Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur la recherche au service du développement durable et la réduction de l'effet de serre, Paris le 18 septembre 2002.

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Circonstance : Colloque international et interacadémique sur le thème "Effet de serre, impacts et solutions : quelle crédibilité ?" à Paris le 18 septembre 2002

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Messieurs les Présidents,
Messieurs les Secrétaires Perpétuels,
Messieurs les directeurs,
Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi un grand honneur de vous adresser ces quelques mots dans ce cadre prestigieux de l'Académie des Sciences, alors que se clôt le colloque interacadémique sur l'effet de serre, ses impacts et solutions et leur crédibilité.
La notion de crédibilité est très importante dans un domaine où les idées reçues, qui ont longtemps dominé le débat, n'ont pas toujours disparu. C'est tout le rôle et la responsabilité d'Institutions comme les vôtres que de proposer des conclusions scientifiquement fondées, avec toute la crédibilité conférée par une réputation d'excellence et de les diffuser à l'ensemble des acteurs.
Vous venez, M. Dercourt, d'évoquer le développement durable. Ce matin-même, en conseil des ministres, nous sommes revenus sur le récent sommet de Johannesbourg et je peux partager avec vous la volonté exprimée par le Président de la République que la France s'engage activement pour le développement durable.
Je profite donc de l'occasion qui m'est donnée d'affirmer ici la volonté du Ministère de poursuivre et de stimuler la dynamique engagée ces dernières années dans la recherche sur, pour, au service du Développement Durable, en mobilisant l'ensemble des compétences scientifiques et des secteurs économiques et sociaux concernés.
Les dix années écoulées depuis Rio ont permis d'affiner les études et le diagnostic des spécialistes, ainsi que de renforcer la prise de conscience des grands enjeux liés à l'impact de l'effet de serre et aux pistes de solutions.
Plus récemment, au printemps 2002, la présentation du rapport du Groupement International d'Etude du Climat (GIEC) a permis de dresser l'état des lieux de ces questions.
Je souhaite, à cette occasion, féliciter les scientifiques français qui ont participé à ces travaux et à la rédaction des documents de synthèse.
J'invite également la communauté des scientifiques français à s'impliquer encore davantage dans les débats de ces grands forums internationaux par le partage de points de vue et de résultats. Je note enfin que ce rapport confirme une hypothèse du Sommet de Rio selon laquelle le réchauffement climatique serait une réalité et que ce réchauffement serait lié en partie aux activités humaines.
J'ai récemment eu l'occasion de rappeler l'importance que j'accorde à la nature pluridisciplinaire de la recherche sur le climat et plus généralement sur le développement durable. Je souhaite ici saluer le prestige et la compétence des Institutions organisatrices de ce colloque : elles assurent ce rôle indispensable d'expertise pluridisciplinaire, de vigilance et d'alerte, enfin de diffusion de leurs conclusions aux principaux acteurs.
Les attentes de nos concitoyens à l'égard de la science et de la recherche sont extrêmement fortes. La science et la recherche doivent simultanément établir un diagnostic, par exemple, sur l'évolution du climat et proposer une meilleure compréhension de phénomènes comme l'effet de serre.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à un paradoxe : une large partie des opinions publiques attribue aux applications de la science et de la recherche une responsabilité dans la dégradation de notre planète ou l'évolution du climat alors que la science et la recherche, par des analyses toujours plus affinées, des travaux pluridisciplinaires toujours plus complexes et systématiques, des observations de plus en plus fiables sont pour une grande part à l'origine de la perception de la nature et de l'ampleur de ces dégradations de la Terre comme de sa capacité de remédiation naturelle ou accompagnée. Il n'est désormais plus admissible que par ignorance des conséquences de leur comportement les hommes puissent porter atteinte à l'équilibre de notre planète et que, selon les termes du Président de la République, "notre planète se dégrade à un rythme plus rapide que sa capacité de régénération".
La question climatique prend aujourd'hui toute son acuité en raison de la croissance démographique mondiale, de nos modes de vie fortement consommateurs d'énergie (fossile, hydraulique ou nucléaire), du formidable développement industriel ou de la modification de la production agricole, que ce soit sa sophistication ou son intensification.
Nous pouvons nous féliciter de la longue tradition française d'investissement dans la recherche pour le développement telle qu'elle s'illustre au sein de l'Institut de Recherche pour le Développement, de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie, du CIRAD ou d'autres structures qui témoignent d'une approche pluridisciplinaire permettant de transcender les logiques disciplinaires, institutionnelles, nationales.
A cet égard, le rapport de l'IRD "La science au service du développement durable", fruit du travail des organismes de recherches français et que j'ai récemment présenté à la presse est tout à fait remarquable.
La pierre d'angle de la recherche française sur le climat est le Programme National d'Etude de la Dynamique du Climat animé par l'Institut National des Sciences de l'Univers et de l'Environnement du CNRS. Plusieurs organismes relevant de mon ministère y participent : le CEA, le CEMAGREF, le CNES, l'IFREMER, l'IRD, ainsi que le Ministère de l'Ecologie et du développement durable ou encore Météo-France. Ce programme est dédié à la compréhension des interactions entre les différentes composantes du système climatique (atmosphère, océan, biosphère, cryosphère).
Parmi les actions en cours, signalons : la création des Observatoires de la Recherche sur l'Environnement, les recherches paléoclimatiques françaises en Antarctique ou encore l'analyse des sédiments océaniques visant à fournir des données fiables sur les variations du climat à l'échelle du dernier million d'années.
Citons également MERCATOR, programme d'océanographie opérationnelle fondé sur le couplage des mesures faites par les bouées et de celles récupérées par les satellites TOPEX-POSEIDON et JASON permettant de mieux cerner le rôle des océans dans les variations du climat.
Toutes ces actions s'inscrivent dans une logique d'analyse du risque, aux fins de prévention, d'alerte et de mobilisation de moyens lorsque le temps de réaction est brève.
Sur une échelle de temps plus longue, la modélisation et l'analyse des paramètres permet d'espérer l'élaboration de modèles crédibles.
Par ailleurs, de nombreuses équipes de recherche en France sont mobilisées sur les thématiques fondamentales de l'énergie qui incluent par exemple l'énergie photovoltaïque, l'énergie éolienne, solaire ou géothermique.
Les résultats encourageants obtenus dans ces travaux conduisent dès aujourd'hui à rendre disponibles des moyens technologiques associés à la mise en oeuvre de ces énergies. C'est un pas qu'il nous reste à franchir.
Dans les alternatives plus radicales, signalons le développement des piles à combustible associées à des filières de production d'hydrogène à partir de sources d'énergies non fossiles.
Enfin, l'énergie nucléaire contribue également à la limitation des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre d'une demande énergétique croissante. Elle s'inscrit dans une problématique qui suppose à la fois de répondre aux besoins du présent et de ne pas compromettre ceux des générations futures (par exemple par la gestion des déchets nucléaires).
Bien que ces énergies ne soient pas d'application universelle en raison des contraintes liées à leur emploi, la diversification qu'elles offrent peut constituer dans certains cas une réponse adaptée aux enjeux du développement durable.
Il nous faut maintenant aller plus loin, avec audace, par exemple en inscrivant la stabilité et la viabilité à longue échelle de temps au coeur même des activités de recherche et, pourquoi pas, de leur évaluation.
Il importe de développer cette culture de l'évaluation associée à la prospective, toutes deux si nécessaires à l'échelle du diagnostic climatique et vital pour l'avenir si nous voulons voir se développer une recherche encore plus performante et reconnue.
Cette approche intégrant la durabilité conduit la recherche à se donner des objectifs nouveaux, plus globaux, avec des approches plus systémiques, sur des échelles de temps plus longues, avec pour conséquence aussi un changement culturel pour les chercheurs eux-mêmes comme pour l'ensemble de la société.
Dans cette mission, il nous faut nous appuyer sur les Sciences humaines et sociales, c'est-à-dire renforcer les travaux sur les interactions entre l'environnement, la vie dans son organisation technique et économique, les sociétés avec leurs différents systèmes humains, politiques et sociaux.
Pour faire de la France un moteur dans l'Espace européen de la recherche, j'invite les chercheurs à participer activement au 6ème PCRD, notamment comme coordinateurs de projets.
Le lancement de l'appel d'offres aura lieu fin 2002 : incitons les chercheurs français à y présenter des projets ambitieux et de qualité qui les rassemblent avec les meilleures équipes européennes, dans le cadre des réseaux d'excellence et projets intégrés, en particulier dans le domaine du Développement durable.
Tout ceci passera également par le renforcement des capacités scientifiques des pays moins développés avec un transfert de compétences mais aussi une prise en compte de leurs problématiques propres et devra se traduire par une intensification de la concertation internationale au sein des grands programmes d'observation, à l'intérieur desquels chaque pays puisse apporter sa contribution de manière coordonnée et reconnue.
Nous sommes aujourd'hui à l'aube de ce qui pourrait être considéré comme une mission de sauvegarde à l'échelle planétaire.
Je sais, pour en avoir lu certains encore récemment, que les rapports et actes de Colloques publiés par l'AdS conjuguent excellence académique, haut degré d'exigence scientifique et remarquables qualités de clarté et d'accessibilité même aux non-spécialistes.
Je lirai avec une grande attention les conclusions de ce colloque dès leur publication et je forme le voeu que chacun d'entre vous, avec toute sa notoriété, en soit le vecteur dans la communauté scientifique.
Vous savez à quel point la recherche se nourrit de tous ces débats. Les questions que vous avez abordées pendant ces trois jours, avec leurs réponses, seront pour nous autant d'éléments d'appui. Nous sommes tous conscients de nous trouver face à une infinie complexité. Mais plus l'enjeu est de taille, plus on se doit de mobiliser l'excellence.
(source http://www.recherche.gouv.fr, le 4 novembre 2002)