Interview de M. Ernest-Antoine Seilliere, président du MEDEF, à "Radio Classique" le 4 septembre 2002, sur le projet de fixation par décret d'un contingent de 180 heures supplémentaires et l'harmonisation des différents niveaux du SMIC, et sur la création des contrats jeunes en entreprises.

Prononcé le

Média : Radio Classique

Texte intégral

VALERIE LECASBLE : Ernest-Antoine Seillière bonjour.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bonjour.
VALERIE LECASBLE : Alors dites-moi on est désolé parce qu'il paraît que vous êtes absolument pas content du tout.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous sommes consultés par le gouvernement sur les mesures qu'il veut prendre afin de rétablir les conditions de la croissance et de l'emploi dans notre pays après des années pendant lesquelles, et nous l'avons suffisamment dit, les entreprises ont été contraintes par un ensemble de règles et de mesures qui les empêchent de travailler comme on travaille ailleurs autour d'elles. Alors bien entendu nous avons dit au gouvernement, puisque nous étions consultés, que ce que nous entendions de ses projets nous préoccupaient. Je crois que c'était notre rôle, je crois d'ailleurs que le gouvernement, et particulièrement François Fillon, avec lequel l'entretien a été extrêmement courtois et je dirais l'échange des idées parfaitement intelligent. Je crois que le gouvernement le comprend très bien, j'espère qu'il nous a entendus et s'il ne nous avait pas entendus, ce qui nous préoccuperait encore plus, alors nous serions inquiets en effet sur la capacité de réaliser la croissance que le gouvernement considère comme étant la base du succès de sa politique.
VALERIE LECASBLE : Alors vous avez quand même réservé votre colère aux médias. Le débat porte autour de l'assouplissement des 35 heures. Comment on fait pour assouplir les 35 heures et finalement il semblerait que François Fillon décide un décret provisoire, sans doute, de 12 à 18 mois, ça demande à être confirmé et un contingent de 180 heures supplémentaires ? Ce projet-là fait la moitié du chemin en votre faveur quand même ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je ne peux pas mesurer les choses. Ce qui est clair c'est que les entreprises dont nous exprimons le sentiment nous ont dit notamment lors des contacts, très nombreux, que nous avons eus avec les entreprises de la base lors de l'Université de l'été, nous ont dit : nous avons besoin de travailler quand il y a des commandes, le décret à 130 heures est beaucoup trop étroit, nous avons besoin par décret, parce que c'est le parallélisme des formes un décret vient modifier ce qu'un décret avait établi, nous avons besoin de 200 heures. Voilà si vous voulez quelle est la position des entreprises. Je crois que le gouvernement l'a entendue et je pense en effet qu'il y aura le décret que nous demandons et qui, je le rappelle, est pour nous l'ouverture du dialogue social auquel nous ne cessons d'appeler. J'entends avec amusement ceux qui veulent opposer notre souhait d'avoir cette ouverture du dialogue par le décret et qui l'opposent à la Refondation sociale. Tout ceci est absurde, nous pensons que s'il y a le décret à 200 heures nous aurons en effet la possibilité et nous le prouvons. Hier encore nous avons eu, hier encore, une négociation sociale avec un accord plus large que celui que nous avions eu il y a quelques mois sur les retraites complémentaires avec la CFDT, la CFTC et FO, FO, qui ont signé un accord avec nous. La dialogue social battra son plein après un décret qui rétablira dans notre pays les conditions d'un travail normal.
VALERIE LECASBLE : Est-ce qu'il faut comprendre que si ce décret s'arrête sur les 180 heures et non les 200 comme vous le demandiez, vous serez quand même content ? L'important pour vous, l'essentiel c'était d'obtenir ce décret provisoire ou non ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ce décret il marque la volonté du gouvernement de faire quand même une correction fondamentale par rapport à la politique antérieure, et je crois que ceci il l'a dit dans son programme, le Président de la République l'a dit, les 35 heures n'ont jamais été au centre de la politique de l'opposition et il donne surtout la possibilité en effet de rétablir dans la normalité le dialogue social dans notre pays. Encore une fois, j'y reviens, avec les conditions rétablies d'une compétition française vous verrez, et nous en serons les porteurs, que le dialogue social battra son plein.
VALERIE LECASBLE : Si on prend un petit peu de recul est-ce que vous avez discuté avant ces discussions avec François Fillon avec tout le monde, c'est-à-dire avec Jean-Pierre Raffarin, avec les autres membres du gouvernement ? Est-ce que vous pensez que la ligne du gouvernement Raffarin va être plutôt sociale ou plutôt libérale ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous n'avons pas pris la position que nous avons prise, c'est-à-dire d'indiquer clairement encore une fois la position des entreprises, sans avoir pris , comme nous l'avons toujours fait d'ailleurs, tous les contacts politiques nécessaires avant. Et je peux vous dire que nous avons été parfaitement compris par la majorité actuelle qui dit l'entreprise doit rappeler ses exigences et ses contraintes. Bien entendu, il appartient au gouvernement ensuite de fixer la ligne. Il le fait et donc le gouvernement va prendre dans les différents sujets qui nous concernent des décisions, ça c'est sa responsabilité. Je rappelle simplement que c'est vraiment la nôtre que de dire ce que les entreprises souhaitent, ce que nous faisons, ce que nous considérons comme normal et que le milieu politique considère comme normal. On s'amuse ici ou là, je dirais, à dire ah mais on croyait que le MEDEF et le gouvernement c'était vraiment la même chose, c'était la main dans la main Tout ceci est absurde, ce n'est pas notre rôle de faire de la politique, nous disons ce que les entreprises souhaitent et le gouvernement ensuite fixe la ligne.
VALERIE LECASBLE : Mais finalement en prenant cette position un petit peu maximaliste il y a quelques jours vous avez obtenu une partie de ce que vous souhaitiez et vous avez d'une façon induite permis au gouvernement Raffarin de donner une image assez sociale, ce qui l'arrange en cette rentrée
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous n'avons pas du tout pris une position maximaliste, nous avons dit ce que les entreprises considèrent comme normal, de façon tout à fait modérée. Vous savez, le ton que j'ai pris était tout à fait modéré, on s'amuse à l'exagérer
VALERIE LECASBLE : Ce n'est absolument pas ce que les commentateurs ont cru comprendre
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, mais si vous voulez les commentateurs, eux, je m'excuse mais ils s'amusent également, il faut qu'ils créent l'émotion médiatique et politique, ça fait partie en effet de leur rôle et j'ai entendu par exemple monsieur Duhamel indiquer que nous étions " l'opposition de droite " en quelque sorte par vocation. C'est son métier ! C'est un commentateur politique, donc il s'amuse à nous
VALERIE LECASBLE : Vous n'êtes pas d'accord avec cette analyse
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais écoutez, ça n'a pas de sens, nous, nous sommes en réalité le représentant des entreprises et nous présentons leurs positions. Quand on veut augmenter le smic de 15 % en 3 ans, comme semble-t-il le gouvernement s'apprête à le faire, nous disons en termes tout à fait clairs et tout à fait nets, c'est beaucoup trop et beaucoup trop vite, on ne pourra pas tenir la compétitivité française dans ces conditions-là et donc on menace l'emploi et la croissance. Si vous avez choisi de le faire comme ça, si vous ne voulez pas réformer le smic en profondeur, comme nous l'avons proposé au moment où il était disloqué par les 35 heures, il est disloqué aujourd'hui, eh bien si vous ne voulez pas aller dans cette voie-là que nous proposons, qui est une voie de réforme sérieuse et profonde, eh bien il faut au moins faire ça en 5 ans. 3 % d'augmentation du smic en 5 ans c'est quelque chose de tolérable, 5 % en 3 ans vous aurez les effets négatifs sur l'emploi non qualifié, sur la hiérarchie des salaires et sur l'inflation française. Nous le disons clairement de façon à ce qu'on le sache.
VALERIE LECASBLE : Donc en ce qui concerne le smic vous êtes d'accord sur le principe d'harmoniser vers le haut, vous pensez qu'il n'y a pas d'autres solutions, simplement c'est sur le rythme que vous préférez prendre davantage de temps.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : A vrai dire, non. Nous avons en fait, nous, le sentiment que l'occasion était là de modifier en profondeur le smic. Nous avons fait des propositions que nous avons présentées au CES qui n'ont pas été acceptées, ce qui n'est pas une surprise. Nous sommes 25 représentants des entreprises sur près de 300 dans cette assemblée. Donc ce n'est pas une surprise et la réforme que nous avons proposée était très claire. C'est-à-dire en fait établissez un prix économique du coût de l'heure non qualifiée qui est vendable sur le marché, ça c'est la réalité économique et faisons en marge de cela une politique des revenus qui est l'expression de ce que dans notre pays on ne veut pas faire travailler en -dessous d'un certain prix qui est le minimum. Mais la prime à l'emploi, c'est de la politique de revenus, c'est pas inclus dans le smic. Et donc nous avons voulu présenter cela et bien entendu que la partie économique du smic soit fixée pas par un gouvernement qui donne des coups de pouce, les coups de pouce c'est le comble du subjectif, c'est en réalité n'importe quoi pour des raisons politiques et de l'air du temps. Ca n'est pas compatible avec la définition de ce qu'est la vérité économique d'une heure de travail minimum dans un pays qui est économiquement contraint par des nécessités. Donc nous avons proposé cela et ça n'a pas été accepté mais nous le proposons toujours. Et si ça n'est pas retenu, la hausse du smic en trois ans à 5 % par an c'est trop et ça aura des conséquences économiques négatives. C'est pour cela que nous sommes préoccupés et tout ceci n'a rien à voir avec un positionnement politique.
VALRIE LECASBLE : D'autant que les chiffres de la croissance sont moins bons que prévu, on n'atteindra sans doute pas le 1,4 % qu'on espérait cette année, est-ce que vous êtes inquiet sur la conjoncture ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais bien entendu, nous sommes non pas inquiets parce que les chefs d'entreprise ont à réagir et à s'organiser, c'est pour cela d'ailleurs que la loi de modernisation sociale doit être abrogée, elle empêche l'entreprise de se restructurer et s'adapter quand justement il y a des baisses de conjoncture et qu'elle n'arrive pas à vendre ses produits et donc il faut bien effet qu'elle n'aille pas comme elle est droit au dépôt de bilan, elle doit s'adapter./ La loi de modernisation sociale doit être modifiée profondément, nous demandons son abrogation. Tout ceci c'est quoi ? C'est que l'entreprise ne peut pas travailler si on la contraint. Pour des raisons idéologiques d'ailleurs, c'était le cas hier. Donc il y a une période de remise de la France au travail, de remise de l'entreprise dans des conditions normales de compétition qui est en train, et nous l'exprimons avec beaucoup de netteté et beaucoup de force. Parce qu'en effet le MEDEF s'exprime comme cela, c'est son style, c'est le style des entrepreneurs, ils ne sont pas en effet à essayer de trouver en français ou en latin des formules qui sont suffisamment équivoques pour que chacun essaye de les comprendre et que finalement on passe dans la confusion. Non, nous sommes clairs et on ne peut pas nous le reprocher.
VALERIE LECASBLE : Vous étiez déjà en poste du temps de Lionel Jospin. Le chômage en France repart en ce moment, est-ce que vous avez le sentiment que le gouvernement de Jean Pierre Raffarin donne aujourd'hui la priorité à la lutte contre le chômage ? Est-ce que vous pensez que la France va juguler le chômage ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, je crois que la première mesure du gouvernement de Monsieur Raffarin qui a été les contrats jeunes a bien marqué sa volonté de lutter contre le chômage et la loi sur les contrats jeunes va certainement en effet diminuer fortement le chômage chez les jeunes et nous y aiderons au maximum parce que c'est une affaire essentielle. Bien entendu, le gouvernement veut et il le fera, parce qu'il n'y a pas, d'autres issues, donner par l'assouplissement des 35 heures, par j'espère une politique de croissance du Smic pour essayer de corriger les incroyables pagailles qui ont été mis en place à la suite de la loi Aubry, d'essayer de corriger ses effets sur une durée de temps suffisante pour qu'on n'en ait pas d'effets négatifs et par les réformes profondes qu'il s'apprête à mettre en uvre dans le domaine des retraites notamment, dans le domaine de la gestion de l'assurance maladie.
VALERIE LECASBLE : Un chantier jusqu'en juin 2003 ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Tout ceci est un travail énorme, il a d'ailleurs le temps de le faire, il a cinq ans. La réforme est nécessaire et nous savons bien entendu que le gouvernement a au centre de ses préoccupations de faire avancer notre pays et bien entendu, l'entreprise attend ça de lui.
VALERIE LECASBLE : Une étude du Ministère des Affaires Sociales dit que plus de la moitié des Français est attaché aux 35 heures et 65% des cadres. Est-ce qu'on est en train aujourd'hui d'entrer dans un changement profond de mentalité ou est-ce qu'on est que sur des ajustements techniques à la marge ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non je crois qu'en cinq ans on réhabilitera dans notre pays la valeur du travail après des années dans lesquelles on a vanté en réalité le non-travail ou le loisir, comme non seulement quelque chose qui accomplit le bonheur dans la vie, mais également comme quelque chose qui règle les problèmes de la société française. C'est une erreur, c'est une fausse piste et je pense qu'il y aura un travail en profondeur. Il ne peut pas être fait en quelques jours après trois ou quatre ans de propagande pour essayer de diminuer la valeur travail dans notre société. Je pense en effet que le gouvernement sur les cinq ans qui viendra, rétablira les choses et que nous serons finalement, comme les pays qui nous entourent, capables de réussir sans avoir des contraintes particulières à subir.
VALERIE LECASBLE : Très très rapidement parce que c'est l'actualité du jour, la bourse, la débâcle de la bourse ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors ça si vous voulez, les difficultés des marchés financiers sont très révélateurs de ce qu'il y a actuellement une crise de confiance de l'épargnant. Il a des doutes sur la reprise de la croissance, ils regardent de très près les entreprises en se posant des questions sur leur stratégie, sur leur gestion, sur la transparence de leur compte. Et donc pour l'instant il y a certainement en effet une réserve de l'investisseur. Bien entendu ça va changer et ça changera d'autant mieux que finalement beaucoup beaucoup de valeurs sont arrivées à des cours extrêmement bas et que les opportunités d'investissements commencent à se présenter. Nous traversons, cela dit, une période difficile sur le plan des valeurs des entreprises, tout ceci à mon sens, se corrigera dans les semaines qui viennent au fur et à mesure que la confiance reviendra. Bien entendu le MEDEF, comme toutes les entreprises vont y aider par une rigueur totale dans leur gestion, une transparence totale dans la présentation de leurs comptes. Et donc tout ceci à mon sens, nous donne toutes les occasions de considérer que nous traversons cette crise et que nous en sortirons bientôt.
VALERIE LECASBLE : On est content de voir que vous êtes optimiste pour l'avenir, Ernest Antoine Seillière, merci.
(Source http://www.medef.fr, le 9 septembre 2002)