Déclaration de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur la mobilisation des professionnels des marchés financiers en faveur du passage à l'euro, Paris le 9 décembre 1997.

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Circonstance : Entretiens de la Commission des Opérations de Bourse lors du 30ème anniversaire de la COB à Paris le 9 décembre 1997

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
L'année 1998 doit être celle de la mobilisation générale en faveur de la préparation de la place de Paris à la monnaie unique. Pourquoi ? Pour deux raisons évidentes :
*l'euro se fera au 1er janvier 1999. Les marchés ne disent pas autre chose : l'accélération de la convergence des taux d'intérêt observée depuis fin septembre est là pour le confirmer. Fin octobre, alors que la crise boursière à Hongkong " secouait " les marchés d'actions, on a vu fonctionner pour la première fois un " bloc euro ". Ce bloc est également présent dans le récent mouvement des banques centrales et dans la volonté franco-allemande de promouvoir un conseil de l'euro, dit " Euro-X " : tous les acteurs " pensent euro " ;
*l'euro modifie profondément la structure des marchés, parce qu'il élargit l'éventail des possibles pour les émetteurs comme pour les investisseurs. Marché des changes, des taux d'intérêts, des actions, aucun compartiment ne se trouve à l'écart de ce bouleversement. C'est un formidable défi pour la place de Paris, mais aussi une opportunité exceptionnelle. C'est aussi un formidable défi pour les autorités de marché : la COB ne pouvait pas célébrer son 30ème anniversaire sur un thème plus décisif que celui de la régulation des marchés européens.
C'est pourquoi, même si on fête un anniversaire, l'heure n'est pas aux bilans mais à l'action pour préparer l'avenir. L'engagement des pouvoirs publics - mon engagement - aux côtés de la place de Paris doit à mon sens s'organiser autour de deux priorités : (i) faire de la place de Paris une place européenne, en liaison étroite avec les places des pays participant à la zone euro ; (ii) renforcer les marchés d'actions, car l'investissement en fonds propres dans les entreprises est facteur d'emplois et de croissance.
I - Faire de la place de Paris une place européenne
A - Le passage à l'euro va modifier la régulation des marchés
Si le passage à l'euro devait se traduire par un cloisonnement des marchés nationaux ou si la concurrence entre places devait se traduire par une concurrence réglementaire entre les États, c'est la zone euro dans son ensemble qui y perdrait. Il faut donc se préparer à une convergence des règles et des conventions de marché et à la mise en oeuvre des dispositifs de reconnaissance mutuelle. Je pense que la pression de marchés en faveur de l'harmonisation sera très forte et qu'il nous appartient de l'anticiper.
De ce point de vue, je ne peux que me féliciter des initiatives prises par les régulateurs boursiers de la Communauté européenne dans le but de favoriser la coordination de leur action et de renforcer leur dialogue. Je tiens à féliciter très chaleureusement Michel Prada et les équipes de la COB pour leur volonté d'avancer dans ce domaine.
B - Les coopérations entre les marchés doivent être renforcées : le premier point d'application concret de cette démarche européenne sera la coopération entre les marchés français et allemand. A la suite du rapprochement entre la SBF et le MATIF, l'annonce de la reprise des négociations entre les bourses de Paris et de Francfort et la signature d'un accord de principe sont d'excellentes nouvelles. Il s'agit bien d'asseoir une place continentale forte.
Cette alliance ambitieuse, qui passe par la création d'une plate-forme commune de négociation, la mise en place d'un dispositif d'appartenance commune aux deux marchés et la création d'indices européens), est naturelle pour permettre aux deux marchés de valoriser au mieux leurs atouts dans un marché de l'euro unifié. L'alliance franco-allemande, si fondamentale dans la construction de l'Europe, doit également jouer tout son rôle dans l'Europe des marchés.
C - L'insertion de la place financière de Paris dans le marché unifié de l'euro sera prise en compte par des aménagements législatifs . Trois mots d'ordre présideront à l'élaboration de ces dispositions qui seront présentées au Parlement au printemps :
*innovation : la loi autorisera la création de produits nouveaux. La place de Paris doit en effet pouvoir se développer dans les secteurs où elle dispose d'un avantage compétitif incontestable. Seront ainsi autorisés la création de nouveaux produits de gestion pour le compte de tiers : OPCVM à compartiments, fonds de fonds, fonds réservés aux investisseurs professionnels. Les professionnels français pourront ainsi commercialiser à partir de France ce qu'ils sont aujourd'hui contraints de commercialiser à partir de véhicules " off shore " ou de pays proches, et mettre en oeuvre les techniques de commercialisation et de gestion les plus modernes ;
*transparence : la création d'un statut de l'investisseur professionnel et la nouvelle définition de l'appel public à l'épargne clarifieront les règles du jeu pour les émetteurs, les intermédiaires et les émetteurs. L'adaptation des règles de fonctionnement du marché obligataire domestique et " eurofranc " aux nouvelles conditions créées par la monnaie unique sera menée à bien à cette occasion ;
*simplification de l'environnement juridique des émetteurs, chaque fois que c'est possible sans sacrifier aux exigences de sécurité et de transparence des opérations. De ce point de vue, les conclusions de la mission confiée par la COB à M. Esambert, membre du collège, sur l'aménagement éventuel du dispositif de rachat de ses propres actions par une société, seront intéressantes.
II - Développer les marchés d'actions, au service de la croissance et de l'emploi.
A - Le constat : le marché français des actions a changé de dimension . Paris n'est pas qu'une place de taux, même si elle doit rester forte et dynamique sur ce segment ! Je suis frappé de voir à quel point, depuis quelques années, la position concurrentielle du marché français s'est renforcée. Trois éléments sont particulièrement significatifs :
*le volume de transactions a dépassé les 2000 MdF en novembre 1997, record historique qui traduit un augmentation de 70 % sur un an. Aujourd'hui, la capitalisation boursière approche les 4000 MdF ;
*la compétitivité de marché est incontestable, tant en termes de système de négociation que de coût de transactions - le " moins cher du monde " si j'en crois une revue spécialisée ("Institutional Investors") ;
*un marché ouvert sur l'international, puisque les investisseurs non-résidents y sont très présents. C'est une chance et une opportunité pour la place, et la meilleure preuve de sa reconnaissance internationale.
La réussite de l'introduction récente de France Télécom est là pour démontrer la maturité et la capacité des marchés d'actions : cette opération - la plus importante jamais réalisée dans notre pays - doit être saluée, ici comme à l'étranger, comme une remarquable réussite.
B - L'investissement en actions doit encore être développé.
C'est un sujet central pour l'avenir de notre économie et de notre pays. Notre économie souffre en effet d'être fondée sur un capitalisme sans capital. Or le marché des actions est essentiel pour le financement de l'économie et des entreprises - qu'il s'agisse des PME ou des grands groupes internationaux. La croissance à moyen et long terme, la capacité d'investissement et d'innovation, le développement durable de l'emploi se jouent aussi là.
Face à cela, face aux questions qui se posent aujourd'hui sur l'organisation de notre économie, je compte traduire très rapidement deux orientations dans les faits :
Une plus forte présence des investisseurs institutionnels sur les actions. Ceux-ci ne consacrent que 10 % à 15 % de leurs actifs aux actions. Cela se traduit dans la capitalisation boursière, qui représente 35 à 40 % du PIB, contre environ 100 % au Royaume-Uni ou aux États-Unis.
Je proposerai donc au Parlement, dans le cadre des débats en cours sur le projet de loi de finances pour 1998 et en liaison étroite avec la Commission des Finances de l'Assemblée nationale, une évolution plus prononcée de l'assurance vie en faveur des actions. Il pourrait s'agir d'un élargissement du dispositif qui figure déjà dans la loi de finances en faveur du capital risque pour en faire bénéficier les actions cotées. Un tel dispositif, qui porterait à la fois sur les flux et sur les stocks d'assurance vie, serait définitivement intégré à la loi de finances avant la fin de l'année.
Il faut aller au-delà : la réflexion sur les fonds d'épargne retraite, que le Gouvernement va relancer, devra intégrer cette dimension du financement de l'économie. Cela ne veut pas dire qu'il faut confondre les objectifs : il s'agit bien en la matière de rechercher un mécanisme complémentaire collectif d'épargne pour la retraite, respectueux du fonctionnement et de l'équilibre des régimes par répartition.
Mais on le voit chez nos voisins : parce que leur horizon de placement est le long terme, et parce que la rentabilité sur le long terme des placements en actions est la plus forte, les fonds de pension sont des investisseurs naturels en actions. Pensons simplement à la " puissance de feu " que cela procure aux investisseurs institutionnels anglo-saxons.
La loi Thomas doit être remplacée. Je souhaite qu'un groupe de parlementaires, animé par un député, m'assiste dans la mise au point d'un projet de loi qui pourrait être déposé devant le Parlement au printemps, après une concertation approfondie avec les professionnels et les partenaires sociaux.
C - Le développement du marché des actions repose aussi sur les comportements des entreprises françaises.
Je suis très frappé des progrès accomplis dans ce domaine par les sociétés françaises depuis qu'on parle en France de " gouvernement d'entreprise ". Les multiples études réalisées dans ce domaine, en dépit de leur caractère disparate, le montrent : les grandes entreprises françaises travaillent pour améliorer leurs pratiques en la matière et la France n'est pas aussi mal placée que certains se complaisent à le dire dans ce domaine.
Il est heureux que la démarche vienne des entreprises : le gouvernement des entreprises est d'abord leur affaire. Près de trois ans après la publication du rapport Viénot, elles devraient pouvoir établir un bilan complet de l'application des recommandations, simples mais exigeantes, contenues dans ce rapport. Cela permettra de nourrir la réflexion des pouvoirs publics en la matière dans la perspective de la réforme du droit des sociétés annoncée par le garde des sceaux et à laquelle je compte participer activement. Il est en effet clair à mon sens que des mesures législatives devront être prises s'il apparaît que l'initiative des entreprises ne suffit pas à faire changer les pratiques.
Il y a un domaine où le gouvernement des entreprises regarde très directement les pouvoirs publics : il s'agit des entreprises publiques. Je veux que, dans ce domaine, comme dans d'autres, elles soient exemplaires. D'où une série de mesures concrètes : envoi de lettres de mission ou d'orientations stratégiques aux présidents d'entreprises publiques à l'occasion de leur nomination ou aux étapes majeures de la vie de leur société ; élaboration d'un guide du représentant de l'État au sein des conseils d'administration ; développement de la formation des représentants de l'État.
Je me suis d'ailleurs appliqué à moi-même les principes de transparence et de rigueur recommandés par le rapport Viénot. Deux exemples concrets le montrent : depuis mon arrivée, je me suis interdit d'intervenir dans les affaires du CDR autrement que pour protéger les intérêts de l'État ; de même, le cahier des charges pour la cession du CIC a donné lieu à une concertation longue et approfondie avec les partenaires sociaux.
Cela concerne aussi les comportements en matière d'information financière. La COB joue en la matière un rôle essentiel. Comme je m'y étais engagé, les débats sur le projet de loi "comptable" ont repris à l'Assemblée Nationale. La discussion publique aura lieu le 17 décembre, ce qui devrait permettre une adoption définitive très rapidement. La création du Comité de la réglementation comptable, de même que la possibilité pour les entreprise françaises d'utiliser pour l'établissement de leurs comptes consolidés, par dérogation aux normes françaises, des normes internationales seront des outils puissants de modernisation de l'information comptable et financière de nos entreprises. De ce point de vue, j'ai souhaité, en accord avec le rapporteur du texte à l'Assemblée, que toutes les sociétés françaises cotées (et pas seulement certaines d'entre elles) puissent avoir recours, si elles le souhaitent, aux normes internationales.
Tout cela ne servirait à rien si nous ne communiquions pas et n'expliquions pas nos ambitions. L'année 1998 est une année charnière, cruciale pour l'avenir de la place. Ne ménagez pas vos efforts pour expliquer nos atouts et ce que nous faisons.
Le ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie y prendra sa part, toute sa part. Au cours du premier semestre 1998, certains des secrétaires d'État de l'équipe économique et industrielle et moi-même nous rendrons à l'étranger pour promouvoir la France et sa place financière auprès des investisseurs. Entreprises, intermédiaires financiers, autorités de marchés doivent également se mobiliser.
Un dernier mot pour remercier très vivement Michel Prada et les équipes de la COB pour la qualité de leur travail et la qualité de leur accueil. Je souhaite à la COB bon vent, à l'occasion de ce 30ème anniversaire.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 1 août 2002)