Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, sur les projets de privatisations attribués au gouvernement Raffarin et sur la notion de service public, à Paris le 23 octobre 2002.

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Circonstance : Conférence de presse à Paris le 23 octobre 2002

Texte intégral

Mesdames, messieurs,
Le nombre d'entreprises publiques qui sont dans le collimateur du gouvernement est impressionnant. France Télécom, EDF et GDF, Air France, Thalès, EADS, le Crédit Lyonnais A quand la RATP, la SNCF, La Poste dont certains rêvent parfois à voix haute Et je ne parle pas ici des services publics directement menacés par la décentralisation libérale de Jean-Pierre Raffarin, dont nous ne doutons pas des objectifs. Je ne parle pas non plus des projets qui pèsent sur notre système de protection sociale.
Le 3 octobre dernier, plusieurs dizaines de milliers de salariés d'EDF et de GDF étaient dans la rue. Ils avaient été rejoints par de nombreux salariés d'autres entreprises publiques inquiets. Nous avons en commun ce combat pour que l'Etat assume ses responsabilités, fasse prévaloir l'intérêt général, et réponde aux besoins dans un souci d'équité.
Aujourd'hui, tout, dans la politique gouvernementale vise à réduire l'Etat à la portion congrue. En réalité, le pragmatisme dont Jean-Pierre Raffarin et son équipe nous rebattent les oreilles n'est rien moins qu'une démission consciente et organisée du politique au profit du marché et de la loi du plus fort. Pour progresser vers cette objectif, ils font appels aux poncifs les plus éculés et aux réflexes populistes les plus bas. Ainsi la privatisation serait un progrès, une mesure résolument moderne, une réponse à l'inertie de l'Etat et au soi-disant gaspillage, un remède contre les maux attribués aux salariés du public. C'est pourtant cette conception qui a conduit France Telecom dans cette impasse et qui nous fournit aujourd'hui de nombreux exemples de faillites et d'échecs traduisant une crise profonde du système capitaliste mondialisé. C'est aussi cette conception qui a conduit les chemins de fer britanniques à dérailler. C'est encore cette conception qui a poussé l'Argentine vers l'abîme. Les ravages du système sont considérables pour l'emploi, la formation, la recherche, la croissance réelle et la coopération. Le Premier ministre a beau jeu de parler de " financiarisation excessive " de l'économie. Les mots ne suffisent pas.
Et l'Etat de se dépouiller de ses atouts, à commencer par les plus efficaces. Les privatisations prévues n'auront pour seul résultat que de livrer à la course aux profits, et au règne des actionnaires, des entreprises publiques et des secteurs entiers de notre économie à l'encontre le développement durable et juste des capacités humaines. La situation extrêmement dépressive des marchés financiers reste un obstacle croissant qui risque d'accentuer cette tendance lourde à mutualiser les pertes et à privatiser les bénéfices. Face cette situation, Jean-Pierre Raffarin est obligé de repousser au printemps ou à l'automne 2003 le projet de privatiser Air France. C'est dire le crédit qu'on peut accorder à cette mesure.
On voudrait nous faire croire, y compris certains à gauche, qu'il faut différencier le secteur public marchand du secteur public non-marchand. Je ne crois pas au bien-fondé de cette subtile distinction. Je pense même que Jean-Pierre Raffarin entend nous montrer avec la décentralisation que tout peut se marchander. Déjà, la sous-traitance et la filialisation ont pris une telle ampleur au cur même du secteur public que certaines logiques de profit pèsent fort en son sein. Certaines entreprises, c'est le cas d'EDF, de GDF ou de France Telecom, ont engagé des politiques économiques hyper-agressives, qui sont le signe de cette dérive.
Entre 1997 et 2002, les ouvertures de capital et les cessions de titres ont rapporté à l'Etat 31 milliards d'euros. En proportion le rythme des privatisations partielles ou totales avec la gauche plurielle est nettement supérieur à celui adopté par Alain Juppé et presque comparable à celui d'Edouard Balladur. Dans les débats auxquels je participe, cette question vient souvent. Je crois que face à cette réalité, le parti communiste n'a pas pu peser suffisamment. Nous avons protesté contre les ouvertures de capital à France Telecom, estimant que le processus de privatisation totale était engagé. Nous avons essayé de résister aux pressions libérales dans le processus d'ouverture du capital à Air France. Le bilan aujourd'hui n'est pas très concluant.Tout cela, non pas pour blanchir notre action dans ce domaine mais pour montrer l'ampleur des questions et des contradictions qui se posaient à nous. Avec le recul, en regardant autour de nous la puissance des forces capitalistes, je crois effectivement que toute ouverture de capital porte en elle trop de risques. Lorsque l'on fait entrer le loup dans la bergerie, il faut s'assurer que l'on a de quoi le tenir à distance. Nous faisons aujourd'hui l'expérience que ce n'était pas le cas.
Je sais que cela a laissé des traces, que des repères sont brouillés. Je sais que le monde du travail et les couches populaires dans leur ensemble, que les salariés du secteur public, ont trop souvent eu le sentiment que nous les avions abandonnés. Je ne dis pas cela comme une généralité évasive. Sur cette question essentielle des privatisations, je crois que c'est vrai. Nous n'avons pas assez su faire vivre notre autonomie et mettre en débat les obstacles rencontrés.
Aujourd'hui, il nous faut riposter. Riposter et construire dans le même mouvement des perspectives, une alternative, en tirant tous les enseignements des années passées. Dès aujourd'hui, nous voulons au contraire utiliser le répit que le gouvernement de la droite est amené à donner à Air France pour mobiliser largement. Nous entendons le faire en avançant d'autres solutions pour répondre aux défis très profonds de renouvellement auxquels sont confrontées les entreprises publiques. Nous en voyons quatre particulièrement :
- Construire des coopérations européennes et internationales très intimes de long terme ;
- Mobiliser de nouveaux financements importants, ce qui peut passer par l'essor d'un nouveau crédit à très bas taux d'intérêt favorisant l'emploi, la formation et la recherche au lieu de l'appel au marché financier ;
- Une transformation en profondeur des gestions avec de nouveaux critères d'efficacité sociale, au lieu du faux dilemme entre le maintien de la bureaucratie d'Etat ou la fuite en avant dans la rentabilité financière ;
- Une intervention large des salariés et des usagers sur tous les enjeux de renouvellement avec des droits et des pouvoirs pour changer l'orientation des gestions des entreprises publiques.
Ainsi, au-delà même de leurs missions traditionnelles de service public confortées, les entreprises publiques pourraient chercher à assumer de nouvelles responsabilités pour un co-développement : contribuer à sécuriser l'emploi et la formation, impulser un nouveau type de croissance économe en moyens matériels et financiers, répondre, en fait, à des fins de développement humain et durable sur tous les territoires sans élitisme ni exclusion.
Avec tous ceux qui ont envie de prendre cette question à bras le corps, avec les salariés, les citoyens, nous voulons travailler pour défendre et développer les entreprises publiques. Pour que cette riposte soit forte, il faut que les communistes, y soient pleinement engagés en tant que tels, qu'ils se battent, qu'ils inventent. C'est pourquoi nous avons décidé de constituer une Coordination Anti-Privatisation pour une Alternative de Progrès (CAPAP) ouverte à tous. Elle est née des chantiers de la transformation sociale que nous avons initiés dans le cadre de notre congrès. D'autres initiatives ont déjà pris corps dans lesquelles des communistes sont engagés. Nous voulons travailler ensemble. Nous soutenons l'Appel " Face au marché le service public ", par exemple. Dans les temps qui viennent, c'est une même pétition que nous élaborons conjointement pour l'arrêt des privatisations. La nécessité de nouvelles appropriations publiques et sociales sur des secteurs vitaux aujourd'hui laissés à l'encan est vitale. Je pense au secteur de l'eau en particulier, qui est une question mondiale dont il faut se saisir. L'échec de Vivendi est un autre exemple s'il en fallait des ravages des privatisations. Je pense aussi aux infrastructures de télécommunication qui deviennent avec les incertitudes qui pèsent sur la reprise de Cegetel, un enjeu délicat pour l'avenir.
Dans la pratique, la coordination sera organisée sous la forme d'un réseau permettant la conjonction de toutes les forces autour de la bataille à mener sur le secteur et les services publics. Un tel réseau devrait permettre dans une premier temps de dresser un bilan citoyen des privatisations avec un travail méticuleux d'enquête et d'organiser des rencontres, des forums aux niveaux régionaux, nationaux et européen pour concevoir, faire discuter et prévaloir d'autres solutions.
La droite qui dit défendre une société du travail, défend en fait une société des actionnaires -un leurre pour les salariés-, une société de l'exploitation, une société du capital. Les privatisations mènent dans l'impasse. Y a-t-il une seule justification qui tienne la route parmi celles qui ont été avancées ? Privatiser pour pouvoir baisser les impôts, c'est la même politique de rigueur, d'injustice, d'inégalités, d'insécurité. Privatiser, c'est livrer un peu plus nos vies à la loi du plus fort. Il y a mieux à faire. En toute humilité, mais avec détermination, nous sommes prêts à engager cette bataille politique, à la faire grandir, à la faire gagner.
(Source http://www.pcf.fr, le 28 octobre 2002)