Texte intégral
(Point de presse avec la presse française à Washington, le 11 juillet 2002) :
Merci de vous être déplacés pour cette conférence de presse.
J'ai rencontré ce matin Condoleeza Rice, conseiller du président pour les questions de sécurité, le vice-président Cheney et Colin Powell et son équipe du Département d'Etat lors d'une réunion de travail suivie d'un déjeuner.
Comme vous le savez, c'est ma première visite à Washington depuis ma prise de fonctions. J'ai déjà rencontré quatre fois Colin Powell en différentes occasions. Donc cette rencontre se situe dans le cadre du dialogue régulier, confiant, amical, étroit entre la France et les Etats-Unis.
Dans un monde à la fois incertain, instable, imprévisible, il est très important d'avoir la plus grande et la plus confiante concertation possible entre les différents pays, donc pour nous avec les Américains et ce sur les grands dossiers, bien sûr, sur les crises que connaît le monde. Crises qui, à bien des égards, ne sont plus régionales, mais qui ont des répercussions dans chacun de nos pays sur l'ensemble de la planète, mais aussi sur l'ensemble des grandes questions qui touchent à l'ordre mondial. Qu'il s'agisse des questions de l'environnement, qu'il s'agisse des questions de solidarité internationale, du dialogue Nord-Sud, qu'il s'agisse des normes de droit, des problèmes éthiques ou, bien sûr, de la coopération face au terrorisme international et face aux questions de prolifération.
Ma conviction, la conviction française c'est qu'il faut travailler le plus possible pour essayer de régler les problèmes de sécurité mais qu'il y a un lien très direct entre ces questions de sécurité et la nécessité d'avancer pour aussi prendre en compte les problèmes de la paix. Il y a donc un lien entre la sécurité et la stabilité et si l'on veut vraiment maximiser les chances de la sécurité, il est très important de prendre des initiatives dans le domaine de la paix pour augmenter la stabilité du monde.
Tout ceci requiert mobilisation, concertation, action. Le monde a besoin d'action, le monde a besoin de résultats pour progresser. Nous avons donc traité un grand nombre de sujets ce matin avec Colin Powell et avec nos amis américains : le Proche-Orient bien sûr, l'Iraq, l'Iran, l'Afghanistan, la situation régionale entre l'Inde et le Pakistan, l'Afrique, Madagascar, mais aussi la perspective du Sommet de Johannesburg qui, comme vous le savez, est très importante pour nous, parce que ce sera l'occasion d'aborder les problèmes du développement durable, du développement social mais aussi du développement économique. On a abordé aussi les questions européennes et en particulier l'avenir de la construction européenne ainsi que tout ce qui est lié à l'élargissement de l'OTAN.
Comme vous le voyez, on s'est employé à traiter tous les grands problèmes de l'actualité avec la conviction et le sentiment profond que je ressens de l'urgence. Dans le monde de l'après 11 septembre, il y a urgence à agir, urgence à se mobiliser et il est donc très important que le dialogue entre les différentes puissances, le dialogue avec les Etats-Unis, soit particulièrement nourri, particulièrement direct et confiant si l'on veut essayer d'élaborer des réponses adaptées aux besoins du monde d'aujourd'hui.
Q - Je voulais savoir si vous avez pu vous entretenir avec Colin Powell de la volonté des Etats-Unis d'en découdre avec l'Iraq ? Et quelles sont vos inquiétudes à ce sujet ?
R - On a évidemment abordé la question iraquienne et d'abord pour souligner l'urgence de continuer les pressions sur l'Iraq. Nous partageons le même objectif visant à faire en sorte que l'Iraq, que Saddam Hussein respecte les résolutions des Nations unies, respecte les demandes du Secrétaire général des Nations unies. Nous soutenons très fortement les initiatives prises par le Secrétaire général pour essayer de faire revenir rapidement les inspecteurs des Nations unies. Là, c'est un élément important et l'on souhaite que l'Iraq réponde à ces demandes. Nous estimons, j'estime en tout cas, que Saddam Hussein serait bien inspiré de faire rapidement revenir ces inspecteurs.
Evidemment on a évoqué la situation globale dans la région. Il y a beaucoup de rumeurs concernant une intervention mais à ma connaissance une intervention n'est pas d'actualité.
Q - Est-ce que la France partage la conviction américaine que le régime de Saddam Hussein a entrepris une prolifération nucléaire, bactériologique et chimique ?
R - Nous suivons avec beaucoup d'attention ces questions et nous nous concertons avec nos amis américains sur les risques de manuvres de prolifération. Comme vous le savez, ce risque de prolifération est un risque qui concerne aujourd'hui beaucoup de régions et beaucoup d'Etats. C'est évidemment un souci qui nous mobilise profondément. La détermination qui est la nôtre à lutter contre le terrorisme est aussi une détermination très forte à lutter contre la prolifération. Nous estimons important de collecter et de confronter les informations qui sont les nôtres.
Q - Nous sommes frappés par la façon dont vous avez entrepris très vite et partout de faire entendre la voix de la France et sur le Proche-Orient. En même temps, on sait ici qu'il y a un gouffre entre les positions française et américaine. Alors, après votre séjour ici et après avoir vu non seulement Colin Powell mais également le vice-président, où en est-on ? Est-ce que vous pensez que les élections auront lieu à la date qui est pour l'instant envisagée ? Et comment la France peut faire aboutir ses convictions ?
R - Je voudrais d'abord souligner notre conviction de l'urgence à avancer sur la question du Proche-Orient. On peut évidemment se croiser les bras et attendre que les choses passent, on est sûr effectivement qu'il ne se passera rien. Mais ce n'est pas notre position. Il y a une urgence parce que, on le voit bien, il y a une dégradation de la situation. On voit l'angoisse quotidienne des Israéliens face aux attaques terroristes, aux bombes humaines, on voit l'absence d'avenir et le sentiment d'humiliation qu'éprouvent aujourd'hui les Palestiniens vivant à l'heure du couvre-feu, vivant à l'heure de l'occupation. Tout ceci n'est pas acceptable et tout ceci est un nouveau risque, nous ne laisserons pas le terrorisme prendre en otage la région. C'est là où la volonté diplomatique, la volonté des Etats doit les conduire à prendre toutes leurs responsabilités face à ces problèmes. C'est le premier point que j'ai souligné.
Dans ce contexte d'urgence, il y a un certain nombre d'éléments positifs qu'il faut relever. C'est d'abord les convergences qui se sont exprimées depuis le début de l'année. Convergences avec les initiatives arabes, on l'a vu, une mobilisation, un engagement très fort des pays arabes. L'initiative saoudienne reprise par le Sommet de Beyrouth est évidemment un élément important. Cet engagement ne s'est pas démenti au cours des derniers mois.
De la même façon, les Européens ont marqué très clairement leur volonté de rester dans l'initiative politique au Conseil Européen ; et les Américains, dans le discours du Président Bush, ont marqué un certain nombre de principes et d'oppositions très fortes.
D'abord l'objectif. On est d'accord sur l'objectif : créer un Etat palestinien viable, démocratique, pacifique, souverain sur les bases des frontières de 1967, même si la référence dans le texte américain était un peu différente. Enfin, il y a un accord global sur l'objectif.
Deuxièmement, poursuivre dans la voie des réformes est un élément important. Il faut effectivement profiter de toutes les occasions pour crédibiliser l'interlocuteur palestinien et la légitimité de cet interlocuteur. Il faut enfin faire en sorte que les élections puissent se tenir. Il y a un accord global de la communauté pour que ces élections puissent se tenir. Yasser Arafat, les Palestiniens ont dit que ces élections pourraient se tenir. J'étais là-bas à Ramallah au moment où il l'a annoncé au début janvier. Voilà une échéance concrète pour la vie internationale et le fait de travailler dans ce sens doit nous permettre à partir de là d'en tirer toutes les conclusions pour que ces élections puissent se dérouler dans de bonnes conditions. Avec une présence des chars israéliens, on ne peut pas imaginer organiser des élections dans un tel contexte. Il faut donc faire sorte, semaine après semaine, mois après mois, que les conditions favorables puissent être créées.
Cela implique plus de sécurité, cela implique une mobilisation de l'ensemble des partenaires, cela implique une plus grande concertation entre les différents partenaires. On voit que cette concertation s'intensifie et s'accroît. On le voit dans le cadre du Quartet qui est un outil irremplaçable pour faire avancer les choses, un outil dont nous pensons qu'il doit être fidèle à sa vocation politique. Le Quartet peut et doit développer des relations intenses avec les différents pays arabes concernés, les différents pays qui ont pris l'initiative de la Ligue arabe. Mais nous pensons qu'il faut aller plus loin et que la conférence internationale, d'ici la fin de l'année, est sans doute aujourd'hui le meilleur cadre pour faire avancer cela, certainement pas pour régler le fond des questions. La négociation elle-même pourrait commencer au lendemain des élections palestiniennes, en s'attelant aux questions très difficiles que seront Jérusalem, le problème des réfugiés, le droit du retour. Tout ceci constitue un agenda compliqué.
Mais il faut créer un momentum, et le fait de réunir l'ensemble des acteurs, l'ensemble des parties avec des termes de référence qui sont aujourd'hui très disponibles sur la scène internationale que sont les résolutions des Nations unies 242 et 338, avec les principes de Madrid, l'échange de la terre contre la paix, présente des bases très solides. Je crois que le travail qui était celui des différents plans de paix successifs est aujourd'hui disponible, il faut absolument avancer et ne pas en permanence remettre en cause ce qui a été acquis. A partir de là, je crois qu'on aura et qu'on créera un mouvement qui sera positif pour l'ensemble de la région. Si ce mouvement n'est pas créé, si la politique ne prend pas tous ses droits à côté d'une politique légitime visant à intensifier la sécurité, nous risquons alors de voir le terrorisme, ceux qui n'ont pas pour ambition d'avancer dans le sens de la paix, en profiter. Et c'est justement cette logique qui nous paraît indispensable d'enclencher. Il est urgent, nous ne pouvons pas laisser le temps passer, nous devons essayer d'enclencher tous les mécanismes possibles de dialogue et de confiance. Nous ne devons pas laisser désespérer ceux qui aujourd'hui espèrent justement en un avenir meilleur.
Q - Vous pensez après avoir vu Dick Cheney que les points de vue, avec la France en particulier, se sont rapprochés ? Vous pensez que vous allez obtenir des résultats ?
R - Je pense que le fait de se rencontrer régulièrement, le fait de se parler franchement contribue à faire avancer les choses. Nous le faisons avec à la fois beaucoup de franchise et aussi beaucoup d'humilité. Le but c'est de faire en sorte de contribuer le plus possible à la paix et au dialogue dans cette région. Il y a donc là un impératif qui nous dépasse. La conviction est qu'il ne faut pas être rattrapé par la réalité. La réalité, c'est quoi ? C'est cette menace du terrorisme et de l'instabilité qui peut se poser. Je pense que la réalité aujourd'hui s'impose à tous. Au-delà des positions que chacun peut prendre, au-delà des convictions que chacun peut avoir, il y a forcément, entre la réalité d'aujourd'hui - qui est une réalité tragique -, entre l'inquiétude d'aujourd'hui et le devoir diplomatique une nécessité. Le but c'est d'essayer de faciliter la réflexion, d'éclairer un certain nombre de pistes possibles et de faire en sorte que des marges de manuvre puissent être gagnées pour la diplomatie.
Q - Est-ce que les Américains vous semblent d'accord sur le principe de mettre suffisamment de pression sur les Israéliens pour obtenir un retrait avant les élections ?
R - Je crois que chacun comprend bien qu'il faut un effort des deux côtés. Il y a un processus de réforme qui est engagé du côté palestinien, et ce processus se développe, on le voit bien, tous les jours pour essayer de donner plus de transparence, plus d'efficacité à l'Autorité Palestinienne. Il y a une perspective d'élection. Il y a une situation difficile sur le plan économique, il y a une situation extrêmement douloureuse sur le plan humain, il y a aussi une urgence à avancer et à trouver des solutions. La sécurité seule ne peut pas permettre de répondre aux préoccupations qui sont les leurs. Dans ce contexte, il faut donc encourager chacun à avancer pour débloquer la situation dramatique d'aujourd'hui.
Q - La solution se fera avec ou sans Arafat ? Et est-ce que la France va apporter sur la table des négociations des cartes nouvelles parce qu'on a l'impression qu'on tourne un peu en rond parfois ?
R - Je ne crois pas qu'on tourne en rond. Je crois que les choses avancent. Je crois que la réalité se rappelle au monde. Je crois que chacun a bien conscience de l'urgence de faire quelque chose. Il y a des réunions programmées du Quartet. Nos échanges montrent bien que les messages que nous nous passons les uns et les autres progressent dans les esprits respectifs. Je crois qu'il n'est pas utile de personnaliser aujourd'hui à l'excès la situation. On comprend très bien la contrainte qui est celle de la diplomatie américaine et nous la respectons. Notre conviction à nous, c'est qu'il faut respecter le choix des Palestiniens, donc respecter les instances élues côté palestinien. Mais nous pouvons avancer quelles que soient les contraintes, il faut évidemment travailler avec les interlocuteurs qui sont présents. Il se trouve que nous travaillons y compris avec Yasser Arafat, mais je crois que cela n'empêche pas d'avancer, cela n'empêche pas d'avoir des conférences. L'idée d'une conférence internationale, par exemple à l'échelon ministériel, permettrait de passer outre les difficultés qui sont celles aujourd'hui de telle ou telle partie.
Q - Précisément ce point est défendu fortement par la France, est-ce que vous avez obtenu quelque chose de vos interlocuteurs américains ? Est-ce qu'ils sont prêts à engager une telle conférence avant la fin de l'année ?
R - Il est évident que nous sommes dans un dialogue qui ne s'arrête pas. C'est évidemment le dialogue que nous avons avec l'ensemble des parties, c'était le sens de ma visite dans la région et des différentes rencontres que j'ai pu avoir. C'était le sens de ma visite à Moscou, on a eu des échanges fructueux sur ce sujet puisque nos amis russes ont exprimé la même préoccupation et le souci aussi d'aller dans le sens d'une conférence internationale. Chacun comprend les préoccupations, chacun analyse et voit à partir des contraintes qui sont les siennes ce qu'il peut faire, c'est un processus itératif, nous continuerons à en parler, nous continuerons à défendre les conditions qui sont les nôtres.
Q - Qu'est-ce qui vous préoccupe sur l'Iran ? Vous avez dit : on a parlé de l'Iran. Les Américains et la France, quelle est leur préoccupation actuellement vis-à-vis de l'Iran ? Est-ce que c'est le Hezbollah, est-ce que c'est la prolifération ?
R - Nous avons évoqué la situation de l'Iran dans le contexte régional, de la situation politique, dans le cadre du dialogue régulier que nous avons entre nous. C'est l'occasion de faire un point sur nos approches respectives vis-à-vis de la région.
Q - Vous dites qu'il faut continuer le dialogue. Est-ce que vous avez l'impression que vous avez avancé au cours de ce séjour, que vous avez obtenu quelque chose de concret ou que c'est simplement un processus de dialogue qui a commencé et qui pourrait durer longtemps ?
R - Vous savez le processus de dialogue est toujours soumis aux contraintes de l'actualité, nous l'avons dit tout à l'heure. On pourrait vouloir annoncer des résultats fracassants. Nous sommes sur une scène internationale qui aujourd'hui nous oblige car il y a des impératifs de mouvement et des impératifs d'action. Le problème c'est d'avancer, partant des contraintes qui sont aussi celles de nos différents partenaires. C'est par définition un processus qui demande parfois du temps et qui demande de l'explication ; le but c'est d'éclairer le chemin. Nous sommes là pour cela, pour essayer de faire avancer les idées, de montrer qu'il y a différentes possibilités, qu'on n'est pas obligé en permanence de s'en tenir à une seule solution. Notre conviction par ailleurs, c'est que personne ne détient seul les clefs de la paix et en particulier au Proche-Orient. Il est donc très important de maintenir un processus de concertation diplomatique pour essayer de jouer les complémentarités qui existent en nous. C'est le sens des rencontres que nous avons, c'est le sens de la concertation très étroite que nous maintenons au sein de l'Union européenne sur ces questions, pour arriver à une position commune, qui nous permette de mieux faire passer, de mieux défendre les idées qui sont les nôtres.
Q - Sur la conférence internationale, Colin Powell en avait parlé, le Président Bush n'en a plus parlé. Est-ce qu'il y a une évolution qui s 'est faite dans l'Administration ou bien est-ce que c'est quelque chose qui est toujours une idée ?
R - Nous en avons longuement parlé. Cela montre que l'idée garde de l'actualité et qu'il est important d'essayer de défricher voire à quoi elle pourrait ressembler, dans quel contexte elle pourrait être lancée, pour quoi faire. Donc, il est important de préciser, d'affiner les propositions que nous pourrions faire dans ce domaine. Je le répète, ma conviction c'est qu'elle pourrait préparer des négociations de fond futures, créer le momentum politique, éviter le risque de vide qui pourrait se créer dans la deuxième partie de l'année et être un substitut important visant à encourager les efforts de chacun pour avancer.
Une fois de plus, quand vous êtes dans une région qui est marquée aussi durement, aussi cruellement par le terrorisme, il est important de crédibiliser l'idée qu'il y ait une solution politique. Je crois que la communauté internationale le dit et le répète - quelles que soient les différentes parties - aujourd'hui nous croyons tous à la nécessité de créer un Etat palestinien. Nous essayons d'avancer dans cet objectif rapidement, de créer les conditions qui permettraient cette reconnaissance. Comme parallèlement la préoccupation de sécurité, de lutte contre le terrorisme existe, je crois qu'il y a là un outil qui permettrait de stabiliser davantage et de marquer notre engagement à faire avancer la paix dans la région.
Q - On sent un glissement au sein du discours de l'Administration entre une doctrine de dissuasion classique et une doctrine de prévention ou de préemption qui permettrait à un Etat de frapper un Etat avant qu'il n'ait commis quelque mal que soit. Est-ce que Mme Rice en particulier vous a exposé cette doctrine ? Est-ce qu'on vous demande d'y adhérer ? Est-ce que vous pouvez y aller ?
R - On a évoqué le nouveau contexte stratégique mondial et Mme Rice m'a expliqué quel était l'état d'esprit, la réflexion au sein de l'Administration. Quand on parle de détermination à lutter contre le terrorisme, quand on parle de détermination à lutter contre la prolifération, évidemment cela suppose que l'on se donne les moyens de le faire, cela suppose qu'il y ait l'hypothèse et la capacité d'action. C'est très important sans quoi tout cela resterait parfaitement virtuel. Ce que nous croyons c'est que cela suppose aussi une très profonde concertation, de très profonds échanges. Dans ce contexte, il est important que cette concertation, que cet échange puissent avoir lieu. L'idée que tout cela puisse avoir lieu sans aucune préparation, sans aucun partage d'information ne serait pas satisfaisante. C'est donc dans ce contexte là, dans le souci d'être efficace, de partager l'information, de faire en sorte que nous puissions tous bénéficier des mêmes éléments, que nous pourrons travailler. Je crois dans le climat de confiance sur la vie internationale, dans la volonté que nous avons d'être tous mobilisés - vous le voyez bien dans la lutte contre le terrorisme - nous sommes soucieux de faire avancer cette concertation sur le plan des échanges, dans le domaine du renseignement, dans le domaine de la coopération policière, dans le domaine de la coopération judiciaire. Il y a là toute une série d'éléments qui font que le travail au quotidien se fait très efficacement, il est important qu'à chaque étape de la concertation, voire de l'action, cet échange et ce partage soient naturellement effectués.
Q - Est-ce que vous me dites là que la France serait prête, le cas échéant, à prendre part ou à approuver des actions préventives pour peu qu'elle soit consultée ?
R - Ce que je vous dis c'est que nous voulons agir dans un esprit de responsabilité et que notre souci d'action et de résultat est très grand. Nous ne sommes pas là pour uniquement parler des problèmes. Nous sommes là aussi pour agir et faire en sorte que nous puissions vivre dans un monde plus sûr. Cela suppose donc, comme je le dis, d'abord un partage de l'information, de l'échange et après les évaluations, au terme d'une réflexion, les différentes options sont possibles.
Q - Quelle est votre approche du rôle spécifique des Etats-Unis dans le monde, dans le contexte stratégique mondial ? Votre prédécesseur parlait d'hyperpuissance, votre prédécesseur regrettait à certains moments l'attitude simpliste des Etats-Unis en politique étrangère ? Est-ce que vous partagez les analyses de votre prédécesseur ?
R - Je crois que le monde change vite, il faut donc adapter ces analyses, adapter sa vision que l'on a des problèmes en fonction de ses évolutions. Je crois que dans le monde de l'après 11 septembre, ce n'est pas tant l'excès de la puissance qui menace aujourd'hui, c'est beaucoup plus le vide de la puissance qui constitue un véritable risque. Par rapport à cela, il faut donc de l'action, il faut une prise de responsabilités très forte de la communauté internationale. Si nous éprouvons le besoin de jouer les complémentarités entre les uns et les autres, d'accroître la concertation, de favoriser certaines coopérations dans les domaines comme la lutte contre le terrorisme et la prolifération, c'est bien parce que nous avons le sentiment que cette action n'est possible qu'à condition que nous ne l'engagions ensemble.
Une fois de plus, je le redis, je ne crois pas qu'un Etat puisse aujourd'hui tout seul assurer la stabilité, la paix, la sécurité du monde. C'est possible uniquement dans un esprit de coopération et de mobilisation de tous. Personne ne peut faire la paix tout seul. Il faut au moins être deux et deux souvent cela ne suffit pas non plus. Donc je crois que nous sommes dans un monde où il faut prendre en compte cette diversité, il faut prendre en compte cette complexité et l'imprévisibilité ne fait qu'ajouter à cette complexité. A partir de là, bien évidemment l'impératif d'action, de coordination devient tout à fait essentiel. Mais ce que je crains par dessus tout, c'est qu'effectivement cette responsabilité ne s'affirme pas suffisamment. Cette responsabilité est collective et chacun évidemment pour sa part, les Américains ont une responsabilité très grande du fait de la puissance qui est la leur. Mais cette responsabilité doit être partagée avec tous ceux qui ont vocation et une certaine conception et une certaine idée de l'ordre mondial. C'est pour cela que nous attachons tant d'importance aux nouvelles règles qui doivent être celles du monde, tant d'importance à avancer sur un certain nombre des grandes questions, parce que nos populations, les peuples du monde sont effectivement attachés à un monde plus juste. C'est tout le sens de ce que nous voulons faire : un monde plus sûr. C'est tout le sens de l'action que nous menons dans le domaine de l'environnement : un monde qui puisse mieux répondre aux problèmes de la pauvreté. C'est tout le sens des efforts qui ont été engagés à Monterrey, aux efforts qui sont fait dans le domaine de l'aide au développement. Le monde aujourd'hui ne peut pas être abordé par un seul regard, nous avons besoin de prendre en compte en permanence cette globalité.
Quand vous regardez les chocs successifs qui ont marqué le monde au cours des dernières années, regardez depuis la chute du mur de Berlin, regardez depuis l'effondrement de l'Union soviétique, il y a eu évidemment un immense vent de liberté. Le corollaire c'est qu'il y a eu aussi la montée de forts nationalismes. Parallèlement au deuxième choc qu'a connu le monde, c'est la mondialisation qui à la fois a une face de peur et qui est l'inquiétude devant un certain nombre de risques nouveaux qui sont apparus, devant un libéralisme qui serait tout puissant. Parallèlement, il y a évidemment un certain nombre d'avantages dans ce monde, un monde qui est plus interdépendant, qui est moins solitaire, qui crée plus d'opportunités pour chacun. Troisième choc, c'est celui du 11 septembre qui nous oblige au constat d'une insécurité collective et qui nous oblige à participer chacun à la construction de ce monde. Dans ce monde là, il est clair qu'il y a un risque de laisser faire les choses, de perdre le contrôle des choses, de laisser à ceux qui ne souhaitent pas construire un monde plus pacifique et plus stable - terroristes, organisations radicales - l'avantage. Pour qu'ils n'aient pas l'avantage, il est important de se mobiliser et de faire en sorte que tous ceux qui veulent construire un monde meilleur puissent avancer concrètement.
Q - Est-ce que Dick Cheney vous a surpris ?
R - Nous avons eu une rencontre très positive et très confiante.
Q - Et quelle est la question qui vous a le plus surpris dans ce qu'il vous a demandé ?
R - Aucune question ne me surprend. Dans un dialogue direct et franc, toutes les questions sont les bonnes, le but étant de faire avancer les choses. Plus les questions sont directes, plus elles sont franches et plus elles permettent de faciliter les solutions.
Q - Les excès anti-français dans la presse américaine notamment, cela vous préoccupe ? Vous en avez parlé ?
R - On n'a pas évoqué cette question, mais si vous faites référence à certains reproches d'antisémitisme qui ont pu courir ici et là dans la presse, vous savez que la position française est parfaitement claire. Il y a eu des actes antisémites en France que nous condamnons extrêmement fortement et la réaction française a été très claire et très nette. Réactions des autorités françaises, du président de la République, du gouvernement, des autorités judiciaires, policières. Mais parallèlement, je crois qu'il faut éviter tout amalgame. Les grands représentants français de la communauté juive ont dit clairement ce qu'il en était. La France n'est pas un pays antisémite. Je crois qu'il faut en revanche rester très vigilants, globalement vigilants, tous vigilants. La tentation de xénophobie, d'intolérance ou d'antisémitisme est une tentation qui peut gagner tous les pays. Et dans ce contexte, aucun ne peut être à l'abri de ce type de danger, donc la vigilance vaut pour tout le monde. C'est pour cela que nous sommes si soucieux en France de nous mobiliser contre cela. Le sursaut français, l'attitude française dans le cadre de l'élection présidentielle a montré clairement que dans notre pays il y avait une volonté très nette de lutter contre toute dérive.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juillet 2002)
(Interview aux radios françaises à Washington, le 11 juillet 2002) :
Q - Quel discours avez-vous tenu à vos interlocuteurs sur la crise au Proche-Orient ?
R - Nous avons la conviction qu'il faut avancer pour ouvrir une perspective politique. J'ai insisté auprès de mes interlocuteurs sur la nécessité d'organiser rapidement une conférence internationale qui pourrait créer le momentum, éviter cette spirale de la violence et du terrorisme qui menace en permanence dans cette région. Nos interlocuteurs sont convaincus qu'il faut effectivement agir, qu'il faut encourager tous les moyens d'actions et nous avons donc échangé, nous nous sommes concertés, sur les meilleurs moyens qu'il y aurait pour agir. Je n'ai pas trouvé d'interlocuteur fermé. Nous envisageons et étudions toutes les pistes. Il y a aujourd'hui une conviction d'action de part et d'autre et c'est à partir de là que, dans les prochaines semaines, dans les prochains mois, nous allons essayer d'avancer.
Q - Ici on ne parle que des Palestiniens, il ne faut agir que sur les Palestiniens. On ne parle pas de pression sur les Israéliens et on a l'impression que l'Union européenne file le même coton ?
R - Pas du tout. On a parfaitement conscience qu'il faut avancer des deux côtés.
Q - Pas aux Etats-Unis en tout cas.
R - Du côté israélien et du côté palestinien, bien sûr. Mais l'important, c'est de créer des conditions favorables à cette concertation. Les deux parties seules ne pourront pas aujourd'hui avancer véritablement rapidement dans une logique de paix. Et c'est pour cela que l'idée pour la communauté internationale de créer un momentum, où l'ensemble des parties - très au-delà des deux parties de la région, les pays arabes, les pays membres du Quartet - se réuniraient et pourraient essayer de créer ce momentum politique, est importante. Il faut, je crois, sortir de ce tête-à-tête, sortir de cette logique d'enfermement dans lequel est placée la région aujourd'hui pour voir l'objectif, voir la perspective indispensable de stabilité, au-delà de la seule politique de sécurité qui ne saurait suffire.
Q - Est-ce que vous avez entendu la même tonalité sur le problème du Proche-Orient chez M. Colin Powell et par exemple chez le vice-président ?
R - Chacun exprime évidemment la position américaine avec sa sensibilité. Mais je crois qu'il y a une conscience commune sur l'urgence de la situation, sur la nécessité d'essayer et d'encourager le dialogue partout. Personne ne peut prétendre aujourd'hui avoir la science infuse. Personne ne détient seul les clefs d'une solution. Donc, je crois qu'en liaison avec nos interlocuteurs de la région, en liaison avec les grands intervenants, les pays de l'Union européenne, les pays arabes, il faut continuer à uvrer, continuer à avancer. Je ne crois pas que les choses soient aujourd'hui figées, je ne crois pas que l'on puisse dire qu'il y ait une fatalité à la situation présente. A partir de là, concrètement, avec humilité, il faut faire progresser les idées qui sont les nôtres, confronter nos idées, prendre en compte la réalité quotidienne qui menace, et persévérer.
Q - Vous voulez dire qu'il y a une réflexion ouverte entre, par exemple, le vice-président et le département d'Etat ?
R - Non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Je dis que la concertation est permanente, elle est permanente entre la France et les Etats-Unis, elle est permanente entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Il y a une concertation qui est engagée très fortement au niveau du Quartet qui se réunit encore la semaine prochaine, vraisemblablement au niveau ministériel. Tout ceci participe de la concertation internationale. On ne peut pas dire que les choses soient immobiles. Chacun aujourd'hui a le sentiment de l'urgence et de la nécessité d'avancer.
Q - Alors, quelle est la pierre que la France peut apporter à l'édifice du Proche-Orient ?
R - La pierre que la France peut apporter, c'est évidemment d'abord sa conviction de la nécessité du mouvement. Insister sur cette logique du mouvement, insister sur le fait que nous avons un cadre qui aujourd'hui pourrait nous permettre de traiter de l'ensemble des questions, et c'est le cas de la conférence internationale. Une conférence internationale à l'échelon ministériel permettrait de régler beaucoup de problèmes qui sont aujourd'hui posés. Elle prendrait en compte les contraintes qui pèsent sur les différentes diplomaties. Donc je dis simplement : soyons pragmatiques. Essayons de faire avancer les problèmes, prenons en compte le vide qui risque de se créer dans cette région et à partir de là, ne nous contentons pas de ce qui existe, ne nous satisfaisons pas de la fatalité qui aujourd'hui semble gagner beaucoup d'esprits, ou du désespoir qui gagne beaucoup de membres dans la région, et créons au contraire une perspective politique.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez dit que vous avez évoqué l'Afrique avec Colin Powell. Est-ce qu'avec votre gouvernement et l'administration américaine, il y a un plan de coopération plus étroite que dans le passé sur l'Afrique ?
R - J'ai surtout évoqué avec Colin Powell la perspective du Sommet de Johannesburg. Vous savez que nous sommes attachés également à intensifier l'aide au développement, attachés à ce qu'il y ait une vraie approche globale, un partenariat global qui se développe avec les pays africains qui prenne en compte évidemment les problèmes économiques, les problèmes sociaux, les problèmes du développement durable et, de ce point de vue, Johannesburg est pour nous une échéance importante. On a évoqué aussi certaines situations de crise, comme la situation à Madagascar, pour souhaiter qu'une nouvelle page puisse s'écrire rapidement, qu'une coopération puisse reprendre, que les pays donateurs puissent se mobiliser pour permettre la reconstruction de la grande île.
Q - Au sujet de Madagascar, on a eu, à un moment, l'impression que la France a un peu hésité. Les Etats-Unis ont reconnu le gouvernement Ravalomanana. Comment les choses se sont-elles passées?
R - La concertation entre la France et les Etats-Unis a été très étroite tout au long de cette période. Je ne crois pas du tout qu'il y ait eu de malentendus. Nous devions, nous, prendre en compte un certain nombre de principes, réconcilier ces principes. En particulier la position des pays africains soucieux que les règles de la démocratie soient respectées. Bien évidemment, notre souci était aussi d'aider à la reconstruction, de faire en sorte que la coopération puisse reprendre avec Madagascar. Dès lors que des gestes ont été faits par le gouvernement de M. Ravalomanana - à la fois d'ouverture du gouvernement puisque trois nouveaux membres sont rentrés dans son gouvernement et en même temps parce qu'il y a une perspective d'organisation d'élections législatives prochainement - il y avait une situation nouvelle. Nous avons reconnu cette situation nouvelle et c'est pour cela que je me suis rendu à Madagascar, pour tourner la page.
Q - Donc, la France va aider Madagascar lors de la conférence des donateurs le 26 juillet à Paris ?
R - Absolument. La France s'est mobilisée. Elle a été la première à se mobiliser pour faire en sorte que cette reconstruction soit possible. J'ai signé, quand je suis allé à Madagascar, quatre conventions pour permettre la reprise de la coopération et du développement de Madagascar.
Q - Comment jugez-vous la nouvelle Union africaine ?
R - C'est une union qui se met en place petit en petit. C'est un grand pari. C'est un grand défi pour les Africains. Et nous souhaitons bien évidemment à la fois que l'unité de l'Afrique, et en même temps que les grands principes qui la fondent, les principes de démocratie, les principes de solidarité, puissent continuer à être appliqués.
Q - Vous n'êtes pas inquiet que le père de l'union soit M. Kadhafi ?
R - Vous savez, je crois qu'aujourd'hui il est important d'utiliser toutes les volontés. Le souci des uns et des autres, la conscience que chacun a des problèmes de l'Afrique, le sentiment que ces problèmes sont si graves et si profonds fait qu'il faut s'en tenir à l'objectif : l'objectif du développement, l'objectif de solidarité, l'objectif de démocratie.
Q - Est-ce que je peux vous poser une dernière question sur l'évolution des Etats-Unis et sur ce que vous avez pu dire sur la Cour pénale internationale ?
R - Je crois qu'une solution est possible aujourd'hui. Notre souci est bien entendu de respecter les principes qui fondent la Cour pénale internationale. Nous attachons beaucoup d'importance à ce nouvel ordre juridique, à ce nouvel ordre éthique, qui doit aujourd'hui se développer dans le monde. A partir de là bien sûr, nous sommes ouverts à la recherche d'une solution. Nous souhaitons prendre en compte les préoccupations qui sont celles des Américains. Nous avons déjà fait les gestes en ce sens, et nous avons fait de nouveaux gestes ce matin pour essayer de trouver une solution. J'ai bon espoir que dans les prochaines heures, on puisse parvenir à un texte qui soit satisfaisant pour tout le monde.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juillet 2002)
Merci de vous être déplacés pour cette conférence de presse.
J'ai rencontré ce matin Condoleeza Rice, conseiller du président pour les questions de sécurité, le vice-président Cheney et Colin Powell et son équipe du Département d'Etat lors d'une réunion de travail suivie d'un déjeuner.
Comme vous le savez, c'est ma première visite à Washington depuis ma prise de fonctions. J'ai déjà rencontré quatre fois Colin Powell en différentes occasions. Donc cette rencontre se situe dans le cadre du dialogue régulier, confiant, amical, étroit entre la France et les Etats-Unis.
Dans un monde à la fois incertain, instable, imprévisible, il est très important d'avoir la plus grande et la plus confiante concertation possible entre les différents pays, donc pour nous avec les Américains et ce sur les grands dossiers, bien sûr, sur les crises que connaît le monde. Crises qui, à bien des égards, ne sont plus régionales, mais qui ont des répercussions dans chacun de nos pays sur l'ensemble de la planète, mais aussi sur l'ensemble des grandes questions qui touchent à l'ordre mondial. Qu'il s'agisse des questions de l'environnement, qu'il s'agisse des questions de solidarité internationale, du dialogue Nord-Sud, qu'il s'agisse des normes de droit, des problèmes éthiques ou, bien sûr, de la coopération face au terrorisme international et face aux questions de prolifération.
Ma conviction, la conviction française c'est qu'il faut travailler le plus possible pour essayer de régler les problèmes de sécurité mais qu'il y a un lien très direct entre ces questions de sécurité et la nécessité d'avancer pour aussi prendre en compte les problèmes de la paix. Il y a donc un lien entre la sécurité et la stabilité et si l'on veut vraiment maximiser les chances de la sécurité, il est très important de prendre des initiatives dans le domaine de la paix pour augmenter la stabilité du monde.
Tout ceci requiert mobilisation, concertation, action. Le monde a besoin d'action, le monde a besoin de résultats pour progresser. Nous avons donc traité un grand nombre de sujets ce matin avec Colin Powell et avec nos amis américains : le Proche-Orient bien sûr, l'Iraq, l'Iran, l'Afghanistan, la situation régionale entre l'Inde et le Pakistan, l'Afrique, Madagascar, mais aussi la perspective du Sommet de Johannesburg qui, comme vous le savez, est très importante pour nous, parce que ce sera l'occasion d'aborder les problèmes du développement durable, du développement social mais aussi du développement économique. On a abordé aussi les questions européennes et en particulier l'avenir de la construction européenne ainsi que tout ce qui est lié à l'élargissement de l'OTAN.
Comme vous le voyez, on s'est employé à traiter tous les grands problèmes de l'actualité avec la conviction et le sentiment profond que je ressens de l'urgence. Dans le monde de l'après 11 septembre, il y a urgence à agir, urgence à se mobiliser et il est donc très important que le dialogue entre les différentes puissances, le dialogue avec les Etats-Unis, soit particulièrement nourri, particulièrement direct et confiant si l'on veut essayer d'élaborer des réponses adaptées aux besoins du monde d'aujourd'hui.
Q - Je voulais savoir si vous avez pu vous entretenir avec Colin Powell de la volonté des Etats-Unis d'en découdre avec l'Iraq ? Et quelles sont vos inquiétudes à ce sujet ?
R - On a évidemment abordé la question iraquienne et d'abord pour souligner l'urgence de continuer les pressions sur l'Iraq. Nous partageons le même objectif visant à faire en sorte que l'Iraq, que Saddam Hussein respecte les résolutions des Nations unies, respecte les demandes du Secrétaire général des Nations unies. Nous soutenons très fortement les initiatives prises par le Secrétaire général pour essayer de faire revenir rapidement les inspecteurs des Nations unies. Là, c'est un élément important et l'on souhaite que l'Iraq réponde à ces demandes. Nous estimons, j'estime en tout cas, que Saddam Hussein serait bien inspiré de faire rapidement revenir ces inspecteurs.
Evidemment on a évoqué la situation globale dans la région. Il y a beaucoup de rumeurs concernant une intervention mais à ma connaissance une intervention n'est pas d'actualité.
Q - Est-ce que la France partage la conviction américaine que le régime de Saddam Hussein a entrepris une prolifération nucléaire, bactériologique et chimique ?
R - Nous suivons avec beaucoup d'attention ces questions et nous nous concertons avec nos amis américains sur les risques de manuvres de prolifération. Comme vous le savez, ce risque de prolifération est un risque qui concerne aujourd'hui beaucoup de régions et beaucoup d'Etats. C'est évidemment un souci qui nous mobilise profondément. La détermination qui est la nôtre à lutter contre le terrorisme est aussi une détermination très forte à lutter contre la prolifération. Nous estimons important de collecter et de confronter les informations qui sont les nôtres.
Q - Nous sommes frappés par la façon dont vous avez entrepris très vite et partout de faire entendre la voix de la France et sur le Proche-Orient. En même temps, on sait ici qu'il y a un gouffre entre les positions française et américaine. Alors, après votre séjour ici et après avoir vu non seulement Colin Powell mais également le vice-président, où en est-on ? Est-ce que vous pensez que les élections auront lieu à la date qui est pour l'instant envisagée ? Et comment la France peut faire aboutir ses convictions ?
R - Je voudrais d'abord souligner notre conviction de l'urgence à avancer sur la question du Proche-Orient. On peut évidemment se croiser les bras et attendre que les choses passent, on est sûr effectivement qu'il ne se passera rien. Mais ce n'est pas notre position. Il y a une urgence parce que, on le voit bien, il y a une dégradation de la situation. On voit l'angoisse quotidienne des Israéliens face aux attaques terroristes, aux bombes humaines, on voit l'absence d'avenir et le sentiment d'humiliation qu'éprouvent aujourd'hui les Palestiniens vivant à l'heure du couvre-feu, vivant à l'heure de l'occupation. Tout ceci n'est pas acceptable et tout ceci est un nouveau risque, nous ne laisserons pas le terrorisme prendre en otage la région. C'est là où la volonté diplomatique, la volonté des Etats doit les conduire à prendre toutes leurs responsabilités face à ces problèmes. C'est le premier point que j'ai souligné.
Dans ce contexte d'urgence, il y a un certain nombre d'éléments positifs qu'il faut relever. C'est d'abord les convergences qui se sont exprimées depuis le début de l'année. Convergences avec les initiatives arabes, on l'a vu, une mobilisation, un engagement très fort des pays arabes. L'initiative saoudienne reprise par le Sommet de Beyrouth est évidemment un élément important. Cet engagement ne s'est pas démenti au cours des derniers mois.
De la même façon, les Européens ont marqué très clairement leur volonté de rester dans l'initiative politique au Conseil Européen ; et les Américains, dans le discours du Président Bush, ont marqué un certain nombre de principes et d'oppositions très fortes.
D'abord l'objectif. On est d'accord sur l'objectif : créer un Etat palestinien viable, démocratique, pacifique, souverain sur les bases des frontières de 1967, même si la référence dans le texte américain était un peu différente. Enfin, il y a un accord global sur l'objectif.
Deuxièmement, poursuivre dans la voie des réformes est un élément important. Il faut effectivement profiter de toutes les occasions pour crédibiliser l'interlocuteur palestinien et la légitimité de cet interlocuteur. Il faut enfin faire en sorte que les élections puissent se tenir. Il y a un accord global de la communauté pour que ces élections puissent se tenir. Yasser Arafat, les Palestiniens ont dit que ces élections pourraient se tenir. J'étais là-bas à Ramallah au moment où il l'a annoncé au début janvier. Voilà une échéance concrète pour la vie internationale et le fait de travailler dans ce sens doit nous permettre à partir de là d'en tirer toutes les conclusions pour que ces élections puissent se dérouler dans de bonnes conditions. Avec une présence des chars israéliens, on ne peut pas imaginer organiser des élections dans un tel contexte. Il faut donc faire sorte, semaine après semaine, mois après mois, que les conditions favorables puissent être créées.
Cela implique plus de sécurité, cela implique une mobilisation de l'ensemble des partenaires, cela implique une plus grande concertation entre les différents partenaires. On voit que cette concertation s'intensifie et s'accroît. On le voit dans le cadre du Quartet qui est un outil irremplaçable pour faire avancer les choses, un outil dont nous pensons qu'il doit être fidèle à sa vocation politique. Le Quartet peut et doit développer des relations intenses avec les différents pays arabes concernés, les différents pays qui ont pris l'initiative de la Ligue arabe. Mais nous pensons qu'il faut aller plus loin et que la conférence internationale, d'ici la fin de l'année, est sans doute aujourd'hui le meilleur cadre pour faire avancer cela, certainement pas pour régler le fond des questions. La négociation elle-même pourrait commencer au lendemain des élections palestiniennes, en s'attelant aux questions très difficiles que seront Jérusalem, le problème des réfugiés, le droit du retour. Tout ceci constitue un agenda compliqué.
Mais il faut créer un momentum, et le fait de réunir l'ensemble des acteurs, l'ensemble des parties avec des termes de référence qui sont aujourd'hui très disponibles sur la scène internationale que sont les résolutions des Nations unies 242 et 338, avec les principes de Madrid, l'échange de la terre contre la paix, présente des bases très solides. Je crois que le travail qui était celui des différents plans de paix successifs est aujourd'hui disponible, il faut absolument avancer et ne pas en permanence remettre en cause ce qui a été acquis. A partir de là, je crois qu'on aura et qu'on créera un mouvement qui sera positif pour l'ensemble de la région. Si ce mouvement n'est pas créé, si la politique ne prend pas tous ses droits à côté d'une politique légitime visant à intensifier la sécurité, nous risquons alors de voir le terrorisme, ceux qui n'ont pas pour ambition d'avancer dans le sens de la paix, en profiter. Et c'est justement cette logique qui nous paraît indispensable d'enclencher. Il est urgent, nous ne pouvons pas laisser le temps passer, nous devons essayer d'enclencher tous les mécanismes possibles de dialogue et de confiance. Nous ne devons pas laisser désespérer ceux qui aujourd'hui espèrent justement en un avenir meilleur.
Q - Vous pensez après avoir vu Dick Cheney que les points de vue, avec la France en particulier, se sont rapprochés ? Vous pensez que vous allez obtenir des résultats ?
R - Je pense que le fait de se rencontrer régulièrement, le fait de se parler franchement contribue à faire avancer les choses. Nous le faisons avec à la fois beaucoup de franchise et aussi beaucoup d'humilité. Le but c'est de faire en sorte de contribuer le plus possible à la paix et au dialogue dans cette région. Il y a donc là un impératif qui nous dépasse. La conviction est qu'il ne faut pas être rattrapé par la réalité. La réalité, c'est quoi ? C'est cette menace du terrorisme et de l'instabilité qui peut se poser. Je pense que la réalité aujourd'hui s'impose à tous. Au-delà des positions que chacun peut prendre, au-delà des convictions que chacun peut avoir, il y a forcément, entre la réalité d'aujourd'hui - qui est une réalité tragique -, entre l'inquiétude d'aujourd'hui et le devoir diplomatique une nécessité. Le but c'est d'essayer de faciliter la réflexion, d'éclairer un certain nombre de pistes possibles et de faire en sorte que des marges de manuvre puissent être gagnées pour la diplomatie.
Q - Est-ce que les Américains vous semblent d'accord sur le principe de mettre suffisamment de pression sur les Israéliens pour obtenir un retrait avant les élections ?
R - Je crois que chacun comprend bien qu'il faut un effort des deux côtés. Il y a un processus de réforme qui est engagé du côté palestinien, et ce processus se développe, on le voit bien, tous les jours pour essayer de donner plus de transparence, plus d'efficacité à l'Autorité Palestinienne. Il y a une perspective d'élection. Il y a une situation difficile sur le plan économique, il y a une situation extrêmement douloureuse sur le plan humain, il y a aussi une urgence à avancer et à trouver des solutions. La sécurité seule ne peut pas permettre de répondre aux préoccupations qui sont les leurs. Dans ce contexte, il faut donc encourager chacun à avancer pour débloquer la situation dramatique d'aujourd'hui.
Q - La solution se fera avec ou sans Arafat ? Et est-ce que la France va apporter sur la table des négociations des cartes nouvelles parce qu'on a l'impression qu'on tourne un peu en rond parfois ?
R - Je ne crois pas qu'on tourne en rond. Je crois que les choses avancent. Je crois que la réalité se rappelle au monde. Je crois que chacun a bien conscience de l'urgence de faire quelque chose. Il y a des réunions programmées du Quartet. Nos échanges montrent bien que les messages que nous nous passons les uns et les autres progressent dans les esprits respectifs. Je crois qu'il n'est pas utile de personnaliser aujourd'hui à l'excès la situation. On comprend très bien la contrainte qui est celle de la diplomatie américaine et nous la respectons. Notre conviction à nous, c'est qu'il faut respecter le choix des Palestiniens, donc respecter les instances élues côté palestinien. Mais nous pouvons avancer quelles que soient les contraintes, il faut évidemment travailler avec les interlocuteurs qui sont présents. Il se trouve que nous travaillons y compris avec Yasser Arafat, mais je crois que cela n'empêche pas d'avancer, cela n'empêche pas d'avoir des conférences. L'idée d'une conférence internationale, par exemple à l'échelon ministériel, permettrait de passer outre les difficultés qui sont celles aujourd'hui de telle ou telle partie.
Q - Précisément ce point est défendu fortement par la France, est-ce que vous avez obtenu quelque chose de vos interlocuteurs américains ? Est-ce qu'ils sont prêts à engager une telle conférence avant la fin de l'année ?
R - Il est évident que nous sommes dans un dialogue qui ne s'arrête pas. C'est évidemment le dialogue que nous avons avec l'ensemble des parties, c'était le sens de ma visite dans la région et des différentes rencontres que j'ai pu avoir. C'était le sens de ma visite à Moscou, on a eu des échanges fructueux sur ce sujet puisque nos amis russes ont exprimé la même préoccupation et le souci aussi d'aller dans le sens d'une conférence internationale. Chacun comprend les préoccupations, chacun analyse et voit à partir des contraintes qui sont les siennes ce qu'il peut faire, c'est un processus itératif, nous continuerons à en parler, nous continuerons à défendre les conditions qui sont les nôtres.
Q - Qu'est-ce qui vous préoccupe sur l'Iran ? Vous avez dit : on a parlé de l'Iran. Les Américains et la France, quelle est leur préoccupation actuellement vis-à-vis de l'Iran ? Est-ce que c'est le Hezbollah, est-ce que c'est la prolifération ?
R - Nous avons évoqué la situation de l'Iran dans le contexte régional, de la situation politique, dans le cadre du dialogue régulier que nous avons entre nous. C'est l'occasion de faire un point sur nos approches respectives vis-à-vis de la région.
Q - Vous dites qu'il faut continuer le dialogue. Est-ce que vous avez l'impression que vous avez avancé au cours de ce séjour, que vous avez obtenu quelque chose de concret ou que c'est simplement un processus de dialogue qui a commencé et qui pourrait durer longtemps ?
R - Vous savez le processus de dialogue est toujours soumis aux contraintes de l'actualité, nous l'avons dit tout à l'heure. On pourrait vouloir annoncer des résultats fracassants. Nous sommes sur une scène internationale qui aujourd'hui nous oblige car il y a des impératifs de mouvement et des impératifs d'action. Le problème c'est d'avancer, partant des contraintes qui sont aussi celles de nos différents partenaires. C'est par définition un processus qui demande parfois du temps et qui demande de l'explication ; le but c'est d'éclairer le chemin. Nous sommes là pour cela, pour essayer de faire avancer les idées, de montrer qu'il y a différentes possibilités, qu'on n'est pas obligé en permanence de s'en tenir à une seule solution. Notre conviction par ailleurs, c'est que personne ne détient seul les clefs de la paix et en particulier au Proche-Orient. Il est donc très important de maintenir un processus de concertation diplomatique pour essayer de jouer les complémentarités qui existent en nous. C'est le sens des rencontres que nous avons, c'est le sens de la concertation très étroite que nous maintenons au sein de l'Union européenne sur ces questions, pour arriver à une position commune, qui nous permette de mieux faire passer, de mieux défendre les idées qui sont les nôtres.
Q - Sur la conférence internationale, Colin Powell en avait parlé, le Président Bush n'en a plus parlé. Est-ce qu'il y a une évolution qui s 'est faite dans l'Administration ou bien est-ce que c'est quelque chose qui est toujours une idée ?
R - Nous en avons longuement parlé. Cela montre que l'idée garde de l'actualité et qu'il est important d'essayer de défricher voire à quoi elle pourrait ressembler, dans quel contexte elle pourrait être lancée, pour quoi faire. Donc, il est important de préciser, d'affiner les propositions que nous pourrions faire dans ce domaine. Je le répète, ma conviction c'est qu'elle pourrait préparer des négociations de fond futures, créer le momentum politique, éviter le risque de vide qui pourrait se créer dans la deuxième partie de l'année et être un substitut important visant à encourager les efforts de chacun pour avancer.
Une fois de plus, quand vous êtes dans une région qui est marquée aussi durement, aussi cruellement par le terrorisme, il est important de crédibiliser l'idée qu'il y ait une solution politique. Je crois que la communauté internationale le dit et le répète - quelles que soient les différentes parties - aujourd'hui nous croyons tous à la nécessité de créer un Etat palestinien. Nous essayons d'avancer dans cet objectif rapidement, de créer les conditions qui permettraient cette reconnaissance. Comme parallèlement la préoccupation de sécurité, de lutte contre le terrorisme existe, je crois qu'il y a là un outil qui permettrait de stabiliser davantage et de marquer notre engagement à faire avancer la paix dans la région.
Q - On sent un glissement au sein du discours de l'Administration entre une doctrine de dissuasion classique et une doctrine de prévention ou de préemption qui permettrait à un Etat de frapper un Etat avant qu'il n'ait commis quelque mal que soit. Est-ce que Mme Rice en particulier vous a exposé cette doctrine ? Est-ce qu'on vous demande d'y adhérer ? Est-ce que vous pouvez y aller ?
R - On a évoqué le nouveau contexte stratégique mondial et Mme Rice m'a expliqué quel était l'état d'esprit, la réflexion au sein de l'Administration. Quand on parle de détermination à lutter contre le terrorisme, quand on parle de détermination à lutter contre la prolifération, évidemment cela suppose que l'on se donne les moyens de le faire, cela suppose qu'il y ait l'hypothèse et la capacité d'action. C'est très important sans quoi tout cela resterait parfaitement virtuel. Ce que nous croyons c'est que cela suppose aussi une très profonde concertation, de très profonds échanges. Dans ce contexte, il est important que cette concertation, que cet échange puissent avoir lieu. L'idée que tout cela puisse avoir lieu sans aucune préparation, sans aucun partage d'information ne serait pas satisfaisante. C'est donc dans ce contexte là, dans le souci d'être efficace, de partager l'information, de faire en sorte que nous puissions tous bénéficier des mêmes éléments, que nous pourrons travailler. Je crois dans le climat de confiance sur la vie internationale, dans la volonté que nous avons d'être tous mobilisés - vous le voyez bien dans la lutte contre le terrorisme - nous sommes soucieux de faire avancer cette concertation sur le plan des échanges, dans le domaine du renseignement, dans le domaine de la coopération policière, dans le domaine de la coopération judiciaire. Il y a là toute une série d'éléments qui font que le travail au quotidien se fait très efficacement, il est important qu'à chaque étape de la concertation, voire de l'action, cet échange et ce partage soient naturellement effectués.
Q - Est-ce que vous me dites là que la France serait prête, le cas échéant, à prendre part ou à approuver des actions préventives pour peu qu'elle soit consultée ?
R - Ce que je vous dis c'est que nous voulons agir dans un esprit de responsabilité et que notre souci d'action et de résultat est très grand. Nous ne sommes pas là pour uniquement parler des problèmes. Nous sommes là aussi pour agir et faire en sorte que nous puissions vivre dans un monde plus sûr. Cela suppose donc, comme je le dis, d'abord un partage de l'information, de l'échange et après les évaluations, au terme d'une réflexion, les différentes options sont possibles.
Q - Quelle est votre approche du rôle spécifique des Etats-Unis dans le monde, dans le contexte stratégique mondial ? Votre prédécesseur parlait d'hyperpuissance, votre prédécesseur regrettait à certains moments l'attitude simpliste des Etats-Unis en politique étrangère ? Est-ce que vous partagez les analyses de votre prédécesseur ?
R - Je crois que le monde change vite, il faut donc adapter ces analyses, adapter sa vision que l'on a des problèmes en fonction de ses évolutions. Je crois que dans le monde de l'après 11 septembre, ce n'est pas tant l'excès de la puissance qui menace aujourd'hui, c'est beaucoup plus le vide de la puissance qui constitue un véritable risque. Par rapport à cela, il faut donc de l'action, il faut une prise de responsabilités très forte de la communauté internationale. Si nous éprouvons le besoin de jouer les complémentarités entre les uns et les autres, d'accroître la concertation, de favoriser certaines coopérations dans les domaines comme la lutte contre le terrorisme et la prolifération, c'est bien parce que nous avons le sentiment que cette action n'est possible qu'à condition que nous ne l'engagions ensemble.
Une fois de plus, je le redis, je ne crois pas qu'un Etat puisse aujourd'hui tout seul assurer la stabilité, la paix, la sécurité du monde. C'est possible uniquement dans un esprit de coopération et de mobilisation de tous. Personne ne peut faire la paix tout seul. Il faut au moins être deux et deux souvent cela ne suffit pas non plus. Donc je crois que nous sommes dans un monde où il faut prendre en compte cette diversité, il faut prendre en compte cette complexité et l'imprévisibilité ne fait qu'ajouter à cette complexité. A partir de là, bien évidemment l'impératif d'action, de coordination devient tout à fait essentiel. Mais ce que je crains par dessus tout, c'est qu'effectivement cette responsabilité ne s'affirme pas suffisamment. Cette responsabilité est collective et chacun évidemment pour sa part, les Américains ont une responsabilité très grande du fait de la puissance qui est la leur. Mais cette responsabilité doit être partagée avec tous ceux qui ont vocation et une certaine conception et une certaine idée de l'ordre mondial. C'est pour cela que nous attachons tant d'importance aux nouvelles règles qui doivent être celles du monde, tant d'importance à avancer sur un certain nombre des grandes questions, parce que nos populations, les peuples du monde sont effectivement attachés à un monde plus juste. C'est tout le sens de ce que nous voulons faire : un monde plus sûr. C'est tout le sens de l'action que nous menons dans le domaine de l'environnement : un monde qui puisse mieux répondre aux problèmes de la pauvreté. C'est tout le sens des efforts qui ont été engagés à Monterrey, aux efforts qui sont fait dans le domaine de l'aide au développement. Le monde aujourd'hui ne peut pas être abordé par un seul regard, nous avons besoin de prendre en compte en permanence cette globalité.
Quand vous regardez les chocs successifs qui ont marqué le monde au cours des dernières années, regardez depuis la chute du mur de Berlin, regardez depuis l'effondrement de l'Union soviétique, il y a eu évidemment un immense vent de liberté. Le corollaire c'est qu'il y a eu aussi la montée de forts nationalismes. Parallèlement au deuxième choc qu'a connu le monde, c'est la mondialisation qui à la fois a une face de peur et qui est l'inquiétude devant un certain nombre de risques nouveaux qui sont apparus, devant un libéralisme qui serait tout puissant. Parallèlement, il y a évidemment un certain nombre d'avantages dans ce monde, un monde qui est plus interdépendant, qui est moins solitaire, qui crée plus d'opportunités pour chacun. Troisième choc, c'est celui du 11 septembre qui nous oblige au constat d'une insécurité collective et qui nous oblige à participer chacun à la construction de ce monde. Dans ce monde là, il est clair qu'il y a un risque de laisser faire les choses, de perdre le contrôle des choses, de laisser à ceux qui ne souhaitent pas construire un monde plus pacifique et plus stable - terroristes, organisations radicales - l'avantage. Pour qu'ils n'aient pas l'avantage, il est important de se mobiliser et de faire en sorte que tous ceux qui veulent construire un monde meilleur puissent avancer concrètement.
Q - Est-ce que Dick Cheney vous a surpris ?
R - Nous avons eu une rencontre très positive et très confiante.
Q - Et quelle est la question qui vous a le plus surpris dans ce qu'il vous a demandé ?
R - Aucune question ne me surprend. Dans un dialogue direct et franc, toutes les questions sont les bonnes, le but étant de faire avancer les choses. Plus les questions sont directes, plus elles sont franches et plus elles permettent de faciliter les solutions.
Q - Les excès anti-français dans la presse américaine notamment, cela vous préoccupe ? Vous en avez parlé ?
R - On n'a pas évoqué cette question, mais si vous faites référence à certains reproches d'antisémitisme qui ont pu courir ici et là dans la presse, vous savez que la position française est parfaitement claire. Il y a eu des actes antisémites en France que nous condamnons extrêmement fortement et la réaction française a été très claire et très nette. Réactions des autorités françaises, du président de la République, du gouvernement, des autorités judiciaires, policières. Mais parallèlement, je crois qu'il faut éviter tout amalgame. Les grands représentants français de la communauté juive ont dit clairement ce qu'il en était. La France n'est pas un pays antisémite. Je crois qu'il faut en revanche rester très vigilants, globalement vigilants, tous vigilants. La tentation de xénophobie, d'intolérance ou d'antisémitisme est une tentation qui peut gagner tous les pays. Et dans ce contexte, aucun ne peut être à l'abri de ce type de danger, donc la vigilance vaut pour tout le monde. C'est pour cela que nous sommes si soucieux en France de nous mobiliser contre cela. Le sursaut français, l'attitude française dans le cadre de l'élection présidentielle a montré clairement que dans notre pays il y avait une volonté très nette de lutter contre toute dérive.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juillet 2002)
(Interview aux radios françaises à Washington, le 11 juillet 2002) :
Q - Quel discours avez-vous tenu à vos interlocuteurs sur la crise au Proche-Orient ?
R - Nous avons la conviction qu'il faut avancer pour ouvrir une perspective politique. J'ai insisté auprès de mes interlocuteurs sur la nécessité d'organiser rapidement une conférence internationale qui pourrait créer le momentum, éviter cette spirale de la violence et du terrorisme qui menace en permanence dans cette région. Nos interlocuteurs sont convaincus qu'il faut effectivement agir, qu'il faut encourager tous les moyens d'actions et nous avons donc échangé, nous nous sommes concertés, sur les meilleurs moyens qu'il y aurait pour agir. Je n'ai pas trouvé d'interlocuteur fermé. Nous envisageons et étudions toutes les pistes. Il y a aujourd'hui une conviction d'action de part et d'autre et c'est à partir de là que, dans les prochaines semaines, dans les prochains mois, nous allons essayer d'avancer.
Q - Ici on ne parle que des Palestiniens, il ne faut agir que sur les Palestiniens. On ne parle pas de pression sur les Israéliens et on a l'impression que l'Union européenne file le même coton ?
R - Pas du tout. On a parfaitement conscience qu'il faut avancer des deux côtés.
Q - Pas aux Etats-Unis en tout cas.
R - Du côté israélien et du côté palestinien, bien sûr. Mais l'important, c'est de créer des conditions favorables à cette concertation. Les deux parties seules ne pourront pas aujourd'hui avancer véritablement rapidement dans une logique de paix. Et c'est pour cela que l'idée pour la communauté internationale de créer un momentum, où l'ensemble des parties - très au-delà des deux parties de la région, les pays arabes, les pays membres du Quartet - se réuniraient et pourraient essayer de créer ce momentum politique, est importante. Il faut, je crois, sortir de ce tête-à-tête, sortir de cette logique d'enfermement dans lequel est placée la région aujourd'hui pour voir l'objectif, voir la perspective indispensable de stabilité, au-delà de la seule politique de sécurité qui ne saurait suffire.
Q - Est-ce que vous avez entendu la même tonalité sur le problème du Proche-Orient chez M. Colin Powell et par exemple chez le vice-président ?
R - Chacun exprime évidemment la position américaine avec sa sensibilité. Mais je crois qu'il y a une conscience commune sur l'urgence de la situation, sur la nécessité d'essayer et d'encourager le dialogue partout. Personne ne peut prétendre aujourd'hui avoir la science infuse. Personne ne détient seul les clefs d'une solution. Donc, je crois qu'en liaison avec nos interlocuteurs de la région, en liaison avec les grands intervenants, les pays de l'Union européenne, les pays arabes, il faut continuer à uvrer, continuer à avancer. Je ne crois pas que les choses soient aujourd'hui figées, je ne crois pas que l'on puisse dire qu'il y ait une fatalité à la situation présente. A partir de là, concrètement, avec humilité, il faut faire progresser les idées qui sont les nôtres, confronter nos idées, prendre en compte la réalité quotidienne qui menace, et persévérer.
Q - Vous voulez dire qu'il y a une réflexion ouverte entre, par exemple, le vice-président et le département d'Etat ?
R - Non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Je dis que la concertation est permanente, elle est permanente entre la France et les Etats-Unis, elle est permanente entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Il y a une concertation qui est engagée très fortement au niveau du Quartet qui se réunit encore la semaine prochaine, vraisemblablement au niveau ministériel. Tout ceci participe de la concertation internationale. On ne peut pas dire que les choses soient immobiles. Chacun aujourd'hui a le sentiment de l'urgence et de la nécessité d'avancer.
Q - Alors, quelle est la pierre que la France peut apporter à l'édifice du Proche-Orient ?
R - La pierre que la France peut apporter, c'est évidemment d'abord sa conviction de la nécessité du mouvement. Insister sur cette logique du mouvement, insister sur le fait que nous avons un cadre qui aujourd'hui pourrait nous permettre de traiter de l'ensemble des questions, et c'est le cas de la conférence internationale. Une conférence internationale à l'échelon ministériel permettrait de régler beaucoup de problèmes qui sont aujourd'hui posés. Elle prendrait en compte les contraintes qui pèsent sur les différentes diplomaties. Donc je dis simplement : soyons pragmatiques. Essayons de faire avancer les problèmes, prenons en compte le vide qui risque de se créer dans cette région et à partir de là, ne nous contentons pas de ce qui existe, ne nous satisfaisons pas de la fatalité qui aujourd'hui semble gagner beaucoup d'esprits, ou du désespoir qui gagne beaucoup de membres dans la région, et créons au contraire une perspective politique.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez dit que vous avez évoqué l'Afrique avec Colin Powell. Est-ce qu'avec votre gouvernement et l'administration américaine, il y a un plan de coopération plus étroite que dans le passé sur l'Afrique ?
R - J'ai surtout évoqué avec Colin Powell la perspective du Sommet de Johannesburg. Vous savez que nous sommes attachés également à intensifier l'aide au développement, attachés à ce qu'il y ait une vraie approche globale, un partenariat global qui se développe avec les pays africains qui prenne en compte évidemment les problèmes économiques, les problèmes sociaux, les problèmes du développement durable et, de ce point de vue, Johannesburg est pour nous une échéance importante. On a évoqué aussi certaines situations de crise, comme la situation à Madagascar, pour souhaiter qu'une nouvelle page puisse s'écrire rapidement, qu'une coopération puisse reprendre, que les pays donateurs puissent se mobiliser pour permettre la reconstruction de la grande île.
Q - Au sujet de Madagascar, on a eu, à un moment, l'impression que la France a un peu hésité. Les Etats-Unis ont reconnu le gouvernement Ravalomanana. Comment les choses se sont-elles passées?
R - La concertation entre la France et les Etats-Unis a été très étroite tout au long de cette période. Je ne crois pas du tout qu'il y ait eu de malentendus. Nous devions, nous, prendre en compte un certain nombre de principes, réconcilier ces principes. En particulier la position des pays africains soucieux que les règles de la démocratie soient respectées. Bien évidemment, notre souci était aussi d'aider à la reconstruction, de faire en sorte que la coopération puisse reprendre avec Madagascar. Dès lors que des gestes ont été faits par le gouvernement de M. Ravalomanana - à la fois d'ouverture du gouvernement puisque trois nouveaux membres sont rentrés dans son gouvernement et en même temps parce qu'il y a une perspective d'organisation d'élections législatives prochainement - il y avait une situation nouvelle. Nous avons reconnu cette situation nouvelle et c'est pour cela que je me suis rendu à Madagascar, pour tourner la page.
Q - Donc, la France va aider Madagascar lors de la conférence des donateurs le 26 juillet à Paris ?
R - Absolument. La France s'est mobilisée. Elle a été la première à se mobiliser pour faire en sorte que cette reconstruction soit possible. J'ai signé, quand je suis allé à Madagascar, quatre conventions pour permettre la reprise de la coopération et du développement de Madagascar.
Q - Comment jugez-vous la nouvelle Union africaine ?
R - C'est une union qui se met en place petit en petit. C'est un grand pari. C'est un grand défi pour les Africains. Et nous souhaitons bien évidemment à la fois que l'unité de l'Afrique, et en même temps que les grands principes qui la fondent, les principes de démocratie, les principes de solidarité, puissent continuer à être appliqués.
Q - Vous n'êtes pas inquiet que le père de l'union soit M. Kadhafi ?
R - Vous savez, je crois qu'aujourd'hui il est important d'utiliser toutes les volontés. Le souci des uns et des autres, la conscience que chacun a des problèmes de l'Afrique, le sentiment que ces problèmes sont si graves et si profonds fait qu'il faut s'en tenir à l'objectif : l'objectif du développement, l'objectif de solidarité, l'objectif de démocratie.
Q - Est-ce que je peux vous poser une dernière question sur l'évolution des Etats-Unis et sur ce que vous avez pu dire sur la Cour pénale internationale ?
R - Je crois qu'une solution est possible aujourd'hui. Notre souci est bien entendu de respecter les principes qui fondent la Cour pénale internationale. Nous attachons beaucoup d'importance à ce nouvel ordre juridique, à ce nouvel ordre éthique, qui doit aujourd'hui se développer dans le monde. A partir de là bien sûr, nous sommes ouverts à la recherche d'une solution. Nous souhaitons prendre en compte les préoccupations qui sont celles des Américains. Nous avons déjà fait les gestes en ce sens, et nous avons fait de nouveaux gestes ce matin pour essayer de trouver une solution. J'ai bon espoir que dans les prochaines heures, on puisse parvenir à un texte qui soit satisfaisant pour tout le monde.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juillet 2002)