Texte intégral
O. Truchot - J.-P. Raffarin l'a annoncé hier : la rentrée sera sociale. Il a dressé un premier bilan de l'action de son gouvernement, bilan encore "mince", dit-il. On a effectivement l'impression que le plus dur reste à faire lorsqu'on voit les chiffres du chômage qui ne sont pas bons : 0,8% de plus par rapport au mois dernier. Et vous dites vous-même que les deux prochains mois seront également mauvais.
- "Nous sommes en face d'une augmentation du chômage qui dure depuis plus d'un an maintenant, qui est liée, pour une part très importante, à une conjoncture internationale qui n'est pas bonne, qui est liée aussi à un climat économique et politique en France, qui n'était pas favorable et qui a conduit à la défaite du gouvernement précédent. Quant au bilan du gouvernement Raffarin, je crois qu'il n'y a pas beaucoup de gouvernements qui, en si peu de temps, ont engagé autant de réformes. On est dans un pays un peu étrange quand même : on s'interroge sur le bilan d'un gouvernement qui est en place depuis deux mois et qui n'a une majorité que depuis [un mois et demi]."
C'est Raffarin qui a voulu dresser ce bilan...
- "Il a eu raison de dire que le sens de l'action était marqué. C'est ce que voulait le président de la République au fond, et c'est pour cela qu'il y a eu une session extraordinaire ; ce n'est pas pour résoudre tous les problèmes de la France. Je crois que maintenant il faut parler un langage de vérité aux Français, ce qu'on a fait pendant la campagne ; il faut du temps pour résoudre les problèmes, il y a des réformes lourdes, il faut une concertation qui nécessite évidemment des délais. Mais il fallait que les directions soient marquées sur la sécurité, sur le chômage, avec le contrat qu'on vient de mettre en place pour les jeunes, sur le social, avec le programme qui vient d'être annoncé. On sait dans quel sens va le Gouvernement."
Vous parliez du contrat-jeune pour réduire le chômage des jeunes. Mais le chômage ne concerne pas que les jeunes. D'ailleurs, on le voit bien avec ces derniers chiffres. Quelles sont vos solutions anti-chômage ?
- "Le chômage ne peut être résolu que par une bonne activité économique. Cela aussi, c'est quelque chose qu'il faut maintenant dire aux Français. Il faut arrêter de les tromper comme il a trop souvent été fait dans le passé, en leur faisant croire que les pouvoirs publics peuvent régler les problèmes du chômage par des mesures qui finalement se retournent à terme contre l'économie et donc contre l'emploi. Donc, il faut une croissance. Cela dépend de la situation internationale, c'est vrai..."
Elle s'annonce moins bonne que prévu.
- "Elle est très hésitante. Le FMI parle de 2,6 ; il y a quelques années, 2,6 était considéré comme une croissance formidable. Aujourd'hui évidemment, c'est moins que les prévisions que nous faisons. Mais surtout, on sent que la croissance hésite. Il y a d'un côté des tendances lourdes qui poussent plutôt à une reprise. De l'autre côté, il y a des inquiétudes politiques, des inquiétudes psychologiques dans le monde. Et puis, il y a un climat politique et social en France qui est hésitant, parce que nous sortons d'une crise politique et sociale qui n'est pas résolue, et les entreprises, les consommateurs s'interrogent sur la politique que va conduire le Gouvernement, sur sa capacité à rétablir la confiance. Donc, c'est pour cela que la rentrée est très importante, parce que les signes qu'on va pouvoir envoyer aux entreprises à travers l'assouplissement des 35 heures, aux salariés, à travers l'augmentation des Smic, sont des signes qui, de mon point de vue, doivent pouvoir relancer la croissance. Le Gouvernement va faire de son côté ce qui est de son devoir pour les catégories qui sont les plus marquées par le chômage. On parlait des jeunes tout à l'heure : un pays qui accepte d'avoir 30% des jeunes peu qualifiés au chômage est un pays qui ne va pas bien. On est en Europe le pays qui a le taux de chômage des jeunes le plus élevé."
[Question d'une auditrice sur son fils, âgé de 23 ans, titulaire du bac, à la recherche d'un emploi]
- "Les contrats-jeunes sont destinés en priorité aux jeunes qui n'ont pas le bac ou qui ont un niveau de qualification en dessous. Pourquoi ? Parce qu'il existe d'autres possibilités offertes à des jeunes qui ont déjà un minimum de formation [...], en particulier les contrats de qualification et les contrats en alternance, ce qu'on appelait autrefois l'apprentissage, qui désormais permet d'apprendre des métiers, y compris des métiers [...] d'ingénieur en alternance. Je ne peux pas me mettre à la place de madame et de son fils, mais je suis aussi père de famille et je crois que le conseil que je peux lui donner, c'est de regarder avec le service de l'emploi, avec l'ANPE, comment aller vers un contrat de qualification qui présente plus d'intérêt que le contrat-jeune pour l'entreprise en termes de coût, et qui lui permettrait de valoriser le baccalauréat et la première année d'études qu'il a déjà effectuée."
On a un peu de mal à s'y retrouver entre les contrats-jeunes, les contrats de qualif, les emplois-jeunes du gouvernement précédent, ce n'est pas toujours très simple. On parle d'harmoniser les Smic, est-ce qu'il ne faut pas aussi harmoniser toutes ces aides ?
- "Non, parce que les problèmes du chômage des jeunes sont des problèmes compliqués. Il faut, face à ces problèmes compliqués, mettre en place des réponses qui sont des réponses adaptées. On ne peut pas traiter de la même façon le chômage des jeunes diplômés et le chômage des jeunes qui sont sans diplôme. On ne peut pas traiter de la même façon les jeunes qui sont en rupture par rapport au système scolaire - ce sont ceux que nous voulons viser à travers le contrat-jeune - et ceux qui ont déjà un bagage intellectuel, qui peuvent entamer une formation immédiatement. Je crois qu'il faut une palette d'outils et d'ailleurs c'est aussi une des caractéristiques de la politique que nous conduisons. Je conduis cette politique avec beaucoup d'humilité, je ne crois pas avoir la réponse aux problèmes du chômage par rapport à ce qui a été fait dans le passé. Et surtout je n'oppose pas les solutions de droite d'une certaine manière, aux solutions de gauche ; je n'oppose pas les solutions du gouvernement auquel j'appartiens à celles du gouvernement précédent sur le chômage des jeunes, j'additionne les systèmes : il y a les contrats de qualification, il y a les formations en alternance, il y a le dispositif Trace qui avait été mis en place par le gouvernement précédent, il y a les emplois-jeunes que nous allons progressivement freiner mais qui pour le moment continuent à fonctionner, et puis il y a le dispositif que je viens de mettre en place."
Vous êtes en train de préparer un plan massif d'allégement de charges. Là aussi, c'est une manière de lutter contre le chômage, d'inciter les entreprises à investir et à embaucher. Comment allez-vous financer cette baisse des charges, sachant que J.-P. Raffarin a dit qu'il faudrait des "mesures sévères" ?
- "D'abord, la baisse des charges est une priorité du président de la République et de la majorité. Et nous allons mettre en oeuvre notre programme, nous allons le mettre en oeuvre intégralement. Deuxièmement, nous héritons d'une situation qui est absurde. Les lois sur les 35 heures ont fait des dégâts considérables dans notre pays : des dégâts économiques, des dégâts culturels par rapport à la notion de travail, mais aussi des dégâts financiers, parce que le gouvernement précédent avait dû mettre en place des allégements de charges pour compenser l'augmentation du coût du travail liée aux 35 heures, qui sont considérables. Plus des systèmes de Smic absurdes, qui font qu'aujourd'hui, avec la même qualification, dans les mêmes métiers, on n'a pas les mêmes salaires. Donc, on va essayer de résoudre tous ces problèmes en même temps. L'affaire des Smic, en faisant rattraper les Smic les plus bas par rapport aux Smic les plus élevés..."
Aujourd'hui, il y a six Smic différents...
- "Il y en a six. Donc, on va faire monter dans un délai le plus court possible, les cinq Smic les plus bas, par rapport à celui qui est le plus élevé, ce qui représentera, pour les Smic pour lesquels il y a le plus d'écart, une augmentation de près de 12%. Cette augmentation du Smic va poser un problème aux entreprises, qui vont se trouver dans une situation, pour certaines d'entre elles, difficile."
Le Medef était contre cette augmentation du Smic.
- "C'est naturel. Le Medef fait face aux questions de la concurrence, notamment de ma concurrence en Europe, et il est bien obligé d'avoir les yeux rivés sur le coût du travail. Donc, le Gouvernement va mettre en place des allégements de charges pour compenser, pendant la période de rattrapage du Smic, ces augmentations du Smic et faire en sorte que pour les entreprises, elles soient les moins élevées possibles. Et même dans certains cas, pour certaines tranches de salaire, cette augmentation du Smic sera intégralement compensée. Cela va représenter, par rapport au coût actuel des allégements de charges, une augmentation qui sera entre 500 millions d'euros et un milliard d'euros, que le Premier ministre a promis de mettre en œuvre dès le budget 2003."
Et comment va-t-on pouvoir financer tout cela, sachant qu'il faut financer la baisse des impôts ?
- "Ce n'est pas moi qui fait le budget. Il y aura des arbitrages globaux qui seront faits par le Premier ministre, à travers les propositions de F. Mer et d'A. Lambert. Donc, il y aura des économies sur un certain nombre de sujets, pour pouvoir financer cette politique sociale, qui est très importante, parce que c'est la cohésion de la nation qui est en cause. Quand je parlais de dégâts culturels ou de dégâts sociaux, le fait d'avoir mis en place ces six Smic, c'est une responsabilité que je n'aimerais pas porter, d'autant qu'elle aboutit à ne pas augmenter les Smic depuis trois ans. On a beaucoup critiqué le Gouvernement de ne pas avoir augmenté le Smic, mais en réalité, le Gouvernement n'avait pas le choix. Quand il y a six Smic, si vous augmentez celui qui est le plus élevé, vous augmentez l'écart et vous rendez impossible la convergence. Et comme on ne peut pas augmenter les six d'un coup, parce que la loi l'interdit, on a été contraints de faire comme le gouvernement précédent, c'est-à-dire de geler le Smic, comme cela avait été le cas les trois années qui ont précédé."
Le Smic harmonisé vers le haut, à partir de quand précisément ?
- "A partir de 2003. Mon objectif est de présenter au Parlement un texte permettant de régler ces trois questions, dès le début de la session d'octobre. Cela veut dire que les discussions avec les partenaires sociaux vont commencer dès la dernière semaine d'août, [il y aura ensuite] une présentation de nos propositions en Conseil des ministres à la mi-septembre."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 1 août 2002)