Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, à "Europe 1" le 5 novembre 2002, sur les régimes de retraite, la situation des compagnies aériennes Air France et Air Lib, et sur la décentralisation.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Les difficultés commencent, elles s'amoncellent, avec des actions sociales fortes mais distinctes, éparpillées. Ces nuages d'automne annoncent-ils pour vous des orages ?
- "Non, c'est la vie de tous les jours. Vous savez que dans le Gouvernement on aime beaucoup la concertation et le dialogue social. J'espère simplement que les craintes, les espérances des uns ou des autres, dans le domaine public ou dans la domaine privé vont pouvoir s'atténuer grâce à une méthode qui est celle de la concertation. La concertation entre les salariés et les employeurs privés ou la concertation, le cas échéant, avec des personnes de la fonction publique et les responsables, c'est-à-dire, les ministres concernés."
F. Fillon estime que "les pré-retraites sont une catastrophe pour les régimes de retraite". Est-ce une gaffe de F. Fillon ?
- "Non, c'est la vérité, il faut dire la vérité. Et F. Fillon a le mérite - d'ailleurs c'est une consigne générale du gouvernement Raffarin - de dire les choses telles qu'elles sont. Et pour essayer de les rendre telles qu'elles pourraient être. Donc, les pré-retraites, on sait que c'est un pis-aller dans certains cas, que ça coûte très cher, et que quelqu'un qui est pré-retraité ne paie plus de cotisations pour la retraite. Et donc, plus il y aura d'emplois, et plus les salariés seront nombreux, meilleure sera la retraite par répartition."
Il n'y a donc pas de sujets tabous, et quand F. Fillon annonce ou ajoute que "les salariés, à l'avenir, devront sans doute cotiser plus longtemps" ?
- "S'ils veulent une retraite meilleure et moins de nuages qui s'amoncellent sur la retraite dans dix ou quinze ans, c'est vrai que la durée de la retraite a un rôle énorme à jouer parce qu'il y a des salariés de moins en moins nombreux par rapport à des retraités de plus en plus nombreux."
C'est-à-dire : on dit tout et on ne craint pas le débat...
- "Mais parce que les gens sont raisonnables. Les Français sont complètement adultes. Ils savent que le retraite par répartition, ce sont des sommes qui sont payées par les actifs, comme on dit, et qui vont directement aux gens qui sont à la retraite. Si vous n'avez plus d'actif ou s'ils sont moins nombreux ou payent moins longtemps, les gens qui sont retraités auront moins de retraite. C'est ça la vérité. C'est une équation simple. Il suffit d'avoir fait, j'allais dire, une bonne école primaire pour comprendre que la durée de la cotisation s'ajoute directement sur la qualité de la retraite."
Journée d'action à Air France, déclenchée par sept syndicats. A Orly, Roissy et dans la plupart des aéroports régionaux, la journée d'action a commencé, les syndicats ont même demandé que cela se passe en musique, tambours, maracas, etc. Est-ce de nature à vous empêcher de privatiser, au printemps prochain, Air France ?
- "Vous avez remarqué que c'est une journée d'action, ce n'est pas une journée de grève. Que veulent nous dire, quel message veulent nous transmettre les agents d'Air France, surtout les personnels au sol ? C'est : "attention, on aimerait que la privatisation se passe dans des bonnes conditions. Pensez à nous !". Et nous pensons à eux. C'est-à-dire que nous pensons à eux pour ce qui concerne leur statut, pour ce qui concerne leurs avantages acquis, leur rôle, leur fonction. Il est bien entendu que, l'ouverture du capital - qui a déjà eu lieu, d'ailleurs, il y a quelques années puisque le pays n'est plus exclusivement actionnaire d'Air France -, donc a commencé et va continuer, disons de 20 à 30 % supplémentaires - je ne donne pas le taux exact -, que les salariés..."
Entre 20 et 30 % ? L'Etat ne se fait pas tout petit ?
- "L'Etat aura, restera actionnaire parce qu'il faut que l'Etat reste actionnaire à mon sens, à hauteur d'environ 20 %. Mais que les salariés n'aient pas peur de cette ouverture de capital. Elle est gage d'un développement pour Air France, et donc plutôt d'une pérennité de l'emploi et donc d'une conquête de nouveaux marchés."
Donc, elle se fait, il y aura un débat au Parlement ou pas ?
- "Bien entendu qu'il y aura un débat au Parlement, nous sommes dans un pays démocratique. Dans ce débat, tout le monde pourra s'exprimer, tout le monde pourra aussi s'exprimer pour protéger les salariés et voir comment on peut assurer le développement de cette très grande entreprise qui, aujourd'hui, marche bien mais qui aura de nouveaux marchés à gagner, à conquérir. Je pense que c'est une bonne chose que d'ouvrir encore le capital."
Vous avez tellement de secteurs et de dossiers dans votre portefeuille. Je continue : Air Lib devrait rembourser, dans quatre jours, un prêt de 30 millions et quelque, du gouvernement Jospin. Air Lib n'a pas cet argent. Allez-vous essayer de donner les moyens du sursis ?
- "Si vous permettez, Air Lib n'a pas seulement à rembourser les 30 millions d'euros..."
Plus les dettes qui ont été faites depuis, à peu près 60 millions.
- "Voilà, ce qui fait presque trois fois plus. Aujourd'hui, c'est de l'argent public, c'est de l'argent des contribuables. Et nous attendons vraiment une solution d'Air Lib. Il faut qu'Air Lib nous apporte, nous amène, nous indique qu'il a des associés, des capitaux, qu'il a trouvé des partenaires. Bref, que l'entreprise a enfin trouvé des gens qui permettent d'apporter les moyens des ambitions de cette compagnie aérienne à qui je ne souhaite aucun mal. Je souhaite évidemment qu'elle dure. Nous allons étudier son dossier au mieux, mais que son président, monsieur Corbet, nous amène des éléments nouveaux parce que cela est indispensable pour l'équilibre de la société. Une société ne peut pas vivre avec des dettes qui s'accumulent."
Mais dites-vous, vous aussi, que l'Etat ne peut plus aider les entreprises en difficultés et surtout quand il s'agit d'entreprises privées ?
- "Ne peut pas aider au-delà d'une certaine limite une entreprise privée parce que les règles de concurrence, évidemment, sont inégales et que si on ne paye pas ces factures, à un moment donné, forcément, les créanciers se retournent contre l'entreprise. Donc là, il faut qu'Air Lib trouve, puisqu'elle ne peut pas payer elle-même ses dettes par son exploitation, un bon partenariat avec d'autres entreprises."
Sinon ?
- "Sinon, je crains effectivement que ça soit pour elle très très difficile de continuer à créer de nouvelles lignes déficitaires.
Mais quand votre prédécesseur, J.-C. Gayssot dit qu'il faut absolument que l'Etat aide une compagnie comme Air Lib ?
- "C'est ce qu'on a fait et c'est ce qu'on continue à faire. Puisque la dette d'Air Lib vis-à-vis de l'Etat a triplé depuis que J.-C. Gayssot n'est plus au ministère."
Et si Air Lib disparaît qui récupérera ? Parce qu'il y a un grand problème...
- "Le pire n'est jamais sûr. Si jamais Air Lib disparaissait, vous aurez la gentillesse de m'inviter et on en reparlera. Pour l'instant, on n'en est pas là. Et donc, on est vraiment dans une étude fine et surtout dans des attentes extrêmement pressantes de la part de la direction d'Air Lib pour nous apporter des éléments nouveaux nous permettant d'espérer à sa pérennité."
La question que je voulais poser c'est : qui récupérera - parce qu'il y a beaucoup de convoitises - les horaires et les décollages libérés par Air Lib ? Mais vous dites que...
- "C'est anticipé."
Vous faites semblant de croire à l'avenir de...
- "C'est comme si vous me demandiez qui sera le prochain ministre des Transports à ma place. Aujourd'hui, je crois que ce n'est pas à l'ordre du jour."
C'est bien d'être optimiste. Donc, vous pensez que vous réussissez ?
- "Non, je ne dis pas que je réussis."
Peut-être ?
- "Non. Là, ce n'était pas de la présomption, c'était tout simplement de l'optimisme et..."
...N'allons pas trop vite.
- "...et essayons de trouver des solutions avant d'adopter finalement des issues qui seraient catastrophiques pour 2 500 salariés."
Autre conflit, sans tambours ni maracas, celui des routiers avec leurs employeurs. On ne plaisante pas avec les routes bloquées. Que dites-vous ce matin aux deux parties concernées ? Vous leur donnez un délai pour s'entendre ? Vous leur faites une proposition ?
- "D'abord, il s'agit d'un conflit privé, dans des entreprises privées, entre des salariés privés et des employeurs privés. Mais si, puisqu'il s'agit de transport quand même, à moment donné, je peux être utile pour être une sorte de "facilitateur", je suis à leur disposition, dans une éventuelle négociation. Mais on n'en est pas là pour l'instant. Le dialogue social doit exister entre employeurs et employés. Je souhaite que ce dialogue s'engage très rapidement pour trouver une solution."
Dernière question : à propos de la décentralisation, je m'adresse au politique, êtes-vous du côté de J.-P. Raffarin...
- "N'essayez pas de diviser la majorité J.-P. Elkabbach, vraiment..."
Non, j'interroge. Elle est assez divisée pour que je n'en rajoute pas
- "Non, elle n'est pas divisée."
Mais par exemple, sur la décentralisation, êtes-vous du côté de J.-L. Debré : "Halte, dit-il, à l'intégrisme décentralisateur !", ou du côté de J.-P. Raffarin ? Parce qu'en ce moment, les plus grandes difficultés viennent moins de l'opposition que de la majorité.
- "Heureusement parce que l'opposition n'a pas d'idées, elle n'existe pas en tant que telle aujourd'hui. Par conséquent, la majorité a en son sein un débat. Et J.-P. Raffarin a voulu ce débat puisqu'il a souhaité des Assises régionales de la décentralisation."
D'accord. De quel côté êtes-vous ?
- "Je suis décentralisateur et je pense que dans la majorité, la grande majorité de la majorité est décentralisatrice, c'est-à-dire pour le pouvoir de proximité. Etant entendu que l'Etat doit garder un certain nombre de fonctions régaliennes qui sont : la solidarité, la justice, la sécurité."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 novembre 2002)