Interview de M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, à BFM le 11 juillet 2002, sur la prescription de l'abus social, l'absentéisme scolaire et la violence à l'école

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Média : BFM

Texte intégral

C. Barbier La loi d'amnistie a été votée hier : est-ce la dernière de l'histoire de la République ?
- "On ne peut pas garantir complètement l'avenir de la République. En tous les cas, c'est certainement la dernière en ce qui concerne le courant de pensée que je représente. Nous pensons en effet que les esprits ne sont plus complètement adaptés à ce genre de phénomène législatif, qui donne l'impression que l'ont peut tout se permettre. C'est plutôt la période qui précède l'amnistie qui est inquiétante que l'amnistie elle-même."
Pour terminer une autre polémique : faudra-t-il un grand débat sur l'abus de bien social pour savoir quand il est prescrit ?
- "Certes, ce problème de l'imprescriptibilité peut être ouvert. Mais pas seulement sur cette question-là. Il y a un certain nombre de questions qui méritent d'être posées concernant des délits financiers ou politico-financiers. Mais je rappelle qu'en ce qui concerne cette amnistie, ces sujets ne sont pas évoqués et que, contrairement à ce qui a été dit, ici ou là, de manière curieuse, et d'une manière très injuste ou d'une manière peut-être volontairement polémique, la loi d'amnistie ne concerne aucun délit politico-financier."
Vous connaissez les députés et les sénateurs et vous savez qu'à 3h00 du matin, on peut faire passer un amendement en catimini...
- "Ils ne le feront pas. Ce n'est pas dans notre intérêt. Il faut être tout à fait clair sur cette affaire et il n'y a aucune raison de ne pas faire ce que nous avons dit. Nous avons dit que cette loi avait un caractère pacificateur vis-à-vis d'un certain nombre de délits qui sont fixés par les natures et par les peines, mais qu'elle ne saurait être un moyen d'amnistier des faits qui ont un caractère politico-financiers. Que cela soit bien clair."
N. Sarkozy a présenté hier son projet de loi sur la sécurité intérieure. Est-ce qu'il n'est pas trop répressif ? Est-ce que cette droite n'est pas en train de donner l'impression qu'elle est simplement une "droite main de fer", même si elle a un peu un gant de velours ?
- "La droite fait ce qu'elle a promis de faire et ce que l'opinion attend. Il ne s'agit pas de savoir si nous sommes répressifs ou pas. Il s'agit de savoir si nous répondons à des besoins que la société française a exprimés. Elle a exprimé le désir, qu'au quotidien, un certain nombre de faits qui gâchent la vie des Français, qui empêchent les citoyens de vivre tranquillement, soient diminués et réprimés. Donc, cette loi ne cherche nullement à faire la guerre à qui que ce soit. Elle apporte l'ordre. Et je trouve que N. Sarkozy a fait une loi assez complète qui, évidemment, essaye de ratisser les principaux secteurs dans lesquels il s'agit de remettre un peu d'ordre dans la nation, mais qui en cherche nullement évidemment à transformer ce pays en pays casqué. C'est une loi démocratique et généreuse mais énergique."
En tant que ministre à l'Enseignement scolaire, que pensez-vous des mesures anti-école buissonnière, la chasse aux enfants fugueurs et les amendes pour les parents ? C'est un peu utopique ? On sait bien qu'on n'y arrivera pas !
- "On peut y arriver. L'absentéisme scolaire est un problème important plus qu'on ne le croit le plus souvent. Surtout dans un certain nombre de quartiers difficiles. La loi a voulu rappeler que le devoir principal des adultes était de protéger les mineurs, ou en tout cas, les mineurs sous statut scolaire, les enfants de moins de 16 ans qui doivent être à l'école. Et elle s'adresse à divers catégories d'adultes qui sont concernés par la complicité active ou passive face à l'absentéisme. Les parents d'abord qui savent que les enfants ne sont pas à l'école ou qui le toléreraient, malgré de nombreux rappels, malgré des rencontres avec les proviseurs, les professeurs, les assistantes sociales et qui diraient que cela leur est complètement égal. Nous nous adressons à ces parents en leur disant : "Attention, si vous voulez renoncer à votre responsabilité de parents, dans ce cas vous renoncerez aux aides que l'on vous donne, nous, l'Etat, pour que vous soyez parents". La menace suffit généralement et il ne faut pas non plus croire que l'on va supprimer les allocations familiales à tout le monde. Il s'agit essentiellement de rappeler les devoirs. Nous nous adressons aussi aux adultes qui pourraient accueillir des jeunes sous statut scolaire dans la journée, des tenanciers de salle de jeux ou tout simplement des endroits, des associations où les enfants pourraient errer, et nous leur disons : "Attention, vous êtes des adultes et vous êtes concernés par la protection des mineurs". Enfin, nous nous adressons surtout - et ceux-là sont peut-être les plus concernés - à ceux qui profitent des enfants dans la journée, pour les faire travailler, leur apprendre des petits boulots ou même les transformer en guetteurs lorsque l'on fait du deal ou que sais-je encore ; et à ceux-là, on leur dit : "Attention, ne faites pas travailler les enfants mineurs surtout dans des conditions illégales, alors qu'ils devraient être à l'école sous statut scolaire". C'est bien de un statut pour l'enfant que d'être à l'école."
Vous lancerez à la rentrée votre vrai chantier prioritaire de lutte contre la violence à l'école. Est-ce que la situation est si inquiétante que cela ? C'est encore un peu un sanctuaire, l'école ?
- "Non, ce n'est pas un sanctuaire, l'école. Il y a actuellement 230.000 faits par trimestre qui sont révélés par un logiciel qui centralise l'essentiel des données au ministère. Et encore ces 230.000 signalisations sont elles officielles. Il se passe beaucoup d'autres choses que nous ne connaissons pas..."
A qui la faute ? Aux chefs d'établissements qui ne font pas leur travail ?
- "Bien sûr que non. La violence de l'école est une violence qui vient d'ailleurs. Je dirais que la violence à l'école n'est pas celle de l'école, mais celle de toute la société qui vient projeter ses problèmes sur nous. Ce sont les problèmes de quartier, de voisinage, des problèmes ethniques, des problèmes de rapport au savoir, des problèmes de rapport à l'autorité, des problèmes aussi d'images autour de nous qui diffusent une violence ou une sorte de non-respect en matière sexiste en particulier, qui fait que les enfants perdent un petit peu des repères et viennent à l'école exprimer bon gré mal gré ce climat."
Comment fait-on ? On a l'impression que c'est une mission impossible, quand vous décrivez cela ?
- "C'est sans doute une mission difficile mais il faut d'abord rasséréner les professeurs et les chefs d'établissement. Il faut que nous soyons définitivement de leur côté. Les parents qui viennent régler des vendettas dans les établissements scolaires, les élèves qui ne respectent pas l'autorité professorale, les manifestations diverses autour de l'établissement qui viennent contrer l'autorité de ceux qui ont la mission d'enseigner, tout cela est intolérable. Le ministre de l'Enseignement scolaire que je suis, comme d'ailleurs tout le Gouvernement, est définitivement du côté des professeurs, des enseignants, des chefs d'établissements. Nous devons les aider à accomplir leurs missions."
Il y aura un retour de la discipline ?
- "Tout simplement rappeler que lorsqu'on est à l'école, on est dans un lieu qui s'organise autour de la discipline et des disciplines et qu'une école anarchique, désordonnée et dans laquelle on ne respecte plus personne est une école qui est vidée de son sens, qui n'a plus de signification par rapport à sa mission. Il faut rappeler cela et donner un certain nombre de dispositifs nouveaux que je présenterai à la rentrée, pour faire en sorte que les élèves extrêmement difficiles soient repris en mains, voire écartés momentanément, qu'ils aient un détour hors de l'école pour ensuite avoir un ressort et retrouver un comportement normal. Et puis il faut aussi, sans aucun doute, réorganiser un peu la vie lycéenne elle-même, autour des problèmes de santé, d'accompagnement social. De sorte qu'une prévention et une alerte soient plus facilement organisées dans l'établissement. L'idée est d'être ferme sur cette question."
On a beaucoup dit que l'entente entre vous et L. Ferry, votre ministre de tutelle, n'était pas parfaite : tout cela est réglé ?
- "C'est une légende absolue. Je vous le confirme très nettement. Si c'était le contraire je vous le dirais. Je connais L. Ferry depuis très longtemps. Nous avons des relations personnelles et amicales très anciennes. Simplement, ce sont deux équipes qui se sont mises en même temps, qui se sont installées. Il faut toujours un petit moment pour que chacun sache qui fait quoi. Mais il n'y a jamais eu, à aucun moment, de mésentente personnelle entre mon ministre de tutelle et moi-même. Nous travaillons la main dans la main, avec je crois beaucoup de sincérité et de clarté. Et je l'espère un peu d'efficacité."
C'est un mammouth, l'éducation nationale ?
- "Oui, je ne peux pas vous le contester. C'est plus d'un fonctionnaire sur deux, c'est un très gros budget, c'est presque le quart du budget de la nation. Tout cela est bien difficile à gérer au quotidien."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 juillet 2002)