Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, dans "Libération" le 5 juillet 2002, sur le projet de loi instituant les "contrats jeunes" exonérés de charges sociales, les effectifs des fonctionnaires et la réforme des retraites.

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Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

Libération : La première mesure sociale du gouvernement est un allégement de charges pour permettre l'emploi des jeunes non qualifiés. Est-ce selon vous la bonne méthode ?
Francois Chérèque: "Non. Que le gouvernement ait de l'ambition sur l'emploi des jeunes, c'est bien et nous la partageons. Mais qu'il procède par la loi, ce n'est pas la bonne méthode. La mesure elle-même suscite bien des interrogations. Quels seront les effets d'aubaines pour les entreprises, voire pour les jeunes eux-mêmes? On court surtout le risque, faute d'un volet formation, de voir ces jeunes au chômage dans 3 ou 4 ans. Le gouvernement a aussi une approche simpliste de la question de l'emploi : moins d'impôt, moins de charges. Mais quelle contrepartie exige-t-on des entreprises ? Pour les allégements liés aux 35 heures, il y a l'emploi, la RTT. Prenons le projet de la baisse de la TVA sur la restauration. Il faudrait auparavant négocier entre partenaires sociaux ce qu'on fait de cette aide: des créations d'emplois, la revalorisation de ces métiers qui en ont besoin, ou des bénéfices? Sans négociation, la baisse de la TVA risque d'accoucher d'un cadeau aux entreprises. De même, nous sommes prêts à discuter avec le patronat des dispositions de la loi de modernisation sociale, parce qu'elle n'offre pas de vraie sécurité pour les salariés licenciés, mais nous voulons que cela soit négocié avec l'objectif "zéro chômeur". On ne peut pas, comme le laisse entendre le Premier ministre, limiter la négociation à cette question".
Mais le gouvernement a quelques raisons de se préoccuper de l'emploi ...
- "L'objectif du plein emploi nécessite que les partenaires sociaux, patrons et salariés, s'autosaisissent du sujet, sans saucissonner les problèmes. Il faut négocier la formation, l'insertion des jeunes, la question du licenciement avec l'objectif "zéro chômeur", l'accompagnement des chômeurs, et tous les leviers favorables à l'emploi. Négocions et présentons ensuite nos propositions au gouvernement. A la rentrée, la CFDT fera une proposition dans ce sens à ses partenaires, organisations syndicales et employeurs pour engager le dialogue".
Mais ne faut-il pas, d'abord, établir de nouvelles règles, en particulier sur la représentativité syndicale et la validation des accords ?
- "Pour conforter le dialogue social, il faut absolument légitimer les acteurs syndicaux. Il faut avancer vers la règle de l'accord majoritaire, ce qui nécessite des élections de représentativité dans les entreprises de chaque branche. L'objectif de cette réforme est de développer le contractuel, en favorisant une logique d'engagement plutôt qu'une logique d'opposition. Cela n'empêche pas de prouver sans attendre notre capacité à négocier, par exemple sur l'emploi".
L'Etat est aussi patron. Comment jugez-vous ses projets sur les effectifs de fonctionnaires ?
- "Moderniser l'Etat et les services publics, est, on le sait, une ambition de la CFDT. Mais lorsqu'on regarde les annonces, en matière de nouveaux emplois dans l'armée, la police et la justice, le programme d'équipement militaire ou celui en faveur des hôpitaux, cela nous semble contradictoire avec la baisse des impôts. Cela laisse planer deux risques : ou l'on creuse le déficit de l'Etat, ou l'on taille de façon drastique dans les effectifs de la fonction publique. Enfin, je rappelle que le gouvernement ne peut exonérer l'Etat employeur d'un dialogue social qu'il vante pour le privé".
Le premier ministre propose un service garanti. Une atteinte au droit de grève ?
- "Pour avancer, mieux vaut mettre en place des systèmes d'anticipation des conflits et permettre par la négociation de les résoudre avant d'être contraint à la grève. C'est le cas à la RATP. D'autre services publics peuvent s'en inspirer".
L'autre dossier délicat ce sont les retraites. Comment pensez-vous que cela va se passer ?
- "Je remarque que la méthode proposée est la même que celle présentée par Lionel Jospin en 1997. J'espère que cette fois-ci on va déboucher. C'est indispensable. Le premier sujet à aborder est le niveau de remplacement des retraites , c'est à dire le montant garanti à chacun. Nous tenons aussi au droit au départ à la retraite dès 40 ans de cotisation. Ensuite, il faudra discuter des moyens d'y parvenir: la durée, les taux de cotisation, et la participation de l'Etat".
Le Premier ministre annonce une aide fiscale pour un complément de retraite. On n'aidera que les salariés qui payent le plus d'impôts ?
- "Cette aide fiscale doit s'inscrire dans la suite de la loi Fabius sur l'épargne salariale c'est-à-dire dans le cadre d'une épargne collective; Et dans ce cas, il faudra verser une aide aux salariés qui ne payent pas d'impôts, comme pour la prime pour l'emploi. Mais le premier objectif demeure de réformer les régimes par répartition".
Vous semblez prêts à accompagner le gouvernement. La CFDT va-t-elle se retrouver comme en 1995, seule dans un dialogue avec un gouvernement de droite ?
- "Notre préoccupation n'est pas là. Si des propositions répondant à nos attentes sont faites, nous prendrons nos responsabilités. Evidemment, la situation inverse nous amènerait dans une relation conflictuelle".
Ne craignez-vous pas que le Medef prenne sa revanche ?
- "Le patronat aurait mauvaise figure à essayer de faire passer ses revendications par la loi alors qu'il ne jure que par le contrat".
Vous êtes de fait partenaire de l'Etat au travers de la sécurité sociale. Que pensez-vous de la nouvelle gouvernance annoncée par le Premier ministre ?
- "Nous partageons l'objectif de clarté des rôles et des financements de la Sécurité sociale. Mais nous ne voyons pas encore la place des partenaires sociaux dans cette "nouvelle gouvernance". Je note que le mot paritarisme n'est pas apparu dans le discours du Premier ministre. C'est une interrogation majeure pour nous".
Certains au Parti socialiste souhaitent que les syndicats participent au travail de recomposition de la gauche. La CFDT est-elle partante ?
- "Il serait bon que les politiques cessent de découvrir l'existence des syndicats lorsqu'ils sont en difficulté et de les oublier quand ils sont au pouvoir. Nous sommes prêts à dialoguer avec les partis politiques et nous sommes conscients qu'il faut à notre démocratie un parti de gauche capable d'assumer une alternance. Nous n'avons pas vocation à participer à quelque recomposition de quelque parti que ce soit".
(Source http://www.cfdt.fr, le 5 juillet 2002)