Déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur la réduction du temps de travail, la lutte contre le chômage, la création d'emplois, les allégements de charges des entreprises, les droits des salariés et le temps partiel, à l'Assemblée nationale le 19 octobre 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Vote solennel en première lecture de la loi sur la réduction négociée du temps de travail à l'Assemblée nationale le 19 octobre 1999

Texte intégral

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité
Au terme de cette première lecture, je souhaite adresser mes remerciements chaleureux au président de la commission des affaires culturelle, Jean Le Garrec, qui a, une fois encore, honoré cette assemblée par la qualité de sa réflexion et l'énergie qu'il a consacrée à enrichir ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
Je voudrais aussi saluer le rapporteur Gaëtan Gorce, qui a contribué fortement à l'élaboration de cette loi (Mêmes mouvements).
Merci, enfin, à Yves Rome et Gérard Terrier pour leur implication personnelle et à tous ceux, dans la majorité, qui ont débattu pour enrichir ce texte, principalement Maxime Gremetz, Yves Cochet, Georges Sarre et Jacques Rebillard (Mêmes mouvements).
Je l'ai déjà dit à l'opposition, j'ai apprécié que nos débats restent sereins. Si les modalités de la réduction du temps de travail ne conviennent pas à tous, on n'en conteste plus le principe, parce que les Français la souhaitent ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)
Je ne souhaitais pas vous placer en contradiction avec les Français, c'est vous qui le faites !
On compte déjà 130 000 emplois créés et 16 000 accords d'entreprises. Les Français le savent, la réduction du temps de travail crée des emplois.
Depuis deux ans, je le répète, la priorité du Gouvernement, c'est l'emploi.
Aucune piste ne doit être négligée. L'objectif du retour au plein emploi ne peut être atteint qu'avec la mobilisation de tous les acteurs économiques et sociaux.
Le chômage ébranle les fondements mêmes de notre société et sa réduction est nécessaire pour des raisons sociales autant qu'économiques. C'est au retour de la confiance, lui-même dû à la baisse du chômage, que nous devons cette croissance, saluée par les organismes internationaux comme la plus élevée du monde industrialisé.
Il n'y a pas d'un côté la création de richesse et de l'autre un Etat devant prendre en charge les plus démunis. Chacun doit prendre sa part dans la lutte contre le chômage.
Les entreprises ont un rôle majeur à jouer, en utilisant mieux leur capital humain et en améliorant leur compétitivité.
Aussi ferme qu'est notre détermination à impliquer les entreprises dans cette lutte contre le chômage, est claire notre volonté à ne pas faire une loi contre les entreprises.
Depuis deux ans, nous avons voulu faire de la réduction du temps de travail un outil majeur pour lutter contre le chômage, améliorer les conditions de travail et de vie de nos concitoyens et renforcer les performances de nos entreprises.
Nous avons pour cela fixé une méthode : la négociation. Je crois pouvoir dire aujourd'hui que les objectifs de la loi sont non seulement maintenus mais enrichis après nos débats.
Je veux dire ma satisfaction de voir combien sur ce texte, la majorité plurielle a fonctionné comme une vraie majorité politique, partageant des débats sans tabous ni calculs. Loin de la cacophonie, elle a mis en musique une seule et unique partition, dont l'harmonie d'aujourd'hui est le produit de ses inspirations plurielles (Rires sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Une harmonie dont vous pouvez sans doute être jaloux Chacune des formations de la majorité a investi en temps, en réflexion et en proposition.
Nous avons ainsi conforté notre objectif emploi tout en élargissant les espaces laissés à la négociation et en renforçant le cadre et les garanties relevant de la loi.
Quelles sont ces caractéristiques qui feront selon moi le succès de cette loi demain ?
Comme l'a rappelé à plusieurs reprises le président de la commission, il faut faire confiance aux salariés et aux chefs d'entreprise ; c'est de la négociation qu'émergent les solutions adaptées à la réalité de chaque entreprise. C'est comme cela que nous sommes parvenus depuis un an à la conclusion de milliers d'accords sur mesure.
A l'exception d'un accord de branche, tous entrent dans la champ d'application de la présente loi.
Nos débats ont aussi permis d'affirmer la nécessité d'une période d'adaptation.
Le point d'équilibre de cette loi tient à l'articulation de la négociation et de la loi. Et je suis particulièrement heureuse de la façon dont notre débat a enrichi les espaces laissés libres à la négociation.
Ainsi, l'amendement adopté à l'initiative d'Odile Saugues et repris par la commission des affaires sociales et l'ensemble des formations de la majorité oblige désormais toute entreprise à engager des négociations sur la durée du travail avant de pouvoir déposer un plan social.
Il faut en effet tout faire pour bannir les licenciements en généralisant cette méthode.
Vous avez aussi choisi d'enrichir la négociation entre les salariés et les chefs d'entreprise, en leur donnant la possibilité de consulter les salariés non plus seulement après mais aussi avant la signature d'un accord.
L'objectif emploi de la loi a été consolidé. Je l'ai dit à plusieurs reprises : cette loi n'est faite ni pour plaire, ni pour déplaire mais pour réussir les 35 heures. Et la réussite des 35 heures se jauge particulièrement à l'aune du nombre d'emplois créés, à la manière dont elles contribueront à l'amélioration des conditions de vie des salariés et de la compétitivité des entreprises (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).
La première étape a permis la création ou la préservation de plus de 130 000 emplois. Nos débats ont naturellement cherché la manière dont cette loi de généralisation des 35 heures pouvait aider les négociateurs dans chaque entreprise à optimiser l'effet emploi.
C'est pour cela qu'à l'initiative du groupe communiste, et en particulier de Maxime Gremetz et Muguette Jacquaint, nous avons affirmé clairement que chaque accord devra créer ou préserver des emplois et que les embauches prévues devront se réaliser dans l'année.
Nous avons également enrichi ce projet de loi d'une disposition prévoyant la suspension des allégements de charges pour toute entreprise ne respectant pas les engagements d'embauche prévus dans son accord. Les signataires de l'accord pourront saisir l'administration du travail lorsqu'ils estiment que l'engagement emploi n'est pas respecté.
Le groupe communiste a insisté à juste titre sur ces dispositions qui tendent au contrôle de la bonne utilisation des fonds publics ; cela répond à une exigence démocratique fondamentale.
Vous avez souhaité également qu'un bilan national de l'application de la loi soit présenté à la commission nationale de la négociation collective, puis transmis au Parlement et au conseil de surveillance du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales. Nous disposerons là d'un outil d'évaluation de l'impact de la réduction du temps de travail sur l'emploi.
Cette loi permet également la mise en place de garanties supplémentaires pour les salariés. Si la loi laisse toute sa place à la négociation, il lui revient de définir l'ordre public social, par la production de clauses dont aucun salarié ne peut rester à l'écart.
C'est ce que vous avez fait notamment reprenant les amendements de la commission visant à encadrer plus efficacement le temps partiel.
Le temps partiel est considéré par une majorité de ceux qui le vivent comme une forme de travail subie et précaire. Cette réalité en côtoie une autre contradictoire : beaucoup de Français aspirent en effet à une forme de temps choisi, leur laissant davantage de disponibilité.
C'est pourquoi ce projet encadre désormais plus efficacement le temps partiel en renforçant les droits des salariés, en encadrant mieux les heures complémentaires, en permettant aux salariés de refuser une modification de la répartition des horaires, notamment pour des raisons familiales. Ces dispositions seront également favorables aux femmes, permettant une meilleure articulation entre la vie professionnelle et la vie hors de l'entreprise. Cela répond à l'une de leurs principales aspirations, comme l'a souligné Mme Génisson.
Cette seconde loi permet par ailleurs de dégager des solutions pragmatiques à des problèmes que certains présentaient à la veille de notre débat comme insolubles.
Il en va ainsi des cadres. La négociation a permis de s'assurer qu'ils bénéficient aussi concrètement de la réduction du temps de travail. A cette fin, un amendement de votre commission a précisé à juste titre la définition des cadres dirigeants.
Nos débats ont précisé dans plusieurs domaines les objectifs affichés par le Gouvernement et renforcé les garanties offertes aux salariés. Il en est ainsi de l'amendement de la commission et de l'ensemble des groupes de la majorité sur la définition du travail effectif, de la réduction de la durée maximale de travail de 46 heures à 44 heures sur douze semaines et de la majoration des heures supplémentaires à 50 % à partir de 43 et 47 heures. Vous avez par ailleurs fixé le repos hebdomadaire minimum à 35 heures, en application d'une directive européenne, désormais inscrite dans notre législation, et clarifié le régime des astreintes et des équivalences.
Enfin, et c'est un acquis essentiel de nos discussions, toute nouvelle entreprise aura droit aux aides incitatives prévues dans la première loi dès lors qu'elle fera bénéficier ses salariés aux SMIC de la garantie salariale mensuelle prévue par la loi. A n'en pas douter, cette disposition sera favorable à la création d'entreprise.
Enfin, vous avez souhaité rendre ce texte plus incitatif, pousser davantage les entreprises à négocier pour parvenir à des accords sur mesure et généraliser ainsi le passage effectif de la durée du travail à 35 heures.
Nous avons assoupli les conditions d'accès à l'aide incitative pour les petites et moyennes entreprises. Cette avancée doit beaucoup à Jean Pontier et Jacques Rebillard, députés radicaux de gauche.
En outre, concernant le temps de travail des salariés postés, les allégements de charges sont conditionnés à une réduction de la durée du travail équivalente à 33 heures et 36 minutes, c'est-à-dire au passage en cinq équipes.
De plus, à l'initiative de M. Yves Cochet, nous sommes tombés d'accord pour majorer les allégements de charge en cas de passage à 32 heures hebdomadaires.
Enfin, et ce n'est pas la moindre des avancées, nous avons supprimé l'abattement temps partiel pour les nouveaux contrats un an après la baisse de la durée légale, afin de favoriser le temps partiel choisi.
A la fin de ce débat en première lecture, nous sommes parvenus à un texte équilibré et cohérent. Nous avons en effet déplacé le débat, comme les Français nous y invitaient, du terrain des slogans vers celui des intérêts respectifs des salariés et des entreprises.
Nous n'avons pas opposé l'intérêt des uns à celui des autres. Au contraire, nous avons systématiquement réfléchi à la façon dont toutes les catégories de salariés pouvaient bénéficier de la réduction du temps de travail. Nous avons concilié l'impératif de compétitivité et l'exigence de sécurité dans le travail.
Nous avons, en fait, simplement suivi la voie qui nous était ouverte par les 50 000 négociateurs de la première étape. Ils ont joué un rôle déterminant en s'engageant plus tôt que les autres dans la réduction du temps de travail et en trouvant des solutions pragmatiques et originales, toutes également favorables à la création d'emploi.
Plusieurs députés RPR - On croit rêver ! Revenez sur terre !
Mme la Ministre - Nous réalisons avec cette loi une avancée considérable. Une avancée pour l'emploi, une avancée pour la négociation sociale en France, une avancée pour la réorganisation du travail dans les entreprises, enfin, une avancée pour les garanties des salariés.
Je suis convaincue depuis toujours que le meilleur agent du progrès économique c'est le progrès social lui-même. Avec la réduction du temps de travail nous réconcilions l'économique et le social et apportons ainsi une réponse aux craintes de nos concitoyens.
Ce progrès social, introduit grâce à la loi, la majorité a voulu le réaliser, unie (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).
L'union, vous en rêvez, chez nous c'est une réalité !
Unis, nous sommes forts, forts de nos convictions et de nos valeurs. Unis, nous pouvons, grâce aux 35 heures, faire reculer le chômage. Unis, nous allons, grâce aux 35 heures, changer la vie de nos concitoyens, qui savent qu'ils peuvent compter sur nous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).
(source http://www.assemblée-nationale.fr, le 21 octobre 1999)