Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à RTL le 27 juin 2002, sur la crise boursière, sur les résultats de l'audit commandé par le gouvernement révélant un déficit plus important que prévue et la responsabilité du gouvernement de Lionel Jospin et sur les perspectives du parti socialiste.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief Je n'oublie pas que vous êtes économiste de formation : un petit mot sur ces scandales boursiers, ces scandales dans les marchés mondiaux. Cela peut toucher la France de façon durable et profonde ?
- "Quand il y a une crise boursière, il y a forcément des pertes de revenus, en tout cas, des pertes virtuelles de revenus ou des pertes réelles de revenus lorsqu'il faut vendre ces titres pour acheter un certain nombre de biens. Donc cela peut avoir une conséquence sur la croissance, et dans une certaine mesure, le pouvoir d'achat d'un certain nombre d'épargnants peut être mis en cause. Et par là, la consommation et la demande des ménages peut aussi être affectée. Il faut donc être extrêmement attentif à ces crises boursières. Cela a d'autres conséquences : pour investir, les entreprises ont besoin de lever de l'argent en Bourse et si la Bourse est dépréciée, il est très difficile pour les épargnants d'aller placer leurs économies sous cette forme. Dans ces conditions, cela peut aussi ralentir l'investissement, c'est-à-dire la croissance de demain. Pour toutes ces raisons, je ne pense pas que l'on puisse négliger ces événements ou considérer qu'il s'agirait de mouvements d'humeur. Il faut absolument que les autorités nationales, mais aussi internationales, prennent des mesures. Lesquelles ? D'abord, des mesures de règles de prudence ; on le dit depuis longtemps. Que constate-t-on dans un certain nombre de sociétés qui sont en crise aujourd'hui ? Il y a eu mensonge, il y a eu dissimulation. Les organismes qui étaient chargés de donner une évaluation n'ont pas donné les chiffres exacts. En conséquence, il y a une perte de fiabilité et de crédibilité. Donc, la première action à mener est une action dite "prudentielle", c'est-à-dire faire en sorte que les organismes de contrôle puissent donner des informations tout à fait transparentes et fiables aux actionnaires. La deuxième action qu'il faut engager - celle-là est politique -, c'est qu'il faut stabiliser les marchés financiers. Il n'y a pas de raison que face à cette insécurité dont on parlait tout à l'heure, il n'ait pas de mesures d'ordre. Quand il y a des problèmes de violence - et là, il s'agit de violence boursière -, il faut qu'il y ait un gendarme. Et là, en l'occurrence, on cherche le gendarme."
Justement, on va parler de fiabilité et de chiffres, de vérité et de transparence : on va parler de l'audit qui a été commandé par le Premier ministre, J.-P. Raffarin, et qui devrait établir, aujourd'hui, que les déficits publics ont dérapé, qu'ils atteignent entre 2,3 et 2,6 % du PIB, alors que les prévisions de l'année dernière, annoncées par L. Fabius, disaient 1,9 % maximum. Est-ce que la gestion des socialistes a été calamiteuse, imprévoyante et électoraliste ?
- "Que disent les auditeurs ?"
Ceux qui rédigent l'audit et pas ceux de RTL !
- "Ce que disent ces personnes qui ont fait ce travail, que je connais, qui sont des magistrats financiers..."
Ce sont les mêmes qui avaient fait l'audit en 1997 pour Jospin.
- "Tout à fait. Ils sont respectables et compétents. Ils disent qu'il y a eu une légère augmentation du déficit de l'ensemble des administrations par rapport à ce qui avait été prévu par le gouvernement de L. Jospin, à la fin de l'année 2001, mais une augmentation légère du déficit. Il y avait donc 1,9 % qui était prévu ; nous serions, disent les personnes en charge de l'audit, entre 2,2 et 2,6 % - on ne connaît pas encore exactement le chiffre."
En 2001, c'était 1,4 % !
- "Quelle est la raison ? Elle avait été déjà expliquée par le gouvernement de L. Jospin et par L. Fabius : il y eu une chute de la croissance assez sérieuse puisque nous sommes passés d'une croissance d'à peu près 3 % à une croissance de 1,5 %. Je vous rappelle qu'il y a eu les événements du 11 septembre, l'atterrissage plus que difficile de l'économie américaine. Cela a eu des conséquences en Europe et en France. C'est ce ralentissement de la croissance qui explique le grossissement léger du déficit public."
La gestion du Gouvernement n'y est pour rien ?
- "Il n'y a pas de surprise - c'est ce que je veux dire - ; c'est un exercice qui est sans doute difficile à mener puisqu'il y avait ralentissement de la croissance. Mais il n'y a pas de surprise, il y a simplement un déficit qui a été maîtrisé. Je vous rappelle qu'en 1997, lorsqu'il y avait eu également une alternance et un audit des finances publiques, nous étions sur un déficit budgétaire - pour l'ensemble des administrations publiques - de 3,5 à 3,7 %. Là, nous serions, selon les personnes qui étaient en responsabilité de l'audit, entre 2,2 et 2,5 %. Alors pourquoi aujourd'hui cette écume médiatique de la part du Gouvernement ? Tout simplement, parce que le gouvernement Raffarin a fait des promesses, en a engagé certaines - comme la baisse de l'impôt sur le revenu, l'augmentation de la consultation des médecins et des pédiatres ; on nous dit aussi qu'il y aurait des exonérations de charges pour les jeunes, la TVA qui devrait baisser... - et que ce Gouvernement n'est pas en capacité, aujourd'hui, d'honorer ses promesses - également pour des raisons européennes."
L'audit serait un prétexte ?
- "L'audit n'est qu'un prétexte, soit pour ne pas respecter les promesses qui ont déjà été faites - et elles sont nombreuses -, soit pour entamer et donc entacher les dépenses sociales ou les dépenses publiques tout à fait décisives du pays."
Lorsqu'on est à quelques semaines ou quelques mois d'une élection présidentielle, comme c'était le cas pour L. Jospin, est-ce qu'on n'est pas tenté par des dépenses électoralistes ? Est-ce qu'on n'est pas tenté de ne pas faire trop attention aux déficits, parce qu'on veut gâter tout le monde avant les élections ?
- "On peut nous faire beaucoup de reproches, et notamment à L. Jospin, mais ce n'est pas le reproche d'électoralisme qui convient le mieux. On ne peut pas dire que dans la dernière période, nous ayons lâché toutes les vannes. En revanche, ce qui est très paradoxal, c'est que la droite, pour venir aux responsabilités, à la fois dans l'élection présidentielle puis dans les élections législatives, alors que le résultat était prévisible, a multiplié les promesses sachant parfaitement ce qu'était la situation des finances publiques. Maintenant qu'il y a un audit qui donne ce que l'on savait déjà de la réalité, il va donc servir de prétexte, soit pour revenir sur de promesses, soit pour entamer des dépenses qui sont tout à fait utiles au pays."
Parlons du PS : samedi est un grand jour puisque vous allez un peu faire le point et reconstituer la direction du parti après l'échec aux élections. Cela va être "Règlement de comptes à OK Coral", ou bien une journée pour rien ?
- "Après ce qui s'est passé pour les socialistes et pour la gauche, c'est-à-dire une défaite électorale difficile à accepter..."
...cinglante.
- "Oui, cinglante : ne pas avoir été au second tour de l'élection présidentielle pour des raisons multiples et ensuite, revenir minoritaires à l'Assemblée nationale. [C'est pourquoi] il faut aller jusqu'au bout du débat. Ma préoccupation, c'est de lancer auprès des militants du Parti socialiste une grande réflexion collective sur les raisons de l'échec, sur les moyens de redresser le parti."
Cela va dans tous les sens : vous voulez nommer L. Fabius porte-parole, M. Aubry menace de partir. C'est un grand désordre !
- "Il y a des questions de personnes, mais la priorité des priorités, c'est le débat et la réflexion. La deuxième priorité, c'est le rassemblement. Nous avons des personnalités et des talents, qui ont été ou pas au gouvernement..."
Ils ne veulent plus travailler ensemble on dirait !
- "Ils vont travailler ensemble parce que c'est ma responsabilité que de le faire."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 juin 2002)