Texte intégral
J.-M. Four - Après la pêche, l'agriculture : il y a quelques semaines, le commissaire européen, F. Fischler, mettait le monde de la pêche sens dessus dessous, avec ses propositions sur la réforme de la pêche en Europe. Il remet ça aujourd'hui avec une nouvelle proposition de réforme de la PAC. Là aussi, il faut s'attendre à une levée de boucliers. "Plus de qualité, moins de productivisme", dit F. Fischler. Sur le papier, cela parait séduisant...
- "Oui, cela parait évident sur le papier, mais nous ne sommes pas dans cette logique. Aujourd'hui, la proposition qui nous est faite est désastreuse pour les paysans français, parce que c'est la poursuite infernale, depuis la PAC de 1992 à 1999, à la baisse des prix au niveau des productions, à la baisse de soutiens vis-à-vis de ces productions pour compenser la perte d'un prix. La réforme qui nous est proposée aujourd'hui va accentuer ce mouvement, alors que les paysans français sont dans des crises profondes dans de nombreux secteurs. Il y a aussi la difficulté de pouvoir assurer la pérennité d'un certain nombre de nos exploitations. Cela remet en cause les accords politiques mis en place par les chefs d'Etat lors de la négociation de la PAC qui doit se terminer fin 2007 et qui met en cause le revenu des paysans français."
La Commission n'entend pas supprimer ex abrupto les aides directes, elle entend les conditionner à des règles plus strictes de respect de l'environnement. Pourquoi serait-ce aberrant ?
- "Je veux bien que l'on renforce - je vous parlerai tout à l'heure de perspectives - le deuxième pilier de la PAC du développement rural, de l'environnement, de l'aspect qualité que nous faisons déjà au travers nos exploitations. C'est un élément important. Mais si on diminue sans arrêt le prix à la production des produits du paysan, qu'on diminue ces subventions-là, le paysan n'a plus de rentabilité - son exploitation -, cela veut dire qu'il risque de disparaître. Et moi qui suis jeune, en termes de renouvellement et de perspectives d'installation, lorsqu'il n'y a plus de prix au niveau des produits et qu'il n'y a plus d'aides pour compenser cette baisse des prix, on ferme la porte et il n'y a plus de perspectives pour les jeunes. Donc, s'il n'y a plus de perspectives pour l'agriculture, pour les paysans français, il n'y a plus de développement durable, rural, il n'y a plus d'environnement. Faisons en sorte de protéger les marchés - c'est la réflexion que nous avons au niveau des jeunes agriculteurs -, de faire une protection au niveau communautaire, une préférence communautaire, renforçons les maîtrises de la production, continuons les efforts de qualité, renforçons notre organisation commune de marché pour permettre de répondre à l'adaptation entre une offre et une demande, par rapport à nos produits et essayons de valoriser nos produits par le prix. Je suis un jeune paysan et je n'ai pas envie de vivre de subventions, je le dis très clairement. J'ai envie de vivre de ce que je fais tous les jours, c'est-à-dire de pouvoir cultiver, de mettre en valeur mes produits qui puissent être valoriser par le prix, par ce que je mets en oeuvre."
Les aides européennes, jusqu'à présent, sont liées à la productivité et elles avalent près de la moitié du budget européen - vous le savez bien -, ce qui est énorme !
- "Vous savez aussi que c'est un des secteurs européens où tout le budget est dédié à l'Union européenne, avec les lois au sein de l'Union européenne. Ce n'est pas valable dans tous les secteurs ; c'est-à-dire qu'il y a peu de subsidiarité pour les Etats-membres, et pour la France en particulier, d'apporter d'autres compléments d'aides. Les mêmes règles sont déterminées pour l'ensemble de l'Union européenne. C'est pour cela qu'au niveau agricole, le budget est conséquent au niveau de l'Union européenne."
Ce sont visiblement les céréaliers qui sont concernés par cet abaissement des aides. Ce ne sont tout de même pas les plus à plaindre ?!
- "Il y a eu des importations très massives, notamment d'Ukraine, ce qui a fait chuter le prix du blé de plus de 40 %. Ce n'était pas prévu dans la PAC. Ce sont des importations illicites que nous avons dénoncées. Le prix des céréales a donc largement chuté et ne permet plus aujourd'hui une rentabilité. Donc, il faut faire attention. Il y a aussi eu d'autres crises dans d'autres secteurs qui n'ont pas été prévues dans la réforme de la PAC - je pense à la viande bovine, à la viticulture, aux fruits et légumes. Actuellement, ce sont des éléments propres à notre métier, donc on prend aussi cette responsabilité. Mais lorsque des accords politiques sont mis en oeuvre pour une politique agricole commune, pour donner des perspectives aux agriculteurs, pour définir le prix de revient et qu'à mi-parcours de cette PAC, c'est une refonte complète qui est faite, eh bien cela pose des soucis, des questions aux paysans français, parce que c'est une atteinte à leurs revenus."
Qu'on attende nécessairement 2006, comme prévu, n'est-ce pas reculer pour mieux sauter ?
- "Non, ce n'est pas reculer, parce qu'on est dans un contexte international qui, nous, nous choque. Je le dis, parce que le libéralisme total, voir ce qui se fait aux Etats-Unis, c'est-à-dire de baisser le prix à la production et augmenter par des subventions à hauteur de 80 %, cela nous choque. Nous ne voulons pas aller vers ce système. 800 millions de paysans de par le monde sont en malnutrition et meurent de faim. C'est quand même le paradoxe ! On veut des ensemble régionaux - quand je parle d'ensembles régionaux, c'est la Communauté européenne, le groupe de Cairn, ce sont les pays d'Afrique - où les paysans puissent avoir des préférences communautaires, des protections face aux marchés et pouvoir dégager un revenu par le prix de leur production, et non pas à coups de subventions - je le répète. Pour nous, c'est un challenge. C'est vrai que nous sommes un peu à contre-courant de ce qui se passe sur la scène internationale, mais c'est la réflexion que nous devons mener jusqu'à fin 2005, et [nous devons] convaincre un certain nombre de partenaires de la profession agricole, mais aussi les politiques au niveau des Etats-membres des différents pays de Union européenne, pour dire qu'aujourd'hui, nous avons besoin d'un marché protégé et source de valorisation par les agriculteurs au travers du produit, tout en mettant en oeuvre ces aspects de qualité, d'environnement. On le fait déjà ; ce sont des coûts importants pour les agriculteurs aujourd'hui, qui ne sont pas totalement compensés."
La Commission dit qu'on pourrait par exemple développer les aides en faveur de ce que l'on appelle "le deuxième pilier", c'est-à-dire les compléments de revenus pour les agriculteurs, les activités parallèles en quelque sorte, comme l'hôtellerie, les activités écologiques ; c'est irréaliste ?
- "Non, ce n'est pas irréaliste, on le fait déjà, mais il faut bien voir que ce sont des investissements supplémentaires pour les agriculteurs. Si on baisse les prix, si on baisse les subventions d'un côté, qu'il y a un investissement supplémentaire qui est fait, même si on dégage cette partie du premier pilier vers le deuxième pilier, la production vers d'autres éléments que nous mettons en oeuvre sur nos exploitations, cela ne suffira pas à la vue des investissements pour compenser les investissements des agriculteurs face à la baisse des prix. C'est-à-dire que c'est une baisse de revenus pour les agriculteurs. C'est comme si on proposait à quelqu'un qui est salarié dans une entreprise, qui a un contrat de travail, aujourd'hui, de diminuer son salaire. C'est la même démarche, c'est la même réflexion."
Je voudrais vous lire ce que dit ce matin, dans le Figaro, le commissaire européen, F. Fischler, qui présente ses propositions aujourd'hui - je cite - "Aujourd'hui, 20 % des fermiers touchent 80 % des aides, ce qui n'est pas tenable. Si la réforme est mise en oeuvre, un tiers des fermiers bénéficieront d'environ deux tiers de l'argent, ce qui sera un progrès". Vous contestez ces chiffres ?
- "Je ne les conteste pas. Je vous ai expliqué ce qu'était le fondement de l'Union européenne, pourquoi il y a des subventions qui compensent un prix. Je vous disais aussi la volonté que nous avons de pouvoir réfléchir à valoriser nos produits au travers des préférences communautaires et de relations communes au marché, de la maîtrise de la production dans tous les secteurs. On est prêts à avancer cela pour l'après-2006, mais ce n'était pas prévu dans l'agenda 2000 et lors des accords de Berlin en 1999. Faire à mi-parcours de la PAC une réforme radicale, c'est ce qui est déstabilisant et qui n'est pas acceptable pour les jeunes agriculteurs et pour tous les agriculteurs en général."
Qu'attendez-vous du Gouvernement français aujourd'hui ?
- "De la fermeté. La France est visée sur beaucoup de sujets au niveau de l'Union européenne aujourd'hui. Elle a vraiment à reprendre la main sur la Commission européenne, à dire qu'il y a des choses qui ne peuvent pas se dérouler comme c'est prévu, parce que cela ne correspond pas aux accords qui ont été mis en oeuvre. Il faut donc une extrême fermeté du ministre de l'Agriculture, du Premier ministre et du président de la République afin de ne pas démanteler notre agriculture française qui est riche dans ses diversité et importante par rapport à l'aménagement du territoire et à la consommation. Nous essayons de mettre en oeuvre avec une démarche vis-à-vis des consommateurs, puisque nous avons aussi ce rôle-là : dialoguer e t apporter aux consommateurs, par rapport à leurs attentes, un certain nombre de produits avec de la valeur ajoutée et de la qualité, bien sûr."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 juillet 2002)
- "Oui, cela parait évident sur le papier, mais nous ne sommes pas dans cette logique. Aujourd'hui, la proposition qui nous est faite est désastreuse pour les paysans français, parce que c'est la poursuite infernale, depuis la PAC de 1992 à 1999, à la baisse des prix au niveau des productions, à la baisse de soutiens vis-à-vis de ces productions pour compenser la perte d'un prix. La réforme qui nous est proposée aujourd'hui va accentuer ce mouvement, alors que les paysans français sont dans des crises profondes dans de nombreux secteurs. Il y a aussi la difficulté de pouvoir assurer la pérennité d'un certain nombre de nos exploitations. Cela remet en cause les accords politiques mis en place par les chefs d'Etat lors de la négociation de la PAC qui doit se terminer fin 2007 et qui met en cause le revenu des paysans français."
La Commission n'entend pas supprimer ex abrupto les aides directes, elle entend les conditionner à des règles plus strictes de respect de l'environnement. Pourquoi serait-ce aberrant ?
- "Je veux bien que l'on renforce - je vous parlerai tout à l'heure de perspectives - le deuxième pilier de la PAC du développement rural, de l'environnement, de l'aspect qualité que nous faisons déjà au travers nos exploitations. C'est un élément important. Mais si on diminue sans arrêt le prix à la production des produits du paysan, qu'on diminue ces subventions-là, le paysan n'a plus de rentabilité - son exploitation -, cela veut dire qu'il risque de disparaître. Et moi qui suis jeune, en termes de renouvellement et de perspectives d'installation, lorsqu'il n'y a plus de prix au niveau des produits et qu'il n'y a plus d'aides pour compenser cette baisse des prix, on ferme la porte et il n'y a plus de perspectives pour les jeunes. Donc, s'il n'y a plus de perspectives pour l'agriculture, pour les paysans français, il n'y a plus de développement durable, rural, il n'y a plus d'environnement. Faisons en sorte de protéger les marchés - c'est la réflexion que nous avons au niveau des jeunes agriculteurs -, de faire une protection au niveau communautaire, une préférence communautaire, renforçons les maîtrises de la production, continuons les efforts de qualité, renforçons notre organisation commune de marché pour permettre de répondre à l'adaptation entre une offre et une demande, par rapport à nos produits et essayons de valoriser nos produits par le prix. Je suis un jeune paysan et je n'ai pas envie de vivre de subventions, je le dis très clairement. J'ai envie de vivre de ce que je fais tous les jours, c'est-à-dire de pouvoir cultiver, de mettre en valeur mes produits qui puissent être valoriser par le prix, par ce que je mets en oeuvre."
Les aides européennes, jusqu'à présent, sont liées à la productivité et elles avalent près de la moitié du budget européen - vous le savez bien -, ce qui est énorme !
- "Vous savez aussi que c'est un des secteurs européens où tout le budget est dédié à l'Union européenne, avec les lois au sein de l'Union européenne. Ce n'est pas valable dans tous les secteurs ; c'est-à-dire qu'il y a peu de subsidiarité pour les Etats-membres, et pour la France en particulier, d'apporter d'autres compléments d'aides. Les mêmes règles sont déterminées pour l'ensemble de l'Union européenne. C'est pour cela qu'au niveau agricole, le budget est conséquent au niveau de l'Union européenne."
Ce sont visiblement les céréaliers qui sont concernés par cet abaissement des aides. Ce ne sont tout de même pas les plus à plaindre ?!
- "Il y a eu des importations très massives, notamment d'Ukraine, ce qui a fait chuter le prix du blé de plus de 40 %. Ce n'était pas prévu dans la PAC. Ce sont des importations illicites que nous avons dénoncées. Le prix des céréales a donc largement chuté et ne permet plus aujourd'hui une rentabilité. Donc, il faut faire attention. Il y a aussi eu d'autres crises dans d'autres secteurs qui n'ont pas été prévues dans la réforme de la PAC - je pense à la viande bovine, à la viticulture, aux fruits et légumes. Actuellement, ce sont des éléments propres à notre métier, donc on prend aussi cette responsabilité. Mais lorsque des accords politiques sont mis en oeuvre pour une politique agricole commune, pour donner des perspectives aux agriculteurs, pour définir le prix de revient et qu'à mi-parcours de cette PAC, c'est une refonte complète qui est faite, eh bien cela pose des soucis, des questions aux paysans français, parce que c'est une atteinte à leurs revenus."
Qu'on attende nécessairement 2006, comme prévu, n'est-ce pas reculer pour mieux sauter ?
- "Non, ce n'est pas reculer, parce qu'on est dans un contexte international qui, nous, nous choque. Je le dis, parce que le libéralisme total, voir ce qui se fait aux Etats-Unis, c'est-à-dire de baisser le prix à la production et augmenter par des subventions à hauteur de 80 %, cela nous choque. Nous ne voulons pas aller vers ce système. 800 millions de paysans de par le monde sont en malnutrition et meurent de faim. C'est quand même le paradoxe ! On veut des ensemble régionaux - quand je parle d'ensembles régionaux, c'est la Communauté européenne, le groupe de Cairn, ce sont les pays d'Afrique - où les paysans puissent avoir des préférences communautaires, des protections face aux marchés et pouvoir dégager un revenu par le prix de leur production, et non pas à coups de subventions - je le répète. Pour nous, c'est un challenge. C'est vrai que nous sommes un peu à contre-courant de ce qui se passe sur la scène internationale, mais c'est la réflexion que nous devons mener jusqu'à fin 2005, et [nous devons] convaincre un certain nombre de partenaires de la profession agricole, mais aussi les politiques au niveau des Etats-membres des différents pays de Union européenne, pour dire qu'aujourd'hui, nous avons besoin d'un marché protégé et source de valorisation par les agriculteurs au travers du produit, tout en mettant en oeuvre ces aspects de qualité, d'environnement. On le fait déjà ; ce sont des coûts importants pour les agriculteurs aujourd'hui, qui ne sont pas totalement compensés."
La Commission dit qu'on pourrait par exemple développer les aides en faveur de ce que l'on appelle "le deuxième pilier", c'est-à-dire les compléments de revenus pour les agriculteurs, les activités parallèles en quelque sorte, comme l'hôtellerie, les activités écologiques ; c'est irréaliste ?
- "Non, ce n'est pas irréaliste, on le fait déjà, mais il faut bien voir que ce sont des investissements supplémentaires pour les agriculteurs. Si on baisse les prix, si on baisse les subventions d'un côté, qu'il y a un investissement supplémentaire qui est fait, même si on dégage cette partie du premier pilier vers le deuxième pilier, la production vers d'autres éléments que nous mettons en oeuvre sur nos exploitations, cela ne suffira pas à la vue des investissements pour compenser les investissements des agriculteurs face à la baisse des prix. C'est-à-dire que c'est une baisse de revenus pour les agriculteurs. C'est comme si on proposait à quelqu'un qui est salarié dans une entreprise, qui a un contrat de travail, aujourd'hui, de diminuer son salaire. C'est la même démarche, c'est la même réflexion."
Je voudrais vous lire ce que dit ce matin, dans le Figaro, le commissaire européen, F. Fischler, qui présente ses propositions aujourd'hui - je cite - "Aujourd'hui, 20 % des fermiers touchent 80 % des aides, ce qui n'est pas tenable. Si la réforme est mise en oeuvre, un tiers des fermiers bénéficieront d'environ deux tiers de l'argent, ce qui sera un progrès". Vous contestez ces chiffres ?
- "Je ne les conteste pas. Je vous ai expliqué ce qu'était le fondement de l'Union européenne, pourquoi il y a des subventions qui compensent un prix. Je vous disais aussi la volonté que nous avons de pouvoir réfléchir à valoriser nos produits au travers des préférences communautaires et de relations communes au marché, de la maîtrise de la production dans tous les secteurs. On est prêts à avancer cela pour l'après-2006, mais ce n'était pas prévu dans l'agenda 2000 et lors des accords de Berlin en 1999. Faire à mi-parcours de la PAC une réforme radicale, c'est ce qui est déstabilisant et qui n'est pas acceptable pour les jeunes agriculteurs et pour tous les agriculteurs en général."
Qu'attendez-vous du Gouvernement français aujourd'hui ?
- "De la fermeté. La France est visée sur beaucoup de sujets au niveau de l'Union européenne aujourd'hui. Elle a vraiment à reprendre la main sur la Commission européenne, à dire qu'il y a des choses qui ne peuvent pas se dérouler comme c'est prévu, parce que cela ne correspond pas aux accords qui ont été mis en oeuvre. Il faut donc une extrême fermeté du ministre de l'Agriculture, du Premier ministre et du président de la République afin de ne pas démanteler notre agriculture française qui est riche dans ses diversité et importante par rapport à l'aménagement du territoire et à la consommation. Nous essayons de mettre en oeuvre avec une démarche vis-à-vis des consommateurs, puisque nous avons aussi ce rôle-là : dialoguer e t apporter aux consommateurs, par rapport à leurs attentes, un certain nombre de produits avec de la valeur ajoutée et de la qualité, bien sûr."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 juillet 2002)