Texte intégral
Q - Vous êtes en Amérique latine pour votre premier voyage en qualité de secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, merci de nous réserver vos impressions sur ce continent qui s'enfonce dans la crise. Un mot si vous le voulez bien sur l'Uruguay, on a vu ici des images d'émeutes, un journal français écrivait hier d'ailleurs que des dizaines d'enfants sont malades parce qu'ils mangent de l'herbe. Quelles sont vous, vos observations ?
R - Je crois que nous sommes, dans cette partie du monde, dans une situation très compliquée. L'Argentine qui était le septième pays le plus riche du monde, se retrouve aujourd'hui dans une situation de précarité avancée. C'est un pays qui s'enfonce, un pays qui passe en voie de sous-développement, et ne trouvant pas de solutions à sa crise, entraîne les pays voisins dans la même situation, c'est-à-dire l'Uruguay, c'est-à-dire le Brésil, sans compter les difficultés économiques, politiques et sociales de cette partie du continent.
Q - C'est vrai que votre première étape était en Argentine, qu'est-ce qui vous a frappé ?
R - Ce qui me frappe est que l'Argentine a établi un plan, a mis en place des dispositifs, attend une décision du Fonds monétaire international lui permettant de voir à moyen terme des pistes de solution. Ce qui est absolument indispensable pour la tranquillité de cette partie du monde - parce que, dans ces pays qui sont proches de nous, qui sont des pays riches mais qui sont aussi des pays instables - c'est que les efforts consentis doivent être récompensés. Donc, le FMI devrait prendre une position très rapidement. M. O'Neill, le secrétaire d'Etat américain doit venir en Argentine, dans les jours qui viennent. Il faut qu'une position soit prise rapidement, puisqu'il y a des élections en Argentine dans moins de dix-huit mois. Si le peuple décide, en dehors d'un canevas financier et d'un cadre juridique qui soient clairs, nous sommes susceptibles de tomber dans n'importe quelle démagogie qui peut embraser cette partie du monde.
Q - Alors, on comprend que vous souhaitez que le FMI reprenne vite son aide financière à l'Argentine, le robinet financier avait été coupé, il y a quelques mois, les négociations, elles doivent aboutir ?
R - Il faut qu'elles aboutissent d'ici fin août. Ce n'est pas tellement un problème d'aides financières, je crois que c'est une renégociation des dettes, surtout le canevas, le cadre juridique et financier qui permet de signer des contrats, d'organiser le système bancaire. Imaginez simplement que nos entreprises françaises - qui distribuent à peu près 80 % de toute l'eau d'Argentine, qui distribuent à peu près 60 % de toute la téléphonie - que toutes les sociétés de service aujourd'hui n'ont plus les capacités de se faire rembourser, d'investir et donc de fournir le service. Ce qui entraîne un peu plus le pays dans une cascade épouvantable de drames.
Q - Alors justement à Buenos Aires vous avez eu l'occasion de visiter certains quartiers, de toucher du doigt cette détresse ?
R - Vous savez que je suis un élu local, et donc je suis allé dans une commune qui borde Buenos Aires, qui a un million deux cent mille habitants. Il y a près de 50 % de chômeurs, des bidonvilles, des taudis, et donc une situation de précarité particulièrement avancée. J'ai surtout eu l'occasion de discuter avec le président de la République argentine longuement, qui est parfaitement conscient des difficultés, qui a la capacité de redresser son pays, qui demande à la France, et le président Jacques Chirac s'est engagé dans ce sens au niveau de l'Union européenne, de pousser et de faire pression sur le FMI pour qu'une décision soit prise rapidement. Sur cette position, nous avons été rejoints par l'Angleterre, par l'Italie, par l'Espagne. Nous avons quelques difficultés avec l'Allemagne qui n'a pas encore validé la même position que nous. Il est indispensable de multiplier notre action diplomatique pour que le FMI agisse.
Q - Est-ce que les Américains sont sur cette ligne ?
R - Les Américains, dans cette partie du monde ont une ligne un peu particulière. La gestion des lignes budgétaires est une chose, la reconnaissance de la souffrance des peuples en est une autre. Donc, je crois qu'il faut trouver un juste équilibre entre les deux.
Q - Qu'est ce que vous voulez dire par-là ?
R - C'est que tout n'est pas que financier dans la vie.
Q - Le pays s'est enfoncé dans la crise quand même depuis plusieurs mois dans l'indifférence générale, pourquoi ?
R - La crise, vous savez, a de multiples causes. Aujourd'hui il faut regarder devant, il y a des solutions, il faut les mettre en place. Les conséquences, si on ne les met pas en place, sont très importantes pour cette partie du monde.
Q - En attendant vous avez été porteur d'une aide financière d'urgence, je crois, de cent cinquante mille dollars, dans un premier temps, pour l'Argentine ?
R - Oui, nous avons à la Mantanza, justement dans cette ville d'un million et demi d'habitants, nous avons un hôpital français qui est de très grande qualité, avec scanner et de très bons chirurgiens, neurochirurgiens, radiologues argentins ou français qui soignent toute une partie de la population et je leur ai apporté une aide financière de façon à contribuer à apporter du bien aux autres. Je suis médecin de formation, donc tout ce qui peut apporter du bien aux autres, j'y suis très sensible.
Q - Vous le disiez vous êtes à la Paz, en Bolivie, avant d'aller en Colombie. Le risque de contagion à chaque fois que vous rencontrez des officiels latino-américains, il y a une grande inquiétude sur ce point là, et concernant le Brésil aussi.
R - Je sors à l'instant du domicile du président bolivien qui va être intronisé cet après-midi, où nous avons bien entendu discuter des problèmes régionaux, des problèmes de la Bolivie et des problèmes de l'Amérique du Sud en général. Il est incontestable que, si nous rentrons dans un jeu de dominos, c'est-à-dire si l'Argentine tombe, l'Uruguay, le Brésil, et bien d'autres pays de cette partie du monde vont suivre, et il y a une réelle inquiétude.
Q - Dernière étape je le disais aussi de votre tournée, la première encore une fois en votre qualité de secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, c'est donc la Colombie, pays miné par la guérilla et la pauvreté, le nouveau président est devant une tâche là complètement énorme aussi ?
R - C'est encore un contexte un peu différent parce que c'est dans un pays qui est économiquement plus stable mais qui, politiquement, est d'une instabilité extrême, avec une violence chronique, une hyper-violence chronique avec des régions entières qui sont tenues par les FARC, c'est-à-dire des bandes ou une armée paramilitaire, armées d'ailleurs grâce au trafic de drogue. C'est une situation difficile pour un président. J'ai eu l'occasion de le rencontrer avec le président de la République, Jacques Chirac quand il était de passage en France le mois dernier. Je serai demain pour sa prise de fonctions sur place. Situation difficile, il est courageux, mais nous sommes des politiques et nous avons le pouvoir nous devons assumer nos responsabilités.
Q - Vous allez demander des nouvelles d'Ingrid Bétancourt aussi, non ?
R - Ingrid Bétancourt, vous savez c'est une femme qui a la double nationalité, française et colombienne. Je déjeunerai avec sa famille après-demain et j'évoquerai son cas une nouvelle fois comme l'avait fait le président Chirac lors de la venue du président colombien. J'évoquerai son cas avec le président colombien quand je le verrai après-demain. Nous souhaitons bien sûr qu'elle soit libérée dans les plus brefs délais. Cette situation est inadmissible et inacceptable.
Merci beaucoup de nous avoir ainsi parlé depuis l'Amérique latine où vous avez effectué ce voyage, missionné par le gouvernement. Bonne fin de tournée en Amérique latine, bonne journée.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 août 2002)
R - Je crois que nous sommes, dans cette partie du monde, dans une situation très compliquée. L'Argentine qui était le septième pays le plus riche du monde, se retrouve aujourd'hui dans une situation de précarité avancée. C'est un pays qui s'enfonce, un pays qui passe en voie de sous-développement, et ne trouvant pas de solutions à sa crise, entraîne les pays voisins dans la même situation, c'est-à-dire l'Uruguay, c'est-à-dire le Brésil, sans compter les difficultés économiques, politiques et sociales de cette partie du continent.
Q - C'est vrai que votre première étape était en Argentine, qu'est-ce qui vous a frappé ?
R - Ce qui me frappe est que l'Argentine a établi un plan, a mis en place des dispositifs, attend une décision du Fonds monétaire international lui permettant de voir à moyen terme des pistes de solution. Ce qui est absolument indispensable pour la tranquillité de cette partie du monde - parce que, dans ces pays qui sont proches de nous, qui sont des pays riches mais qui sont aussi des pays instables - c'est que les efforts consentis doivent être récompensés. Donc, le FMI devrait prendre une position très rapidement. M. O'Neill, le secrétaire d'Etat américain doit venir en Argentine, dans les jours qui viennent. Il faut qu'une position soit prise rapidement, puisqu'il y a des élections en Argentine dans moins de dix-huit mois. Si le peuple décide, en dehors d'un canevas financier et d'un cadre juridique qui soient clairs, nous sommes susceptibles de tomber dans n'importe quelle démagogie qui peut embraser cette partie du monde.
Q - Alors, on comprend que vous souhaitez que le FMI reprenne vite son aide financière à l'Argentine, le robinet financier avait été coupé, il y a quelques mois, les négociations, elles doivent aboutir ?
R - Il faut qu'elles aboutissent d'ici fin août. Ce n'est pas tellement un problème d'aides financières, je crois que c'est une renégociation des dettes, surtout le canevas, le cadre juridique et financier qui permet de signer des contrats, d'organiser le système bancaire. Imaginez simplement que nos entreprises françaises - qui distribuent à peu près 80 % de toute l'eau d'Argentine, qui distribuent à peu près 60 % de toute la téléphonie - que toutes les sociétés de service aujourd'hui n'ont plus les capacités de se faire rembourser, d'investir et donc de fournir le service. Ce qui entraîne un peu plus le pays dans une cascade épouvantable de drames.
Q - Alors justement à Buenos Aires vous avez eu l'occasion de visiter certains quartiers, de toucher du doigt cette détresse ?
R - Vous savez que je suis un élu local, et donc je suis allé dans une commune qui borde Buenos Aires, qui a un million deux cent mille habitants. Il y a près de 50 % de chômeurs, des bidonvilles, des taudis, et donc une situation de précarité particulièrement avancée. J'ai surtout eu l'occasion de discuter avec le président de la République argentine longuement, qui est parfaitement conscient des difficultés, qui a la capacité de redresser son pays, qui demande à la France, et le président Jacques Chirac s'est engagé dans ce sens au niveau de l'Union européenne, de pousser et de faire pression sur le FMI pour qu'une décision soit prise rapidement. Sur cette position, nous avons été rejoints par l'Angleterre, par l'Italie, par l'Espagne. Nous avons quelques difficultés avec l'Allemagne qui n'a pas encore validé la même position que nous. Il est indispensable de multiplier notre action diplomatique pour que le FMI agisse.
Q - Est-ce que les Américains sont sur cette ligne ?
R - Les Américains, dans cette partie du monde ont une ligne un peu particulière. La gestion des lignes budgétaires est une chose, la reconnaissance de la souffrance des peuples en est une autre. Donc, je crois qu'il faut trouver un juste équilibre entre les deux.
Q - Qu'est ce que vous voulez dire par-là ?
R - C'est que tout n'est pas que financier dans la vie.
Q - Le pays s'est enfoncé dans la crise quand même depuis plusieurs mois dans l'indifférence générale, pourquoi ?
R - La crise, vous savez, a de multiples causes. Aujourd'hui il faut regarder devant, il y a des solutions, il faut les mettre en place. Les conséquences, si on ne les met pas en place, sont très importantes pour cette partie du monde.
Q - En attendant vous avez été porteur d'une aide financière d'urgence, je crois, de cent cinquante mille dollars, dans un premier temps, pour l'Argentine ?
R - Oui, nous avons à la Mantanza, justement dans cette ville d'un million et demi d'habitants, nous avons un hôpital français qui est de très grande qualité, avec scanner et de très bons chirurgiens, neurochirurgiens, radiologues argentins ou français qui soignent toute une partie de la population et je leur ai apporté une aide financière de façon à contribuer à apporter du bien aux autres. Je suis médecin de formation, donc tout ce qui peut apporter du bien aux autres, j'y suis très sensible.
Q - Vous le disiez vous êtes à la Paz, en Bolivie, avant d'aller en Colombie. Le risque de contagion à chaque fois que vous rencontrez des officiels latino-américains, il y a une grande inquiétude sur ce point là, et concernant le Brésil aussi.
R - Je sors à l'instant du domicile du président bolivien qui va être intronisé cet après-midi, où nous avons bien entendu discuter des problèmes régionaux, des problèmes de la Bolivie et des problèmes de l'Amérique du Sud en général. Il est incontestable que, si nous rentrons dans un jeu de dominos, c'est-à-dire si l'Argentine tombe, l'Uruguay, le Brésil, et bien d'autres pays de cette partie du monde vont suivre, et il y a une réelle inquiétude.
Q - Dernière étape je le disais aussi de votre tournée, la première encore une fois en votre qualité de secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, c'est donc la Colombie, pays miné par la guérilla et la pauvreté, le nouveau président est devant une tâche là complètement énorme aussi ?
R - C'est encore un contexte un peu différent parce que c'est dans un pays qui est économiquement plus stable mais qui, politiquement, est d'une instabilité extrême, avec une violence chronique, une hyper-violence chronique avec des régions entières qui sont tenues par les FARC, c'est-à-dire des bandes ou une armée paramilitaire, armées d'ailleurs grâce au trafic de drogue. C'est une situation difficile pour un président. J'ai eu l'occasion de le rencontrer avec le président de la République, Jacques Chirac quand il était de passage en France le mois dernier. Je serai demain pour sa prise de fonctions sur place. Situation difficile, il est courageux, mais nous sommes des politiques et nous avons le pouvoir nous devons assumer nos responsabilités.
Q - Vous allez demander des nouvelles d'Ingrid Bétancourt aussi, non ?
R - Ingrid Bétancourt, vous savez c'est une femme qui a la double nationalité, française et colombienne. Je déjeunerai avec sa famille après-demain et j'évoquerai son cas une nouvelle fois comme l'avait fait le président Chirac lors de la venue du président colombien. J'évoquerai son cas avec le président colombien quand je le verrai après-demain. Nous souhaitons bien sûr qu'elle soit libérée dans les plus brefs délais. Cette situation est inadmissible et inacceptable.
Merci beaucoup de nous avoir ainsi parlé depuis l'Amérique latine où vous avez effectué ce voyage, missionné par le gouvernement. Bonne fin de tournée en Amérique latine, bonne journée.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 août 2002)