Déclaration de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, sur la criminalité transnationale organisée, à l'Assemblée nationale, à Paris le 24 juillet 2002.

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Texte intégral

Merci particulièrement aux parlementaires des Bouches-du-Rhône d'être venus me soutenir pour ce baptême du feu, et à Monsieur le Premier ministre, président de la Commission des Affaires étrangères, d'être présent.
La criminalité organisée est l'une des menaces transnationales les plus graves auxquelles sont confrontés les Etats. Elle s'est développée de manière inquiétante au cours de dix dernières années.
Les Etats ont réagi en renforçant leur coopération dans la lutte contre les réseaux criminels et l'Organisation des Nations unies a mené à bien, en moins de deux ans, la négociation de la convention contre la criminalité transnationale organisée et de ses deux protocoles contre la traite des êtres humains et le trafic de migrants, symboliquement ouverts à la signature le 12 décembre 2000 lors d'une conférence tenue au Palais de justice de Palerme, haut lieu de la lutte contre la mafia.
La convention-mère promeut des définitions universelles pour certaines notions fondamentales de droit pénal en matière de lutte contre le crime organisé, comme le groupe criminel organisé, l'infraction grave et le produit du crime.
Elle favorise également le rapprochement des différentes législations pénales, en obligeant les Etats à ériger en infractions la participation à un groupe criminel organisé, le blanchiment d'argent, la corruption et l'entrave au bon fonctionnement de la justice.
La convention contient, en outre, des dispositions spécifiques pour assurer la traçabilité de l'argent sale, la saisie et la confiscation des avoirs criminels.
Enfin, elle comporte un important volet consacré à la prévention ainsi qu'un dispositif de coopération technique et un mécanisme de suivi sous la forme d'une conférence des Etats parties.
A l'instar de la convention, les protocoles sont d'abord des instruments répressifs.
Le protocole contre la traite des personnes permet de poursuivre les auteurs de la traite. Il définit largement la traite, en englobant aussi bien l'exploitation sexuelle que le travail forcé, l'esclavage, la servitude, ou encore le prélèvement d'organes. Les trafiquants pourront être poursuivis, même en cas de "consentement" de la victime, clause particulièrement importante en matière d'exploitation sexuelle puisqu'elle supprime toute distinction entre prostitution forcée et prostitution volontaire, conformément à la position abolitionniste de la France.
Le volet répressif est équilibré par un volet préventif et des mesures de protection des victimes.
Le protocole entre le trafic de migrants par terre, air et mer, oblige pour sa part les Etats à poursuivre ceux qui assurent l'entrée clandestine des immigrants et aident à leur séjour illégal sur le territoire d'accueil. Il vise également les délits pouvant faciliter le trafic de migrants, tels que la fabrication, la fourniture, ou la possession de documents frauduleux. En outre, il contient des dispositions spécifiques sur le trafic de migrants par voie maritime.
Enfin - innovation fondamentale - les protocoles obligent les Etats à reprendre leurs nationaux et résidents permanents ayant fait l'objet de la traite ou du trafic de migrants, qui risqueront plus, après le démantèlement de la filière criminelle, de se retrouver dans une situation de non-droit, et pourront se réinsérer dans leur pays d'origine.
La convention et ses deux protocoles marquent une étape importante dans la mobilisation et la lutte de la communauté internationale contre les réseaux criminels. Elle se distingue nettement des instruments internationaux de lutte contre le terrorisme : pour la première fois, l'on cherche à appréhender et réprimer la criminalité transnationale organisée de manière globale, dans l'ensemble de ses activités délictueuses.
Lors de la Conférence de Palerme, la convention a recueilli un nombre record de signatures - 123 Etats et la Communauté européenne. Elle compte à ce jour 141 signataires, dont 15 Etats parties. Les protocoles ont, pour leur part, recueilli une centaine de signatures et une dizaine de ratifications. Quarante ratifications sont requises pour l'entrée en vigueur de chacun de ces textes, qui pourrait intervenir dès 2003.
Pour la France, très impliquée dans la négociation, la transposition de ces accords en droit interne n'exigera que quelques ajustements législatifs. Il s'agira, pour l'essentiel, de l'introduction dans le code pénal d'une infraction de traite des êtres humains. Cette transposition pourrait intervenir prochainement dans le cadre de la discussion de la proposition de loi 765 "renforçant la lutte contre les différentes formes de l'esclavage d'aujourd'hui", adoptée par l'Assemblée en première lecture le 24 janvier dernier.
La Convention et les Protocoles de Palerme enrichiront ainsi notre dispositif de lutte contre le crime organisé et nous permettront d'étendre notre coopération judiciaire à de nombreux Etats.
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Je voudrais préciser que le suivi se fera sous la forme d'une conférence des Etats parties qui examinera à intervalles réguliers l'application de la convention et formulera des recommandations.
Un compte spécifique des Nations unies, abondé par des contributions volontaires des Etats parties, sera affecté aux pays en développement.
Le faible nombre de ratifications n'est pas inquiétant car un accord international est rarement ratifié avant un délai de deux à trois ans. Nos partenaires européens ont tous engagé les procédures législatives nécessaires à la ratification et l'on peut penser que bon nombre de pays saisiront l'occasion du Sommet de Johannesburg, en août, et de l'Assemblée générale des Nations unies, en septembre, pour déposer leurs instruments de ratification. De sorte que la perspective d'une entrée en vigueur de la convention au premier trimestre 2003 est réaliste.
Je vous confirme que la décision cadrée sur la lutte contre la traite des êtres humains et la directive sur les sanctions à l'encontre des passeurs devraient pouvoir être formellement adoptées dans un délai assez proche.
S'agissant de la création d'unités binationales chargées de contrôler les flux migratoires transfrontaliers, je voudrais souligner l'intérêt des récents avenants, signés avec la Belgique et avec l'Italie.
La France ne manque jamais de souligner l'intérêt d'une entrée en vigueur rapide des instruments de Palerme. Elle a par exemple exhorté le Liban, principal Etat de transit des migrants clandestins kurdes, à adhérer au protocole contre le trafic de migrants.
Au niveau des Nations unies, et en particulier du centre pour la prévention internationale du crime, un important travail d'aide à la ratification desdits instruments est aussi en cours, et la France y participe activement - séminaires de Courmayeur et de Ouagadougou, par exemple.
Je peux également vous préciser, Monsieur le rapporteur, que la France envisage de signer les protocoles additionnels sur le trafic d'armes à feu. Un travail interministériel est actuellement mené à cette fin.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juillet 2002)