Interview de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière à "France 2" le 4 novembre 2002 sur l'immigration et la régularisation des sans-papiers, sur le déficit de la sécurité sociale, sur le projet de loi sur la sécurité, et sur l'affaire Elf.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral


R. Sicard.- On va évidemment parler de la semaine sociale qui s'annonce difficile. Mais je voudrais d'abord revenir sur le dossier des sans-papiers. Ce week-end une nouvelle église a été occupée à Paris - église d'ailleurs rapidement évacuée - et ce matin, dans Le Figaro, des maires de grandes villes de France, de droite comme de gauche d'ailleurs, tirent la sonnette d'alarme en disant que si on continue à accueillir massivement les immigrés, on n'arrivera pas à intégrer ceux qui sont déjà là. Est-ce que vous, vous êtes sensible à ce type de discours ?
- "Je crois que c'est tout le contraire, je crois qu'il faudrait régulariser les sans-papiers si le mot intégration a un sens. "Il y a des centaines de milliers de ceux qu'on appelle "les clandestins", mais qui, en réalité, travaillent dans ce pays, y compris dans le bâtiment, y compris dans des tas d'entreprises sous-traitantes ou autres, et je crois que ces gens-là ne veulent plus, justement, vivre dans la clandestinité. Parler d'intégration sans le volet régularisation des sans-papiers, ça n'a pas de sens. En plus, effectivement, il y a eu une expulsion musclée. Je ne sais pas si cela nous réserve un durcissement du Gouvernement, peut-être préparer des charters pour les immigrés, et"
Il n'en est pas question pour l'instant, personne n'a parlé de ça
- "Il n'en est peut-être pas question, mais on a l'impression que le Gouvernement a fait un geste assez dur en faisant expulser cette église du 19ème arrondissement."
Mais quand même, l'argument de ces maires qui se sont prononcés ce matin dans Le Figaro, paraît un argument de bon sens. Ils disent, "on a déjà beaucoup de personnes dont il faut s'occuper, on fait des gros efforts pour tenter de les intégrer, et si l'afflux continue sans arrêt, eh bien on n'y arrivera pas ".
- "Les efforts, pour l'instant, on ne les a pas vus beaucoup. D'autre part, vous savez, en réalité, chaque gouvernement - et c'est vrai à l'échelle de tous les pays de l'Union européenne - régularise quand ça arrange le patronat. En ce moment, il y a une grande entreprise de régularisation par exemple en Italie où plusieurs centaines de milliers [de personnes] vont être régularisés parce que le patronat le veut et a besoin de cette main d'uvre. Donc, finalement, on traite ces travailleurs par le mépris : un jour on décide de les régulariser parce qu'on en a besoin, le lendemain on veut les jeter. Ce sont des gens qui sont là, dans cette Europe qu'on ne peut pas transformer en forteresse tant qu'il y aura la misère qu'on connaît, les dictatures, tous les drames qu'il y a à l'échelle du monde, il y aura toujours une immigration. Le bon sens - et plus simplement, c'est une question d'humanité -, c'est il faut permettre à ces gens-là de vivre dignement et ne pas être exploités par des patrons qui profiteraient de cette situation ou des marchands de sommeil qui les traitent comme on sait."
Ceux qui s'opposent à la régularisation globale disent que si on régularise tout le monde, le lendemain matin on aura d'autres immigrés qui vont vouloir profiter de cette situation. Qu'est-ce que vous répondez à cela ?
- "Je crois que c'est une blague. Tout le monde constate qu'au niveau européen, je le répète, - j'interviens beaucoup sur ce sujet en ce moment au Parlement européen -, qu'il y a régulièrement des vagues d'immigrés, exactement comme d'ailleurs aux Etats-Unis, où le pays s'est construit comme ça. Et ça, je crois qu'on ne l'empêchera pas ou alors il faut changer la société - et moi, c'est ce que je veux - de façon à ce que, dans le monde entier, les gens puissent vivre bien, travailler, ne pas mourir de faim, pouvoir se soigner. Mais tant qu'on sera dans cette société d'injustices, de misère, de guerres, eh bien il y aura toujours ce problème. Moi, je suis du côté de la dignité de tous ceux qui en ont assez d'être des clandestins, qui veulent être régularisés et pouvoir vivre normalement."
Autre dossier sensible du moment, la Sécurité sociale. Le déficit pour cette année et pour l'année prochaine s'annonce considérable. Du coup, certains commencent à évoquer l'idée qu'on pourrait réserver la Sécurité sociale aux maladies graves. Qu'est-ce que vous pensez de cette solution ?
- "Les déclarations de M. Barrot consistent finalement à un appel d'air vers les compagnies d'assurance, en disant, " tous ceux qui peuvent, ils ont qu'à prendre des assurances privées de façon à se faire rembourser... ""
M. Barrot dit qu'il n'a pas dit exactement ça...
- "Je ne sais pas ce qu'il a dit exactement, mais tout va dans ce sens là et ce que rapportent les dépêches d'agences, en tout cas, ce sont ces propos-là. Donc, bien sûr que je suis contre ça. D'ailleurs, les organisations syndicales protestent toutes aujourd'hui contre cela. Les travailleurs cotisent à la Sécurité sociale, il est normal qu'ils puissent se soigner. Je voudrais protester contre le fait, d'ailleurs, qu'on est en train de dérembourser beaucoup de médicaments qui sont souvent utiles, justement, aux travailleurs, à tous ceux qui sont stressés, fatigués. On dit que ce sont des médicaments de confort, donc pas besoin de les rembourser... Non ! La Sécurité sociale doit servir à ce que les travailleurs puissent se soigner."
Cela dit, on ne peut quand même pas laisser filer indéfiniment le trou de la Sécurité sociale, parce qu'au bout du compte, c'est bien les salariés qui vont payer.
- "Si on donnait moins de dérogations au patronat pour payer ses cotisations sociales, s'il y avait moins de baisses des cotisations sociales régulières, quel que soit le gouvernement - des cotisations sociales patronales -, la Sécurité sociale s'en sortirait bien."
Parlons maintenant de la sécurité tout court : demain, au Sénat, le projet de loi de N. Sarkozy va être discuté. C'est un projet qui vous a choqué, pourtant les sondages montrent que les Français sont très favorables à ce projet.
- "Oui, mais c'est un projet démagogique qui, finalement, consiste à cibler les pauvres. Quand d'un côté on dit qu'on va supprimer des milliers d'emplois de surveillants dans les lycées, qu'on va supprimer les emplois-jeunes et qu'on désigne les jeunes qui discutent aux pieds des immeubles, je pense qu'on ne règle absolument pas le problème de l'insécurité. Et puis, il y a toutes sortes d'insécurité ; c'est vrai que la sécurité de l'emploi n'est pas vécue par tout le monde de la même façon et peut-être que l'ensemble de la population ne ressent pas cette insécurité. Mais pour les dizaines de milliers de travailleurs qui, aujourd'hui, dans les grands groupes de ce pays, sont menacés par les plans de licenciements, c'est une insécurité qui est très grave. C'est vrai que cela nécessiterait une lutte de l'ensemble des salariés contre ces plans de licenciements."
Je voudrais qu'on parle aussi du procès de R. Dumas, dans l'affaire Elf, qui commence aujourd'hui. C'est une affaire qui avait profondément dégoûté les Français de la politique. Est-ce que vous pensez qu'on peut aujourd'hui réconcilier les Français et la politique ?
- "Je n'ai jamais eu de sympathie politique pour M. Dumas, aussi bien quand il était ministre de Mitterrand que président du Conseil constitutionnel. Donc, tous ces gens qui semblent vivre plus ou moins avec des petits cadeaux etc., cela me révolte. Mais ce qui me révolte encore plus, c'est finalement la non transparence de ces grands trusts comme Elf, parce que cela fait des années que les juges enquêtent et finalement, on ne sait toujours pas exactement à qui ont été données les subventions. On sait qu'il y en a, on sait que des chefs d'Etat sont arrosés par ces grands trusts, que sont arrosés des intermédiaires. Pendant ce temps-là, le groupe TotalFinaElf n'a toujours pas donné aux sinistrés de Toulouse, aux blessés de Toulouse, aux familles des victimes d'AZF à Toulouse, les indemnités auxquelles ils auraient droit. Alors oui, j'ai un immense écurement, une immense colère. A la limite, c'est presque subsidiaire la colère que j'ai vis à vis de gens comme R. Dumas et les autres protagonistes, mais j'ai une profonde colère pour un trust comme TotalFinaElf aujourd'hui."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 novembre 2002)