que rien ne peut changer gravement en matière d'emplois, de retraites, de pouvoir d'achat, de protection sociale ou de construction de l'Europe, alors rien ne bougera. Ou, au contraire, ils se disent que c'est finalement leur propre avenir qui est en cause et ils viendront voter au second tour et ils viendront voter à gauche."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juin 2002)