Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la mission des élus locaux pour relancer la prévention contre le SIDA, Paris le 1er décembre 1999.

Prononcé le 1er décembre 1999

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Circonstance : Ouverture des 4èmes Etats généraux des élus locaux contre le SIDA, à Paris le 1er décembre 1999

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Jean-Luc ROMERO,
Madame la députée,
Monsieur le Docteur,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Puisque j'ai l'honneur d'ouvrir aujourd'hui vos quatrièmes Etats Généraux, je voudrais, en premier lieu, rappeler quelques chiffres, qui sont pour vous, hélas, autant d'évidences. Il est pourtant essentiel de les rappeler sans relâche, en chaque occasion, tant le décalage est grand entre l'effroyable défi du sida et la prise de conscience des femmes et des hommes, où qu'ils résident, y compris dans les pays développés.
Ces chiffres démontrent que tout ou presque reste à faire, qu'il s'agisse, bien sûr, du traitement, qui n'existe pas encore, ou de la prévention, placée au coeur des missions nouvelles des élus locaux.
- En 1999, sans doute 2,9 millions de personnes seront, au total, mortes du sida dans le monde, dont plus de 80% en Afrique.
- 5,6 millions de personnes nouvelles auront été infectées, dont 2,3 millions de femmes et 570.000 enfants de moins de 15 ans.
- Il y aujourd'hui 33,6 millions de personnes séropositives à travers le monde. Parmi elles, 520.000 résident en Europe occidentale.
Le sida est donc toujours tragiquement d'actualité. Et je suis affligé, profondément peiné, lorsque je constate que ces quatrièmes Etats Généraux sont -si mes renseignements sont exacts- la seule, ou l'une des seules manifestations d'envergure organisées aujourd'hui. Si le sida est toujours d'actualité, il n'est plus médiatique. On semble s'être en quelque sorte résignés à vivre avec ! Je crains en effet que les Français, notamment, aient baissé la garde.
L'agence nationale de recherche sur le sida constate dans son dernier rapport que seuls 21% de nos concitoyens ont peur de la maladie, contre 32% il y a 5 ans, alors que 73% d'entre-eux ne se sentent plus guère, ou plus du tout concernés (63% il y a 5 ans).
Nous connaissons donc en France un terrible paradoxe : alors que l'épidémie n'a, en rien, reculé, et que la transmission du virus progresse plus rapidement depuis 1995, les populations que l'on a dit, à une époque, un peu facilement, " à risques ", à commencer par les toxicomanes, contractent moins qu'avant le virus (8% des cas, contre 18% en 1994). N'oublions pas que 50% des nouveaux cas, contre 32% il y a 5 ans, concernent des personnes qui vivent une relation hétérosexuelle. En la matière, je le dis solennellement, je condamne tous ceux qui, sur un sujet aussi douloureux, véhiculent ou seraient tentés de véhiculer, préjugés ou caricatures.
Le rôle des élus locaux, qui ont notamment contribué à la sensibilisation des toxicomanes, et ont accru, en relation avec les médecins et les pharmaciens, les moyens de prévention auxquels ils peuvent avoir recours, ce rôle doit donc se développer et s'amplifier, en évoluant, et en touchant un public beaucoup plus large.
Un public qui croit, contre ce qui est aujourd'hui, hélas, encore une évidence, que le sida ne tue plus... alors qu'on en meurt seulement moins vite, et peut-être un peu moins souvent.
Quel paradoxe ! Alors qu'on sait utiliser, depuis 1995, les trithérapies et autres multithérapies, qui soulagent considérablement les malades, sans les soigner, contrôlent le virus, sans l'éliminer, l'utilisation des préservatifs est en chute libre, les dons au profit de la recherche fondent comme neige au soleil, la vigilance régresse.
Ici, cet après-midi, je lance donc aux politiques, aux élus locaux et aux journalistes un appel pressant à une nouvelle mobilisation contre le sida. Les uns et les autres, nous sommes tous des responsables, et nous sommes tous, à un titre ou un autre, responsables. Chacun avec nos moyens, nous devons " réactiver " la vigilance de nos concitoyens.
Sans vouloir anticiper sur vos travaux, je veux vous dire ma crainte que la relative indifférence dans laquelle cette pandémie est en train de tomber soit également très préjudiciable pour les malades et les porteurs du virus, plus menacés que d'autres par des situations de précarité, et, partant, d'exclusion. Et cela malgré les efforts remarquables de nombre d'associations. Nous manquons encore aujourd'hui de structures d'accueil, d'appartements médicalisés, de lits spécialisés dans les hôpitaux...
Mesdames et Messieurs, je ne puis, cet après-midi, aborder le dossier du sida sans évoquer la situation catastrophique du continent africain. Les chiffres, dans leur brutalité, sont connus. Ils ont été, pour une fois, largement diffusés à l'occasion de la récente conférence internationale de Lusaka, en Zambie.
Il ne s'agit pas de les ressasser, mais plutôt de rappeler, inlassablement, une réalité simple : alors que les Etats-Unis consacrent 880 millions de dollars pour prendre en charge les 40.000 nouveaux cas qu'ils connaissent chaque année, l'ensemble du continent africain ne dispose que de 160 millions de dollars (5 fois moins) pour soigner 4 millions de nouveaux cas (100 fois plus). Je rappelle que les traitements modernes coûtent environ 12.000 dollars par an et par malade. La disproportion des moyens financiers est donc de l'ordre de 1 à 500.
Le sida, véritable désastre humain en Afrique, et peut-être demain en Asie, où le virus progresse, est aussi un désastre économique et financier. A l'évidence, chaque Etat doit prendre ses responsabilités. A cet égard, la France n'a pas à rougir. Elle a relevé ce défi. Je pense tout particulièrement à l'action remarquable des organisations caritatives telles que la Croix-Rouge et ses partenaires, ainsi qu'au fonds thérapeutique dont la création a été suscitée par le Président de la République, et qui tarde à être mis en place.
Mesdames et Messieurs, au-moment de conclure, je voudrais remercier les organisateurs d'avoir choisi le Sénat pour organiser les 4ème Etats Généraux des élus locaux contre le sida, et vous remercier tous de votre présence.
Mesdames et Messieurs, je vous souhaite de travailler efficacement, cet après-midi. Je vous remercie.
(Source http://www.senat.fr, le 3 décembre 1999)