Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à "Nahar" le 11 et avec les radios le 12 novembre 1999, sur le volet libanais des négociations pour la paix au Proche-Orient, le retrait israélien du sud Liban et la question du retour des réfugiés palestiniens et sur les relations franco - libanaises.

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Circonstance : Voyage de M. Hubert Védrine en Syrie, au Liban et en Egypte du 11 au 13 novembre 1999

Média : An Nahar - Nahar - Presse étrangère

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC LE QUOTIDIEN "NAHAR" à Beyrouth le 11 novembre 1999
Q - Dans quel état d'esprit vous rendez vous au Liban ?
R - Après l'élection de M. Barak, le climat politique s'est amélioré dans la région, mais la méfiance n'a pas encore disparu et les pourparlers de paix n'ont pas encore repris sur tous les volets. Je me suis rendu en Israël et dans les Territoires Palestiniens début octobre. Maintenant, je vais effectuer une visite en Syrie, au Liban et en Egypte. Nous avons des bonnes relations avec tous les pays de la région et je souhaite échanger des informations, des analyses et des idées avec des partenaires qui ne se parlent pas toujours.
Nous essayons de voir en quoi les positions des parties peuvent être rapprochées. C'est difficile mais ce n'est pas impossible. Le Liban est un pays très proche et très important pour nous. La paix l'intéresse au plus haut point. De même qu'il n'y aura pas de paix durable sans paix globale, il n'y aura pas de paix complète et de paix juste si le règlement ne prend pas en compte les intérêts du Liban.
Je ne suis pas retourné au Liban depuis plusieurs mois et c'est toujours avec plaisir que je retrouve ce pays ami de la France. Au delà des questions régionales, qui sont très importantes, il est normal que nous ayons un dialogue constant avec les autorités libanaises à propos des différents dossiers intéressant le Liban et la France, qu'ils soient politiques, économiques et culturels. Nous parlerons bien sur du sommet de la francophonie qui se tiendra à Beyrouth en 2001./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 1999)
ENTRETIEN AVEC LES RADIOS FRANCAISES, à Beyrouth le 12 novembre 1999
Q - Monsieur le Ministre, il y a ici, à la Résidence des Pins, une plaque à la mémoire des Français disparus, il y a plus d'une dizaine d'années. Est-ce que, quand la France s'investit autant dans le processus de paix, elle pense aussi à ce passé?
R - Quand la France s'investit au Proche-Orient, elle pense aux liens étroits, historiques, anciens, politiques mais aussi affectifs qu'elle a avec toute la région et particulièrement avec le Liban, avec Beyrouth et cette Résidence des Pins. Naturellement le souvenir des Libanais et des Français morts dans ces circonstances tragiques est là. Je me rappelle de cette visite éclair au cours de laquelle j'avais accompagné le président Mitterrand qui s'était rendu ici, quelques heures après l'horrible attentat du Drakkar. Ce sont des choses que l'on n'oublie jamais. Beaucoup de Libanais ont payé de leur vie la longue guerre dans laquelle le Liban était la victime des tragédies de l'ensemble du Proche-Orient sans être responsable de quoi que ce soit. Aujourd'hui, heureusement, tout cela est dernière nous et nous sommes dans un moment d'espérance, qui se mêle à de l'attente et parfois à un peu d'impatience. Mais le souci des Libanais et des autorités libanaises que j'ai rencontrées aujourd'hui, le président et le Premier ministre, c'est qu'il n'y ait pas d'accord qui se fasse au détriment du Liban. Cela est tout à fait notre position, nous l'avons dit clairement et cela a été très bien perçu ici.
Q - Ces derniers temps, on a parlé d'un refroidissement entre la France et le Liban, qu'en est-il exactement?
R - Cela me paraît reposer sur rien, car les contacts sont toujours aussi nourris et intenses. Le président Chirac et le président Lahoud ont eu un long entretien à Moncton où ils ont abordé de tous les sujets. Les Premiers ministres français et libanais se sont vu à New York il y a quelque temps, et je suis là, dans cette étape de Beyrouth. Je n'ai pas parlé ici que du processus de paix et de la place du Liban ou des idées du Liban ou de ses préoccupations. J'ai aussi parlé de relations bilatérales et de la Francophonie par exemple puisque le Liban accueillera le prochain sommet de la Francophonie et il s'y prépare déjà. Cette relation est donc forte et dynamique.
Q - Sur le plan bilatéral, vous avez parlé de renforcement des relations franco-libanaise, comment peut-on renforcer ces relations?
R - Par exemple, nous avons avec le Liban des protocoles financiers, concernant notamment du matériel d'équipement. Ces protocoles sont encore en partie disponibles car tous les crédits prévus n'ont pas été employés. Nous avons parlé avec le Premier ministre et plusieurs ministres pendant le déjeuner, de l'utilisation de ces crédits.
Q - Quelle est l'attente la plus importante du Liban vis à vis de la France, au sujet du processus de paix?
R - D'une façon générale, le Liban est inquiet à l'idée que des décisions puissent être prises sans lui. Et pire encore, que des décisions ne traitent pas des problèmes qui sont les siens. Le Liban compte sur la France pour que ses inquiétudes, ses points de vue, soient étudiés et relayés. C'est déjà le cas, par exemple sur la question des Palestiniens au Liban. J'ai eu l'occasion de déclarer que nous n'étions pas favorables à un arrangement israélo-palestinien qui se ferait au détriment du Liban. Mais nous ne sommes pas favorables non plus à un arrangement israélo-libanais qui se ferait au détriment des Palestiniens, puisque dans ce puzzle, tout est lié, en réalité, au Proche-Orient.
Dans cet accord général vers lequel, j'espère, nous nous dirigeons, et qui est fait d'une combinaison d'accords, il ne faut pas laisser de bombe à retardement, il faut tout traiter. Quand les Libanais entendent le souci qui est le nôtre et mesurent notre attention à leurs demandes, je les sens plus rassurés sur ce point. En fait, ils ont deux problèmes, que le retrait israélien se fasse dans des conditions qui garantissent la stabilité de la situation et d'autre part, que la question des Palestiniens, qui sont encore nombreux au Liban, réfugiés ou déplacés, de 1948 ou 1967, soit traitée.
Q - A-t-il été question de la visite du président Lahoud en France?
R - Le principe de cette visite est acquis, le calendrier reste à fixer.
Q - Dans l'immédiat, la France mène-t-elle une action concrète pour aider le Liban sur cette question des Palestiniens et du retrait israélien du Sud Liban?
R - L'action concrète, c'est ce que nous faisons, ce que vous observez. C'est d'être en contact en permanence avec les autorités libanaises, c'est le fait de parler de ce problème, et nous sommes les seuls à le faire en réalité. Ce problème devra être traité, on ne peut en faire l'impasse. Le moment venu, il faudra une concertation plus large pour que cette question des réfugiés palestiniens soit traitée correctement car ça ne concerne pas que les Israéliens et les Palestiniens, mais aussi le Liban, la Syrie, la Jordanie et d'autres pays. C'est une façon concrète et politique de traiter le sujet. Puis, il faut attendre que les négociations s'engagent, pour être encore plus précis qu'on ne peut l'être aujourd'hui. Si on veut qu'il y ait une paix durable, il doit y avoir un accord d'ensemble, qui concerne non seulement les relations entre Israël et le Liban, mais par ailleurs, les relations entre Israël et la Syrie. Ces démarches doivent être cohérentes et complémentaires. S'agissant de la question des Palestiniens au Liban, je constate que les responsables libanais sont unanimes à ce sujet; ils ne veulent pas que cette question soit oubliée. La France a déjà évoqué publiquement cette question en disant qu'un accord israélo-palestinien ne devait pas se faire au détriment du Liban. Les réfugiés palestiniens au Liban doivent être traités de façon équitable et conformément au droit international, la résolution 194 parle du droit au retour. C'est le principe à partir duquel il faut naturellement essayer de progresser concrètement, à travers des négociations et des discussions. Actuellement, le Liban fait part de ses préoccupations par des déclarations publiques. Il n'y a pas encore de structures de négociations dans lesquelles il pourrait faire valoir ses préoccupations sur ce point. Plus tard, quand la négociation sera engagée sur ce sujet, une concertation internationale plus large, sera nécessaire entre les pays qui sont concernés par cette question des réfugiés pour qu'elle soit correctement traitée.
Nous avons donc parlé de ces sujets qui sont ceux qui préoccupent le Liban et par conséquent la France y est attentive. La France est toujours très proche du Liban et le sera plus que jamais dans cette phase où le processus va reprendre.
Avec le Premier ministre, pendant le déjeuner, nous avons naturellement parlé en particulier du Sud du Liban. J'ai eu le plaisir à rappeler que la convention signée tout à l'heure avec l'Agence française de développement, portait sur la ville de Jezzine et sur le traitement des eaux. C'est très symbolique et cela a été très bien perçu par mon hôte. Je vous remercie./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 1999)