Interview de M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux PME, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, à "France Inter" le 29 août 2002, sur la préparation de la loi Fillon en faveur des entreprises, le projet de loi de finances pour 2003, et sur le futur statut de l'UMP.

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson.- Vous êtes un ministre chanceux finalement, parce qu'avec toutes vos multiples casquettes, on peut dire que l'essentiel des négociations qui ont lieu actuellement sur le plan social sont un peu faites, sinon pour vous, du moins pour les gens dont vous vous occupez, notamment les PME et l'artisanat. Je pense aux discussions sur les 35 heures, sur la loi de modernisation sociale, voire sur la fiscalité...
- "On parle beaucoup de croissance en ce moment. Et nous, nous avons une certitude : c'est que la croissance est le fruit des entreprises. Ce Gouvernement a donc fait un choix qui est celui de bâtir une croissance et une politique de l'emploi sur le dynamisme des entreprises. Il souhaite donc libérer ces énergies, qui sont souvent entravées par beaucoup de dispositions législatives compliquées, et des charges et des impôts qu'il est aujourd'hui dans nos intentions d'alléger."
En ce qui concerne les 35 heures, par contre, vous êtes un peu pris dans un étau : d'un côté, il y a le Medef qui trouve que le Gouvernement prend trop de gants, et la CGT qui trouve qu'il n'en prend pas assez, pour rectifier la loi Aubry...
- "Oui. C'est un peu comme dans la fable de La Fontaine "Le meunier, son fils et l'âne". Chacun a son opinion sur la bonne manière d'utiliser les entreprises. Certains devraient faire attention à ne pas prononcer des jugements trop hâtifs sur l'action du Gouvernement. Le Gouvernement veut libérer un certain nombre de contraintes qui pèsent aujourd'hui sur la croissance et sur les entreprises. Il le fera. Il est aujourd'hui dans une phase de dialogue, il écoute les uns, les autres - chacun a son opinion, c'est tout à fait normal, c'est très intéressant. Mais il faut attendre avant de juger le projet de loi que F. Fillon va présenter au Parlement et qui sera probablement rendu public dans les jours qui viennent."
Quand vous dites "certains", à qui pensez-vous ?
- "J'entends, de tous côtés, les opinions. Les unes sont bonnes, les autres sont un peu moins bonnes. Tout cela fait partie de la vie politique. Et il ne faut pas s'en inquiéter outre mesure."
Outre l'opposition politique qui s'oppose - ce qui est quand même son job -, à qui pensez-vous dans la société civile ?
- "Je pense à tous ceux qui sont impatients - et je comprends cette impatience -, en particulier du côté des entreprises. Pendant cinq ans, cela a été la diète, le frein, la contrainte, l'absence de dialogue social. Aujourd'hui, le dialogue social est à l'ordre du jour. Les fils sont renoués. Et donc, on sent une impatience très grande, en particulier en matière de réforme de l'environnement social, juridique, fiscal des entreprises. Le Gouvernement s'inscrit, lui, dans la durée. Il a cinq ans pour améliorer la croissance française et pour bâtir des entreprises qui soient dynamiques et compétitives dans un monde qui est celui de la compétition, et nous le savons plus que d'autres. Il faut donc laisser au Gouvernement le temps de l'action. Le Premier ministre, lui, est comme un navigateur au milieu d'une météo qui est extrêmement changeante. Hier, on apprenait qu'aux Etats-Unis, les consommateurs avaient un indice de confiance qui chutait, alors qu'en même temps, ils n'ont jamais acheté autant d'automobiles. Nous sommes dans un environnement extrêmement incertain. Et l'action du Gouvernement s'appuie sur des certitudes, une volonté très forte de s'appuyer sur les entreprises, sur leur dynamisme, de laisser le travail redevenir une valeur fondatrice. La réforme des 35 heures est donc très importante, parce qu'au-delà des dispositions..."
Mais sur quel point est-elle très importante, en ce qui concerne vos mandants ?
- "D'abord, je suis dans un secteur dans lequel il y a des acteurs de proximité, des entreprises à taille humaine. Et ces entreprises ne peuvent pas vivre les 35 heures telles qu'elles ont été imaginées par les lois Aubry. C'est impossible. Prenez une boulangerie dans laquelle vous devez faire du pain ; si vous appliquez les lois Aubry, c'est très simple : vous mettez la clé sous la porte. Il faut donc réformer ce système et laisser les gens qui vivent sur le terrain la réalité économique bâtir un droit conventionnel appliqué, adapté à ce qu'il faut. Et ce que propose cette loi que prépare F. Fillon, c'est précisément cela. C'est de redonner aux partenaires sociaux la liberté de définir les heures supplémentaires, leur régime de rémunération, le déclenchement du repos compensateur, toutes ces choses qui font la vie quotidienne de l'entreprise, de les laisser définir par les partenaires sociaux et non pas par des lois qui tomberaient d'en haut et qui s'appliqueraient de façon uniforme à tout le monde. Et cela, je crois que c'est une nouvelle méthode de gouvernement."
Est-ce le thème de votre intervention devant le Medef vendredi ? Vous allez être le seul ministre du gouvernement Raffarin à plancher devant les patrons.
- "Je pense que c'est une coïncidence. Le thème de cette université d'été du Medef est très intéressant : c'est entreprendre dans un monde incertain. Aujourd'hui, tout le monde agit dans un monde incertain et nous gouvernons, nous aussi, dans un monde incertain. Le rôle de l'Etat est de diminuer le risque qui pèse sur les acteurs économiques, mais aussi sur les consommateurs. Je suis ministre de la Consommation et j'essaie, tous les jours, de réduire le risque qui pèse sur les consommateurs. On le voit bien en matière de protection des consommateurs vis-à-vis des risques liés à l'alimentation. On le voit bien sur d'autres sujets. Nous devons donc essayer de créer un environnement moins risqué, pour sécuriser la vie économique et sociale."
En ce qui concerne le débat entre baisse des impôts et baisse des charges, c'est nous qui n'avons rien compris ou cela patine un peu ?
- "C'est très simple. Nous avons un cap et ce cap est fixé dans les cinq ans qui viennent. Nous avons cinq ans pour agir. Je disais tout à l'heure que la météo était un peu agitée, il y a des coups de vent, il y a une incertitude très grande. Donc ce qui est important, c'est que la barreur J.-P. Raffarin tienne le cap. Et il va le tenir. Ensuite, sur la gestion heure par heure de cette navigation au long cours, il faut lui faire confiance et ne pas être sans arrêt sur son dos à essayer d'interpréter telle ou telle virgule, ou telle ou telle phrase, en imaginant qu'il a tout à coup changé de direction. Il n'a pas changé de direction."
C'est gentil. Mais pour ceux qui paient des impôts, c'est quand même important !
- "Ceux qui paient des impôts seront au courant de ce qui se passera en 2003, lorsqu'ils découvriront le projet de loi de finances pour 2003. Ce projet de loi de finances sera divulgué le 25 septembre prochain. A ce moment-là, les Français seront au courant de nos intentions. Il y a trois objectifs : diminuer les charges, diminuer l'impôt sur les sociétés, diminuer l'impôt sur le revenu. Ces trois objectifs seront atteints dans les cinq ans qui viennent. Après, sur les modalités selon lesquelles ils seront atteints, il faut quand même être raisonnable et laisser au Gouvernement une marge de manoeuvre et d'adaptation aux réalités qui me paraît de bon sens."
Vous plaidez pour un allégement de la fiscalité sur les investissements locaux, les micro-investissements ?
-"Je pense qu'il faut drainer l'épargne locale des Français vers les entreprises territoriales, les entreprises à taille humaine, les petites entreprises. Dans la vie économique, vous avez les souris, les gazelles et les éléphants. On s'intéresse trop peu aux souris et aux gazelles. Moi, je m'intéresse à ces animaux qui sont extrêmement importants pour le dynamisme de l'économie. Il y a 2,4 millions de Français qui sont entrepreneurs. On imagine toujours que l'entreprise, c'est la gigantesque entreprise. Pas du tout. Il faut donc aider ces gens-là, parce qu'on les accable depuis des années et des années. De quoi ? De charges, d'impôts et de contraintes administratives. J'ai deux projets sous la main, sur lesquels je travaille : un projet de loi sur la création et la reprise d'entreprises, et une ou plusieurs ordonnances sur la simplification administrative. Et cela me paraît être de nature à libérer nos entreprises, les souris et les gazelles en particulier."
Vous êtes chargé de rédiger un projet sur les statuts de l'UMP. Vous êtes aussi chargé de lui trouver un nom ?
- "Le nom, c'est l'apanage du Président. Je pense qu'il aura beaucoup d'imagination là-dessus. En revanche, avec tous les principaux acteurs de l'UMP, nous avons travaillé pendant le mois de juillet et le mois d'août, à l'élaboration des statuts de la future UMP. Je ne sais pas quel sera son nom. Et nous allons donc proposer aux Français un parti entièrement renouvelé, moderne, beaucoup plus démocratique, qui donnera beaucoup plus d'importance à la fonction intellectuelle. Nos partis, en France, sont probablement trop peu soucieux de recherche, de prévisions, de prospectives. Il faut donc que les partis jouent un rôle dans l'éclairage de l'avenir. Parce que l'avenir est incertain, il faut que tout le monde contribue à essayer d'imaginer. Et que ce parti soit enraciné dans les territoires, proche des gens. C'est ce que nous avons essayé de faire avec ces statuts qui seront présentés lundi à A. Juppé."
Un parti avec des tendances, des courants ?
- "Exactement. Un parti qui conciliera unité et diversité et qui comportera des "mouvements" qui représenteront des sensibilités différentes. Parce qu'en France, il y a beaucoup d'opinions différentes, et à droite aussi bien entendu. Il est donc nécessaire que chacun puisse s'exprimer."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 août 2002)