Interview de M. Bernard Thibault, sercrétaire général de la CGT, à RTL le 9 juillet 2002, sur la réduction du temps de travail, notamment l'application de la loi sur les 35h et ses modalités d'assouplisssement.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Ruth ELKRIEF.- Ernest-Antoine Seillière est candidat à sa propre succession, il l'a annoncé hier, ça vous fait plaisir de savoir qu'il sera peut-être encore là pendant trois ans ?
Bernard THIBAULT : Je n'ai pas de plaisir particulier à l'idée d'avoir Monsieur Seillière comme interlocuteur, si tant est que nous puissions avoir des interlocuteurs du côté du Médef. Vous avez remarqué que ces derniers mois nous n'avions pas forcément souvent l'occasion de le rencontrer !
- Néanmoins, il a insisté quand même sur le dialogue social, comme d'autres partenaires et d'autres personnalités qui sont au pouvoir aujourd'hui.
Oui, le dialogue social est devenu un leitmotiv qui a repris de la mode. En même temps, Monsieur Seillière, vous l'avez peut-être aussi entendu, regrettait que le gouvernement ne procède pas par exemple par l'adoption d'une loi, s'agissant de la remise en cause des 35 heures. Je trouve d'ailleurs assez savoureux ce positionnement du Médef de souhaiter, ou non, que le gouvernement procède par loi en fonction de la composition de l'assemblée nationale. Il y a peu de temps, vous vous souvenez combien ils étaient réticents à l'idée même que les pouvoirs publics puissent procéder par loi, ce qui est quand même le pouvoir du législateur. Aujourd'hui, la loi redevient à la mode dans l'approche qu'a le patronat d'un certain nombre de questions sociales.
- Alors effectivement, sur l'assouplissement des 35 heures, qui est annoncé par le gouvernement, qui était dans le programme électoral du gouvernement, le Médef veut plutôt une loi, car il dit que "seule une loi peut défaire ce qu'a fait une autre loi". Vous, vous trouvez que c'est superflu, et qu'il faudrait plutôt des accords entre les syndicats et les entreprises.
Il va falloir, d'abord, continuer à discuter avec le gouvernement, en tout cas je le souhaite, du bien-fondé de cet objectif. Parce que l'objectif nous le contestons. Nous souhaitons nous inscrire dans une réduction de la durée du temps de travail, qui est loin d'être acquise pour l'ensemble des salariés ; donc c'est de ça que nous voulons discuter. Si d'aventure le gouvernement continue de nous associer uniquement pour donner le change, en quelque sorte, pour gérer les décisions impopulaires, je pense que cet exercice tournera court. Nous souhaitons pour ce qui nous concerne, continuer à discuter de la mise en oeuvre concrète de la réduction du temps de travail.
- Enfin, vous avez quand même vu que la gauche a perdu. Que le parti socialiste a perdu, aussi peut-être à cause de cette loi des 35 heures. Certains spécialistes, certains experts ont affirmé, ont observé que, notamment, une certaine catégorie sociale n'avait pas vraiment profité des 35 heures, au contraire que leurs revenus avaient baissé, et qu'ils s'en étaient trouvés plutôt assez frustrés.
Ecoutez, nous, en tant qu'experts syndicaux si je puis dire, nous avons été de ceux qui avons dit en son temps, combien les modalités retenues, non pas l'objectif politique que nous avons salué en son temps, la décision prise par le gouvernement Jospin de légiférer sur le sujet, dans la mesure où le patronat faisait preuve d'une très grande mauvaise volonté, c'est le moins que l'on puisse dire, de procéder à une décision sur la réduction du temps de travail, combien nous avions salué cet objectif. Mais par contre, sur les modalités d'application et de négociations, le cadre ouvert à la négociation était pour un certain nombre de secteurs beaucoup trop large, notamment en fonction de la présence syndicale trop faible, de rapport de forces qui n'était pas favorable aux salariés.
Et nous savions que dans un certain nombre de secteurs, les salariés avaient plus à craindre quant aux conditions de la négociation, qu'à y gagner. Alors ça n'a pas empêché dans un certain nombre d'autres secteurs où nous avions des forces disponibles, où une approche unitaire au plan syndical a pu se faire jour, d'obtenir une mise en oeuvre des 35 heures plutôt satisfaisante, et on trouve des taux de satisfaction en l'occurrence.
- Donc pas question de remettre en cause
mais il ne s'agit pas pour autant de revenir sur cet objectif de réduction du temps de travail, qui devient de plus en plus un objectif européen au niveau du raisonnement syndical.
- Donc vous vous opposerez à toute volonté d'assouplissement des 35 heures. Par exemple, lorsque Nicolas Sarkozy propose aux policiers de racheter des heures, ou lorsqu'on en parle, on parle aussi de cette solution dans les hôpitaux pour cet été, ou pour les mois qui viennent, parce que ça va être difficile.
Il est évident, et notamment au regard des choix économiques que retient le gouvernement, par exemple s'agissant des hôpitaux, il sera dans l'incapacité de répondre aux besoins de renforts de personnels qui sont criants depuis des années.
- Alors qu'est-ce qu'on fait ?
Il ne suffit pas de faire des discours saluant le mérite des infirmières, des médecins, des gens de la fonction publique, et puis dans le même temps de retenir des dispositions au plan économique, qui font que le gouvernement n'aura pas les moyens de répondre en matière de besoins. Donc la situation à l'hôpital, je le crains, va continuer de se dégrader.
- Oui mais alors qu'est-ce qu'on fait ?
Par exemple sur l'hôpital, nous avons dit depuis des mois qu'il fallait un véritable plan d'urgence ! mais on ne pourra pas élaborer un plan d'urgence avec les principes édictés au plan économique, qui consistent à la fois à réduire les moyens financiers de l'Etat, c'est intéressant, c'est populaire d'annoncer une baisse des impôts sur le revenu. La conséquence, c'est de réduire les moyens qui sont à la disposition de l'Etat pour subvenir aux besoins des services publics, dont nous savons que l'opinion attend dans un certain nombre de domaines une amélioration.
- Vous ne craignez pas d'être un petit peu en retrait? Il va se passer beaucoup de choses, notamment dans cet assouplissement des 35 heures. Et si vous avez une position dure, vous ne serez pas du tout associés à ce qui va se passer lors du nouvel aménagement.
Vous savez, il y a trop de secteurs encore, où l'idée même de s'approcher des 35 heures est encore très éloignée. Je pense aux routiers, je pense à d'autres professions: on est plus près des 40/45 heures de travail et donc l'actualité n'est pas immédiatement à passer aux 35 heures. En tout cas le cap, le cap politique qui a été retenu, nous y tenons.
- Vous parliez des réductions justement du budget de l'Etat, en tout cas de la limitation de l'augmentation des dépenses de l'Etat - c'est qu'on a appris hier - Les dépenses publiques n'augmenteront pas plus que 0,2 %, c'est un peu le cadrage qu'a donné le gouvernement.
Oui, c'est-à-dire une réduction à moyens constants: ça veut dire une réduction à moyens constants. D'ailleurs, des annonces ont été faites s'agissant du nombre de fonctionnaires, avec des secteurs dits "prioritaires", principalement axés sur la sécurité.
- La justice, la police.
Oui, mais il y a d'autres missions de l'Etat. Je pense à l'éducation nationale, la santé on l'a évoquée, l'aménagement du territoire, en matière de transports.
- Tous quoi ! il n'y a pas de priorités là. C'est tous les secteurs alors !
Il y a des besoins. Si on veut avoir un pays qui soit performant d'un point de vue global, il s'agit aussi de faire en sorte que ses services publics, ses infrastructures, soient maintenus à un niveau de compétences et de disponibilités suffisant, aussi bien pour l'économie. Alors c'est vrai qu'il y a, là, des choix contradictoires. Ca explique aussi pourquoi on s'apprête à continuer à vendre les bijoux de famille EF/GDF. De quoi s'agit-il à propos de l'ouverture du capital de ces entreprises, si ce n'est que de chercher, de mon point de vue, à combler des insuffisances de recettes que le gouvernement a décidé de procéder. Ca n'est donc pas, à mon avis, la fonction de la stratégie nécessaire dans le domaine énergétique qui justifie cette ouverture de capital, mais plus le besoin pour le gouvernement de joindre les deux bouts avec, encore une fois, des choix un peu contradictoires.
- La CGT aujourd'hui : statu quo.
Ah non, pas du tout statu quo. Il y a un ensemble de réformes et d'actions publiques qui seraient nécessaires, mais l'option très libérale qu'est en train de prendre ce gouvernement, de mon point de vue, nous oriente vers des complications assez fortes dès la rentrée !

(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 juillet 2002)