Interview de M. Olivier Besancenot, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire, à "LCI" le 4 octobre 2002, sur la mobilisation en faveur du service public à EDF, sur la politique européenne de privatisation et sur les clivages au sein de la gauche.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.- Vous avez participé à la manifestation pour le maintien du service public hier, à Paris. Les chiffres divergent beaucoup selon que l'énumération vienne de la police ou des organisateurs. C'est aussi important que vous le souhaitiez ?
- "Oui, de toute évidence, c'est un très gros succès. D'abord, parce que la grève a été très suivie chez les salariés d'EDF et parce que c'était un peu la première démonstration de force, le premier coup de semonce pour la droite d'une résistance sociale qui est en train de s'organiser, notamment sur la question des services publics. Un choix de civilisation est posé sur la question des services public et un sérieux avertissement est donné à tout ce Gouvernement, qui essaye de nous faire oublier avec des mots qu'il est quand même impliquer dans le problème de la refondation sociale."
Le Gouvernement vous coupe un peu l'herbe sous les pieds, parce qu'on a entendu plusieurs ministres dire que cela leur rendait service, parce que cela leur permet de plaider à Bruxelles en faveur du service public à la française !
- "Je ne leur fait aucune confiance pour négocier un quelconque service public, parce que la politique, depuis plus de 25 ans, c'est de détruire les services publics les uns derrière les autres ..."
Vous y aller un peu fort !
- " ... Malheureusement, sous les gouvernements de droite, mais aussi sous les gouvernements de gauche, puisque l'on se rappelle que le gouvernement de la gauche plurielle a privatisé à lui seul plus que Juppé et Balladur réunis à l'époque ! On segmente les services publics en différentes filiales, on essaye d'offrir ce qui est rentable aux intérêts privés et ce qui n'est pas rentable, on le laisse à l'Etat. Du coup, cela introduit une inégalité de traitement. Pour prendre des exemples tout bête, à La Poste ou à EDF, on va "prioriser" le service entreprise, c'est-à-dire ceux qui auront les moyens. C'est ce qu'on va rendre prioritaire dans le service, dans le traitement, dans les prix aussi. Et du coup, il y a une inégalité de traitement entre usagers et les clients les plus riches. Ca, c'était un acquis du service public."
Vous trouvez vraiment que le service public défavorise les clients les moins riches ? On a vu au moment des tempêtes et des inondations, et EDF, pour ne parler que d'elle, était très présente, France Télécom aussi.
- "Les salariés de France Télécom et d'EDF font le travail qu'ils peuvent dans le cadre de ce qui reste du maintien de l'Etat. Mais pour prendre le seul exemple de La Poste, je peux vous dire qu'au quotidien, ce que l'on nous demande de passer prioritairement, c'est le courrier entreprise et le courrier des usagers peut-être stocké de jour en jour, alors que théoriquement, la nature du service public devrait donner une égalité de traitement pour tous, ce qui n'est plus garanti, qu'on soit d'une origine sociale ou d'une autre, d'un département ou d'un autre. Aujourd'hui, on est en train de défavoriser les quartiers populaires, les zones rurales, parce qu'elles en sont pas jugées rentables. Le problème est que si l'on introduit des critères de rentabilité là où on devrait parler de besoins fondamentaux, on va directement droit contre un mur. On fait un peu ce qui a été fait en Grande-Bretagne, où on a tout libéralisé de façon sauvage et aujourd'hui, la majorité..."
On en est loin quand même ! On en est très loin en France !
- "C'est ce qu'on est en train de nous préparer, je crois que c'est le modèle de certains. Je crois que la majorité des Britanniques regrette les privatisations du rail, de l'énergie ou du transport, parce que quand on parle du transport aérien ou des hôpitaux, on parle en plus de sécurité et là-dessus, on n'a pas le droit rigoler."
Vous ne faites pas crédit au Gouvernement français ne pas suivre l'exemple pas très reluisant de la Grande-Bretagne ?
- "Je crois qu'il y a une politique européenne ; aujourd'hui, les gouvernements de droite, qui sont devenus majoritaires après l'échec des gouvernements de gauche - qui leur ont largement prémâché le boulot - sont en train de privatiser au fur et à mesure. Ils font le contraire de ce qu'il faudrait faire. Aujourd'hui, les différents opérateurs publics devraient essayer de se coordonner un peu, pour poser les jalons d'un service public européen. Parce que quand on parle de droit élémentaire comme se chauffer, se soigner, s'éclairer, c'est à l'échelle européenne qu'il y a ce type de besoins. C'est donc à l'échelle européenne qu'on aurait besoin d'un service public postal ou des transports, par exemple."
Avant qu'on parle de votre action politique actuelle, je voudrais vous demander simplement ce que vous devenez : après avoir été candidat à l'élection présidentielle, vous avez vraiment repris votre boulot ?
-"J'ai vraiment repris le boulot entre les deux tours de l'élection présidentielle - à mon grand regret, puisque dans les professions de foi que j'ai dû distribuer dans les boites aux lettres, il y avait celles de J.-M. Le Pen ! Depuis, je continue mon combat politique comme un des porte-parole de la LCR. Et donc, hier, à la manifestation, c'est en tant que militant politique et en tant que facteur que j'étais présent dans la rue."
On est content de vous l'entendre dire - enfin, réaffirmer. Vous repartez au combat pour essayer de constituer ce front unitaire de gauche dont vous parlez depuis longtemps, mais qui ne se met pas en place. Faute de partenaires peut-être ?
- "En tous les cas, ce qu'il faudrait, dans l'action, c'est que toute la gauche soit rassemblée pour soutenir ce type d'initiatives, comme on a pu le voir hier, mais qui vont se multiplier. Il faut savoir que dans le mois qui va venir, il y aura des grèves d'enseignants, que l'ébullition va continuer dans les hôpitaux publics, à La Poste aussi probablement. Sur des questions aussi concrètes que les services publics, les salaires, les emplois, les retraites, il faudrait aussi parler de la répression syndicale. Je crois que ce serait la moindre des choses que toute la gauche sociale et politique soit rassemblée de façon permanente, de façon quotidienne aux côtés des salariés. Après, sur les questions politiques, il reste des désaccords. Ces discussions-là, on compte les avoir dans le cadre de mobilisations elles-mêmes. On n'oublie pas le bilan de la gauche plurielle, on n'oublie pas qu'à Barcelone, il n'y a pas si longtemps que ça, Jospin et Chirac étaient main dans la main pour ouvrir le capital d'EDF, pour proposer d'allonger un peu plus la durée de travail des gens pour le système des retraites. Donc, aujourd'hui, il y a des débats qui continuent de faire clivage au sein de la gauche, mais cela n'empêche pas d'être rassemblés dans l'actions.
Vous dites Chirac-Jospin, mais au Parti socialiste, certains remettent en cause cette politique ; qu'est-ce que vous leur dites ?
- "On jugera sur les faits, concrètement, dans les actes, dans la rue. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que les gens renient ce qu'ils ont fait pendant cinq ans au gouvernement. Je préfère les voir du côté de la mobilisation, du côté des salariés que le contraire. Mais on jugera sur les faits, il y a probablement un problème de crédibilité. Je sais qu'il y a des nouveaux courants à gauche du PS qui expliquent à longueur de tribune dans les journaux toute une série de revendications qu'ils ont été incapables de faire pendant plus de cinq ans. On jugera sur pièce."
Est-ce qu'ils ne viennent pas un peu marcher sur vos plates-bandes ?
- "Non, parce que je pense d'abord à l'intérêt collectif. Dans l'action concrète, je pense qu'il faut un rassemblement unitaire et sans sectarisme. Par contre, sur les questions politiques, je crois que plus que jamais, il y a deux gauches, même quand on prend la question du service public : il y a une gauche qui est satellisée par le PS, qui est convertie au libéralisme et une autre gauche sociale, anticapitaliste, dont la LCR n'est pas le seul représentant et qu'on voit s'exprimer dans la rue."
Elle s'exprime, mais quand il s'agit de s'asseoir autour d'une table, Lutte ouvrière vous dit "non merci" et le Parti communiste dit "non, pas avec les partis d'extrême gauche".
- "Le paradoxe est qu'il n'y a jamais eu autant d'attente à la gauche de la gauche plurielle pour créer un nouveau parti qui défendrait jusqu'au bout les intérêts du monde du travail. Mais c'est vrai qu'en même temps, il n'y a jamais eu aussi peu de partenaires nationaux. Localement, il y a des militants du PC, des Verts, du PS parfois, mais surtout beaucoup de militants du mouvement social qui travaillent déjà avec nous pour essayer de construire cette nouvelle force."
Et que deviennent les nouveaux adhérents ? Ils sont fidèles, ils sont restés ou était-ce un mouvement spontané sans lendemain ?
- "Il est encore un peu tôt pour le dire parce qu'on continue notre campagne de recrutement. Il y a encore des gens qui viennent taper à la porte de la LCR, qui reste une petite organisation, mais pour nous, c'est déjà beaucoup. Je crois qu'ils continuent surtout à garder l'enthousiasme que nous avions pendant la campagne des présidentielles, qu'on a toujours gardé dans le cadre du mouvement antimondialisation. Et cette année, en France, ce sera une date importante, puisque c'est cette année, à Evian, que se tiendra le sommet du G8 au mois de janvier prochain. C'est loin mais en même temps, c'est très proche."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 oct 2002)