Interview de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, à RTL le 27 novembre 2002, sur la manifestation du secteur public le 26 novembre et sur le dialogue avec les organisations syndicales pour la réforme des retraites dans la fonction publique.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief-. Aujourd'hui les titres sur la journée d'action d'hier, je vais vous les citer, sont : "Mobilisation importante"..."Pari réussi"... "Avertissement au Gouvernement". Cela vous inquiète-t-il ?
- "Cela ne nous inquiète pas, mais confirme que les Françaises et les Français, les salariés de la fonction publique et du secteur privé, sont parfaitement conscients que si l'on ne réforme pas les retraites, elles sont aujourd'hui remises en cause."
Enfin, ce n'est pas exactement ce que disaient les gens d'hier. Ils disaient plutôt : on est inquiets. Il y avait des mots assez durs : "A. Juppé, on t'a fait reculer en 1995, J.-P. Raffarin, on fera pareil !", quelque chose comme ça...Ce n'est pas exactement ce que vous me dites ce matin.
- "Nous sommes totalement, nous, libérés, par rapport à 1995. Car le syndrome de 1995 est utilisé par celles et ceux qui ne veulent surtout pas que l'on touche à quelque chose. C'est-à-dire, c'est l'anti-réforme. Or, si on est tous, les uns et les autres, attachés au système de répartition, cela veut dire que, globalement, ceux qui travaillent payent pour ceux qui sont en retraite. Or, s'il y a moins de gens qui travaillent et s'il n'y a plus de retraités, il y a un problème mathématique. Les syndicalistes eux-mêmes le reconnaissent. Il y a des impasses de l'ordre de centaines de milliards d'euros dans les années prochaines. Donc, ou l'attitude politique consiste à récupérer les inquiétudes et les peurs des uns et des autres dans une stratégie bassement électoraliste et politicienne. Ou, au contraire..."
Vous pensez à qui là, parce que les socialistes n'ont pas eu un grande succès hier dans le cortège ?
- "Oui mais... Je crois que c'est la condamnation de ce que disait A. Duhamel, c'est-à-dire : arrêtons de vouloir tenter de plaire aux gens pour tenter de récupérer des voix. Le vrai problème de l'attitude politique aujourd'hui, c'est de considérer les Français comme responsables et de se conduire en responsables. Nous avons à sécuriser l'avenir de nos concitoyens et à améliorer le confort de leur quotidien. C'est cela la leçon du premier tour des présidentielles. Que s'est-il passé ? On a eu un sentiment extrêmement fort d'une désespérance et d'un sentiment d'orphelinat et d'abandon de la part de l'Etat. Or, aujourd'hui, nous avons à sécuriser l'avenir de nos concitoyens en leur disant : voilà les règles qui, demain, vont répartir la solidarité entre celles et ceux qui travaillent et celles et ceux qui sont en retraite. Et nous avons l'obligation, morale, et la responsabilité politique, d'apporter des solutions à un système qui, aujourd'hui, est fragilisé."
Ce sont de grandes déclarations et personne ne peut vous désapprouver quand on vous entend parler ainsi. Mais ce qui inquiète aujourd'hui les syndicats de la fonction publique, notamment, mais les autres aussi, c'est que, malgré ces grandes déclarations, sur le dialogue social, par exemple, ils ont le sentiment de ne pas du tout être consultés, de mesures qui sont prises, et peut-être même, de cette réforme des retraites qui serait déjà quelque part décidée avant même d'ouvrir les négociations.
- "Bien évidemment que non. Les chantiers du dialogue social, chez nous, pour ce qui concerne le ministère de la Fonction publique, sont très clairement marqués. J'ai reçu, la semaine dernière, l'ensemble des organisations syndicales pour, un, le vrai défi de la fonction publique : comment demain s'attirer les compétences dont on a besoin ? Dans une société de l'intelligence - il faudra de l'intelligence dans le secteur privé et de l'intelligence dans le secteur public -, au moment où le marché du travail va se raréfier. Deuxième élément : je reçois, la semaine prochaine, le 13 décembre, les organisations syndicales pour analyser les conséquences..."
Oui mais enfin, ce n'est pas admis sur les retraites, ni sur leur malaise face aux privatisations possibles, enfin ce n'est pas vraiment sur le discours d'hier !
- "Laissez-moi aller sur les quatre étapes, s'il vous plaît. Les conséquences sur la décentralisation : début janvier, je recevrai les organisations syndicales pour voir avec elles comment mettre en place des méthodes de négociations sur les salaires. Et je recevrai, à la demande du Premier ministre, qui a très clairement arrêté le calendrier, tant pour F. Fillon que pour moi-même, fin janvier début février, le constat sur la situation des régimes de retraite, la négociation avec les organisations syndicales, pour écouter leurs propositions. Et au mois de juin, nous déciderons. Donc, aujourd'hui, le calendrier est complètement marqué, avec un souci de respect du dialogue, d'écoute et d'échange avec les organisations syndicales."
Deux exemples pour contredire votre raisonnement, c'est cette prise de décision de supprimer "le congé de fin d'activité" donc, ce qui permettait aux fonctionnaires de partir en retraite avant 60 ans, et puis les phrases de F. Fillon, disant : il va falloir augmenter les cotisations, il va falloir se sacrifier. Pour les syndicats, cela veut que cette réforme des retraites est déjà bouclée quelque part ?
- "Non. "Le congé de fin d'activité", en réalité il y avait deux dispositifs : le congé de cessation progressive d'activité - qui permet à un fonctionnaire de travailler à mi-temps et de garder 80 % de son traitement. Ce dispositif est permanent, il ne bouge pas. Il y avait "un congé de fin d'activité" qui avait été institué en 1996, et qui était reconduit année après année par un amendement gouvernemental, la loi de Finances. Les organisations syndicales ont décidé, dans le secteur privé, de le supprimer, d'une façon progressive. Nous avons pris exactement la même attitude et la même décision dans le secteur public."
Est-ce que cela augure de votre philosophie générale, à savoir modifier le régime des retraites de la fonction public et l'aligner sur celui du privé précisément ? C'est-à-dire, augmenter la durée des cotisations du public de 37,5 ans à 40 ans ou peut-être plus, et aligner complètement les deux régimes ?
- "Vous mettez là la difficulté permanente de celles et ceux qui, au moment où nous disons "nous nous rencontrons pour discuter", à chaque fois, nous demandent quelles sont les solutions. Bien évidemment, si on se rencontre pour discuter..."
Quelles sont vos propositions peut-être, déjà ? Quelles sont vos idées ? Ne nous faites pas croire que vous y allez sans avoir un projet ou une idée. Ce serait presque grave !
- "Non. La méthode que nous utilisons est simple : dans un premier temps, quel est le diagnostic que nous souhaitons partager ? Quelle est la situation, la lecture que vous avez du système des retraites ? Pensez-vous que tout va bien ou au contraire, vous pensez que les choses ne vont pas bien du tout ? A partir de cela, quels sont les principes auxquels vous êtes attachés - c'est la sécurité du système de retraite, comment les sécuriser ?"
Mais est-ce que c'est aussi l'équité et l'alignement des régimes ?
- "C'est effectivement le fait que nous avons intérêt à réduire les inégalités entre les différents secteurs : pour ceux à cotisations égales, il faudra peut-être que l'on réfléchisse à une retraite égale, c'est un pacte de solidarité, à un moment où nous voyons bien dans ce pays que les clivages sont en train de se crisper les uns contre les autres. Et nous n'avons aucun intérêt à opposer le secteur public et le secteur privé, la génération jeune contre la génération plus âgée, les travailleurs contre ceux qui ne travaillent pas. Et on voit qu'aujourd'hui, en France, au lieu de se rassembler sur un vrai projet collectif, une ambition collective, comment faire une France plus puissante pour qu'elle soit plus solidaire, chacun est en train d'exprimer ses intérêts catégoriels au détriment des autres. Eh bien, l'Etat n'est pas une fiction qui permet à chacun de vivre au détriment des autres. Nous avons au contraire à nous rassembler pour sauver ce qui nous tient : la solidarité entre les générations."
J'entends donc quand même "alignement" ?
- "Pas du tout. L'alignement, bien évidemment, nous devons le rechercher, mais à quel niveau, à quelle condition, à quel niveau de pension, à quel niveau de cotisation..."
Il y a aussi une inquiétude qui a été exprimée à l'UDF : est-ce que vous allez traiter les régimes spéciaux - la SNCF, La Poste etc. - après, ou alors allez-vous tout régler en même temps ?
- "Il y a des régimes qui concernent les entreprises, et ceux-ci seront traités dans les entreprises. Et il y a le système du secteur public et du secteur privé qui seront traités globalement, par F. Fillon et par moi-même ; et le Premier ministre prendra sa décision à l'issue de ces négociations, en juin."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 novembre 2002)