Déclaration de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, sur la réforme des institutions communautaires, notamment la question d'une plus grande implication des parlements nationaux et l'Europe sociale, au Sénat le 12 novembre 2002.

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Circonstance : Débat sur l'Europe au Sénat le 12 novembre 2002

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union européenne,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Le débat que vous avez engagé, MM. Dulait et Haenel, est de ceux qui confortent notre démocratie. Les questions sont en effet majeures : Quelle Europe de demain voulons-nous ? Pour quoi faire ? Et comment ? Les réponses sont urgentes et elles concernent en particulier la représentation nationale.
Comme Dominique de Villepin, je tiens à saluer et à remercier les intervenants à ce débat des plus enrichissants.
Eu égard au mode de fonctionnement de la Convention, comme l'a souligné le président Haenel, il est particulièrement important, pour Dominique de Villepin comme pour moi, d'établir ainsi un lien étroit et constant avec vous sur ces questions fondamentales pour l'avenir de notre pays. C'est d'ailleurs dans cet esprit que je me rendrai ce soir auprès de votre délégation pour l'Union européenne.
Plusieurs interventions, notamment celles de Mme Bidard-Reydet et de M. de Montesquiou, ont mis l'accent sur l'exigence de démocratie. Cette exigence passe-t-elle par la ratification par référendum du texte issu des propositions de la Convention et élaboré par la Conférence intergouvernementale ? Pourquoi pas. Ce sera au président de la République d'en décider. Mais ce n'est pas dans cette assemblée que j'ai besoin de rappeler que la démocratie ne se résume pas au seul référendum.
Votre Haute assemblée illustre au plus haut point l'intérêt de mieux impliquer les parlements nationaux dans le débat européen.
C'est dans cette ligne que nous avons très favorablement accueilli plusieurs des propositions importantes des premiers groupes de travail à la Convention. Ainsi, nous semble intéressante la création d'un mécanisme d'alerte précoce qui permettrait d'impliquer les parlements nationaux dans le contrôle de subsidiarité suivant des règles de majorité à définir. Ce contrôle serait mis en uvre bien avant l'adoption de l'acte par le Conseil. Ce serait là son intérêt. De même, soutenons-nous l'idée d'un Congrès qui, sans devenir une deuxième chambre et, donc, sans rendre encore plus complexe la procédure législative, prendrait la forme d'une réunion à intervalle régulier de parlementaires nationaux et européens. Ce serait notamment l'occasion de débattre chaque année solennellement de l'état de l'Union. Tout cela sans oublier l'importance, que M. de Montesquiou a raison de rappeler, du contrôle des gouvernements par les parlements nationaux, qui n'a pas cependant à être régie par le niveau européen.
La démocratie en Europe suppose d'abord l'intervention d'élus dans le processus décisionnel. Mais la démocratie, c'est aussi le respect de la minorité et des droits des individus. Dans la France d'aujourd'hui, et tout particulièrement au Sénat, il n'est pas nécessaire d'opposer, comme le faisait jadis Victor Hugo, qui fut l'un des vôtres, le droit à la Loi. En Europe même, le respect des droits fondamentaux, l'affirmation de l'Etat de droit, peuvent encore être consolidés. Il est possible à cet égard d'améliorer nettement le dispositif de la protection des droits des citoyens européens. Ainsi, un consensus se dégage sur l'intégration de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution. Nous y sommes résolument favorable. Cette réforme consacrerait la vocation de l'Europe comme promoteur de la défense des Droits de l'Homme. Cette Charte pourrait d'ailleurs trouver une plus large application si étaient retenues les propositions que nous avons faites sur une ouverture encadrée du droit de recours des particuliers devant la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), ce qui serait une avancée non négligeable.
Plus de démocratie passe également - pas seulement mais également - par un rôle accru du Parlement européen. Il faut donc conforter sa position de co-législateur, tout en prévoyant une simplification des procédures. Nous n'oublions pas non plus le Comité des Régions dans cette réflexion sur l'équilibre institutionnel démocratique de l'Union.
Mme Bidard-Reydet a évoqué la création d'un groupe de travail en matière sociale. Nous avons demandé et obtenu, lors de la dernière plénière de la Convention, la création d'un groupe de travail sur l'Europe sociale. Les conventionnels représentant l'exécutif ont du reste d'ores et déjà déposé une contribution écrite comprenant des propositions précises : la recherche d'un équilibre entre efficacité du marché et impératifs de cohésion sociale et territoriale - notamment une meilleure coordination des politiques économiques et des politiques de l'emploi -, une approche des règles de concurrence et de compétitivité qui intègre le progrès social et la préservation des services publics, la constitution d'un socle minimum de droits sociaux. Je rappelle au demeurant que l'agenda social européen actuellement mis en uvre, avait été adopté sous la présidence française fin 2000.
M. Badré a pour sa part évoqué la problématique de l'élargissement. Nous pensons, comme lui, que l'élargissement a, parmi ses mérites, celui de nous obliger à nous diriger vers une réforme institutionnelle d'ampleur. Sans cette réforme, l'Europe deviendrait ingouvernable. M. Badré pose également la question de l'impôt européen, qui constitue un pilier de la démocratie au fondement de la légitimité démocratique de toute entité politique.
C'est pourquoi le gouvernement examine aujourd'hui avec un esprit ouvert l'opportunité d'un tel impôt communautaire.
Comme le souligne M. Badré, l'élargissement est la donnée qui sous-tend l'ensemble de la construction de l'avenir de l'Europe, notamment l'avenir de cette politique fondatrice qu'est la Politique agricole commune. Avec l'accord obtenu par le président de la République à Bruxelles, nous avons pérennisé le financement de la dépense agricole au moins jusqu'en 2013, de même que nous avons garanti la non remise en cause de l'accord de Berlin jusqu'à 2006. Pour la période 2007-2013, il faudra examiner quel type de PAC nous voulons pour maintenir une ligne d'action ambitieuse tout en respectant les niveaux de dépense agréés à Bruxelles. Cela passera nécessairement, Monsieur le Sénateur, et vous avez raison de le souligner, par une réforme de certains mécanismes. Nous veillerons en tout état de cause à maintenir une politique commune efficace et ambitieuse pour l'agriculture européenne.
Le sénateur Badré a bien fait de souligner par ailleurs l'importance des réseaux transeuropéens dans la construction de la grande Europe. Ces réseaux se développent, à nos yeux, à un rythme insuffisamment rapide. Les 2,78 milliards d'euros prévus pour la période 2000-2006 devront être concentrés sur la traversée des barrières naturelles et la lutte contre les goulets d'étranglement. Ces priorités sont celles de la Commission. Et elles reflètent bien les intérêts français et la politique de notre pays, telle qu'elle ressort clairement, par exemple, du relevé de conclusion signé lors des rencontres franco-italiennes de jeudi dernier. Je pense en particulier à la liaison ferroviaire Lyon-Turin dont l'intérêt n'a pas besoin d'être ici souligné.
La construction de l'Europe de demain ne passe pas seulement par la création de réseaux sur le continent européen. Elle suppose en outre de réussir le partenariat stratégique que nous avons lancé avec nos partenaires méditerranéens. Et je remercie donc M. Jacques Blanc pour sa question. Le processus de Barcelone, lancé en 1995, est l'instrument permettant de réussir ce partenariat. L'élargissement nous impose de faire preuve de vitalité dans la conduite de ce processus. C'est ce que la présidence espagnole, fortement soutenue par nous, a fait valoir lors de la Conférence de Valence en avril dernier en adoptant un plan d'action pour relancer ce processus. Il faut continuer et mettre en uvre dans ce but un plan charpenté et orienté vers l'approfondissement du développement économique et des échanges entre les hommes. Vous n'ignorez pas, hélas, que le volet politique du dialogue euro-méditerranéen connaît en revanche certains blocages en raison de la situation au Proche-Orient. Nous espérons que les présidences grecque et italienne, qui vont se succéder l'année prochaine, parviendront à surmonter ces difficultés et à relancer la dynamique euro-méditerranéenne.
En conclusion, Mesdames, Messieurs, je souhaite vous redire notre profonde conviction : la France a inventé la Communauté devenue l'Union européenne. Elle a construit, avec ses partenaires, une organisation hors du commun. Qu'est-ce que l'Europe ? Une union sans cesse plus étroite entre les peuples, c'est certain. Une fédération d'Etats-nations sans doute. Le paradoxe est riche de sens. Je dirais que l'Europe est aussi et surtout une fédération des légitimités démocratiques et des valeurs humanistes : les peuples, les Etats, l'idéal européen, ses valeurs de diversité et d'universalité : voilà ce qu'est l'Europe. Notre propre histoire de puissance européenne, de puissance maintenant attachée au respect du droit et à un certain ordre sur le continent européen nous impose un devoir politique et moral : celui de continuer à jouer un rôle "leader" dans la construction de l'Europe, c'est-à-dire au jour d'aujourd'hui, dans la refondation de l'édifice de l'Europe élargie de demain.
C'est ce que nous nous engageons à faire, le président de la République, le Premier ministre, Dominique de Villepin et moi, au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe, puis au sein de la Conférence intergouvernementale qui lui succédera.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2002)