Texte intégral
C'est avec un grand plaisir que je me retrouve aujourd'hui parmi vous pour clore les travaux de ce 33° Forum d'Iéna, consacrés à un thème sur lequel je viens m'exprimer d'autant plus volontiers que je n'ai pu résister à l'envie de partager avec vous certaines interrogations.
Nous avons beaucoup de chance aujourd'hui car nous connaissons la troisième grande révolution sociale des temps modernes : après la révolution agraire, après la révolution industrielle, voici la révolution scientifique. En cinquante ans, nous avons davantage progressé dans le domaine des connaissances qu'en cinquante siècles. L'homme est désormais capable, pour la première fois, de détruire la planète qui l'accueille. C'est inédit : on pouvait faire la guerre pendant cent ans, ou bien les guerres de l'empire, quelques années plus tard il n'y paraissait rien. Plus rien de tel désormais, d'autant que l'homme est maintenant capable de modifier sa propre nature, au travers des manipulations génétiques. Avec ces deux nouveaux pouvoirs, l'homme n'a jamais été aussi puissant. C'est précisément entre cette fragilité et cette puissance, face à de nouveaux pouvoirs, que l'homme doit se déterminer et se reconstruire.
L'homme se pose donc un certain nombre de questions puisque nos nouvelles connaissances nous placent face à de nouvelles situations, inédites, qui nous amènent à faire de nouveaux choix. Or, faire un choix, c'est exercer une liberté : nous voilà donc face à de nouveaux espaces de liberté. Mais exercer une liberté, c'est assumer une responsabilité : nous découvrons alors de nouvelles responsabilités. Et lorsque nous associons liberté et responsabilité, nous posons deux fondements de la dignité de la personne.
Voilà pourquoi, face à ces nouvelles connaissances, c'est l'idée même que nous nous faisons de l'homme qui est en cause, l'étape importante restant celle du choix : quelle attitude, quel comportement adopter pour rester fidèles à notre conception de la dignité de l'homme ?
Mené dans un dialogue intime avec nos consciences, ce questionnement qui met aux prises science et conscience, est au cur de l'interrogation éthique.
Tout comme d'autres activités, beaucoup plus médiatiques comme la transplantation d'organes, l'assistance médicale à la procréation ou la fin de vie, l'industrie du médicament est elle aussi au cur du débat éthique. Reposant sur l'essor de la science, elle est nécessairement soumise aux exigences de la conscience. On le comprend d'ailleurs, car elle a besoin pour exister et se développer de recherche, d'innovation, d'exploration de champs nouveaux. Elle a besoin d'audace, à l'évidence
On voit bien dès lors les dangers qui la guettent : le refus des interdits, la confusion entre fin et moyens, tout cela posant alors le problème central de la place de l'homme. Je vous renverrai pour cela au titre du livre d'Axel Kahn : " Et l'homme dans tout ça ? ".
Kant le rappelait avec justesse : " Fais en sorte que ton action considère toujours l'homme comme une fin et jamais comme un moyen ". Il n'est pas excessif de rappeler ces dangers. Ils sont réels. Ils peuvent inquiéter parfois.
Mais d'un autre côté c'est bien la conscience morale qui devrait fonder l'industrie pharmaceutique. Car sa mission est unique : il s'agit d'améliorer la santé de l'homme, il s'agit de lutter tout à la fois pour la vie et contre la mort et la souffrance.
On voit bien les choix éthiques difficiles qui se profilent. On voit bien qu'il faut chercher pour soigner. On voit bien qu'il faut savoir oser puisque l'innovation est essentielle. Toute l'histoire de la médecine est faite de transgressions répétées
Et pourtant Si la science doit bien être au service de l'homme, on ne peut pas considérer l'homme comme un instrument de la science. La frontière est donc bien souvent ténue.
Quelques exemples rapides illustreront ce propos.
La conciliation est possible entre intérêts économiques et exigences morales.
La déclaration de Doha sur la santé publique en novembre 2001 constitue une étape importante. Pour la première fois l'OMC a reconnu une hiérarchie des valeurs. Premièrement : la santé publique prime sur la liberté du commerce. Deuxièmement : un Etat peut, pour un besoin de santé publique, porter atteinte au monopole d'exploitation. Troisièmement : L'aide internationale s'impose finalement comme un devoir. Il faut donc saluer des initiatives telles le don à l'Afrique de 20 millions de test du sida et la réduction de 15 % du prix des tests dont on sait qu'ils s'élèvent à 500 dollars par an et par patient.
La conciliation est possible entre innovation et essais cliniques.
Quarante ans après le code de Nuremberg, la France a été l'une des premières nations à se doter d'une législation assurant la protection des personnes en matière de santé et d'expérimentation médicamenteuse. Autour des valeurs de liberté et de responsabilité s'organise le consentement éclairé, libre et express qui garantit le respect des personnes. Les dérives, les contournements ne sont pas compatibles avec l'idée même que nous nous faisons de l'homme. La législation sur la bioéthique en 1994 a voulu poser ces quelques grands principes comme des repères nécessaires.
En revanche que penser de l'exigence morale quand des résultats partiels font l'objet de publication tronquée ? Les exemples récents sont graves car ils traduisent des manquements graves à l'honnêteté, car ils entament la réputation de chercheurs et font douter de la rigueur de certaines revues scientifiques. Face à de telles dérives, je crois utile et urgent de créer un Comité international d'éthique de la publication scientifique et médicale.
De même le suivi de ce que l'on appelle les phase IV doit-il être grandement amélioré car il faut identifier mieux et plus vite les potentiels effets secondaires des médicaments.
Un autre exemple de malentendu qui s'installe parfois est celui des biotechnologies et des brevets sur les gènes. Chacun sait que je m'oppose aux brevets sur les séquences d'ADN car je suis conscient qu'il s'agit là d'une propriété commune aux hommes, un patrimoine commun de l'humanité. Pour autant je suis un farouche partisan des biotechnologies et j'entends bien aider à leur développement qui est une chance pour la médecine de demain. Je suis donc un ardent défenseur des brevets sur les procédés, les méthodes, les produits laissant l'accès libre à la connaissance qui appartient à chacun.
J'observe d'ailleurs que l'Office européen des brevets lui même vient de refuser un brevet sur l'absence de description de la séquence de la protéine correspondante. Voilà que le problème se résout par le fait qu'à l'évidence c'est la composition plutôt que la séquence qui devient intéressante
Enfin je ne développerai pas la situation exemplaire de ce dilemme qui oppose science et conscience aujourd'hui autour de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Chacun comprendra que pour la première fois avec une telle acuité, pour revenir à Kant, la vie humaine n'a autant été tout à la fois la fin et le moyen
C'est un sujet qui va encore nous occuper les uns et les autres. Ce n'est pas facile car il faut faire des choix. Or il n'y a pas de choix éthique sans tension morale !
Mesdames et Messieurs, je veux vous rendre hommage car le médecin que je suis, sait l'importance de ces questions. C'est tout le sens de l'action que vous menez dans l'industrie du médicament : servir l'homme sans jamais le dénaturer, sans jamais fuir ou méconnaître les difficultés. Comme le dit Portalis " il faut avoir les mains tremblantes ". J'en suis convaincu, dans bien des circonstances, il faut savoir garder les mains tremblantes. Mais nous sommes libres de nos choix, c'est toute notre responsabilité.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 4 septembre 2002)
Nous avons beaucoup de chance aujourd'hui car nous connaissons la troisième grande révolution sociale des temps modernes : après la révolution agraire, après la révolution industrielle, voici la révolution scientifique. En cinquante ans, nous avons davantage progressé dans le domaine des connaissances qu'en cinquante siècles. L'homme est désormais capable, pour la première fois, de détruire la planète qui l'accueille. C'est inédit : on pouvait faire la guerre pendant cent ans, ou bien les guerres de l'empire, quelques années plus tard il n'y paraissait rien. Plus rien de tel désormais, d'autant que l'homme est maintenant capable de modifier sa propre nature, au travers des manipulations génétiques. Avec ces deux nouveaux pouvoirs, l'homme n'a jamais été aussi puissant. C'est précisément entre cette fragilité et cette puissance, face à de nouveaux pouvoirs, que l'homme doit se déterminer et se reconstruire.
L'homme se pose donc un certain nombre de questions puisque nos nouvelles connaissances nous placent face à de nouvelles situations, inédites, qui nous amènent à faire de nouveaux choix. Or, faire un choix, c'est exercer une liberté : nous voilà donc face à de nouveaux espaces de liberté. Mais exercer une liberté, c'est assumer une responsabilité : nous découvrons alors de nouvelles responsabilités. Et lorsque nous associons liberté et responsabilité, nous posons deux fondements de la dignité de la personne.
Voilà pourquoi, face à ces nouvelles connaissances, c'est l'idée même que nous nous faisons de l'homme qui est en cause, l'étape importante restant celle du choix : quelle attitude, quel comportement adopter pour rester fidèles à notre conception de la dignité de l'homme ?
Mené dans un dialogue intime avec nos consciences, ce questionnement qui met aux prises science et conscience, est au cur de l'interrogation éthique.
Tout comme d'autres activités, beaucoup plus médiatiques comme la transplantation d'organes, l'assistance médicale à la procréation ou la fin de vie, l'industrie du médicament est elle aussi au cur du débat éthique. Reposant sur l'essor de la science, elle est nécessairement soumise aux exigences de la conscience. On le comprend d'ailleurs, car elle a besoin pour exister et se développer de recherche, d'innovation, d'exploration de champs nouveaux. Elle a besoin d'audace, à l'évidence
On voit bien dès lors les dangers qui la guettent : le refus des interdits, la confusion entre fin et moyens, tout cela posant alors le problème central de la place de l'homme. Je vous renverrai pour cela au titre du livre d'Axel Kahn : " Et l'homme dans tout ça ? ".
Kant le rappelait avec justesse : " Fais en sorte que ton action considère toujours l'homme comme une fin et jamais comme un moyen ". Il n'est pas excessif de rappeler ces dangers. Ils sont réels. Ils peuvent inquiéter parfois.
Mais d'un autre côté c'est bien la conscience morale qui devrait fonder l'industrie pharmaceutique. Car sa mission est unique : il s'agit d'améliorer la santé de l'homme, il s'agit de lutter tout à la fois pour la vie et contre la mort et la souffrance.
On voit bien les choix éthiques difficiles qui se profilent. On voit bien qu'il faut chercher pour soigner. On voit bien qu'il faut savoir oser puisque l'innovation est essentielle. Toute l'histoire de la médecine est faite de transgressions répétées
Et pourtant Si la science doit bien être au service de l'homme, on ne peut pas considérer l'homme comme un instrument de la science. La frontière est donc bien souvent ténue.
Quelques exemples rapides illustreront ce propos.
La conciliation est possible entre intérêts économiques et exigences morales.
La déclaration de Doha sur la santé publique en novembre 2001 constitue une étape importante. Pour la première fois l'OMC a reconnu une hiérarchie des valeurs. Premièrement : la santé publique prime sur la liberté du commerce. Deuxièmement : un Etat peut, pour un besoin de santé publique, porter atteinte au monopole d'exploitation. Troisièmement : L'aide internationale s'impose finalement comme un devoir. Il faut donc saluer des initiatives telles le don à l'Afrique de 20 millions de test du sida et la réduction de 15 % du prix des tests dont on sait qu'ils s'élèvent à 500 dollars par an et par patient.
La conciliation est possible entre innovation et essais cliniques.
Quarante ans après le code de Nuremberg, la France a été l'une des premières nations à se doter d'une législation assurant la protection des personnes en matière de santé et d'expérimentation médicamenteuse. Autour des valeurs de liberté et de responsabilité s'organise le consentement éclairé, libre et express qui garantit le respect des personnes. Les dérives, les contournements ne sont pas compatibles avec l'idée même que nous nous faisons de l'homme. La législation sur la bioéthique en 1994 a voulu poser ces quelques grands principes comme des repères nécessaires.
En revanche que penser de l'exigence morale quand des résultats partiels font l'objet de publication tronquée ? Les exemples récents sont graves car ils traduisent des manquements graves à l'honnêteté, car ils entament la réputation de chercheurs et font douter de la rigueur de certaines revues scientifiques. Face à de telles dérives, je crois utile et urgent de créer un Comité international d'éthique de la publication scientifique et médicale.
De même le suivi de ce que l'on appelle les phase IV doit-il être grandement amélioré car il faut identifier mieux et plus vite les potentiels effets secondaires des médicaments.
Un autre exemple de malentendu qui s'installe parfois est celui des biotechnologies et des brevets sur les gènes. Chacun sait que je m'oppose aux brevets sur les séquences d'ADN car je suis conscient qu'il s'agit là d'une propriété commune aux hommes, un patrimoine commun de l'humanité. Pour autant je suis un farouche partisan des biotechnologies et j'entends bien aider à leur développement qui est une chance pour la médecine de demain. Je suis donc un ardent défenseur des brevets sur les procédés, les méthodes, les produits laissant l'accès libre à la connaissance qui appartient à chacun.
J'observe d'ailleurs que l'Office européen des brevets lui même vient de refuser un brevet sur l'absence de description de la séquence de la protéine correspondante. Voilà que le problème se résout par le fait qu'à l'évidence c'est la composition plutôt que la séquence qui devient intéressante
Enfin je ne développerai pas la situation exemplaire de ce dilemme qui oppose science et conscience aujourd'hui autour de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Chacun comprendra que pour la première fois avec une telle acuité, pour revenir à Kant, la vie humaine n'a autant été tout à la fois la fin et le moyen
C'est un sujet qui va encore nous occuper les uns et les autres. Ce n'est pas facile car il faut faire des choix. Or il n'y a pas de choix éthique sans tension morale !
Mesdames et Messieurs, je veux vous rendre hommage car le médecin que je suis, sait l'importance de ces questions. C'est tout le sens de l'action que vous menez dans l'industrie du médicament : servir l'homme sans jamais le dénaturer, sans jamais fuir ou méconnaître les difficultés. Comme le dit Portalis " il faut avoir les mains tremblantes ". J'en suis convaincu, dans bien des circonstances, il faut savoir garder les mains tremblantes. Mais nous sommes libres de nos choix, c'est toute notre responsabilité.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 4 septembre 2002)