Texte intégral
Le 20ème siècle nous apporte trois enseignements pour affronter le prochain siècle.
Nicole Notat. Le premier est que, comme vient d'écrire Jean-Claude Guillebaud : "Tenter de guérir du désarroi contemporain en ressuscitant ce qui est mort est une entreprise sans avenir". Nous ne referons ni 36, ni 68. La nostalgie des uns ne peut être le terreau des autres. Le second est que nous sommes, la CFDT au moins, débarrassés de la tentation de croire en un possible raccourci qui par magie guérirait l'homme de sa barbarie, libérés de l'adhésion aveugle en une idéologie qui apporterait aux sociétés l'abondance, l'égalité et le bonheur. On sait que ce sont des totalitarismes qui sont au bout. Le troisième enseignement est que le syndicalisme n'a pas terminé son travail. Né au début de l'ère industrielle, le syndicalisme, aux yeux de certains, devrait s'effacer devant la société post-industrielle. Mais ne confondons pas : le syndicalisme n'a pas été créé par les usines. Il est né de l'aspiration des hommes à plus de dignité, de justice, de solidarité et de participation.
S'il en est ainsi, nous autres syndicalistes, "nous en prenons pour un siècle de plus". Car dans le champ social trois défis se lèvent.
Le premier est le défi français.
La France du social a grandi. Moins de grèves, plus de négociations, des accords, des lois, des règles, des instruments d'intervention. Des acteurs, enfin, patronats, syndicats, associations. Mais, nous avons du mal à tenir la distance, nous passons d'un dossier à un autre, nous connaissons des emballements, des poussées de fièvre sociale. Chaque acteur veut avoir raison, chaque groupe social regarde l'autre avec suspicion. Jeunes, anciens se comptent. Partenaires sociaux et Etat se jaugent comme les boxeurs avant le match. Nous ne parvenons pas à travailler ensemble après avoir fabriqué un compromis, après s'être entendu sur une solution. Nous faisons trop souvent semblant de croire qu'un texte voté, un accord signé transforment une réalité. Nous nions alors la fonction des acteurs sociaux qui est la mise en uvre des réformes ou des changements obtenus. Entre le macro social et le micro social, les distances se creusent. La bataille contre l'exclusion ne sera pourtant gagnée que par la persévérance et la convergence de tous les acteurs concernés. On ne peut interroger cette politique à chaque incendie de voiture. La lutte des femmes montre que l'efficacité est dans cette insistance collective, comme dans cette articulation entre l'exigence d'égalité et la prise de responsabilité. Nous devons acquérir une maturité sociale. Cette maturité, c'est à chacun d'y travailler : la société civile, celle d'acteurs sociaux, devenant plus responsables, davantage participatifs et moins intolérants à l'égard des autres, une société civile qui accepte d'être associée et de s'associer ; un Etat, plus humble, plus efficace, plus proche ; un citoyen plus disponible, qui prend plus de distance envers les sollicitations corporatistes, qui cesse cette schizophrénie de tout demander aux institutions qu'il dédaigne par ailleurs. Ce pays ne cesse d'avoir des ambitions sociales, et nous en sommes fiers. Mais sa tonicité sociale n'est pas à la hauteur de ses ambitions. Peut-être ce siècle nouveau appelle à l'émergence d'une citoyenneté sociale, s'appuyant sur davantage de responsabilité et de participation. Nous avons des idées, des instruments et pourquoi le nier des moyens financiers. La France est riche. Pourquoi ce pays est-il comme E.A. Seillères le disait "un pays où les entreprises vont bien dans une société qui va mal" ? Parce que notre culture sociale, nos pratiques sociales, notre "ingénierie du social", comme aime à le dire Jacques Delors, ont pris retard sur notre culture économique et administrative.
Le deuxième défi est celui de l'Europe.
Les syndicalistes sont en train de découvrir avec surprise l'ampleur des différences de cultures sociales qui traversent l'Europe. Tout membre d'un comité d'entreprise européen avoue que c'est là son premier choc. Eh bien, il va falloir pourtant se battre pour obtenir des règles sociales européennes. L'exigence d'une régulation sociale européenne était jugée utopique il y a vingt ans. Elle existera dans vingt ans, grâce à la convergence des syndicalismes de l'Europe. Cette ambition qui est en même temps une nécessité pour éviter les dérives du dumping social, va secouer tous les modèles nationaux, sociaux, syndicaux, et nous l'espérons, patronaux.
Troisième défi, que ce siècle nouveau ajoute, c'est un espace, celui du monde.
Quand on met nos inégalités et notre manque de participation sociale à l'échelle du monde, on est pris de vertige. Le cadre d'action de la lutte syndicale doit devenir le monde parce que les frontières des inégalités et de la soumission se sont déplacées. Le syndicalisme du monde occidental doit devenir planétaire s'il ne veut pas devenir l'allié de, l'insouciance du capitalisme mondial. Face à la mondialisation, ici et là des voix s'élèvent pour exiger des règles et notamment des règles du jeu social. La difficile régulation du commerce montre que c'est la voie à suivre. La Banque mondiale, le dernier prix Nobel de l'économie appellent à prendre en considération le facteur humain, les critères sociaux dans l'aide au développement. Mais nous savons que les règles sont le produit d'une demande, d'une action, d'acteurs. Les progrès nécessaires des règles sociales, en France, en Europe, dans chaque pays du monde et entre les pays du monde ne peuvent s'élaborer sans la pression des acteurs sociaux. Voici sans doute ce qui nous manque aujourd'hui, un syndicalisme plus fort en Europe comme en Chine, en France comme en Russieau Royaume-Uni comme aux USA. Mais comment lier l'exclusion des banlieues de La Courneuve à celle des banlieues de Calcutta ? Comment unir la protestation des ouvriers de Michelin à celle des ouvriers agricoles du Nordeste brésilien ? Comment marier le syndicalisme de proximité et le syndicalisme de solidarité mondiale ? Une génération se lève qui nous aidera sans doute à apporter la réponse.
(source http://www.cfdt.fr, le 6 novembre 1999)
Nicole Notat. Le premier est que, comme vient d'écrire Jean-Claude Guillebaud : "Tenter de guérir du désarroi contemporain en ressuscitant ce qui est mort est une entreprise sans avenir". Nous ne referons ni 36, ni 68. La nostalgie des uns ne peut être le terreau des autres. Le second est que nous sommes, la CFDT au moins, débarrassés de la tentation de croire en un possible raccourci qui par magie guérirait l'homme de sa barbarie, libérés de l'adhésion aveugle en une idéologie qui apporterait aux sociétés l'abondance, l'égalité et le bonheur. On sait que ce sont des totalitarismes qui sont au bout. Le troisième enseignement est que le syndicalisme n'a pas terminé son travail. Né au début de l'ère industrielle, le syndicalisme, aux yeux de certains, devrait s'effacer devant la société post-industrielle. Mais ne confondons pas : le syndicalisme n'a pas été créé par les usines. Il est né de l'aspiration des hommes à plus de dignité, de justice, de solidarité et de participation.
S'il en est ainsi, nous autres syndicalistes, "nous en prenons pour un siècle de plus". Car dans le champ social trois défis se lèvent.
Le premier est le défi français.
La France du social a grandi. Moins de grèves, plus de négociations, des accords, des lois, des règles, des instruments d'intervention. Des acteurs, enfin, patronats, syndicats, associations. Mais, nous avons du mal à tenir la distance, nous passons d'un dossier à un autre, nous connaissons des emballements, des poussées de fièvre sociale. Chaque acteur veut avoir raison, chaque groupe social regarde l'autre avec suspicion. Jeunes, anciens se comptent. Partenaires sociaux et Etat se jaugent comme les boxeurs avant le match. Nous ne parvenons pas à travailler ensemble après avoir fabriqué un compromis, après s'être entendu sur une solution. Nous faisons trop souvent semblant de croire qu'un texte voté, un accord signé transforment une réalité. Nous nions alors la fonction des acteurs sociaux qui est la mise en uvre des réformes ou des changements obtenus. Entre le macro social et le micro social, les distances se creusent. La bataille contre l'exclusion ne sera pourtant gagnée que par la persévérance et la convergence de tous les acteurs concernés. On ne peut interroger cette politique à chaque incendie de voiture. La lutte des femmes montre que l'efficacité est dans cette insistance collective, comme dans cette articulation entre l'exigence d'égalité et la prise de responsabilité. Nous devons acquérir une maturité sociale. Cette maturité, c'est à chacun d'y travailler : la société civile, celle d'acteurs sociaux, devenant plus responsables, davantage participatifs et moins intolérants à l'égard des autres, une société civile qui accepte d'être associée et de s'associer ; un Etat, plus humble, plus efficace, plus proche ; un citoyen plus disponible, qui prend plus de distance envers les sollicitations corporatistes, qui cesse cette schizophrénie de tout demander aux institutions qu'il dédaigne par ailleurs. Ce pays ne cesse d'avoir des ambitions sociales, et nous en sommes fiers. Mais sa tonicité sociale n'est pas à la hauteur de ses ambitions. Peut-être ce siècle nouveau appelle à l'émergence d'une citoyenneté sociale, s'appuyant sur davantage de responsabilité et de participation. Nous avons des idées, des instruments et pourquoi le nier des moyens financiers. La France est riche. Pourquoi ce pays est-il comme E.A. Seillères le disait "un pays où les entreprises vont bien dans une société qui va mal" ? Parce que notre culture sociale, nos pratiques sociales, notre "ingénierie du social", comme aime à le dire Jacques Delors, ont pris retard sur notre culture économique et administrative.
Le deuxième défi est celui de l'Europe.
Les syndicalistes sont en train de découvrir avec surprise l'ampleur des différences de cultures sociales qui traversent l'Europe. Tout membre d'un comité d'entreprise européen avoue que c'est là son premier choc. Eh bien, il va falloir pourtant se battre pour obtenir des règles sociales européennes. L'exigence d'une régulation sociale européenne était jugée utopique il y a vingt ans. Elle existera dans vingt ans, grâce à la convergence des syndicalismes de l'Europe. Cette ambition qui est en même temps une nécessité pour éviter les dérives du dumping social, va secouer tous les modèles nationaux, sociaux, syndicaux, et nous l'espérons, patronaux.
Troisième défi, que ce siècle nouveau ajoute, c'est un espace, celui du monde.
Quand on met nos inégalités et notre manque de participation sociale à l'échelle du monde, on est pris de vertige. Le cadre d'action de la lutte syndicale doit devenir le monde parce que les frontières des inégalités et de la soumission se sont déplacées. Le syndicalisme du monde occidental doit devenir planétaire s'il ne veut pas devenir l'allié de, l'insouciance du capitalisme mondial. Face à la mondialisation, ici et là des voix s'élèvent pour exiger des règles et notamment des règles du jeu social. La difficile régulation du commerce montre que c'est la voie à suivre. La Banque mondiale, le dernier prix Nobel de l'économie appellent à prendre en considération le facteur humain, les critères sociaux dans l'aide au développement. Mais nous savons que les règles sont le produit d'une demande, d'une action, d'acteurs. Les progrès nécessaires des règles sociales, en France, en Europe, dans chaque pays du monde et entre les pays du monde ne peuvent s'élaborer sans la pression des acteurs sociaux. Voici sans doute ce qui nous manque aujourd'hui, un syndicalisme plus fort en Europe comme en Chine, en France comme en Russieau Royaume-Uni comme aux USA. Mais comment lier l'exclusion des banlieues de La Courneuve à celle des banlieues de Calcutta ? Comment unir la protestation des ouvriers de Michelin à celle des ouvriers agricoles du Nordeste brésilien ? Comment marier le syndicalisme de proximité et le syndicalisme de solidarité mondiale ? Une génération se lève qui nous aidera sans doute à apporter la réponse.
(source http://www.cfdt.fr, le 6 novembre 1999)