Interview de M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, à RMC le 18 juillet 2002, sur la sécurité dans les prisons et la construction des centres fermés pour mineurs.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

O. Truchot .- Vous êtes le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, autrement dit, le "monsieur prison" du gouvernement Raffarin...
- "Vous démarrez très fort dès le matin ! Il n'y a pas que les prisons, il y a aussi les palais de justice !"
J'allais le préciser : vous allez vous occuper de construire de nouvelles prisons, mais aussi de rénover les palais de justice qui, parfois, en ont bien besoin. Mais que se passe-t-il dans nos prisons françaises ? Ce matin, on a appris deux choses : tout d'abord, que J.-C. Denis, cet éleveur breton qui avait tué un policier au commissariat de Vannes, s'est pendu avec sa ceinture dans sa cellule de la prison de Ploemeur ; et à Nîmes, un détenu mineur a été mis en examen pour le viol d'un de ses co-détenus. Pourquoi la sécurité dans les prisons n'est-elle pas assurée ?
- "Par définition, il y a en prison des personnes qui sont en rupture sociale et en rupture avec le reste de la société. Et souvent, et même presque quasi exclusivement, pour des raisons de très grande violence. Il n'y a donc pas de raison que ces gens très violents à l'extérieur, ne soient pas aussi très violents à l'intérieur. Et si à l'intérieur, on s'efforce de canaliser et de juguler cette violence, nous sommes aussi tenus par le respect de la personne humaine et on ne peut pas en permanence surveiller quelqu'un. Par rapport aux tendances suicidaires, il faut savoir que comme il n'y a pas surveillance 24 heures sur 24 de chaque détenu, les détenus peuvent profiter de plages horaires de "liberté" - entre guillemets - à l'intérieur de la prison, soit pour commettre des actes extrêmes, soit pour commettre des actes de barbarie, comme ce cas de viol."
Mais pour reprendre le cas de J.-C. Denis, on savait qu'il était extrêmement violent pour les autres, mais aussi sûrement pour lui-même - la preuve. Pourquoi lui avoir laissé sa ceinture ? On sait que dans les prisons, lorsque les personnes sont suicidaires, on enlève les lacets...
- "Il est difficile de vous répondre aussi clairement, parce que naturellement, le procureur de la République a décidé de faire une enquête. Malheureusement, dans une prison, on peut se procurer des choses. Vous avez des systèmes ; il y a ce que l'on appelle le "yo-yo", qui passe d'une cellule à l'autre. Ce prisonnier qui, très certainement, était quand même très surveillé du fait de sa grande violence, a pu se procurer cette ceinture. Ce n'était donc pas sa ceinture. Mais on va attendre que l'enquête nous le confirme."
Ce qui s'est passé à Nîmes pose le problème de mettre plusieurs détenus dans la même chambre. Parce que ce détenu mineur qui a violé son co-détenu, on aurait pu également anticiper ?
- "Cela pose la question de l'encellulement individuel, qui est d'ailleurs inscrit dans une loi votée par le Parlement il y a deux ans, mais qui est aussi discutable. C'est vrai que s'il y a encellulement individuel, il n'y a pas de risque d'agression de la part d'un co-détenu dans la cellule, mais il y a aussi renforcement de la solitude. Je ne suis pas sûr que la meilleure façon de préparer l'individu à retourner un jour dans la société, soit de l'isoler complètement. D'ailleurs, au fil du temps, on a supprimé des conditions d'isolement absolu. C'est donc plus compliqué que cela en a l'air..."
Vous êtes donc plutôt contre les cellules individuelles, que prévoit d'ailleurs la loi sur la présomption d'innocence en 2003 ?
- "Je ne suis pas contre. Il faut de la cellule individuelle et il faut aussi de la cellule à deux ; il n'y a pas de loi absolue. Gardons-nous de croire qu'on a trouvé la panacée."
Hier, on a beaucoup parlé de ce fameux projet de loi présenté par D. Perben, le garde des Sceaux, qui annonce une série de mesures, notamment pour lutter contre la délinquance des mineurs, avec la création de centres fermés pour mineurs. Cela va être votre job de créer ces centres. Comment allez-vous les construire ? Où ? Combien cela va-t-il coûter ? Quel est le programme défini ?
"D'abord, nous allons construire plusieurs types... Enfin, construire ou aménager, puisqu'à l'intérieur de l'immobilier de la Justice, il y a déjà des endroits qui peuvent convenir. Un grand nombre de collectivités locales m'a déjà écrit et nous ont fait savoir qu'elles étaient disposées à mettre à notre disposition des lieux. Le principe - c'est le plus important, peut-être même plus important que les questions d'argent, j'en dirai un mot après - est qu'on ne puisse plus avoir des mineurs qui, lorsqu'ils sont placés, sont en quelque sorte en externat et qu'ils viennent là un peu à la carte. Ce que nous voulons, c'est que les mineurs soient plutôt en l'internat, c'est-à-dire que l'on est dans des endroits d'où on ne sort pas quand on en a envie."
A quoi cela va-t-il ressembler ? A des prisons ?
- "Pas du tout, vous aurez là aussi toute une palette : le jeune qui est placé parce que son comportement est asocial, sera placé dans une unité qui va de huit à douze, donc une dizaine de jeunes placés, dans un encadrement éducatif. S'il ne respecte pas cet encadrement éducatif, on renforce cet encadrement éducatif mais on reste toujours dans l'éducatif mais on renforce : là, pour le coup, c'est "pensionnat très pensionné", mais on est toujours dans l'éducatif. Et puis, il y a la troisième hypothèse - hypothèse que nous nous ouvrons, cela ne veut pas dire qu'elle sera automatique -, qui est que si le jeune ne respecte cette règle du pensionnat et qu'il a quand même commis des délits, qu'il est récidiviste, etc., on passe dans une première réponse d'enfermement, mais qui est quand même encore une réponse modérée, parce qu'il est dans l'univers avant le passage en prison. Le quatrième degré, ce sont les quartiers pour mineurs dans les prisons, sur lesquels nous allons faire un effort particulier car nous sommes bien conscients que quand on met un mineur en prison, il faut quand même le protéger des adultes. Il faudrait donc une plus grande étanchéité que celle qui existe. Maintenant, je vais vous répondre sur les questions de sous..."
Parce qu'on sait que cela coûte cher...
- "Cela va coûter cher, parce que pour les mineurs, il est normal que cela coûte cher - surtout pour les mineurs. Lorsque vous avez, comme j'ai pu le voir - parce que je découvre cet univers -, un enfant de treize ans incarcéré - pour qu'un enfant de treize ans soit incarcéré aujourd'hui, puisque la loi n'a pas été modifiée, je n'ose vous dire ce qu'il a commis -, cet enfant va sortir un jour, par la force des choses, dans quinze ou vingt ans. Imaginez que si nous ne faisons pas un effort considérable, ce sera une bête sauvage que nous libérerons. Il est donc vraiment impératif que la société se donne les moyens de corriger ces anomalies. Et forcément, cela coûte de l'argent. Le plan justice coûte globalement au budget de l'Etat, sur cinq ans, 3,6 milliards d'euros ; presque la moitié seront consacrés à ce que l'on appelle des "crédits d'investissement", c'est-à-dire à faire des murs, construire, réhabiliter, rénover..."
Sur combien de temps ? A quand, par exemple, le premier centre fermé pour mineurs ?
- "Il est amusant que tout le monde me pose cette question, y compris parmi les plus grands responsables de l'Etat ! Le plus vite possible, mais on ne fait pas ce que l'on veut en l'espèce. Il faut respecter - et c'est normal d'ailleurs - la loi, c'est-à-dire le code des marchés publics, même si nous demandons au Parlement des procédures d'accélération. J'espère qu'à la fin de l'année - mes collaborateurs me disent que c'est impossible, mais j'espère qu'ils ne nous écoutent pas, je leur dis toujours que c'est l'objectif -, ou au début de l'année prochaine, qu'on pourra avoir le premier centre."
Si on vous pose la question, c'est aussi qu'il y a urgence...
- "Il y a une extrême urgence. La délinquance des mineurs est un vrai problème. Je suis élu d'une commune où nous avons, malheureusement, un quartier qui fait trop souvent parler de lui. Toutes les forces de police, tous les observateurs, tous les travailleurs sociaux me disent bien que la délinquance des mineurs, ce n'est pas simplement 25 % comme on le croit dans les statistiques ; c'est beaucoup plus si on prend les délits qui nous touchent vraiment, c'est-à-dire les délits de vol de portable avec violence, racket, etc. Effectivement, si on intègre les petits délits moins dangereux, c'est moins. Mais sur les petits délits de proximité très dangereux, la délinquance des mineurs est majoritaire. Il y a donc une urgence, une urgence sociale. Nous nous y forcerons d'y répondre."
(Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 juillet 2002)