Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la coopération franco-canadienne, la francophonie et notamment l'utilisation du français sur les "inforoutes" (autoroutes de l'information), Paris le 22 janvier 1997.

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Circonstance : Dîner offert en l'honneur du premier ministre canadien, M. Jean Chrétien, Paris le 22 janvier 1997

Texte intégral


Mon épouse et moi-même n'avons pas oublié la manière extraordinairement simple, et en même tant chaleureuse et émouvante avec laquelle vous nous avez accueilli à Ottawa, il y a un peu plus de six mois maintenant.
C'est la raison pour laquelle, au début de ce dîner, d'abord amical, nous venons de prendre tous les deux, mon cher collègue, une première décision, c'est-à-dire de ne pas lire nos discours. Entre un Premier ministre canadien et un Premier ministre français, après tout, peut-être vaut-il mieux laisser parler le coeur, les sentiments et l'improvisation, que de donner à nos éminents collaborateurs la satisfaction de lire les papiers qu'ils nous ont préparés. Oui, je vois qu'ils sont déjà tout à fait contrariés par cette déclaration.

Je voulais vous dire, Monsieur le Premier ministre, combien je suis heureux de vous accueillir ici. Nous venons, cet après-midi, de parler durant un peu plus d'une heure, nous venons également de signer, devant les journalistes canadiens et français, une déclaration pour un partenariat entre le Canada et la France, c'est tout dire. Ce partenariat renforcé puise bien sûr, sa force et ses racines dans notre Histoire. Elle est présente ici à tous les esprits et à tous les coeurs, je ne la retracerai pas, sinon pour rappeler qu'elle est ancienne, qu'elle est aussi récente et que bientôt, nous commémorerons, ensemble je l'espère, le sacrifice de tant de Canadiens qui, lors de la Première guerre mondiale, sont venus nous aider à recouvrer notre liberté. Sachez que nous ne l'avons pas oublier. La Première guerre et la Deuxième bien sûr, comme nous l'avons commémoré il y a deux ans maintenant.

Cette Histoire fait qu'aujourd'hui nous avons en partage un bien extrêmement précieux : la langue. Certes, le Canada est un pays bilingue, et parmi ses deux langues, il y a celle que nous partageons et qui crée, entre nous, des liens d'une solidité et d'une affectivité rare. Vous y tenez, nous y tenons et cela nous permet d'agir ensemble, souvent et efficacement. Nous sommes d'abord les moteurs de cette communauté des pays qui ont le français en partage, belle expression que nous avons un peu substituée au mot un peu technocratique de "Francophonie". Cette communauté des pays qui a le français en partage, nous essayons d'en faire, vous et nous, quelque chose d'un peu moins technique que cela a été par le passé. Nous voudrions que cela devienne une vraie communauté politique. Lorsque l'on parle la même langue, d'une certaine manière, on a aussi un peu la même vision du monde, on partage aussi les mêmes valeurs. Cette dimension nouvelle que nous essayons de donner à la communauté francophone, nous l'avons récemment évoquée ensemble à Marrakech. Bientôt, cela se concrétisera à Hanoï par la désignation d'un secrétaire général de la communauté des pays ayant le Français en partage, qui permettra de donner cette dimension politique à notre action.

Cette coopération, cette compréhension mutuelle qui existe entre nous, se manifeste aussi dans bien d'autres dossiers internationaux. Nous avons été au coude à coude dans les années toutes récentes, en Yougoslavie par exemple, en Haïti aussi, puis, il y a peu de semaines au Kivu, au Zaïre à la frontière du Rwanda. Car, chaque fois qu'il s'agit de défendre les Droits de l'Homme, chaque fois qu'il s'agit de défendre la liberté et la démocratie, le Canada et la France se retrouvent spontanément. Nous tenons à cette coopération. Nous pensons qu'elle peut être porteuse de grandes choses sur la scène internationale, et de cela aussi, nous avons parlé.

Il y a aussi, bien sûr, la coopération économique, parce que dans le monde où nous vivons, les échanges, cela compte. Nous avons déjà dans ce domaine des positions respectives importantes. Nous avons décidé tout à l'heure, par cette déclaration de partenariat renforcée, de doubler d'ici l'an 2000 les échanges commerciaux entre la France et le Canada et, également, l'ensemble de nos échanges économiques. Cela demandera de la volonté et de l'énergie, mais nous en avons, et bien des projets sont actuellement "sur les rails" si je peux me permettre cette légère allusion à un certain nombre d'ambitions que nous avons en commun.

Voilà la signification et toute la portée de cette rencontre que nous avons aujourd'hui et qui va se poursuivre demain encore.

Je parlais, en commençant, de ce bien que nous avons en commun, à savoir la langue française. Aujourd'hui, il nous faut ensemble défendre sa présence sur les moyens nouveaux de communication qui se développent dans le monde. J'attache, vous le savez Monsieur le Premier ministre, une importance toute particulière à ce que, sur les infos-routes comme l'on dit, on parle aussi le français. De ce point de vue, vous pouvez nous être précieux puisque, étant aux avant-postes de la Francophonie en milieu anglophone, vous avez été tout naturellement conduits à faire que, tous vos enfants qui utilisent Internet dans vos écoles puissent avoir accès, à la fois à des messages en français et à des messages en anglais. Je crois que ceci est particulièrement précieux pour la cause que nous défendons ensemble.

Voilà les quelques mots venus du coeur et aussi de l'esprit - puisque nous avons travaillé - que je voulais vous adresser, Monsieur le Premier ministre et aussi à Madame Chrétien. Je veux vous redire combien nous sommes heureux de vous avoir ici à Paris, combien cette visite est un peu singulière entre chefs de gouvernements, parce qu'entre le Canada et la France, la dimension affective et amicale prime sur toute autre considération.

C'est la raison pour laquelle je lève mon verre mentalement - car il est un peu loin de ma main, je vais le rejoindre -, au Canada, à l'amitié entre nos deux pays, à votre santé, à votre prospérité personnelle et à la force des liens qui nous unissent. Je me permettrais de conclure en disant aussi, pour ce bien que nous avons en partage : "à la langue française !"

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 août 2002)