Déclaration de M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, sur l'évolution des effectifs lycéens et des titulaires du baccalauréat, Paris, La Sorbonne le 10 juillet 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque "Lycées et lycéens en France 1802-2002" à Paris Université Paris IV - La Sorbonne le 10 juillet 2002

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Je tiens tout d'abord à vous dire combien je me réjouis d'être parmi vous aujourd'hui, afin de clôturer ce colloque consacré au Bicentenaire du lycée, et combien je regrette de n'avoir pu assister à l'ensemble de vos travaux. La diversité et la densité des communications qui ont été faites au cours de ces deux journées et dont j'ai lu attentivement le résumé descriptif, tout comme la qualité des intervenants, tout ceci me conduit, à défaut de n'avoir pu être présent, à attendre avec impatience les actes de cette manifestation.
L'héritage napoléonien étant, on le sait, non seulement extrêmement riche, mais surtout encore extrêmement vivace dans notre société française contemporaine, il faut s'attendre, dans les années à venir, à une longue série de célébrations qui feront le bonheur des historiens. Parmi tant de bicentenaires attendus, je remercie l'Institut d'histoire de l'université Paris IV - Sorbonne, et tout particulièrement le centre Roland Mousnier, ainsi que le service d'histoire de l'Education de l'INRP et du CNRS, d'avoir choisi de mettre à l'honneur celui du lycée.
Au bout de deux siècles d'existence en effet, le lycée est devenu pour la plupart des jeunes Français et leurs familles le lieu de toutes les attentes, de tous les espoirs et parfois aussi de toutes les appréhensions. Parce qu'il délivre, avec le baccalauréat, la clé indispensable pour une entrée, immédiate ou différée, dans la vie active, parce qu'il détermine pour une large part, selon la voie et la série choisies, tout un avenir, il a pris une place considérable non seulement dans la vie de beaucoup, mais même dans notre imaginaire collectif.
Institution française fort ancienne, le lycée est aussi celle qui, en l'espace d'à peine plus d'une génération, aura connu les évolutions les plus radicales et les plus rapides. Le lycée où travaillent nos enfants n'a qu'une ressemblance fort lointaine avec celui où nous avons été élèves. Sans être des vieillards chenus, nous sommes, je pense, un certain nombre dans cette salle à apparaître comme les survivants d'un monde scolaire disparu. Comment ferait-on partager aux adolescents d'aujourd'hui nos souvenirs de potaches ? La remise des prix dans la salle des actes ou au contraire la douloureuse convocation dans le bureau du censeur ou du surveillant général, le lycée de jeunes filles et le lycée de garçons, tout cela appartient bel et bien à un passé révolu.
Avant d'être l'enjeu de bouleversements considérables, il faut toutefois souligner que, pendant près de cent cinquante ans, le lycée est resté relativement inchangé dans sa structure et dans son objectif qui était, simplement, de former une élite. En 1911, 1,1% seulement d'une classe d'âge obtient le baccalauréat ; en 1936, moins de 3%. Tout ceci ne représente donc qu'une part infinitésimale de la population scolaire. A cette époque, les lycéens, qu'ils soient fils de famille ou boursiers méritants, sont bien, pour reprendre une expression de Roland Barthes, des " petits messieurs".
Cette situation perdure bien longtemps après la Guerre, puisqu'à la fin des années 60, le taux d'élèves d'une classe d'âge se présentant au baccalauréat n'est toujours que de 10% et qu'il ne passe à 30% en 1970 qu'en raison des effets du baby boom. Il faut donc attendre le tournant des années 1984 et 1985 pour que, sous l'effet d'une politique volontariste visant à accroître le niveau de qualification de tous les jeunes Français, notamment en portant 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat, le lycée jusqu'alors réservé à une élite s'ouvre au plus grand nombre.
Je ne m'attarderai pas sur le détail de ce bouleversement. Vous connaissez tous les chiffres de cette explosion scolaire qui, en à peine 10 ans, a transformé de fond en comble la physionomie des lycées. J'en rappelle quelques uns pour mémoire. Le second cycle du second degré qui comptait 422 000 élèves en 1960, en compte 1,2 million en 1985-1986. Le second degré dans son ensemble qui accueillait 775 000 élèves en 1949, 2, 4 millions en 1969, en accueille bientôt 4,6 millions. En 1985, 37,5% de la classe d'âge accédait au niveau du baccalauréat et 29,4% au baccalauréat lui-même. En 1994, ils sont 70,2% dans le premier cas, 58,9% dans le second. Presque 6 jeunes sur 10 deviennent bacheliers ; ils sont plus nombreux que les titulaires du certificat d'études en 1940 !
Je ne m'étendrai pas plus sur ces données qui sont parfaitement connues des historiens de l'éducation que vous êtes. Je voudrais simplement insister sur le fait que cette massification, qui a répondu non seulement à une demande sociale, mais aussi et surtout au souci d'adapter l'offre d'enseignement aux exigences de l'économie moderne, a été suscitée, organisée, accompagnée et assumée par l'Education nationale. Cette dernière, que l'on accuse si souvent d'immobilisme, s'est montrée tout à fait à la hauteur du défi qu'elle s'était donné, un des plus considérables de ce siècle en matière d'éducation, et ce en faisant face à la fois à un contexte budgétaire difficile et à une crise de recrutement des enseignants qu ne lui ont pas facilité la tâche.
Il convient également de rendre hommage à la Nation toute entière. Celle-ci n'a pas ménagé ses efforts pour que la généralisation de la scolarisation jusqu'au terme du second cycle du second degré soit une réussite et elle a su répondre aux besoins quantitatifs exponentiels de l'institution scolaire. Je citerai à cet égard quelques chiffres : en 2000, la France a consacré 280,9 milliards de francs (42,8 milliards d'euros) au second degré, soit 43,6% de la dépense intérieure d'éducation. Cette dépense a augmenté de 93% en francs constants entre 1975 et 2000, soit 2,7% par an. Dans le même temps, la dépense par élève a crû de 72%.
Enfin, comment ne pas saluer l'immense tâche accomplie par les régions qui, d'abord un peu interrogatives devant le cadeau, un peu empoisonné, il faut bien le reconnaître, que leur faisait l'Etat en leur transmettant la charge du parc immobilier des lycées, se piquaient vite au jeu et faisaient des établissements du second degré une des plus belles vitrines de leur action. 300 nouveaux lycées construits entre 1985 et 1994, des centaines d'autres rénovés et réhabilités, dont beaucoup figurent parmi les fleurons de notre patrimoine - à deux pas d'ici, Louis-le-Grand et Henri IV, mais aussi, un peu plus loin, les lycées Diderot ou Raspail témoignent de cet effort énorme en termes d'investissement - ou encore le développement d'une architecture scolaire enfin adaptée aux exigences pédagogiques et éducatives de notre temps, tels sont les éléments parmi d'autres de cette décentralisation exemplaire.
A cet égard, n'y-a-t-il pas une certaine ironie de l'Histoire dans le fait que le lycée napoléonien, symbole autrefois des plus affirmés de l'Etat centralisateur, avec ses roulements de tambour qui scandaient pour tous les élèves à la même heure le rythme des devoirs et des compositions, soit aujourd'hui, sous le nom d'établissement public local d'enseignement, un des emblèmes par excellence du développement régional ?
L'époque des grands bouleversements est désormais passée. Depuis 1993, l'enseignement secondaire relevant du ministère de l'Education nationale voit ses effectifs diminuer. A la rentrée 2000, il compte 5,4 millions d'élèves, soit un recul total de 223 000 élèves en sept ans, c'est-à-dire - 4%. La proportion des bacheliers dans une génération s'est stabilisée à 62%. Quant au taux d'accès en terminale, s'il a plus que doublé entre 1982 et 1997, il a atteint avec 76% son point culminant.
L'heure est donc aux améliorations qualitatives. A cet égard, des réformes ont déjà été faites. Celle de 1992, en réduisant le nombre des séries du lycée d'enseignement général et technique, a contribué à rendre le lycée, au sortir de ses métamorphoses, plus clair et plus lisible. Celle de 1995 a permis d'introduire un meilleur équilibre entre les séries.
Il importe de poursuivre ces réformes. Le Ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche a déjà exprimé sa volonté de repenser la filière technologique au lycée. A ce sujet, comme vous le savez, il a émis le souhait que les formations professionnelles en deux ans qui débouchent sur le BTS puissent accueillir en priorité les bacheliers technologiques, comme c'était d'ailleurs à l'origine leur finalité. En outre, son intention est de refondre entièrement les programmes d'enseignement général des filières professionnelles et technologiques, du collège à l'université.
Pour ma part, je pense qu'il nous faudra également rééquilibrer la part respective des séries de l'enseignement général, mais aussi celle des disciplines à l'intérieur de ces séries. C'est ainsi que j'ai demandé à ce que l'on étudie la possibilité de rétablir, lors du baccalauréat 2003, l'épreuve de mathématiques qui avait été supprimée cette année dans la série littéraire. Cette disparition m'a, en effet, paru étrange alors même que l'on mettait l'accent sur la culture générale et en particulier la culture scientifique, lors des deux premières années de l'enseignement supérieur.
Mesdames et Messieurs, la prolongation de la scolarité et l'accroissement constant du niveau de qualification sont devenus pour les Français la clé de l'avenir individuel et collectif. Ils demeurent pour notre pays une nécessité impérieuse. Dès demain, en raison des départs en retraite massifs, notre pays aura à répondre à des besoins considérables en ingénieurs, en cadres, en techniciens ou encore en enseignants. Pour y faire face, il lui faudra disposer d'un nombre non moins considérable de jeunes diplômés. A cette fin, toutes les voies de formation seront requises, mais le lycée sera en première ligne. A lui de se montrer toujours meilleur, toujours plus diversifié, toujours mieux adapté aux exigences du monde moderne et mieux articulé avec les voies de formation de l'enseignement supérieur. Bien que deux fois centenaire, je crois qu'il a de longues et belles années devant lui.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 17 juillet 2002)