Texte intégral
Monsieur le Président,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs,
" En route vers l'Euro " : tel est le thème général de votre forum dans lequel j'inscris mon intervention. De fait, le 1er janvier 1999, l'Euro sera notre monnaie. Ainsi en ont décidé les Français en ratifiant par referendum le traité de Maastricht.
Nous nous y préparons tous - grâce au plan national pour l'Euro.
Pour nous, l'Euro n'est pas un renoncement mais une conquête, celle d'une monnaie capable d'être compétitive par rapport au dollar, celle d'un instrument que nous voulons mettre au service de la croissance et de l'emploi.
Après d'autres chefs de gouvernement, je prépare l'Union monétaire. Je la veux au profit des citoyens de l'Union. Je l'ai toujours voulue, mais sous certaines conditions. Ces conditions, je les ai avancées dans le débat public, notamment au cours des dernières élections législatives, avec pour objectif de réussir l'Euro.
Huit mois après, ces conditions sont en cours de réalisation : l'Euro sera large ; la parité des monnaies de la future zone Euro est rééquilibrée vis-à-vis du dollar ; l'emploi a été remis au coeur des préoccupations européennes et la création du conseil de l'Euro ouvre la voie d'une plus grande coopération économique entre nos nations.
Mon gouvernement a beaucoup contribué à cette évolution.
Croissance, emploi, démocratie : tels sont pour moi les guides de la construction européenne.
On ne partage pas une monnaie sans partager les solidarités qu'elle implique. Aucune banque centrale indépendante, nulle part, n'existe dans une sorte " d'apesanteur politique ". Pour définir et mettre en oeuvre une politique économique adaptée aux évolutions de la situation conjoncturelle dans l'Union, il faut non seulement une politique monétaire commune, mais aussi une coopération étroite entre cette politique monétaire et les politiques économiques nationales.
Le chemin de la croissance passe par la coordination de nos politiques économiques. Nos économies sont devenues étroitement interdépendantes. Nos marchés se sont progressivement unifiés, Nos entreprises ont acquis une dimension et une vision stratégique naturellement européennes. Pourtant, nous n'avons pas suffisamment développé les instruments de coordination et d'organisation économique adaptés à la dimension de ce grand marché. La politique du " chacun pour soi " a trop souvent conduit à sacrifier la croissance et l'emploi, parce qu'aucun pays ne pouvait assumer seul le coût d'une politique de croissance qui bénéficierait à tous. Cela est vrai tant des politiques de stimulation de la demande que des politiques d'offre visant au développement des nouvelles technologies.
C'est animé de cette conviction que j'ai proposé à nos partenaires - dès le sommet d'Amsterdam, quelques jours seulement après avoir été nommé Premier Ministre -, d'avancer résolument dans la voie d'une plus grande coopération tout en mettant l'accent sur la croissance et l'emploi comme objectifs primordiaux de la construction européenne.
Cette orientation nouvelle a été légitimée par la résolution du Conseil européen de décembre dernier, et, plus encore, par la création du Conseil de l'Euro - instance que nous avions proposée. L'insistance avec laquelle certains de nos partenaires ont tenu à en faire partie, alors même qu'ils n'ont pas choisi d'entrer immédiatement dans l'Union monétaire, montre bien que, même informel, ce conseil jouera un rôle important dans la mise en oeuvre de nos politiques économiques. Chacun a bien senti en effet que ce conseil représente un premier pas dans les avancées institutionnelles que ne manquera pas d'engendrer l'union monétaire. Dans la perspective de l'élargissement, l'Union monétaire constitue bien le noyau d'un nouvel approfondissement.
Mais l'adoption d'une monnaie unique ne peut être une fin en soi. Si nous voulons entraîner les peuples dans l'aventure européenne, encore faut-il que l'Europe redevienne une zone de croissance et de prospérité.
Le chômage de masse n'est pas plus une fatalité aujourd'hui que ne l'était l'inflation au début des années quatre-vingt. En donnant la priorité, pendant de longues années, à la lutte contre l'inflation, nous avons réussi à vaincre celle-ci. Il nous faut par conséquent accorder désormais la priorité à l'emploi et à la croissance. C'est ce tournant, qu'à notre initiative, le Conseil européen sur l'emploi de Luxembourg a amorcé, en menant l'accent, pour la première fois, sur la lutte contre le chômage. Au Conseil européen de Cardiff, en juin prochain, chaque Etat présentera un plan d'action, qui devra traduire concrètement les lignes directrices arrêtées en commun. Lors du Conseil européen de décembre prochain, nous apprécierons les résultats obtenus en matière de création d'emplois et de diminution du chômage par chacun des Etats membres. Et nous le ferons ensemble au terme de chaque année.
Je m'en réjouis, car pour moi il n'y a jamais eu contradiction entre l'ambition européenne et l'emploi, entre l'efficacité économique et la solidarité. Au contraire : nous devons être mieux organisés au niveau européen pour renforcer la croissance, économique et la solidarité, l'Euro ne doit pas être un carcan, mais un instrument de croissance.
Il nous faut aussi réussir le prochain élargissement de l'Europe et organiser des institutions efficaces.
La mise en commun de certaines de nos compétences nationales n'est légitime que si elle débouche sur plus d'efficacité, sur plus de responsabilité politique et sur plus d'influence dans le monde.
La légitimité de l'Europe réside dans son ambition, celle de rassembler notre continent, Mais nous n'acceptons pas pour autant que la " grande Europe " dilue les acquis européens. Et nous savons bien que cette tentation existe chez certains.
Le Conseil européen a donc admis, sur l'insistance de la France en particulier, que l'élargissement de l'Union nécessiterait au préalable un renforcement et une amélioration du fonctionnement des institutions. Sans une réforme de ses mécanismes de décision, l'Union ne pourrait fonctionner de manière satisfaisante à 20 ou 25 Etats membres ou plus, alors que ce n'est déjà plus tout à fait le cas à 15.
Naturellement, l'Europe n'est pas qu'une démarche institutionnelle. C'est un espace économique où se développent ses entreprises.
Face à la mondialisation, l'Europe doit donc être présente dans les grandes aventures industrielles de demain et savoir accroître sa capacité d'action. L'énorme concentration industrielle née de la fusion de Boeing et de Mac Donnell Douglas a accéléré cette prise de conscience. Il est donc de notre responsabilité de définir les conditions de mise sur pied de " pôles " européens, équilibrés et stables, suffisamment forts pour développer les capacités de production, d'investissement et de recherche dans les secteurs stratégiques. Cette responsabilité, les gouvernements français, allemand et britannique se sont déclarés prêts à l'assumer, en particulier dans les domaines de l'aéronautique, de l'espace et de l'industrie de défense. C'est là un grand projet qu'il convient de mener à son terme avec fermeté, Pour ce qui nous concerne, nous poursuivrons notre politique de modernisation et d'adaptation des entreprises du secteur public concurrentiel, afin de favoriser l'émergence d'alliances européennes - comme ce fut le cas pour France Télécom - et la constitution d'entreprises performantes. Nous continuerons dans cette voie.
Une économie, c'est un tout ; une société aussi.
De même que l'on ne peut accepter d'excessives disparités sectorielles ou régionales, de même on ne saurait se résigner à ce que certains de nos concitoyens soient tenus à l'écart du développement économique.
Les actions de protestation des chômeurs qui se sont développées ces dernières semaines nous rappellent à tous, si besoin en était, - et aussi à vous, décideurs économiques -, que nous devons tout faire pour combattre le chômage.
Le chômage reste la question centrale de la société française.
Nous avons donc placé la lutte pour l'emploi au centre de notre politique économique. Cette politique économique a deux leviers : conforter la croissance ; enrichir cette croissance en emplois.
Depuis 20 ans, le chômage n'a reculé en France qu'au cours d'une brève période, à la fin des années quatre-vingts, pendant laquelle notre économie a retrouvé une croissance forte, Et c'est bien d'abord parce que notre croissance a été trop faible au cours des six dernières années que le chômage a de nouveau fortement augmenté.
C'est pourquoi la politique économique du gouvernement est tout entière tournée vers la croissance. C'est ainsi que Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter ont présenté, au nom du Gouvernement, un budget pour 1998, - que d'aucuns considéraient, avant les élections, comme impossible à faire -, sans augmenter le taux des prélèvements obligatoires et sans peser sur la croissance. Pas de hausse non plus des ionisations sociales, mais un élargissement de l'assiette des prélèvements par la substitution de la CSG aux cotisations maladie avec, en contrepartie, une baisse des prélèvements sur les salaires et donc un soutien à la consommation.
La croissance devrait donc, cette année, être à la fois plus forte et plus équilibrée. La reprise de la demande intérieure qui s'affirme, en France comme chez nos partenaires, devrait en effet compenser la contraction de nos échanges avec les pays d'Asie en crise. Tel est d'ailleurs le diagnostic commun des instituts de conjoncture privés et des économistes de banque et d'entreprises - à l'exception, notable, c'est vrai, d'un éminent institut proche de votre publication -. A ceux qui doutent de 14 pérennité de la croissance, je dis : ne surestimez pas les effets de la crise asiatique, et ne sous-estimez pas l'importance de la dynamique européenne ; prenez en compte également les efforts de régulation monétaire internationale déployés face à cette crise, Ils devront encore être amplifiés, car, vous le sentez bien, dans ce cas non plus, le " laissez faire " ne saurait être de mise.
Indispensable, la croissance ne suffira pourtant pas, seule, à réduire le chômage à un rythme suffisamment rapide. Avec une croissance proche de 3 %, l'économie française créera entre 200 et 250.000 emplois par an. Mais la progression de notre population active restant nés dynamique - 150.000 personnes arrivent chaque année sur le marché du travail -, même avec une telle croissance, la réduction du chômage serait encore trop lente.
Le Gouvernement a donc choisi d'explorer toutes les voies d'un enrichissement du contenu en emplois de la croissance. Par le développement des activités de services, par la création d'emplois pour les jeunes dans des secteurs où existe une demande sociale qui ne peut être directement satisfaite par le marché. Enfin par la, réduction négociée du temps de travail, dont l'expérience montre que, conduite avec souplesse et dans le respect des contraintes économiques, elle peut contribuer de façon majeure à la création d'emplois.
C'est la voie dans laquelle se sont engagés depuis longtemps certains de nos partenaires. Je pense en particulier aux Pays Bas, qui, en combinant la réduction collective du temps de travail et le développement du temps partiel choisi, ont réussi à réduire de plus de 10 % la durée annuelle moyenne du travail depuis 1983 - alors qu'elle n'a pratiquement plus évolué en France depuis cette date -, et à faire baisser significativement leur taux de chômage.
La réduction du temps de travail est un instrument essentiel de lutte contre le chômage. Elle permettra de créer de nombreux emplois : toutes les études convergent sur ce point. L'OECE a annoncé hier que notre dispositif d'incitation pouvait conduire à l'horizon des trois prochaines années à 450.000 emplois supplémentaires, sans qu'il en résulte une dégradation de la situation financière des entreprises ni des finances publiques.
Il a toujours été clair pour moi que nous ne créerons pas d'emplois contre les entreprises.
L'exemple de nombreuses entreprises qui se sont engagées ces dernières années dans la réduction négociée du temps de travail montre que des durées de travail plus courtes sont possibles avec des choix d'organisations plus variés et plus diversifiés, des modulations d'horaires adaptées aux variations de la production, une meilleure utilisation des équipements et une amélioration de la qualité des services rendus aux consommateurs.
Ma conviction est que nous ne parviendrons à développer l'emploi que si l'ensemble des acteurs économiques et sociaux, trouvent, par la négociation décentralisée, la voie d'une croissance qui combine à la fois la solidarité et l'efficacité. Tel est le sens du projet de loi que présentera Martine Aubry la semaine prochaine à l'Assemblée nationale.
Il ne s'agit pas d'imposer, ni de se substituer aux partenaires sociaux, mais de déterminer un cadre légal de référence, d'orienter et d'inciter, afin qu'au cours des prochaines années les partenaires sociaux trouvent à l'échelle la plus décentralisée - entreprises, le plus souvent, ou branches -, les modalités les mieux adaptées. Par son caractère dégressif, notre dispositif d'incitation a pour objectif de favoriser la mise en oeuvre de ces accords. Il permet en effet d'absorber l'essentiel du coût initial des nouvelles embauches tout en maintenant le pouvoir d'achat des salariés. Il laisse enfin aux partenaires sociaux le soin de trouver comment combiner modération salariale et gains tendanciels de productivité pour progressivement prendre le relais de l'aide de l'Etat, en maintenant la compétitivité des entreprises.
Ce projet s'inscrit dans la durée, avec une priorité ; laisser à la négociation d'entreprise toute sa place, Ce n'est qu'après avoir tiré le bilan de ces négociations qu'une seconde loi définira les modalités précises de l'abaissement de la durée légale. Au terme du processus, et du fait du maintien d'un allégement permanent des cotisations sociales, il en résultera un abaissement durable des cotisations patronales et une croissance plus créatrice d'emplois.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement a pris ses responsabilités, en adoptant une démarche volontariste, répondant aux attentes de nos concitoyens et conforme à ses engagements. Aux entreprises désormais de s'engager résolument dans la voie de la négociation et du dialogue social.
Mais nous ne réservons pas notre volontarisme aux seules 35 heures. C'est avec la même détermination et la même ambition que nous avons choisi de favoriser la croissance à long terme en développant l'innovation et en poursuivant la modernisation de notre économie.
La France dispose d'atouts considérables : des entreprises compétitives et diversifiées, ayant assaini leurs structures financières et restauré leur rentabilité, une position géographique au coeur de l'Europe, des infrastructures et des services publics d'excellente qualité, une économie qui bénéficie d'une monnaie solide, une main d'oeuvre formée et efficace. Notre économie est attractive : l'installation d'une usine Toyota dans le Nord, mais plus encore le rang que nous occupons dans l'accueil des investissements étrangers - le 3ème des grands pays industrialisés - en témoignent.
Mais nous avons pris du retard ces dernières années en matière d'investissement, et tout particulièrement au regard des nouvelles technologies et de la "société de l'information" qui structureront l'économie de demain, Un effort considérable est engagé à cet effet. Le plan d'action pour la société de l'information, que j'ai présenté la semaine dernière, en est, au plan de l'Etat, la meilleure illustration. Je sais que les entreprises sont également très mobilisées dans cette direction.
Si notre pays ne manque ni d'initiatives originales, ni de créateurs désireux d'entreprendre, le relatif cloisonnement de nos structures et le dialogue encore insuffisant entre le monde des chercheurs et celui des entreprises ne permettent pas aujourd'hui de valoriser cette richesse dans toute sa diversité. C'est pourquoi Claude Allègre et Dominique Strauss-Kahn vont organiser des Assises de l'innovation, qui devront être l'occasion d'un véritable débat avec tous ceux qui désirent créer et entreprendre.
Mais pour mettre en oeuvre la recherche et l'innovation, il faut aussi favoriser l'investissement à risque. La loi de finances pour 1998 a créé des dispositifs fiscaux pour encourager le capital risque. Nous avons également soutenu, au sommet de Luxembourg, la mobilisation des fonds de la Banque Européenne d'Investissement en faveur du capital risque des PME et des entreprises innovantes.
Une attention particulière est accordée à l'allégement et à la simplification des charges et des formalités administratives qui pèsent sur les AME qui, vous le savez, sont au coeur de la bataille de l'emploi, Cette simplification doit être en particulier orientée vers la création d'entreprises. Tel est le sens du programme d'action adopté le 3 décembre dernier en Conseil des ministres, sur proposition de Marylise Lebranchu.
Pour libérer les énergies créatrices, faut-il que l'Etat se désengage complètement et laisse le marché décider de tout ? Je ne le crois pas. Le marché ne peut fonctionnel sans être régulé, encadré, parfois tempéré. Et ce n'est pas la situation actuelle qui me démentira. Mais l'Etat et le secteur public doivent être plus efficaces, au service de la Nation. C'est ainsi que nous ne souhaitons pas que se prolonge la hausse des prélèvements obligatoires que nous avons connus ces dernières années. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les réflexions que nous engageons sur la fiscalité locale, la fiscalité du patrimoine et une fiscalité plus attentive à l'écologie et à l'environnement.
Mesdames et Messieurs,
Pour moi, vous l'avez senti, il n'y a pas d'opposition entre solidarité et efficacité économique.
Par l'Euro s'expriment la solidarité européenne, la volonté de maîtriser notre destin commun, la perspective de favoriser - par la coopération -, la croissance et l'emploi.
En France, doit s'installer une nouvelle solidarité entre ceux qui ont un emploi et ceux qui sont exclus du marché de travail. Notre politique de réduction du temps de travail peut y contribuer de façon décisive.
Une France forte et solidaire dans une Europe puissante et tournée vers la croissance : c'est mon projet pour le pays.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 juin 2001)
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs,
" En route vers l'Euro " : tel est le thème général de votre forum dans lequel j'inscris mon intervention. De fait, le 1er janvier 1999, l'Euro sera notre monnaie. Ainsi en ont décidé les Français en ratifiant par referendum le traité de Maastricht.
Nous nous y préparons tous - grâce au plan national pour l'Euro.
Pour nous, l'Euro n'est pas un renoncement mais une conquête, celle d'une monnaie capable d'être compétitive par rapport au dollar, celle d'un instrument que nous voulons mettre au service de la croissance et de l'emploi.
Après d'autres chefs de gouvernement, je prépare l'Union monétaire. Je la veux au profit des citoyens de l'Union. Je l'ai toujours voulue, mais sous certaines conditions. Ces conditions, je les ai avancées dans le débat public, notamment au cours des dernières élections législatives, avec pour objectif de réussir l'Euro.
Huit mois après, ces conditions sont en cours de réalisation : l'Euro sera large ; la parité des monnaies de la future zone Euro est rééquilibrée vis-à-vis du dollar ; l'emploi a été remis au coeur des préoccupations européennes et la création du conseil de l'Euro ouvre la voie d'une plus grande coopération économique entre nos nations.
Mon gouvernement a beaucoup contribué à cette évolution.
Croissance, emploi, démocratie : tels sont pour moi les guides de la construction européenne.
On ne partage pas une monnaie sans partager les solidarités qu'elle implique. Aucune banque centrale indépendante, nulle part, n'existe dans une sorte " d'apesanteur politique ". Pour définir et mettre en oeuvre une politique économique adaptée aux évolutions de la situation conjoncturelle dans l'Union, il faut non seulement une politique monétaire commune, mais aussi une coopération étroite entre cette politique monétaire et les politiques économiques nationales.
Le chemin de la croissance passe par la coordination de nos politiques économiques. Nos économies sont devenues étroitement interdépendantes. Nos marchés se sont progressivement unifiés, Nos entreprises ont acquis une dimension et une vision stratégique naturellement européennes. Pourtant, nous n'avons pas suffisamment développé les instruments de coordination et d'organisation économique adaptés à la dimension de ce grand marché. La politique du " chacun pour soi " a trop souvent conduit à sacrifier la croissance et l'emploi, parce qu'aucun pays ne pouvait assumer seul le coût d'une politique de croissance qui bénéficierait à tous. Cela est vrai tant des politiques de stimulation de la demande que des politiques d'offre visant au développement des nouvelles technologies.
C'est animé de cette conviction que j'ai proposé à nos partenaires - dès le sommet d'Amsterdam, quelques jours seulement après avoir été nommé Premier Ministre -, d'avancer résolument dans la voie d'une plus grande coopération tout en mettant l'accent sur la croissance et l'emploi comme objectifs primordiaux de la construction européenne.
Cette orientation nouvelle a été légitimée par la résolution du Conseil européen de décembre dernier, et, plus encore, par la création du Conseil de l'Euro - instance que nous avions proposée. L'insistance avec laquelle certains de nos partenaires ont tenu à en faire partie, alors même qu'ils n'ont pas choisi d'entrer immédiatement dans l'Union monétaire, montre bien que, même informel, ce conseil jouera un rôle important dans la mise en oeuvre de nos politiques économiques. Chacun a bien senti en effet que ce conseil représente un premier pas dans les avancées institutionnelles que ne manquera pas d'engendrer l'union monétaire. Dans la perspective de l'élargissement, l'Union monétaire constitue bien le noyau d'un nouvel approfondissement.
Mais l'adoption d'une monnaie unique ne peut être une fin en soi. Si nous voulons entraîner les peuples dans l'aventure européenne, encore faut-il que l'Europe redevienne une zone de croissance et de prospérité.
Le chômage de masse n'est pas plus une fatalité aujourd'hui que ne l'était l'inflation au début des années quatre-vingt. En donnant la priorité, pendant de longues années, à la lutte contre l'inflation, nous avons réussi à vaincre celle-ci. Il nous faut par conséquent accorder désormais la priorité à l'emploi et à la croissance. C'est ce tournant, qu'à notre initiative, le Conseil européen sur l'emploi de Luxembourg a amorcé, en menant l'accent, pour la première fois, sur la lutte contre le chômage. Au Conseil européen de Cardiff, en juin prochain, chaque Etat présentera un plan d'action, qui devra traduire concrètement les lignes directrices arrêtées en commun. Lors du Conseil européen de décembre prochain, nous apprécierons les résultats obtenus en matière de création d'emplois et de diminution du chômage par chacun des Etats membres. Et nous le ferons ensemble au terme de chaque année.
Je m'en réjouis, car pour moi il n'y a jamais eu contradiction entre l'ambition européenne et l'emploi, entre l'efficacité économique et la solidarité. Au contraire : nous devons être mieux organisés au niveau européen pour renforcer la croissance, économique et la solidarité, l'Euro ne doit pas être un carcan, mais un instrument de croissance.
Il nous faut aussi réussir le prochain élargissement de l'Europe et organiser des institutions efficaces.
La mise en commun de certaines de nos compétences nationales n'est légitime que si elle débouche sur plus d'efficacité, sur plus de responsabilité politique et sur plus d'influence dans le monde.
La légitimité de l'Europe réside dans son ambition, celle de rassembler notre continent, Mais nous n'acceptons pas pour autant que la " grande Europe " dilue les acquis européens. Et nous savons bien que cette tentation existe chez certains.
Le Conseil européen a donc admis, sur l'insistance de la France en particulier, que l'élargissement de l'Union nécessiterait au préalable un renforcement et une amélioration du fonctionnement des institutions. Sans une réforme de ses mécanismes de décision, l'Union ne pourrait fonctionner de manière satisfaisante à 20 ou 25 Etats membres ou plus, alors que ce n'est déjà plus tout à fait le cas à 15.
Naturellement, l'Europe n'est pas qu'une démarche institutionnelle. C'est un espace économique où se développent ses entreprises.
Face à la mondialisation, l'Europe doit donc être présente dans les grandes aventures industrielles de demain et savoir accroître sa capacité d'action. L'énorme concentration industrielle née de la fusion de Boeing et de Mac Donnell Douglas a accéléré cette prise de conscience. Il est donc de notre responsabilité de définir les conditions de mise sur pied de " pôles " européens, équilibrés et stables, suffisamment forts pour développer les capacités de production, d'investissement et de recherche dans les secteurs stratégiques. Cette responsabilité, les gouvernements français, allemand et britannique se sont déclarés prêts à l'assumer, en particulier dans les domaines de l'aéronautique, de l'espace et de l'industrie de défense. C'est là un grand projet qu'il convient de mener à son terme avec fermeté, Pour ce qui nous concerne, nous poursuivrons notre politique de modernisation et d'adaptation des entreprises du secteur public concurrentiel, afin de favoriser l'émergence d'alliances européennes - comme ce fut le cas pour France Télécom - et la constitution d'entreprises performantes. Nous continuerons dans cette voie.
Une économie, c'est un tout ; une société aussi.
De même que l'on ne peut accepter d'excessives disparités sectorielles ou régionales, de même on ne saurait se résigner à ce que certains de nos concitoyens soient tenus à l'écart du développement économique.
Les actions de protestation des chômeurs qui se sont développées ces dernières semaines nous rappellent à tous, si besoin en était, - et aussi à vous, décideurs économiques -, que nous devons tout faire pour combattre le chômage.
Le chômage reste la question centrale de la société française.
Nous avons donc placé la lutte pour l'emploi au centre de notre politique économique. Cette politique économique a deux leviers : conforter la croissance ; enrichir cette croissance en emplois.
Depuis 20 ans, le chômage n'a reculé en France qu'au cours d'une brève période, à la fin des années quatre-vingts, pendant laquelle notre économie a retrouvé une croissance forte, Et c'est bien d'abord parce que notre croissance a été trop faible au cours des six dernières années que le chômage a de nouveau fortement augmenté.
C'est pourquoi la politique économique du gouvernement est tout entière tournée vers la croissance. C'est ainsi que Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter ont présenté, au nom du Gouvernement, un budget pour 1998, - que d'aucuns considéraient, avant les élections, comme impossible à faire -, sans augmenter le taux des prélèvements obligatoires et sans peser sur la croissance. Pas de hausse non plus des ionisations sociales, mais un élargissement de l'assiette des prélèvements par la substitution de la CSG aux cotisations maladie avec, en contrepartie, une baisse des prélèvements sur les salaires et donc un soutien à la consommation.
La croissance devrait donc, cette année, être à la fois plus forte et plus équilibrée. La reprise de la demande intérieure qui s'affirme, en France comme chez nos partenaires, devrait en effet compenser la contraction de nos échanges avec les pays d'Asie en crise. Tel est d'ailleurs le diagnostic commun des instituts de conjoncture privés et des économistes de banque et d'entreprises - à l'exception, notable, c'est vrai, d'un éminent institut proche de votre publication -. A ceux qui doutent de 14 pérennité de la croissance, je dis : ne surestimez pas les effets de la crise asiatique, et ne sous-estimez pas l'importance de la dynamique européenne ; prenez en compte également les efforts de régulation monétaire internationale déployés face à cette crise, Ils devront encore être amplifiés, car, vous le sentez bien, dans ce cas non plus, le " laissez faire " ne saurait être de mise.
Indispensable, la croissance ne suffira pourtant pas, seule, à réduire le chômage à un rythme suffisamment rapide. Avec une croissance proche de 3 %, l'économie française créera entre 200 et 250.000 emplois par an. Mais la progression de notre population active restant nés dynamique - 150.000 personnes arrivent chaque année sur le marché du travail -, même avec une telle croissance, la réduction du chômage serait encore trop lente.
Le Gouvernement a donc choisi d'explorer toutes les voies d'un enrichissement du contenu en emplois de la croissance. Par le développement des activités de services, par la création d'emplois pour les jeunes dans des secteurs où existe une demande sociale qui ne peut être directement satisfaite par le marché. Enfin par la, réduction négociée du temps de travail, dont l'expérience montre que, conduite avec souplesse et dans le respect des contraintes économiques, elle peut contribuer de façon majeure à la création d'emplois.
C'est la voie dans laquelle se sont engagés depuis longtemps certains de nos partenaires. Je pense en particulier aux Pays Bas, qui, en combinant la réduction collective du temps de travail et le développement du temps partiel choisi, ont réussi à réduire de plus de 10 % la durée annuelle moyenne du travail depuis 1983 - alors qu'elle n'a pratiquement plus évolué en France depuis cette date -, et à faire baisser significativement leur taux de chômage.
La réduction du temps de travail est un instrument essentiel de lutte contre le chômage. Elle permettra de créer de nombreux emplois : toutes les études convergent sur ce point. L'OECE a annoncé hier que notre dispositif d'incitation pouvait conduire à l'horizon des trois prochaines années à 450.000 emplois supplémentaires, sans qu'il en résulte une dégradation de la situation financière des entreprises ni des finances publiques.
Il a toujours été clair pour moi que nous ne créerons pas d'emplois contre les entreprises.
L'exemple de nombreuses entreprises qui se sont engagées ces dernières années dans la réduction négociée du temps de travail montre que des durées de travail plus courtes sont possibles avec des choix d'organisations plus variés et plus diversifiés, des modulations d'horaires adaptées aux variations de la production, une meilleure utilisation des équipements et une amélioration de la qualité des services rendus aux consommateurs.
Ma conviction est que nous ne parviendrons à développer l'emploi que si l'ensemble des acteurs économiques et sociaux, trouvent, par la négociation décentralisée, la voie d'une croissance qui combine à la fois la solidarité et l'efficacité. Tel est le sens du projet de loi que présentera Martine Aubry la semaine prochaine à l'Assemblée nationale.
Il ne s'agit pas d'imposer, ni de se substituer aux partenaires sociaux, mais de déterminer un cadre légal de référence, d'orienter et d'inciter, afin qu'au cours des prochaines années les partenaires sociaux trouvent à l'échelle la plus décentralisée - entreprises, le plus souvent, ou branches -, les modalités les mieux adaptées. Par son caractère dégressif, notre dispositif d'incitation a pour objectif de favoriser la mise en oeuvre de ces accords. Il permet en effet d'absorber l'essentiel du coût initial des nouvelles embauches tout en maintenant le pouvoir d'achat des salariés. Il laisse enfin aux partenaires sociaux le soin de trouver comment combiner modération salariale et gains tendanciels de productivité pour progressivement prendre le relais de l'aide de l'Etat, en maintenant la compétitivité des entreprises.
Ce projet s'inscrit dans la durée, avec une priorité ; laisser à la négociation d'entreprise toute sa place, Ce n'est qu'après avoir tiré le bilan de ces négociations qu'une seconde loi définira les modalités précises de l'abaissement de la durée légale. Au terme du processus, et du fait du maintien d'un allégement permanent des cotisations sociales, il en résultera un abaissement durable des cotisations patronales et une croissance plus créatrice d'emplois.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement a pris ses responsabilités, en adoptant une démarche volontariste, répondant aux attentes de nos concitoyens et conforme à ses engagements. Aux entreprises désormais de s'engager résolument dans la voie de la négociation et du dialogue social.
Mais nous ne réservons pas notre volontarisme aux seules 35 heures. C'est avec la même détermination et la même ambition que nous avons choisi de favoriser la croissance à long terme en développant l'innovation et en poursuivant la modernisation de notre économie.
La France dispose d'atouts considérables : des entreprises compétitives et diversifiées, ayant assaini leurs structures financières et restauré leur rentabilité, une position géographique au coeur de l'Europe, des infrastructures et des services publics d'excellente qualité, une économie qui bénéficie d'une monnaie solide, une main d'oeuvre formée et efficace. Notre économie est attractive : l'installation d'une usine Toyota dans le Nord, mais plus encore le rang que nous occupons dans l'accueil des investissements étrangers - le 3ème des grands pays industrialisés - en témoignent.
Mais nous avons pris du retard ces dernières années en matière d'investissement, et tout particulièrement au regard des nouvelles technologies et de la "société de l'information" qui structureront l'économie de demain, Un effort considérable est engagé à cet effet. Le plan d'action pour la société de l'information, que j'ai présenté la semaine dernière, en est, au plan de l'Etat, la meilleure illustration. Je sais que les entreprises sont également très mobilisées dans cette direction.
Si notre pays ne manque ni d'initiatives originales, ni de créateurs désireux d'entreprendre, le relatif cloisonnement de nos structures et le dialogue encore insuffisant entre le monde des chercheurs et celui des entreprises ne permettent pas aujourd'hui de valoriser cette richesse dans toute sa diversité. C'est pourquoi Claude Allègre et Dominique Strauss-Kahn vont organiser des Assises de l'innovation, qui devront être l'occasion d'un véritable débat avec tous ceux qui désirent créer et entreprendre.
Mais pour mettre en oeuvre la recherche et l'innovation, il faut aussi favoriser l'investissement à risque. La loi de finances pour 1998 a créé des dispositifs fiscaux pour encourager le capital risque. Nous avons également soutenu, au sommet de Luxembourg, la mobilisation des fonds de la Banque Européenne d'Investissement en faveur du capital risque des PME et des entreprises innovantes.
Une attention particulière est accordée à l'allégement et à la simplification des charges et des formalités administratives qui pèsent sur les AME qui, vous le savez, sont au coeur de la bataille de l'emploi, Cette simplification doit être en particulier orientée vers la création d'entreprises. Tel est le sens du programme d'action adopté le 3 décembre dernier en Conseil des ministres, sur proposition de Marylise Lebranchu.
Pour libérer les énergies créatrices, faut-il que l'Etat se désengage complètement et laisse le marché décider de tout ? Je ne le crois pas. Le marché ne peut fonctionnel sans être régulé, encadré, parfois tempéré. Et ce n'est pas la situation actuelle qui me démentira. Mais l'Etat et le secteur public doivent être plus efficaces, au service de la Nation. C'est ainsi que nous ne souhaitons pas que se prolonge la hausse des prélèvements obligatoires que nous avons connus ces dernières années. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les réflexions que nous engageons sur la fiscalité locale, la fiscalité du patrimoine et une fiscalité plus attentive à l'écologie et à l'environnement.
Mesdames et Messieurs,
Pour moi, vous l'avez senti, il n'y a pas d'opposition entre solidarité et efficacité économique.
Par l'Euro s'expriment la solidarité européenne, la volonté de maîtriser notre destin commun, la perspective de favoriser - par la coopération -, la croissance et l'emploi.
En France, doit s'installer une nouvelle solidarité entre ceux qui ont un emploi et ceux qui sont exclus du marché de travail. Notre politique de réduction du temps de travail peut y contribuer de façon décisive.
Une France forte et solidaire dans une Europe puissante et tournée vers la croissance : c'est mon projet pour le pays.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 juin 2001)