Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur le rôle du Conseil de l'euro, l'élargissement de l'Union européenne et l'Europe des droits civiques et sociaux, Paris le 17 décembre 1997.

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Circonstance : Réunion des associations à vocation européenne au Quai d'Orsay à Paris le 17 décembre 1997

Texte intégral

Pour une Europe des droits civiques et sociaux
Je suis très heureux de vous accueillir ici ce soir. Pour le ministre des Affaires européennes, il s'agit d'une réunion de famille, avec tous ceux qui ne ménagent pas leurs efforts au service de la cause européenne, même si tous, peut-être, je dirai même sûrement, n'en partagent pas tout à fait la même vision.
Je tiens d'abord à vous exprimer mon admiration et mes remerciements pour la force de votre engagement. Ce n'est pas simple de consacrer une bonne partie au service de l'Europe, cause qui intéresse mais de façon encore trop diffuse qu'on considère comme évidente, alors qu'elle mérite qu'on se batte pour elle et qu'on la polarise : j'ai pu le mesurer à vos côtés, d'abord en tant que militant européen et ancien député au Parlement à Strasbourg, et maintenant dans mes nouvelles fonctions, à quel point cet engagement était fort et efficace.
Dans le cadre d'une première série d'actions pour expliquer et faire aimer l'Europe, conduite avec le soutien actif de la Commission et du Parlement européen, j'ai souhaité placer cette première réunion avec vous - il y en aura d'autres, en tout cas je l'espère, au gré de la longévité gouvernementale - sous le signe de l'Europe des droits civiques et sociaux
Mais notre rencontre coïncide avec un calendrier européen particulièrement
chargé. Permettez-moi donc de commencer en évoquant le Conseil européen qui
vient de se tenir à Luxembourg, avant d'aborder l'autre thème principal dont je
vous ai parlé. Plus tard dans la soirée, je serai heureux de répondre à vos
questions au cours d'un débat que j'espère riche.

Le dernier Conseil européen de Luxembourg constitue, sans aucun doute, une étape majeure sur la voie historique que l'Europe s'est tracée, avec la réalisation de la monnaie unique et aussi l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale qui a démarré samedi dernier. L'ordre du jour était dominé par ces deux questions.
Le rééquilibrage de l'union économique et monétaire a été amorcé à Amsterdam ;
il s'est poursuivi dans un sens, je crois, positif du rééquilibrage de la croissance et de l'emploi avec la création du Conseil de l'euro.

Le Gouvernement français souhaitait que l'on renforce la coordination des politiques économiques même s'il ne revendiquait plus l'expression de gouvernement européen. Je crois que les décisions de Luxembourg vont dans le bon sens s'appuyant sur les art. 103 et 109 du traité de Maastricht et puis surtout ils mettent en place ce Conseil de l'euro, cet euro X, bref une instance politique commune aux pays qui seront dans l'euro, qui permettra d'avoir un dialogue avec la Banque centrale indépendante. C'était pour nous une sorte d'évidence. Il y aura demain dans l'Europe monétaire une sorte de fédéralisme monétaire avec une instance fédérale, la Banque centrale européenne. Comment concevoir qu'elle n'ait pas en face d'elle une autorité
politique susceptible de dialoguer avec elle. Dans aucun pays au monde, surtout s'il est de structure fédérale, c'est le cas de l'Allemagne, c'est le cas des Etats-Unis, une telle situation n'existe. Une telle situation ne pouvait exister dans le cas de l'Europe. Ce Conseil de l'euro est extrêmement important pour cela. Ca a été une bataille politique assez dure, reconnaissons-le, face à nos amis anglais qui ont une évolution positive, qui veulent entrer dans l'Europe, qui veulent rejoindre l'euro mais qui en même temps souhaitaient déjà être dans le club des pays, des politiques, qui le gèrent. C'était un peu contradictoire, c'était difficile de leur faire comprendre, mais ça a été fait, et je crois qu'on a maintenant une distinction claire entre le conseil ECOFIN qui gère l'essentiel des affaires économiques de l'Europe. Le Conseil de l'euro qui s'occupera des questions spécifiques à l'euro, et plus des questions communes qui seront définies à quinze. Tout cela va être très compliqué à mettre en oeuvre mais il y a maintenant un pôle économique qui permet de dire oui l'édifice euro se complète et je pense que la décision l'an prochain pourra être prise sur des bases tout à fait solides, claires, y compris sur le plan de la gestion politique et c'était tout de même fondamental.
Deuxième point à l'ordre du jour de ce Conseil européen, c'était le processus d'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale.

C'est un défi d'une ampleur sans précédent en raison du nombre des pays candidats, de leur taille et de leurs caractéristiques économiques. C'est la première fois qu'on engage un processus qui doit conduire à l'ouverture à dix, onze pays. Je crois que c'est un peu une surprise pour nous, reconnaissons-le parce que nous partions à Luxembourg pas très optimistes
Les orientations des chefs d'Etat et de gouvernement permettent d'engager cet exercice sur de bonnes bases, que je résume de la façon suivante. Les Quinze ont choisi de mettre tous les pays candidats sur la même ligne de départ avec des chances équivalentes. Ils auront tous des négociations : des négociations d'adhésion pour les uns, des négociations préliminaires à l'adhésion pour les autres. Ils auront tous des stratégies de préadhésion, des moyens pour la préadhésion. Il y aura un cadre pluraliste, multilatéral qui sera la Conférence européenne d'une part, des rencontres qui poursuivent ce qui existe aujourd'hui, ce qui s'appelle le dialogue structuré et d'autre part qui permettront d'avancer sur le champ des domaines techniques. Tout cela permet de baliser un itinéraire vertueux, permet d'avoir une marche de tous vers l'adhésion sans laisser de pays candidats au bord de la route et croyez-moi, c'était extrêmement important. Une des tâches du ministre des Affaires européennes, c'est cela, c'est aller dans ces pays candidats, où on est frappé de voir à quel point l'aspiration européenne est forte chez eux, et à quel point l'avis de la Commission avait pu sembler, à certains moments ou à certains pays, un peu arbitraire. J'étais, il y a deux semaines, dans les pays baltes, et honnêtement pour voir la différence entre eux, sur le plan économique ou du développement, il faut une loupe. Je n'avais pas de loupe et donc je n'ai pas exactement vu. Et bien tous seront satisfaits, tous pourront aller vers l'élargissement.
Il reste cependant le problème particulier. Celui de la Turquie. Je sais à quel point cette question peut partager les Européens, les partager notamment du point de vue des Droits de l'Homme. Moi-même, lorsque j'étais parlementaire européen, je n'avais pas voté l'accord de l'union douanière avec la Turquie. En même temps, je crois qu'il est essentiel que l'Union poursuive le dialogue avec ce grand partenaire qui ne doit pas rester à l'écart ou se sentir exclu, pour toute une série de raisons, qui sont des raisons politiques, des raisons économiques, des raisons géostratégiques. Il est fondamental, si nous voulons éviter une dérive islamiste, si nous voulons éviter une main mise américaine complète sur ce pays, que sa vocation européenne soit confirmée. Or, on est obligé de reconnaître que de ce point de vue-là, les conclusions de Luxemurg ne sont pas satisfaisantes, qu'elles sont beaucoup trop raides, et que nous allons vers une crise entre la Turquie et l'Union européenne, dont les conséquences sont, à mon sens, fâcheuses. L'attitude du gouvernement français sa d'essayer de renouer les fils du dialogue sans concession, mais du dialogue tout de même.

Comme nous le souhaitions également, le cadre d'ensemble de l'élargissement a été esquissé, correspondant aux conditions minimales que nous avions posées concernant l'évolution des politiques communes et leur financement Enfin, je note la mention d'une réforme préalable nécessaire des institutions avant la conclusion de l'élargissement, ce qui nous satisfait, car il est clair que pour que demain l'Europe fonctionne, à vingt-cinq, vingt-six, vingt-sept, il est indispensable qu'elle continue à marcher, et même qu'elle marche mieux qu'aujourd'hui ; les institutions ont été bâties pour une Europe à six, nous sommes déjà dans une Europe à quinze. C'est extrêmement difficile aujourd'hui, d'arriver à des décisions, surtout quand l'esprit ne souffle pas. Demain, il faudra avoir un mécanisme décisionnel beaucoup plus efficace. même si le moi opératoire n'a pas encre été précisé. Tel n'était, d'ailleurs, pas l'objet du Conseil européen.

J'en viens maintenant au thème de l'Europe des droits civiques et sociaux, qui est d'ailleurs moins éloigné qu'il n'y paraît des discussions de Luxembourg Le choix de ce thème obéit à une double inspiration, tirée à la fois de a profondeur de l'histoire européenne et des enjeux les plus immédiats. Il reflète aussi l'intérêt prioritaire que le gouvernement attache à cette problématique.

Les prémices d'une communauté européenne datent de bien des siècles avant la signature du Traité de Rome et résident, me semble-t-il, dans des idéaux de démocratie, de liberté, de tolérance, de recherche de la paix ; ce sont ces longs progrès qui ont été accomplis par les Européens dans le sens de l'humanité, comme le dit si bien l'historien Jean-Baptiste Duroselle. Les Européens ont été capables, à certains moments de leur histoire commune, des pires horreurs, mais il y a là un fil autour duquel s'est progressivement forgée une identité commune, justement contre la barbarie européenne elle-même.

Plus proche de nous, ces principes figurent en bonne place dans les textes fondateurs dont est issue l'Union européenne. Depuis l'origine des Communautés européennes, une série de droits s'est progressivement formée au bénéfice des citoyens, droits liés le plus souvent à la réalisation des objectifs économique, au premier rang desquels figurent évidemment la libre circulation des travailleurs, suivie, depuis lors, de multiples autres avancées.

Le Traité de Maastricht a constitué à cet égard une étape importante, significative en tout cas. Il a marqué d'une part l'affirmation de droits traduisant pour la première fois une citoyenneté politique, et d'autre part a renforcé les droits préexistants au profit des ressortissants des Etats membres, indépendamment d'une activité liée à l'intégration économique.

Je ne reviendrai pas sur ces droits nouveaux, mais je noterai les progrès très concrets qu'ils représentent, qu'il s'agisse du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et européennes, de la création du médiateur européen, de la protection diplomatique et consulaire accordée aux ressortissants de l'Union.
Plus proche de nous se situe le Traité d'Amsterdam ; appelons le comme cela, bien qu'il ne soit pas encore ratifié. Je me souviens des attentes de nombre d'entre vous ici présents à l'égard des travaux de la Conférence intergouvernementale.
Peu de temps après ma nomination, et peu avant le Conseil européen d'Amsterdam, j'avais d'ailleurs reçu Frédéric Pascal, membre du Comité des Sages chargé de rédiger un rapport sur ce sujet, et Jean-Baptiste de Foucauld, son rapporteur, qui représentaient les signataires d'une déclaration pour une Europe civique et sociale. J'avais pu alors mesurer tout l'intérêt de propositions du monde associatif et tout l'espoir que vous mettiez dans cette entreprise.

La suite est connue. Elle n'est pas totalement satisfaisante L'absence de réforme institutionnelle a constitué pour nous une forte déception, le mot est faible. Mais la France a réagi sans ambiguïté, comme l'illustre la déclaration signée avec l'Italie et la Belgique, et annexée au Traité d'Amsterdam. Pour nous, le préalable institutionnel s'applique à la conclusion du premier élargissement, certes pas à l'ouverture des négociations. Elles vont s'ouvrir début 1998. Mais il ne saurait être question d'avoir un nouveau traité d'élargissement sans réforme institutionnelle. Je remarque, au passage, après le dernier Conseil européen, que l'idée fait son chemin. Continuons donc nos efforts, en poursuivant parallèlement le dialogue avec les pays candidats, pour leur expliquer que cette approche est de leur intérêt. Je suis déjà allé dans plusieurs pays candidats, en Hongrie, dans les Etats baltes. Avec Hubert Védrine, nous aurons achevé au début mars la visite de tous les pays candidats, et nous tâchons de les convaincre d'une telle démarche; je crois qu'ils la comprennent.

Cela étant, nous pouvons aussi porter au crédit de ce traité un certain nombre de progrès que tous les partisans d'une Europe favorisant la cohésion et la justice sociales attendaient. Je pense en particulier aux nouvelles dispositions générales en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. Je pense aussi, bien sûr, au contrôle de la Cour de justice des Communautés sur le respect des droits fondamentaux, ou dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Une autre innovation, de portée politiquement considérable, réside dans l'introduction d'un mécanisme de sanctions contre un Etat membre qui ne respecterait pas les droits fondamentaux.

Je mentionne aussi l'introduction d'un nouveau chapitre "emploi", qui a été anticipé par le premier Conseil européen de Luxembourg, en novembre, les nouvelles dispositions du volet social, enfin accepté par la Grande-Bretagne, - c'est positif d'avoir enfin un gouvernement européen en Grande-Bretagne. Je veux aussi mentionner la référence aux statuts et au rôle des services publics.
Je dois enfin mentionner les avancées en matière de troisième pilier avec la création progressive d'un espace de sécurité et de liberté, des dispositions assurant un fonctionnement plus démocratique de l'Union, notamment les pouvoirs accrus du Parlement européen

Ce rapide aperçu historique n'a pour but que de mettre en évidence le paradoxe de la situation présente.

Nous avons d'un côté, les enjeux économiques et sociaux. ceux-là revêtent aujourd'hui une importance déterminante pour l'Union un modèle social européen rénové. Or, force est de constater la difficulté qu'à l'Europe actuelle à répondre aux attentes prioritaires des populations en matière économique et sociale, et d'une manière générale, son déficit de crédibilité en ces domaines : se réfugier derrière l'alibi de la subsidiarité pour expliquer ces échecs serait beaucoup trop simple.

Et d'un autre côté, nous disposons aujourd'hui d'un dispositif de normes et d'instruments assez conséquents, même si certains d'entre vous le jugerons insuffisant. Mais il est le produit d'une stratification successive de décisions communautaires, un ensemble disparate et, il est vrai, pas toujours intelligible.

Comment alors expliquer la situation actuelle ? Pour ma part, je vois, à l'origine de cette impuissance, une absence de méthode associée à une faiblesse de la volonté politique.

C'est ce constat qui a inspiré notre action européenne au cours de ces derniers mois. Dès sa prise de fonction, le gouvernement de Lionel Jospin s'est affirmé résolu sans tarder à agir pour mettre la dimension sociale au coeur des priorités de la construction européenne, en exploitant toutes les potentialités du droit existantes.
Il y a quelques semaines, s'est tenu le Conseil européen extraordinaire de Luxembourg consacré à l'emploi, qui a permis, pour la première fois, de fixer les objectifs quantifiés en matière d'emploi. Cette première constitue un point de départ et non un aboutissement. Une méthode a été fixée, favorisant une stratégie de coordination des politiques de l'emploi. La résolution fixant les lignes directrices pour l'emploi. Les premières lignes directrices européennes en la matière viennent ainsi d'être adoptées lundi dernier par le Conseil "Travail-Affaires sociales". Il faudra veiller attentivement à leur respect. A ceux qui critiquent l'absence de sanctions, je réponds qu'il n'y a pas de plus fort aiguillon à la convergence des politiques de l'emploi que la responsabilité politique devant les opinions.
En toile de fond, cette approche doit s'accompagner d'un minutieux travail pour faire en sorte que symboles, considérants et déclarations s'inscrivent dans les réalités de la construction européenne. Je pense notamment aux nouvelles dispositions générales sur la non-discrimination que je rappelais précédemment. A cet égard, le traitement réservé aux femmes, qui souvent cumulent les inégalités, constitue un bon exemple. S'il est un domaine où une approche systématique doit s'appliquer dans tous les programmes communautaires, c'est bien celui de la promotion de l'égalité hommes-femmes.

D'où l'intérêt que je porte au combat des femmes, dont je salue ici ce soir des militantes éminentes, et le plaisir que j'ai eu de remettre le "prix Femmes d'Europe 1997" à la lauréate européenne, Mme Carr-Allinson. A titre d'exemple, je note qu'une directive vient d'être adoptée contre la discrimination fondée sur le sexe. J'espère qu'elle sera suivie par d'autres avancées.
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C'est donc bien d'une méthode dont l'Europe sociale a avant tout besoin, imprimée par notre volonté politique, plus que de nouvelles dispositions ou d'un exercice compliqué de remise en ordre des textes pertinents. Je suis donc partisan d'adopter une démarche fonée à la fois sur la définition d'objectifs et sur la mobilisation de tous les instruments qui y concourent, le tout selon une approche que j'appellerai fédérative, pour ne fâcher personne, c'est-à-dire en élargissant le champ du vote à la majorité qualifiée. C'est là qu'est la clé de la réforme institutionnelle demain Certains y retrouveront la démarche fonctionnelle ou fonctionnaliste qui a fait le succès de l'intégration économique européenne. En effet, pourquoi ne pas appliquer la même méthode aux enjeux sociaux ? C'est ce que nous avons essayé de commencer à faire, je l'ai dit, au Sommet sur l'emploi de Luxembourg.

J'ai bien conscience que cette approche et nombre des avancées récentes restent en deçà des espoirs de certains, qui appellent par exemple à l'instauration d'une démarche constituante ou refondatrice. Je comprends le sens de telles propositions et partage la fougue européenne qui les anime. Moi aussi, je suis soucieux que l'Europe ne manque pas son rendez-vous avec le prochain siècle. Moi aussi, je ne rêve pas d'une Europe "paramétrée", soumise à la loi des critères et au règne des marchés. Moi aussi, je souhaite que l'on passe de l'échange des marchandises à celui des coeurs et des esprits. Mais je ne suis pas totalement convaincu que nos compatriotes partagent aujourd'hui une telle attente, et soient prêts pour une vaste consultation, pour des Etats généraux de l'Europe. Je crains même que si on les lançait, on verrait s'ouvrir la boîte de Pandore, ressortir toute une série de faux débats et que le résultat ne serait pas à la hauteur des espérances, voire contraire à celles-ci. Il faut d'abord donner à nos concitoyens des signes tangibles d'une Europe qui marche, pour les préparer à ce grand débat. Concentrons-nous sur des objectifs ciblés, je pense évidemment d'abord à la réforme institutionnelle, tout en franchissant avec succès les étapes cruciales qui sont devant nous.
J'entends, le gouvernement entend mener des actions au plus proche des préoccupations de nos concitoyens, d'une manière décentralisée, faisant largement appel à l'initiative et au concours des élus et des associations. C'était d'ailleurs un peu ce que faisait mon prédécesseur. Je continuerai à le faire, avec mon style, peut-être aussi des orientations un peu différentes ; les alternances ont quand même un sens dans ce pays. Je sais pouvoir compter sur votre mobilisation. L'accueil reçu lors de mes rencontres à Mantes-la-Ville puis à Nantes en octobre dernier et, je l'espère, demain à Tours, témoigne de la disponibilité d'écoute de nos compatriotes et de leur exigence légitime de compréhension, à condition qu'on leur parle des enjeux concrets, et non qu'on leur dresse de grands fresques éloignées de leurs préoccupations..

Parallèlement, j'ai engagé des travaux visant à mettre en place un véritable service public d'information sur l'Europe. Il sera constitué d'un ensemble de relais territoriaux, au moins un par département, le centre Sources d'Europe étant au coeur de ce réseau, sa "salle des machines" en quelque sorte. Vous avez pu découvrir ce soir notre site Internet en première démonstration Toutes ces actions sont appelées à s'amplifier l'année prochaine. Nous y travaillons. Je ne manquerai de vous informer de nos projets et de solliciter votre participation active.

Pour conclure, avant de vous laisser la parole, j'ai le sentiment qu'en concentrant nos efforts pour répondre dans l'urgence aux attentes de nos concitoyens et réorienter ainsi l'entreprise européenne, nous ne marquons pas une cassure mais au contraire une fidélité retrouvée aux pères fondateurs, pour que, en paraphrasant Paul Valéry, l'Europe ait la politique de sa pensée. Telle est l'inspiration qui doit tous nous réunir et nous guider par delà nos légitimes différences, qu'en bons Européens, nous respectons.


Réponses de Pierre Moscovici aux questions posées par l'assistance

D'abord je partirai quand même de l'égalité hommes-femmes et de l'élargissement, la prise de conscience qui n'est pas toujours faite partout des problèmes que cela pose ; - j'ai envie de rappeler que dans le processus d'élargissement il y a, de fait, deux types de critères qui ont été posés par la Commission et qui seront examinés par les négociateurs, à la fois la Commission et le Conseil : les critères économiques - je n'y reviens pas car ce n'est pas là que vous m'interrogiez - et puis des critères qui sont des critères démocratiques - c'est d'ailleurs à ce titre qu'un pays n'a pas vu son admission dans le premier cercle, je pense à la Slovaquie. Ce n'était pas de l'égalité hommes -femmes dont il s'agissait, mais plutôt d'autres types de problèmes démocratiques.

Je crois qu'il faut rappeler que l'élargissement est un processus long, qu'avoir ouvert les négociations ne signifie pas qu'elles soient conclues demain et donc que la négociation va être difficile, délicate. J'ai envie de dire qu'il y a un critère qui est fondamental, c'est la capacité à reprendre l'acquis communautaire.

J'évoquais tout ce corpus de droit qui naît sous le droit des femmes, je ne vois pas pourquoi ce corpus là ne serait pas partie intégrante de l'acquis communautaire. Je dirais même, au contraire, qu'il en fait partie : il en fait de plus en plus partie, il doit en faire de plus en plus partie et donc ces aspects ne sauraient être négligés par les négociateurs.

Sur le droit à la culture, il ne s'agit pas de faire du franco-centrisme aujourd'hui. La question n'est pas tant de promouvoir la culture française en Europe, encore que ce soit un sujet important, j'y reviendrais un peu plus tard, que de promouvoir l'identité culturelle européenne. Il est prévu une manifestation sur ce thème en 1998 dans les programmes que nous envisageons. Nous nous sommes par ailleurs battus à Amsterdam pour la majorité qualifiée dans l'article 128 afin de permettre le développement de programmes européens.

Sur les questions concernant la réforme des institutions et plusieurs questions, suggestions ont été lancées ici ou là. J'ai le sentiment, contrairement à ce qui a pu être dit et je ne sais plus par qui, que la conception française progresse ; elle progresse doucement mais elle progresse. Amsterdam est un traité que nous avons pris en cours de route, je dirais même plutôt au bout de la route ; ce n'est pas ce gouvernement qui l'a négocié, ce n'est pas ce gouvernement d'une façon ou d'une autre qui en a pesé les termes ou les conséquences. Mais en même temps, nous sommes dans une situation qui s'appelle la cohabitation, une situation républicaine ; nous étions face à une décision européenne et nous assumons pleinement ce que nous avons décidé à Quinze et la façon dont la France a parlé, qui était bien sûr d'une seule voie. Sur les institutions, les deux branches ont la même analyse, à savoir qu'Amsterdam a été un échec et qu'il faut absolument réformer les institutions préalablement au premier élargissement ; les institutions. Cela ne veut pas dire que nous entendons bloquer le processus d'élargissement, cela ne veut pas dire que nous voulons freiner les négociations ni dans leur ouverture, ni dans leur déroulement ; nous disons d'une façon extrêmement calme qu'il n'y aura de nouvel élargissement s'il n'y a pas de réformes des institutions.
Est-ce que nous irons vers d'autres types d'Europe avec plusieurs cercles, j'ai envie de dire que plus l'Europe sera élargie et plus il y aura de différenciations à l'intérieur de l'Europe. On le voit tout de suite, il y aura la zone euro qui concernera onze pays sur quinze dans un premier temps. Il y aura l'Union européenne au sens économique. Il y aura probablement des pays qui seront dans des phases de transition. Il y aura la grande Europe et c'est plutôt ce vers quoi nous nous engageons, c'est-à-dire vers le développement de ce qui existe dans le Traité d'Amsterdam, le développement de coopérations renforcées, coopérations renforcées dont la création de l'euro x ou du Conseil de l'euro peut être finalement la première manifestation.
Alors il y a un point sur lequel nos conceptions ne progressent pas - c'est que nous-mêmes nous ne savons exactement pas quelle réforme nous voulons demande et que nous n'avons pas discuté du fond des choses avec nos partenaires - mais j'ai envie de dire que cela tourne autour de trois questions essentielles : la Commission doit être ou devenir un exécutif collégial et donc, à partir de là, elle doit voir son formatage arrêté à un nombre raisonnable et ses méthodes de travail changées ; l'extension du vote à la majorité qualifiée, c'est fondamental car sinon c'est la paralysie de la décision ; et également tout ce qui concerne la pondération des voies au sein du Conseil afin que l'Europe ne soit pas paralysée par le pullulement de pays qu'on est obligé d'appeler petits, même si ils n'aiment pas que l'on procède ainsi, et même si, par ailleurs, ce sont de grands pays européens - je pense par exemple au Luxembourg qui a fait une présidence du Conseil absolument remarquable.

En ce qui concerne les sujets, je dirais, sociaux et notamment les droits sociaux, droits des exclus sur lequel plusieurs vous ont insisté, je crois effectivement que l'enjeu est de promouvoir les droits sociaux des citoyens et pas seulement les droits sociaux des travailleurs ; là, je rejoins tout à fait ce que dit mon ami Michel Mercadier. Je suis tout à fait ouvert à tout ce qui va dans le sens de la mobilisation des sociétés civiles, la mobilisation effective de partenaires qui ne soient pas seulement les partenaires sociaux parce que c'est seulement comme cela qu'on pourra donner corps aux avancées contenues dans le Traité d'Amsterdam. Je prends deux exemples, parce que vous les avez mentionnés : c'est d'une part l'avancée vers des directives en faveur des handicapés ou des directives en faveur des exclus.

Vous avez souhaité que l'on lie la question de l'emploi à la question de l'exclusion. C'est une suggestion qui est effectivement mérite bien d'être retenue : je partage votre analyse à savoir que ces questions, la question du chômage, la question de la pauvreté, la question de l'exclusion sont étroitement liées. Comme vous l'avez souligné, nous devons élaborer dans les premiers mois de 1998 nos lignes directrices nationales, notre plan d'action national pour l'emploi. Nous sommes dans le même temps en train d'élaborer un nouveau projet de loi pour l'exclusion qui reprendra sans doute certaines des orientations qui ont été décidées auparavant, à la fois par le précédent gouvernement, par le Conseil économique et social mais en s'efforçant de donner un peu plus de moyens concrets, peut-être d'ancrage solide puisque là était le problème.
Quelques mots sur les "gros sous" et sur les actions de formation, le rôle des associations sur lequel vous êtes plusieurs à vous intéresser. Je considère que cette mission de communication et ce lien avec les associations est déterminant dans la mission qui est la mienne. Le ministre délégué chargé des Affaires européennes a trois rôles : un premier rôle qui est de jouer au sein du Gouvernement, péniblement car cela n'est pas toujours évident un rôle interministériel sur toutes les questions qui touchent à l'Europe. Le deuxième rôle c'est justement d'être plus spécifiquement en charge des dossiers dits européens ; c'est à moi, au sein Gouvernement, de me charger du dossier élargissement, de la réforme des institutions également. Mais il a un troisième rôle, classique, qui est d'être à l'interface entre les Affaires étrangères et les Affaires européennes entendues dans ce sens-là, politique extérieure et la politique intérieure. Je n'ai pas besoin de vous sensibiliser les uns et les autres au fait qu'aujourd'hui l'Europe ne relève plus de la politique extérieure. C'est l'espace qui finalement environne chacune de nos décisions, chacune de nos actions. J'ai envie de dire que c'est un peu l'air que nous respirons et tout cela fait que l'action de communication est essentielle

J'envisage de faire, après le temps de la réflexion nécessaire d'une part, de l'obtention des budgets d'autre part, la définition d'une stratégie. Je souhaite mener, après avoir fait effectuer un sondage - car il fallait connaître, usant d'un baromètre régulier, la perception des Français sur l'Europe - je souhaite qu'on ait, en liaison avec le Service d'information du gouvernement, avec la Commission, une campagne d'information qui soit à la fois décentralisée et concrète, c'est très important.
Mon prédécesseur, Michel Barnier avait adopté, au sein de ce qu'on appelait le Dialogue national pour l'Europe, le principe de tournées régionales décentralisées. Bonne idée : je la reprendrai en essayant, comme je disais de l'infléchir logiquement vers des préoccupations qui sont celles qui se sont exprimées ce soir, des préoccupations sociales, des préoccupations tournées vers l'emploi, des préoccupations tournées vers la jeunesse, de rester un peu moins entre nous. Il faut sortir et aller sur le terrain, donc ce sera fait.

Pour ce qui concerne l'euro, je participerai au côté Dominique Strauss-Kahn à la grande campagne d'information sur l'euro, puisqu'à partir de 1998, nous entrons dans la mise en oeuvre concrète de l'euro. Par ailleurs, sera mis en place un site Internet, pourquoi pas des sites Internet sur l'Europe. Je suis en train également de réformer Sources d'Europe, pour que ce centre soit à la tête de ce réseau, de telle sorte qu'il y ait un véritable service public d'informations sur l'Europe, décentralisé, et cela s'appuie sur vous. J'ajoute au niveau des moyens, que comme vous le savez, le ministère des Affaires Etrangères, le ministre délégué chargé des Affaires européennes, est en contact étroit avec les associations dont il soutient les projets, qu'il le fait y compris à l'occasion avec des moyens financiers ô combien modestes, mais qui permettent parfois d'ajouter le petit plus qui permet d'agir.

Le président du Mouvement européen aime à dire qu'il n'est pas là pour soutenir telle ou telle conception de l'Europe - il faudrait d'ailleurs qu'il le fasse de temps en temps et qu'il ne confonde pas certains rôles - je ferme cette parenthèse - mais pour soutenir l'action du ministre délégué chargé des Affaires européennes. Je l'approuve. Ce n'est pas ce que je vous demande à tous mais il importe effectivement que les associations puissent, en contact avec le ministère, voir leurs moyens, leur action renforcés. J'ai maintenu tout simplement avec, encore une fois le concours de la Commission, les moyens budgétaires de ce ministère, donc nous fonctionnerons en moyens inchangés, insuffisants mais inchangés.
En ce qui concerne l'alternance, M. Toulemon, je reviens à votre question, vous souhaitiez qu'elle serve à quelque chose, notamment dans le domaine des relations avec la Commission. J'ai envie de dire, oui, pourquoi pas ? Nous ne sommes pas dans un tropisme anti-commission mais en même temps, sur la Politique étrangère et de sécurité commune, on est obligé de constater qu'il y a là un nouvel échec d'Amsterdam, que cette question reste un peu bloquée. Alors on peut espérer que la mise en place d'un haut représentant pour la PESC, peut-être le secrétaire général du Conseil, peut-être une personnalité éminente, en articulation avec la Commission, permettra de répondre à ça. J'avoue être un peu sceptique. Je pense que ces sujets, au contraire, démarreront peut-être par des coopérations renforcées concrètes. D'abord entre industriels parce que nous sommes confrontés à la concurrence, pour ne pas dire à l'hégémonie américaine face à laquelle les Européens ont un devoir s'organiser ou mourir tout simplement.

En ce qui concerne la Turquie et pour la suite, la France a déploré ce qui s'est produit à Luxembourg. Non pas que la conférence ne soit pas ouverte, elle l'est mais les conditions faites à la Turquie sont à notre sens trop sévères et ont entraîné toute une série de réactions en chaîne. Nous nous efforcerons de renouer les fils du dialogue. Notre position est que la Turquie doit venir à la Conférence européenne. J'espère qu'elle y viendra. Il faudra pour ça que chacun mette un peu d'eau dans son vin. Mais j'ai envie de dire qu'il faut être conscient que la France a des liens très profonds avec la Grèce, que la France a des liens très profonds avec la Turquie, et que nous pensons très sérieusement qu'on est dans une sorte de malentendu.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 02 octobre 2001)