Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur la politique étrangère de la France, le conflit au Zaïre, la situation en Albanie, en Yougoslavie et au Proche-Orient et sur la sécurité européenne et l'élargissement de l'OTAN, Paris le 18 mars 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réception de M. de Charette par l'Association de la presse diplomatique à Paris le 18 mars 1997

Texte intégral


Merci à vous toutes et à vous tous de m'avoir invité et de m'accueillir. J'ai grand plaisir à me trouver devant vous ; je sais que vous aimeriez que ce soit plus souvent, moi aussi pour dire la vérité, mais c'est vrai que la vie d'un ministre des Affaires étrangères n'est pas très simple ni facile.

Je ne peux guère faire plus pour ouvrir nos travaux que de vous rappeler ce que sont les lignes de la politique étrangère de la France.

Je pense que c'est important car la politique étrangère, c'est traiter l'actualité, faire face aux événements, aux crises, aux circonstances. L'expérience démontre que, finalement, les crises sont quasi permanentes dans le monde actuel et qu'il y a toujours au moins une ou deux crises sur le feu quelque part. C'est aussi poursuivre un dessin. La France est une grande puissance, elle a vocation à participer à tous les grands débats du monde. Membre du Conseil de sécurité, membre influent de l'Union européenne, elle constitue l'une des puissances dans le monde qui contribue le plus à dessiner ou à contribuer à dessiner ce que doit ou devrait être l'équilibre et l'ordre du monde d'aujourd'hui et de demain.

Nous avons donc une politique étrangère à la fois active et ambitieuse. Je voudrais vous rappeler ses quelques orientations de base qui sont évidemment simples à définir mais qui sont plus complexes à mettre en oeuvre. La diplomatie est plutôt un art de l'exécution. Encore faut-il avoir des principes et des orientations et nos orientations sont connues. La première d'entre elle est la part essentielle que nous donnons, dans cette politique étrangère, au développement du projet européen de la France. Ce projet européen est au fond constant dans notre pays depuis un demi-siècle. Il doit s'adapter à l'évolution des choses et en particulier, au cours de ces deux ou trois années, nous sommes en face d'échéances très importantes, la troisième phase de l'Union économique et monétaire avec la création de la monnaie unique au 1er janvier 1999, échéance essentielle, projet capital, mais aussi l'élargissement de l'Union européenne qui est à la fois un grand projet, répondant à des idées très fortes pour nous qui implique en même temps une adaptation de notre dispositif européen. C'est en particulier à la lumière de ce projet d'élargissement que nous examinons la conférence intergouvernementale et que nous y défendons ce que nous croyons être non seulement l'intérêt de la France, sans aucun doute mais l'intérêt général du continent européen.

Ensuite, nous avons des intérêts majeurs en Méditerranée. S'il est vrai qu'il y a là aussi une permanence de la politique française en Méditerranée, je voudrais vous rendre attentif au fait que la Méditerranée retrouve année après année une actualité de plus en plus forte. Elle sera, comme aux plus beaux jours des siècles et des millénaires passés, au centre de l'Histoire du monde à venir. C'est dire que les intérêts que nous y avons, la présence que nous entendons y exercer, le projet que nous avons pour les peuples de Méditerranée sont parmi les grandes priorités de la stratégie et de la diplomatie française.

En Afrique, l'Europe en général la France en particulier, se tournent spontanément vers ce continent parce qu'il s'agit de peuples amis, de peuples proches de nous par l'Histoire et par la géographie, auxquels nous attachent beaucoup de liens et vis-à-vis des quels nous avons, à la fois des intérêts à défendre, cela va de soi, mais aussi des devoirs. Sur ce continent le plus pauvre de cette planète, nous ne pouvons pas échapper aux responsabilités que nous avons à exercer vis-à-vis de ces peuples pour autant qu'ils le souhaitent.

Enfin, nous tournons nos regards vers le monde émergent. Cette appellation d'ailleurs assez curieuse laisse penser que ce sont des peuples ou des nations qui n'avaient pas d'existence et qui tout à coup apparaissent. En réalité, dans la plupart des cas, ce sont de vieilles et puissantes nations. Désormais, leur détermination et leurs capacité à être assises autour de la table du monde et d'y exercer des responsabilités et un poids important ne fait plus de doute. C'est pourquoi, tant en Asie qu'en Amérique latine, nous avons défini notre action comme la nouvelle frontière de la diplomatie française, c'est-à-dire autant de terrains où se joue l'avenir de la présence de la France, de sa capacité de rayonnement et de puissance et, sans aucun doute, de sa capacité de réussite économique.

Voilà pourquoi, nous tournons vers ces mondes émergents, non seulement nos regards, mais notre action avec une très grande détermination et sans aucun doute pour le long terme.

Voilà des grandes orientations. Vous les connaissez mais je les rappelle comme une sorte de cadre que je propose aussi aux travaux et aux discussions que nous allons mener maintenant. La diplomatie française est bien entendu une diplomatie traditionnelle c'est-à-dire attachée aux aspets politiques des relations diplomatiques. Elle donne et doit donner de plus en plus une importance croissante à trois autres aspets.

D'abord, la diplomatie est de plus en plus une diplomatie économique. Je ne voudrais pas manquer de le rappeler une nouvelle fois devant vous ; après tout, les discussions, les débats que nous pouvons avoir, les crises auxquelles nous faisons face, tout cela est sans doute important, mais ce qui restera comme trace dans dix ans de ce que nous faisons aujourd'hui sera la part de marché que la France aura ou n'aura pas conquise à travers le monde. De ce point de vue, autant il y a des résultats brillants dans un environnement proche, autant il y a du retard à rattraper dans des zones importantes où la France est jusqu'à présent relativement peu présente. Ensuite, il y a la diplomatie culturelle, souvent sous-estimée, parfois tenue en mépris mais qui est en réalité l'une des formes les plus fortes de notre présence au monde. Nos moyens sont à la fois significatifs et aussi faibles. Significatifs, si je fais allusion au réseau des établissements culturels, des centres d'enseignement, que sais-je encore. Par rapport à la plupart des autres pays du monde, nous sommes devant eux. Si je regarde le montant des crédits que l'on y consacre, je constate que ces crédits sont modestes et difficiles à défendre.

Enfin, je ne voudrais pas manquer, car j'en ai parlé hier, d'évoquer devant vous les aspects de l'audiovisuel extérieur qui seront l'un des champs de bataille majeurs, qui sont déjà l'un des champs de bataille majeur de la présence de la France dans le monde. A l'heure des changements technologiques extrêmement rapides que connaît ce secteur, à l'heure aussi où les formes modernes d'expression médiatique se développent à vive allure et où la consommation elle-même se développe, j'ai dit hier, je le rappelle donc aujourd'hui d'un mot, que la présence française doit y être forte. Cela implique à la fois une grande attention, une grande détermination, des moyens suffisants bien sûr et une volonté d'adapter notre dispositif à ces changements et à ces bouleversements. C'est ce que nous commençons de faire et j'espère que dans les mois et dans les années qui viennent, nous serons en état de maintenir notre place et de garder notre rang.

{^#200>^Zaïre - ONU - OUA - Aide humanitaire - France-Etats-Unis^} Q - Diriez-vous, comme on l'a entendu des Belges, que le régime de Mobutu est terminé ?

R - Vous savez que la crise zaïroise demeure au coeur des préoccupations de la France. Nous sommes en contact évidemment avec tous nos partenaires pour contribuer à la solution de cette crise qui continue à créer le trouble en Afrique centrale et qui a apporté d'ores et déjà aux habitants du Zaïre beaucoup d'épreuves, beaucoup de drames et beaucoup de souffrances. Nous sommes en contact notamment avec nos partenaires européens à qui j'en ai parlé en Hollande durant ce week-end, avec l'ONU, l'OUA et bien entendu avec les membres du Conseil de sécurité et en particulier, avec les Etats-Unis. Aujourd'hui même, M. Moose, secrétaire d'Etat adjoint pour l'Afrique a été reçu ce matin à l'Elysée, sera reçu au Quai d'Orsay cet après-midi et je le rencontrerai. Il va de soi que sur ce dossier zaïrois, la France et les Etats-Unis doivent entretenir une très étroite concertation et que nous travaillons ensemble, côte à côte pour apporter notre concours commun à la résolution de cette crise. Comme vous le savez, le Conseil de sécurité a adopté le 18 février dernier la résolution 1097 à l'unanimité. Cette résolution a repris le plan de paix en cinq points élaborés par M. Sahnoun. représentant spécial des Secrétaires généraux de l'ONU et de l'OUA et c'est ce plan qui constitue désormais la base de l'action de la communauté internationale pour contribuer à la résolution de la crise. Ce plan comprend, en particulier, la cessation des hostilités, la résolution rapide et pacifique de la crise par le dialogue, la mise en oeuvre du processus électoral prévu et la convocation d'une conférence internationale réunissant les pays de la région sous l'égide de l'ONU et de l'OUA pour permettre un règlement global du problème.

La mise en oeuvre de cette résolution du Conseil de sécurité suppose que toutes les parties en acceptent l'économie générale. C'est ce que les autorités zaïroises ont fait dans une déclaration publique dans laquelle ils ont exprimé leur acceptation de l'ensemble du plan contenu dans la résolution du Conseil de sécurité. Le maintien du conflit en Afrique aurait des conséquences extrêmement graves, à la fois pour le Zaïre et pour l'Afrique, notamment pour l'Afrique centrale. Il importe donc que toutes les autres parties concernées, et en particulier la rébellion acceptent immédiatement un cessez-le-feu. Il va de soi que l'engagement de négociations consécutives à un tel cessez-le-feu est une priorité en vue d'éviter une déstabilisation du Zaïre dont les conséquences seraient, je vous le rappelle, imprévisibles. Voilà pourquoi, Monsieur, nous devons tous mobiliser nos efforts, c'est ce que nous faisons et ce que fait la France avec patience, détermination, et pour répondre à votre question, je n'ai pas de jugement à porter sur les autorités zaïroises que vous venez d'évoquer. Je souhaite que toutes les parties au conflit s'entendent pour cesser les hostilités et se retrouver autour de la table de négociation.

Q - Monsieur le Ministre, quand vous voyez pourtant que la rébellion, dont vous parlez, de Laurent Désiré Kabila progresse ville par ville, qu'elle a pris ce verrou de Kisangani et que, dans le même temps, les dignitaires du régime et les chefs des différents états-majors font évacuer leurs familles, que l'on est dans une ambiance de fin de règne, ne sentez-vous pas qu'il est peut-être temps de changer d'interlocuteur ou de réviser cette position du Conseil de sécurité qui est ancienne par rapport à la nouveauté des derniers épisodes, notamment des épisodes militaires ?
R - Je répète que la résolution du Conseil de sécurité garde toute son actualité et que la résolution de la crise ne peut venir que par le cessez-le-feu et la négociation.

Q - Craignez-vous aujourd'hui une partition ...
R - La résolution du Conseil de sécurité à laquelle je veux me référer décidément, fait référence au principe de l'intégrité territoriale du Zaïre. La question de l'intégrité territoriale et du respect des frontières établies est, en Afrique, un principe directeur de la politique française, pas simplement de la politique française d'ailleurs, l'un des principes qui sont essentiels à la stabilité du continent. C'est pourquoi il va de soi que le respect de l'intégrité territoriale et des frontières est un élément déterminant de la résolution de la crise.

Q - On pensait que la personnalité du président Mobutu était la seule capable de contribuer à la solution du problème de l'intégrité territoriale du Zaïre. Etes-vous encore de cet avis ?

R - J'ai vu que l'on m'avait prêté ces propos que je ne récuse pas d'ailleurs, mais je voudrais revenir à ce que je disais tout à l'heure. Vous autres les journalistes, et Dieu sait si je vous considère et si je respecte le rôle de la presse comme une contribution déterminante à l'analyse des situations et de leur compréhension, vous pouvez porter des jugements. Personne ne vous en contestera le droit. Il n'en demeure pas moins que la résolution de la crise au Zaïre ne peut venir, je le répète, que d'un arrêt des combats et de la négociation, de la discussion autour de la table de l'ensemble des parties zaïroises intéressées au conflit.

Q - Croyez-vous que les 160 000 ou 200 000 réfugiés ballottés par cette crise auront la patience d'attendre ?

R - Nul plus que la France, nul plus que moi, oserais-je dire, personnellement n'a milité pour que l'on prenne en considération le drame des populations réfugiées, des personnes déplacées dans cette crise. Nous avons des informations qu'il faut toujours vérifier, nous avons demandé d'ailleurs une enquête internationale. Enfin, avant l'enquête et plus encore, j'ai réclamé il y a maintenant de cela, hélas, un certain nombre de semaines, que la communauté internationale vienne au secours de ces malheureuses populations réfugiées ou déplacées. Je n'ai pas été entendu, la France n'a pas été entendue, c'est un fait, nous continuons à réclamer que tout soit fait, dans toutes les parties du Zaïre, pour que les organisations non-gouvernementales à caractère humanitaire, la Croix Rouge, le Haut Comité des réfugiés, l'Union européenne puissent venir apporter leur concours afin de sauver ces populations qui vivent en effet, depuis des mois maintenant, un véritable cauchemar.

Q - Ne pensez-vous pas que la crise actuelle du Zaïre, après bien d'autres crises d'ailleurs ne milite pas pour un bouleversement complet de la politique française en Afrique ?

R - Vous savez, je lis avec beaucoup d'intérêts ce que je vois dans les journaux, et notamment dans certains qui sont anglo-saxons, mais pas seulement. J'y découvre une politique africaine qui n'est pas celle de la France. La politique française en Afrique est fondée sur un principe simple, dont beaucoup de pays feraient bien de s'inspirer. Nous avons tous, nous les riches du monde, en Afrique plus de devoirs que d'intérêts. Nous y avons des devoirs : faire en sorte que ce continent puisse participer comme les autres au mouvement de mondialisation et de développement de l'économie. Accéder comme les autres à ce formidable mouvement en cours, qui est un mouvement historique de développement des pays autrefois pauvres de cette planète. Je crois que le Président de la République à de nombreuses reprises a rappelé qu'elles étaient les responsabilités des pays riches dans ce domaine. Il l'a fait en de très nombreuses occasions, en Afrique, dans son discours de Brazzaville si je ne me trompe, au G7 de façon extrêmement ferme et a obtenu d'ailleurs un certain nombre d'engagements de ses partenaires, avec l'aide du Japon en particulier. Nous le faisons en pratique parce que nous sommes de très loin, avec le Japon, les deux pays qui consacrent le plus d'argent à l'aide au développement. Pour le reste en Afrique, notre politique est orientée autour de quelques idées très simples. Nos relations s'adressent, se tournent, vers l'ensemble des pays africains. J'ai été frappé qu'au Sommet de Ouagadougou il y a quelque mois, la quasi totalité des pays d'Afrique soient présents pour ce sommet franco-africain. Ensuite, dans cette politique, nous donnons la priorité au développement de ces pays. Enfin, nous aidons chacun de ces pays de façon forte dans des liens de coopération et d'amitié avec la France, qui sont des liens très anciens et qui sont, je crois, des liens extrêmement respectables et dignes.

Q - Des témoignages assez nombreux de zones non encore touchées par la guerre ou par la rébellion, des témoignages de gens qui ne sont pas des Africains ou des opposants à Mobutu montrent que dans ces villes, on attend volontiers la chute du régime pour en finir avec des années de non-administration de ce pays. D'ailleurs, l'effondrement rapide militaire du Zaïre tend à prouver que cette non-administration était bien une réalité existante. Y a t-il encore un véritable interlocuteur du côté des autorités ? Pour négocier, il faut un interlocuteur. Existe-t-il ? Et la France n'a-t-elle pas quelques leçons à tirer des années passées qui ont fait en sorte que ce pays arrive dans cet état de déliquescence ?

R - Qu'il y ait des difficultés au Zaïre, ce n'est pas une découverte ni un fait récent. C'est ancien et sans doute lié à l'Histoire, à la géographie physique et humaine du Zaïre. Je ne peux que souhaiter, comme vous, que le Zaïre surmonte ces difficultés et qu'il progresse y compris dans le domaine de l'administration que vous venez d'évoquer. Ceci dit, je le répète, la France n'a pas de responsabilité dans cette situation. Nous avons constaté avec plaisir d'ailleurs que dans le plan de paix qui a été proposé par M. Sahnoun et qui a été adopté par le Conseil de sécurité à l'unanimité, il y a très précisément l'organisation d'élections prévues précédemment mais confirmées comme une des bases d'une solution à la crise. C'est ainsi qu'il faut faire, je crois. Il faut que le cessez-le-feu intervienne, que des négociations s'organisent et que le processus électoral permette aux Zaïrois de choisir librement et démocratiquement leurs dirigeants.

Q - Vous avez dit au début de votre intervention que la France et les Etats-Unis travaillaient côte à côte sur cette affaire. Pourriez-vous nous donner des points précis pour illustrer cette affirmation car, de là où nous sommes, nous ne voyons que des désaccords, que ce soit la fameuse mission et prétendue négociation en Afrique du Sud organisée par les Etats-Unis et dont la France n'était pas au courant, la position sur Mobutu... Les officiels américains ne font pas de mystères qu'ils considèrent Mobutu comme un homme fini et un régime fini. Même sur le cessez-le-feu, les explications des Américains parient toutes sur une victoire de la rébellion. Cette affirmation de travail avec les Américains côte à côte, j'aimerai que vous l'illustriez par des exemples.

R - Je m'étonnais de ne pas avoir encore entendu la voix de M. Amalric.C'est fait. Pour les discussions de Pretoria, contrairement à ce que vous venez d'indiquer, la France a suivi ces négociations de Pretoria et bien entendu, elle aurait souhaité qu'elles aboutissent. Elles n'ont pas abouti pour diverses raisons mais nous les avons suivies et nous avons évidemment souhaité leur succès.

En second lieu, je constate que, avec les Etats-Unis, d'une part, nous avons soutenu en commun la résolution du Conseil de sécurité, laquelle prévoit les éléments que j'ai rappelé peut-être avec une insistance excessive au cours de mes précédentes interventions. Cette résolution fait appel, à la fois aux autorités du Zaïre, c'est-à-dire à M. Mobutu et à l'ensemble des parties prenantes au conflit. Nous sommes d'accord sur ce point comme sur les autres. Ensuite, nous avons coordonné nos efforts et nos actions non seulement entre Français et Américains, mais d'ailleurs entre l'ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité depuis un certain nombre de jours, pour faire connaître à l'ensemble des pays de la région l'importance que nous attachions à l'obtention d'un arrêt rapide des combats. Voilà, je trouve que ce sont un certain nombre de points qui démontrent qu'entre la France et les Etats-Unis, il n'y a pas de divergences d'appréciation aujourd'hui et il n'y a pas deux politiques mais des actions convergentes et menées en commun. La présence de M. Moose à Paris, après sa présence il y a trois semaines si je ne me trompe, après les échanges que nous avons eus avec lui lorsqu'il était à Bruxelles il y a une dizaine de jours, ce sont autant de témoignages de ce que nous avons avec les américains, un dialogue permanent et un point de vue partagé. Si vous m'aviez dit qu'il n'en avait pas été toujours ainsi, j'en aurai peut-être convenu, mais pour ce qui est du présent, je crois qu'il y a convergence des vues et des actions de la France et es Etats-Unis.

Q - Il y a quelques jours, durant son passage à Paris, M. Kofi Annan s'était déclaré favorable à la constitution d'une force pour venir en aide aux réfugiés, il s'était engagé. Auprès des autorités françaises à intervenir en ce sens auprès du Conseil de sécurité. Ce projet était bloqué au Conseil de sécurité. Par qui, sinon par les Etats-Unis ?

R - Comme vous le savez, c'est en effet un point sur lequel, jusqu'à présent, la France n'a pas réussi à convaincre ses partenaires. Nous sommes entrés dans une phase nouvelle, j'en ai pris acte. Je répète simplement que nous avons dit à tous les moments qui nous paraissaient utiles, il me semble d'une façon forte, que le sort des personnes méritait plus d'attention et plus d'engagement de la communauté internationale. Le jour viendra où les propos de la France apparaîtront, hélas, comme prémonitoire. Je le répète, dans l'action diplomatique pour la résolution de la crise du Zaïre, je persiste à vous confirmer qu'il y a entre la France et les Etats-Unis la même analyse et un travail en commun.

Q - Le maréchal Mobutu a-t-il demandé l'asile politique en France ?
R - La réponse est non ... la question était une provocation et j'y ai répondu
avec le sourire.

{^#200>^Albanie - Union européenne^}
Q - Y a t-il la même convergence franco-américaine sur l'aide à apporter à
l'Albanie ?

R - Je vais vous dire un mot d'abord sur l'Albanie et nous regarderons les différents aspects. C'est un petit pays de moins de 3 millions d'habitants, petit pays montagneux, dans le prolongement de la côte grecque et qui est en quelque sorte sorti de l'Histoire pendant 50 ans. Sous l'oppression d'un régime communiste extrêmement dur, qui avait pratiquement échappé d'ailleurs au contrôle de l'URSS de l'époque, qui avait de vagues relations avec la Chine, encore que la Chine faisait sans doute cela pour chatouiller le talon de son partenaire soviétique, et qui est ressorti de cette nuit communiste dans un état de drame et de désastre sans pareil. Depuis lors il est vrai, ce pays n'a pas réussi à trouver son équilibre. L'Union européenne l'a beaucoup aidé. Elle lui a donné un milliard et demi d'écus au cours des cinq dernières années. Ce qui n'est pas rien. Le fait est qu'il n'a sans doute pas été tiré parti de cette aide comme il eût été souhaitable. Aujourd'hui, ce pays connaît une situation d'effondrement général de ses institutions politiques, administratives économiques et sociales. J'ai dit à mes collègues à Apeldoorn que 350 millions d'Européens plutôt riches devaient considérer comme un devoir d'aider un peu moins de trois millions d'Européens dramatiquement pauvres à sortir de cette crise. Même si nous n'avions pas à rougir de ce que nous avions déjà fait. Et je constate qu'il y a eu un accord des Quinze, un accord clair, net et ferme des Quinze sur cette idée. Sur les modalités, il y a certaines discussions, je ne le cache pas mais les propositions françaises étaient les suivantes :

1 : Il faut venir au secours de ce pays pour soutenir la reconstitution de ses
institutions politiques.

2 : Il faut lui apporter l'aide humanitaire d'urgence dont il a besoin.
3 : Il faut mobiliser les ressources nécessaires pour permettre, avec le concours du Fonds monétaire et de la Banque mondiale, le redressement économique et financier de ce pays, puisque vous savez que c'est d'abord une crise financière qui était à l'origine de l'effondrement des structures du pays.
4 : Une force militaire de faible ampleur pourrait être nécessaire, le cas échéant avec pour objectif, d'une part d'aider l'armée et la police de ce pays à se reconstituer et d'autre part, sécuriser tel ou tel élément, notamment un espace de dialogue politique, c'est-à-dire le siège du Parlement et certains moyens de communication, surtout si l'Union européenne intervient, l'aéroport, et, certainement, l'installation de la mission européenne. Nous sommes tombés d'accord sur cette analyse, étant précisé que la proposition qu'avait faite l'administrateur général européen a également été retenue même si elle ne figure pas sur le cahier des charges. Notre collègue, M. Van Mierlo depuis lors, m'a confirmé le départ de la mission européenne d'évaluation, et il m'a confirmé que, dans les prochains jours, nous serions amenés à prendre les décisions au vu de cette mission.

Tout cela démontre que, dans un cas comme celui-là, l'Europe assume ses responsabilités. Entre les Français et les Américains, il n'y a pas de problème. Vous feriez mieux de poser carrément une question sur les relations entre la France et les Etats-Unis : je pourrai répondre globalement. C'est vrai qu'aux Etats-Unis, certaines voix en tout cas plaidaient pour le départ de M. Berisha. La France n'est pour rien dans l'accession au pouvoir du Président Berisha. Nous avions sur place un peu moins de 50 personnes, pas 2000, ceci étant, ma position consiste à dire qu'après tout, ce sont aux albanais de choisir les dirigeants de l'Albanie. Aujourd'hui, quelles sont les forces en présence : le Président de la République albanaise, un gouvernement d'union qui comprend toutes les forces politiques du pays, et puis il y a des représentants des comités qui se sont constitué dans les principales villes, notamment dans le Sud, que notre collègue Lamberto Dini a rencontrés et qui constituent bien entendu l'un des éléments qu'il faut prendre en compte. Des contacts que nous avons, il apparaît que ces forces essaient de travailler ensemble, que certains progrès ont d'ailleurs enregistrés au cours des derniers jours. Les choses semblent aller plutôt dans le bon sens. Il n'en demeure pas moins que l'intervention européenne doit être rapide et forte. Si aujourd'hui, il y a la situation de crise que nous connaissons, il n'y a pas de guerre civile. Il faut agir suffisamment vite et suffisamment fort pour que ne se dessine pas devant nous le scénario d'une guerre civile qui, elle, constituerait un vrai drame dont les conséquences régionales ne devraient pas, hélas, être sous-estimées.

{^#200>^RFY - Principes fondamentaux - OSCE - Bosnie-Herzégovine^} Je veux aussi parler de la Yougoslavie.
Il y a quelques mois, la situation en Yougoslavie aurait intéressé maintenant non. J'avais reçu il y a quelques semaines, les dirigeants de l'opposition. Je crois que cette invitation que je leur ai adressée a été un élément décisif qui a conduit les autorités serbes à reconnaître la victoire de l'opposition aux élections municipales qui étaient contestées dans 13 villes. J'ai donc reçu hier M. Milutinovic, le ministre des Affaires étrangères. Je lui ai fait des propositions. J'ai suggéré que pour sortir du conflit qui concerne l'ouverture du dialogue politique et la préparation des élections, il serait raisonnable que les autorités serbes fassent appel comme elles l'ont fait à l'occasion des élections municipales pour résoudre ces problèmes, de sorte que la mission de l'OSCE puisse être chargée de l'organisation du dialogue politique et de faire des recommandations aux autorités concernant l'ouverture des médias, l'organisation des élections, le financement des partis politiques et le calendrier électoral. J'ai en outre proposé que les autorités yougoslaves veuillent bien enfin, répondre à la demande de l'Union européenne d'ouvrir un bureau à Pristina, capitale du Kosovo, comme les autorités yougoslaves en ont donné la possibilité aux Etats-Unis. J'ai demandé le report de la ratification des accords passés entre la Serbie et la République fédérale de Yougoslavie, accord qui n'est pas dans son principe contraire aux accords de Paris. Mais, il revient, conformément à ces accords, au Haut Représentant de dire si, dans le contexte, ceci est conforme aux accords de paris.

Le fait que mon collègue M. Milutinovic ne m'a pas donné une réponse positive ; j'ai constaté néanmoins, devant la presse, il a exprimé l'intention de faire rapport de ces propositions à son gouvernement dans un esprit positif. Je vais donc saisir la présidence de l'OSCE, informer la présidence de l'Union européenne et nos partenaires parce que, de la réponse des Autorités de Belgrade aux propositions françaises dépendra notre comportement.

Q - A propos de la Bosnie-Herzégovine, on a appris récemment le report des élections municipales. Pourtant dernièrement, l'IFOR s'inquiétait de la question des réfugiés qui devient de plus en plus difficile. Il est clair que les réfugiés ne peuvent pas rentrer sur les lieux où ils ont été chassé. On n'est pas parvenu à un véritable fonctionnement des institutions politiques prévues par l'accord de Dayton. On a l'impression que à petit feu, on reste dans l'impasse...

R - Je ne sais pas si on peut dire cela. Il est vrai que l'application des Accords de Paris est délicat. Il va de soi que l'arrivée de l'IFOR s'était passée sans difficulté. D'une certaine façon, c'était une phase plus simple parce que c'était une phase dont la charge incombait en totalité à la communauté internationale. Jour après jour, s'organise un transfert de responsabilités sur les autorités. J'ai eu plusieurs occasions de le dire très clairement que nous passions désormais d'une logique d'assistance à une logique de responsabilités, que la communauté internationale ne serait pas toujours là pour résoudre leur problème et que le calendrier que nous avions fixé serait respecté...

Si vous compariez la situation d'aujourd'hui à ce qu'elle était il y a 18 mois, vous seriez frappé par l'immensité des progrès accomplis. Si vous les comparez à ce qu'elle devrait être en 1998, vous constatez en effet qu'il y a beaucoup de chemin à faire. C'est la raison pour laquelle nous avons posé dans le temps la stabilisation et adopté par la communauté internationale comme principe celui de la conditionnalité de l'aide. L'Europe aide mais elle n'aidera désormais qu'à condition que les responsables locaux assument pleinement leurs responsabilités. Bien que ce soit difficile dans la pratique, je le sais bien, néanmoins, nous continuerons d'assumer au jour le jour, nos responsabilités en dépit des difficultés et il faut bien le dire en dépit souvent de déceptions.

{^#200>^Zaïre - ONU - OUA^}
Q - Monsieur le Ministre, à propos de la crise au Zaïre, quelle est la position de la France aujourd'hui ? Voilà un régime qui est en plein déclin. M. Kabila semble avoir le vent en poupe. Quelle va être la position de la France ?

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 octobre 2001)