Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, pourquoi l'Allemagne et la France s'éloignent-elles l'une de l'autre ?
R - Ce n'est pas ainsi que je vois les choses. Même dans les périodes exceptionnellement fécondes, les rapports franco-allemands n'ont jamais été fondés sur un accord parfait a priori. Les intérêts ne coïncident pas de façon automatique. La question est plutôt de savoir s'il y a une volonté de travailler ensemble.
Q - Elle semble faiblir...
R - Il ne faut pas inventer a posteriori un Age d'or où la France et l'Allemagne auraient eu le même point de vue sur tous les sujets. Il y a toujours eu deux pays profondément différents mais qui coopèrent et il continuera à en être ainsi. Cela ne doit pas vous inquiéter.
Q - Mais c'est ce qui se passe...
R - Nous sommes un peu victimes de notre succès. Le travail qui a été fait depuis 30 ans entre les deux pays a été très productif ; nous ne parlons plus du passé. La paix ? Tout cela est acquis ; on n'en parle plus. Ce sont de nouveaux grands projets qui nous occupent maintenant.
Q - On a parlé de relance.
R - Les grandes initiatives franco-allemandes n'ont jamais été prises au tout début des nouveaux gouvernements. Le gouvernement Schröder a dû faire face tout de suite à la présidence de l'Union européenne et à l'agenda 2000, puis à la guerre au Kosovo. Ce n'était objectivement pas un bon moment pour commencer un gros travail franco-allemand.
Q - En France, plusieurs livres ont récemment été publiés dans lesquels apparaît une profonde méfiance ou une condescendance vis-à-vis de l'Allemagne : "de la prochaine guerre avec l'Allemagne" du directeur d'Airbus, Philippe Delmas, "L'Allemagne est inquiétante" du journaliste du Figaro Alain Griotteray et les "Mémoires de l'ombre" de Pierre Marion...
R - Ramenons tout cela à de plus justes proportions. Le livre de l'ancien et éphémère chef des services secrets, Pierre Marion, n'est qu'un tissu d'âneries. Celui d'Alain Griotteray rabâche des appréhensions archaïques et marginales. Celui de Philippe Delmas est une spéculation brillante, au titre abusivement provocateur. Tout cela ne constitue pas un mouvement intellectuel, encore moins politique, et n'est en rien représentatif. Je crois la France actuelle très sereine vis à vis de l'Allemagne actuelle.
Q - Mais les problèmes entre les socialistes à propos du document Schröder-Blair ?
R - L'initiative prise au niveau des partis Britanniques et Allemands avant les élections n'a guère gêné les socialistes français, au contraire. Elle leur a permis de montrer qu'ils étaient différents ! C'est maintenant du passé, comme vous le verrez au Congrès de l'Internationale socialiste qui se tiendra au début novembre à Paris.
Q - Mais sur les grandes questions européennes, il y a également de grandes différences avec l'Allemagne. La France met en avant la question de la réforme des institutions, pour freiner l'élargissement.
R - Il n'y a pas de "grande différence". Nous voulons tous élargir de façon sérieuse et réussie sans brader les acquis européens qui sont notre oeuvre commune.
Q - Mais les candidats à l'adhésion veulent entrer aussi rapidement que possible...
R - Ils mesurent mieux aujourd'hui qu'il leur faut eux-mêmes être prêts. Si on faisait entrer tous les pays candidats dans l'Europe, uniquement parce que c'est une nécessité historique ou morale sans préparation suffisante ni d'eux-mêmes ni de nous, on ne se retrouverait plus dans une Union mais dans une sorte de conglomérat informe et impuissant. Dans ce cas, nous y aurions tous perdu.
Q - Quels sont les résultats du groupe de travail franco-allemand dans les ministères des Affaires étrangères?
R - Il est chargé de réfléchir à notre conception à long terme de l'avenir de l'Europe; cela n'est pas encore terminé. Quelles devront être au bout du compte les institutions ? Quelle répartition des pouvoirs entre l'Europe, les Etats, les régions ? Où seront les limites géographiques ? Nous devons recréer une vision commune, qui nous guidera pour les 15 à 20 ans à venir.
Q - Partagez-vous le point de vue de Romano Prodi selon lequel les négociations avec le prochain groupe de six devraient également commencer bientôt et que pensez-vous de la démarche des Allemands à propos de la Turquie ?
R - Nous sommes nous aussi partisans de décider d'ouvrir des négociations avec tous les autres pays candidats. Reconnaître à la Turquie le statut de candidat ? Oui, c'est légitime, étant entendu qu'il faut lui dire clairement le chemin qu'elle devra accomplir après cela. Mais nous ne pensons pas que l'on puisse fixer à l'avance une date pour l'admission des candidats.
Q - Même 2003 ?
R - Non, parce que ce serait artificiel. Chaque pays est un cas particulier. En revanche, nous pouvons nous fixer à nous-mêmes une date pour achever la réforme institutionnelle de façon à être prêts à accueillir à partir de cette date, les candidats les plus préparés. L'entrée dans l'Union, avec toutes ses contraintes et exigences est un choc de part et d'autre.
Q - Si une politique étrangère commune est engagée maintenant avec Javier Solana, a-t-on encore besoin d'un ministre des Affaires étrangères français ?
R - Ne vous inquiétez pas, il y a tellement de problèmes à régler qu'il y aura assez de travail pour très longtemps pour lui et pour tous les ministres des Affaires étrangères européens !
Q - La défense commune a progressé durant la guerre du Kosovo mais depuis, elle s'enlise à nouveau. Les coupes dans le budget allemand de la défense ne vous inquiètent-elles pas ?
R - L'idée s'affirme selon laquelle l'Europe devrait être capable de faire plus par elle-même, de sa propre initiative, avec les moyens de l'Alliance ou à côté de l'Alliance, en tout cas en bonne intelligence avec les Etats-Unis. C'est une mutation ambitieuse et compliquée. Il faut adapter nos structures de décision, et surtout renforcer nos capacités. Nous y travaillons.
Q - Et les Allemands vont dans le bon sens ?
R - Je le crois. Les Allemands retrouvent un rôle plus large, avec une vision plus mondiale des problèmes. Ce pays considère qu'il n'a plus de raison de limiter son action. C'est très bien. Nous approuvons cet engagement nouveau de l'Allemagne.
Q - L'UCK a-t-elle vraiment perdu son pouvoir au Kosovo ?
R - La transformation d'une force armée combattante en un parti politique ne peut se faire du jour au lendemain. Les élections municipales, dont nous acceptons le principe pour l'an prochain si elles peuvent être organisées correctement, peuvent faciliter cette évolution et permettre aussi à d'autres forces politiques de s'exprimer, comme Ibrahim Rugova. Il faudra aussi régler le problème du vote des Serbes.
Q - Les Américains parlent de plus en plus de l'indépendance du Kosovo. Madeleine Albright a déjà appelé Thaci, le chef de l'UCK, "Monsieur le Premier ministre".
R - En dépit de ce que nous lisons périodiquement dans la presse américaine, chaque fois que nous interrogeons les responsables américains, à commencer par le président Clinton et Madeleine Albright, il nous disent qu'ils n'ont pas changé de politique, parce qu'une indépendance du Kosovo n'entraînerait qu'une déstabilisation régionale accrue.
Q - On vous reproche d'être trop proche de Madeleine Albright. Curieusement, c'est aussi ce qu'on reproche à Joschka Fischer.
R - Cela me rassure. Mais alors dois-je m'inquiéter, ou me rassurer qu'on ne me reproche pas d'être trop proche de Joschka Fischer alors que nous sommes très proches et nous nous parlons souvent ?
C'est le type même du malentendu. Dans la diplomatie moderne, il faut se téléphoner très souvent. Mais cela ne veut pas dire être toujours du même avis. Nous sommes tous dans le même grand village et nous les ministres des Affaires étrangères, devons cogérer les problèmes en temps réel.
Q - Vous utilisez le terme d'hyper-puissance pour les Etats-Unis ? Pourquoi ?
R - Parce que le terme "superpuissance" qui date de la guerre froide ne rend pas bien compte de ce que sont les Etats-Unis aujourd'hui. La puissance actuelle des Etats-Unis est bien sûr militaire, mais aussi économique, financière et plus encore culturelle, jusqu'à CNN et Hollywood. Juste après viennent six ou sept pays qui sont tous à peu près sur le même plan et qui sont selon moi, d'une façon ou d'autre des "puissances d'influence mondiale". Ce sont la Russie, la Chine, le Japon, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, l'Inde pourrait en être. L'Europe, cela dépendra de son degré d'union.
Q - Vous êtes le seul pays qui dit sans cesse "non" aux Etats-Unis.
R - Sans cesse : non. Mais cela dépend des sujets. Dans les moments très graves (Cuba en 1962, la guerre du Golfe) et sur de très nombreux dossiers il y a accord. Nous sommes les amis des Etats-Unis, nous sommes leurs alliés, mais nous ne voulons pas être alignés, cela veut dire que nous voulons garder notre liberté de dire oui ou non selon les cas, nos intérêts, nos conceptions.
Q - Vous avez déclaré un jour que la France ne vivait plus au temps de Louis XIV. Que voulez-vous dire par là ?
R - Que la France ne doit pas se conduire comme une grande puissance d'autrefois, pleine d'arrogance. Mais je récuse tout autant que ce pays se résigne à n'être qu'une prétendue puissance moyenne et manque de confiance en soi. J'essaie aussi d'échapper, au goût français pour les grandes déclamations, au ton un peu grandiloquent que nous employons parfois pour donner des leçons à tout le monde. Cela n'est pas efficace, ce n'est plus l'esprit de l'époque, nous pouvons dire ce que nous avons à dire autrement.
Q - L'Allemagne utilise sans cesse l'expression "Grande Nation"
R - En effet. Les Allemands devraient aussi s'interroger à ce sujet. C'est un automatisme de langage : "France : grande nation, s'en moquer". Est-ce justifié aujourd'hui ?
Q - Ce mot remonte à Napoléon, lorsqu'il a traversé le Rhin.
R - Cela n'a rien à voir avec les problèmes d'aujourd'hui.
Q - La fusion de Dasa et Matra/Aérospatiale est-elle une vision d'avenir ?
R - C'est une décision considérable des industriels et des gouvernements et qui traduit, en effet, une grande vision d'avenir franco-allemande, et européenne. Cela apporte un démenti spectaculaire à tous ceux qui disaient que les relations entre l'Allemagne et la France étaient en panne. C'était très compliqué. Mais comme il y eut une volonté d'aboutir, on a abouti.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 octobre 1999)
R - Ce n'est pas ainsi que je vois les choses. Même dans les périodes exceptionnellement fécondes, les rapports franco-allemands n'ont jamais été fondés sur un accord parfait a priori. Les intérêts ne coïncident pas de façon automatique. La question est plutôt de savoir s'il y a une volonté de travailler ensemble.
Q - Elle semble faiblir...
R - Il ne faut pas inventer a posteriori un Age d'or où la France et l'Allemagne auraient eu le même point de vue sur tous les sujets. Il y a toujours eu deux pays profondément différents mais qui coopèrent et il continuera à en être ainsi. Cela ne doit pas vous inquiéter.
Q - Mais c'est ce qui se passe...
R - Nous sommes un peu victimes de notre succès. Le travail qui a été fait depuis 30 ans entre les deux pays a été très productif ; nous ne parlons plus du passé. La paix ? Tout cela est acquis ; on n'en parle plus. Ce sont de nouveaux grands projets qui nous occupent maintenant.
Q - On a parlé de relance.
R - Les grandes initiatives franco-allemandes n'ont jamais été prises au tout début des nouveaux gouvernements. Le gouvernement Schröder a dû faire face tout de suite à la présidence de l'Union européenne et à l'agenda 2000, puis à la guerre au Kosovo. Ce n'était objectivement pas un bon moment pour commencer un gros travail franco-allemand.
Q - En France, plusieurs livres ont récemment été publiés dans lesquels apparaît une profonde méfiance ou une condescendance vis-à-vis de l'Allemagne : "de la prochaine guerre avec l'Allemagne" du directeur d'Airbus, Philippe Delmas, "L'Allemagne est inquiétante" du journaliste du Figaro Alain Griotteray et les "Mémoires de l'ombre" de Pierre Marion...
R - Ramenons tout cela à de plus justes proportions. Le livre de l'ancien et éphémère chef des services secrets, Pierre Marion, n'est qu'un tissu d'âneries. Celui d'Alain Griotteray rabâche des appréhensions archaïques et marginales. Celui de Philippe Delmas est une spéculation brillante, au titre abusivement provocateur. Tout cela ne constitue pas un mouvement intellectuel, encore moins politique, et n'est en rien représentatif. Je crois la France actuelle très sereine vis à vis de l'Allemagne actuelle.
Q - Mais les problèmes entre les socialistes à propos du document Schröder-Blair ?
R - L'initiative prise au niveau des partis Britanniques et Allemands avant les élections n'a guère gêné les socialistes français, au contraire. Elle leur a permis de montrer qu'ils étaient différents ! C'est maintenant du passé, comme vous le verrez au Congrès de l'Internationale socialiste qui se tiendra au début novembre à Paris.
Q - Mais sur les grandes questions européennes, il y a également de grandes différences avec l'Allemagne. La France met en avant la question de la réforme des institutions, pour freiner l'élargissement.
R - Il n'y a pas de "grande différence". Nous voulons tous élargir de façon sérieuse et réussie sans brader les acquis européens qui sont notre oeuvre commune.
Q - Mais les candidats à l'adhésion veulent entrer aussi rapidement que possible...
R - Ils mesurent mieux aujourd'hui qu'il leur faut eux-mêmes être prêts. Si on faisait entrer tous les pays candidats dans l'Europe, uniquement parce que c'est une nécessité historique ou morale sans préparation suffisante ni d'eux-mêmes ni de nous, on ne se retrouverait plus dans une Union mais dans une sorte de conglomérat informe et impuissant. Dans ce cas, nous y aurions tous perdu.
Q - Quels sont les résultats du groupe de travail franco-allemand dans les ministères des Affaires étrangères?
R - Il est chargé de réfléchir à notre conception à long terme de l'avenir de l'Europe; cela n'est pas encore terminé. Quelles devront être au bout du compte les institutions ? Quelle répartition des pouvoirs entre l'Europe, les Etats, les régions ? Où seront les limites géographiques ? Nous devons recréer une vision commune, qui nous guidera pour les 15 à 20 ans à venir.
Q - Partagez-vous le point de vue de Romano Prodi selon lequel les négociations avec le prochain groupe de six devraient également commencer bientôt et que pensez-vous de la démarche des Allemands à propos de la Turquie ?
R - Nous sommes nous aussi partisans de décider d'ouvrir des négociations avec tous les autres pays candidats. Reconnaître à la Turquie le statut de candidat ? Oui, c'est légitime, étant entendu qu'il faut lui dire clairement le chemin qu'elle devra accomplir après cela. Mais nous ne pensons pas que l'on puisse fixer à l'avance une date pour l'admission des candidats.
Q - Même 2003 ?
R - Non, parce que ce serait artificiel. Chaque pays est un cas particulier. En revanche, nous pouvons nous fixer à nous-mêmes une date pour achever la réforme institutionnelle de façon à être prêts à accueillir à partir de cette date, les candidats les plus préparés. L'entrée dans l'Union, avec toutes ses contraintes et exigences est un choc de part et d'autre.
Q - Si une politique étrangère commune est engagée maintenant avec Javier Solana, a-t-on encore besoin d'un ministre des Affaires étrangères français ?
R - Ne vous inquiétez pas, il y a tellement de problèmes à régler qu'il y aura assez de travail pour très longtemps pour lui et pour tous les ministres des Affaires étrangères européens !
Q - La défense commune a progressé durant la guerre du Kosovo mais depuis, elle s'enlise à nouveau. Les coupes dans le budget allemand de la défense ne vous inquiètent-elles pas ?
R - L'idée s'affirme selon laquelle l'Europe devrait être capable de faire plus par elle-même, de sa propre initiative, avec les moyens de l'Alliance ou à côté de l'Alliance, en tout cas en bonne intelligence avec les Etats-Unis. C'est une mutation ambitieuse et compliquée. Il faut adapter nos structures de décision, et surtout renforcer nos capacités. Nous y travaillons.
Q - Et les Allemands vont dans le bon sens ?
R - Je le crois. Les Allemands retrouvent un rôle plus large, avec une vision plus mondiale des problèmes. Ce pays considère qu'il n'a plus de raison de limiter son action. C'est très bien. Nous approuvons cet engagement nouveau de l'Allemagne.
Q - L'UCK a-t-elle vraiment perdu son pouvoir au Kosovo ?
R - La transformation d'une force armée combattante en un parti politique ne peut se faire du jour au lendemain. Les élections municipales, dont nous acceptons le principe pour l'an prochain si elles peuvent être organisées correctement, peuvent faciliter cette évolution et permettre aussi à d'autres forces politiques de s'exprimer, comme Ibrahim Rugova. Il faudra aussi régler le problème du vote des Serbes.
Q - Les Américains parlent de plus en plus de l'indépendance du Kosovo. Madeleine Albright a déjà appelé Thaci, le chef de l'UCK, "Monsieur le Premier ministre".
R - En dépit de ce que nous lisons périodiquement dans la presse américaine, chaque fois que nous interrogeons les responsables américains, à commencer par le président Clinton et Madeleine Albright, il nous disent qu'ils n'ont pas changé de politique, parce qu'une indépendance du Kosovo n'entraînerait qu'une déstabilisation régionale accrue.
Q - On vous reproche d'être trop proche de Madeleine Albright. Curieusement, c'est aussi ce qu'on reproche à Joschka Fischer.
R - Cela me rassure. Mais alors dois-je m'inquiéter, ou me rassurer qu'on ne me reproche pas d'être trop proche de Joschka Fischer alors que nous sommes très proches et nous nous parlons souvent ?
C'est le type même du malentendu. Dans la diplomatie moderne, il faut se téléphoner très souvent. Mais cela ne veut pas dire être toujours du même avis. Nous sommes tous dans le même grand village et nous les ministres des Affaires étrangères, devons cogérer les problèmes en temps réel.
Q - Vous utilisez le terme d'hyper-puissance pour les Etats-Unis ? Pourquoi ?
R - Parce que le terme "superpuissance" qui date de la guerre froide ne rend pas bien compte de ce que sont les Etats-Unis aujourd'hui. La puissance actuelle des Etats-Unis est bien sûr militaire, mais aussi économique, financière et plus encore culturelle, jusqu'à CNN et Hollywood. Juste après viennent six ou sept pays qui sont tous à peu près sur le même plan et qui sont selon moi, d'une façon ou d'autre des "puissances d'influence mondiale". Ce sont la Russie, la Chine, le Japon, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, l'Inde pourrait en être. L'Europe, cela dépendra de son degré d'union.
Q - Vous êtes le seul pays qui dit sans cesse "non" aux Etats-Unis.
R - Sans cesse : non. Mais cela dépend des sujets. Dans les moments très graves (Cuba en 1962, la guerre du Golfe) et sur de très nombreux dossiers il y a accord. Nous sommes les amis des Etats-Unis, nous sommes leurs alliés, mais nous ne voulons pas être alignés, cela veut dire que nous voulons garder notre liberté de dire oui ou non selon les cas, nos intérêts, nos conceptions.
Q - Vous avez déclaré un jour que la France ne vivait plus au temps de Louis XIV. Que voulez-vous dire par là ?
R - Que la France ne doit pas se conduire comme une grande puissance d'autrefois, pleine d'arrogance. Mais je récuse tout autant que ce pays se résigne à n'être qu'une prétendue puissance moyenne et manque de confiance en soi. J'essaie aussi d'échapper, au goût français pour les grandes déclamations, au ton un peu grandiloquent que nous employons parfois pour donner des leçons à tout le monde. Cela n'est pas efficace, ce n'est plus l'esprit de l'époque, nous pouvons dire ce que nous avons à dire autrement.
Q - L'Allemagne utilise sans cesse l'expression "Grande Nation"
R - En effet. Les Allemands devraient aussi s'interroger à ce sujet. C'est un automatisme de langage : "France : grande nation, s'en moquer". Est-ce justifié aujourd'hui ?
Q - Ce mot remonte à Napoléon, lorsqu'il a traversé le Rhin.
R - Cela n'a rien à voir avec les problèmes d'aujourd'hui.
Q - La fusion de Dasa et Matra/Aérospatiale est-elle une vision d'avenir ?
R - C'est une décision considérable des industriels et des gouvernements et qui traduit, en effet, une grande vision d'avenir franco-allemande, et européenne. Cela apporte un démenti spectaculaire à tous ceux qui disaient que les relations entre l'Allemagne et la France étaient en panne. C'était très compliqué. Mais comme il y eut une volonté d'aboutir, on a abouti.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 octobre 1999)