Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire PS à l'Assemblée nationale, à LCI le 29 octobre 2002, sur les projets du gouvernement concernant les retraites, la sécurité sociale, le budget et la Corse.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.- Vous avez vu et écouté le Premier ministre sur LCI hier soir. Je voudrais qu'on commente un certain nombre de ses annonces, notamment la décision de s'attaquer aux retraites au début de l'année prochaine. Pour l'instant, J.-P. Raffarin réfute l'idée d'introduire les fonds de pension, même si cela reste une idée pertinente, d'après lui. Il pense y venir sous certaines conditions. Vous lutterez bec et ongles contre cela ou vous pensez que c'est inéluctable d'arriver à des compléments ?
- "D'abord, plus globalement, je trouve que le Premier ministre confirme son engagement à faire d'abord de la communication. On a eu un Premier ministre verbeux mais qui manifestement a peur de prendre un certain nombre de décisions, parce qu'il ne sait pas où il va."
Vous l'attendiez sur quoi précisément ?
- "Sur les retraites, c'est clair qu'il avance à reculons. Pendant cinq ans, j'ai entendu l'opposition, devenue aujourd'hui la majorité, ne parler que des fonds de pension : la solution au problème des retraites, ce sont les fonds de pension. Aujourd'hui, c'est clair que les fonds de pension, il n'y a pas besoin d'être expert pour voir que ce serait la catastrophe. Il y a des dizaines de milliers de retraités américains qui sont ruinés aujourd'hui. Nous avons toujours dit qu'on ne pouvait pas parier pour garantir les retraites sur la Bourse. Or la réalité revient au galop. Je comprends que monsieur Raffarin ait peur. Mais pour le reste, il ne nous dit pas ce qu'il va faire. Je pose une question très concrète : est-ce que le droit à partir en retraite à 60 ans sera garanti ? Est-ce que le niveau des retraites et des pensions sera garanti ?"
Est-ce qu'il peut l'être ?
- "Nous disons que oui. Après, on prend un certain nombre de mesures pour y parvenir."
Même si elles doivent être douloureuses ?
- "J'ai l'impression que c'est plutôt le contraire que le Gouvernement veut faire, c'est-à-dire de se soumettre à une sorte de glissement qui se traduira inévitablement par une baisse des niveaux de retraites pour ceux qui partiront en retraite, et je ne sais quand. Et puis, il y a autre chose qu'il a dit hier soir - il a pointé le bout du nez quand même, pour une fois : il a parlé de la Sécurité sociale. Il a dit que maintenant, il fallait compter sur la complémentaire, les assurances complémentaires. Je pense que nous sommes en train d'assister à la privatisation de la Sécurité sociale. La Sécurité sociale n'est plus financée. Et donc que reste-t-il comme solution pour les Français, c'est-à-dire en creusant les inégalités ? Faire appel aux assurances privées. Je trouve que c'est profondément choquant, il faut qu'on dise aux Français qu'il y a un vrai danger pour l'avenir de la Sécurité sociale."
Pour vous, elle n'est pas financée mais si on...
- "Tout ce que propose monsieur Mattei, c'est une sorte de laisser-aller, de fuite en avant. La Sécurité sociale n'est pas financée."
Cela ne date pas de monsieur Mattei. Lui aussi met en cause la gestion des dix dernières années.
- "Nous avons trouvé en 1997 une Sécurité sociale en déficit, nous avons rétabli l'équilibre des comptes de la Sécurité sociale. Et aujourd'hui, on repart. D'un côté, on augmente les médecins sans contrepartie ; de l'autre côté, on voit bien que les déficits vont encore se creuser. Là, on sait ce qu'en pense monsieur Mattei, parce que pendant cinq ans, dans l'opposition, il nous l'a dit clairement : il est pour un système mixte, c'est-à-dire une Sécurité sociale d'un côté, et de l'autre côté, les assurances privées. C'est ce qu'il est en train de faire. Il veut en faire la démonstration. Je crie "casse-cou" et je crie "danger pour la solidarité entre les Français"."
Il y a bien des mutuelles complémentaires.
- "Pour les mutuelles, il faut cotiser. Il y a des gens qui ont du mal à cotiser. C'est pour cela qu'on a mis en place la Couverture maladie universelle pour permettre à tous d'accéder aux soins. Mais j'ai l'impression quand même, que derrière se profilent les assurances privées. On sait très bien ce qu'en pense le Medef ; cela fait des années et des années qu'il prône cette solution. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, il a des relais au Gouvernement."
Vous n'avez pas l'impression que le Premier ministre avance prudemment, parce que finalement, il refuse l'amendement sur l'ISF que voulait présenter la droite ?
- "Si pour l'ISF, il fait comme pour les salaires des ministres en disant qu'il n'est pas demandeur, mais si à la fin, c'est voté, est-ce que le Gouvernement demandera une deuxième délibération de l'Assemblée nationale ? Je n'en suis pas si sûr. Je crois qu'il y a une forme de duplicité dans la façon d'avancer, une espèce de prudence pateline ; on ne dit pas tout à fait ce qu'on fait et pourtant, il y a une réalité. La réalité, c'est qu'on vient de voter à l'Assemblée nationale, en première lecture, la loi de Finances pour 2003. Les chiffres sont faux : ce budget est basé sur des hypothèses de croissance de 2,5 % qui ne vont pas devenir la réalité. Cela veut dire que quelques mois après le vote du budget, le Gouvernement va engager un plan de rigueur et un plan d'austérité. Ce sont les Français qui vont payer cela très cher. Et dès les prochaines semaines, vous allez voir les plans sociaux monter avec des licenciements à la clé et c'est à ce moment-là que le Gouvernement décide de détruire des pans entiers de ce que nous avons fait pour freiner les licenciements avec la loi de modernisation sociale. Derrière la communication de monsieur Raffarin, il faut bien se rendre compte - et je suis très surpris qu'on soit tous là, presque admiratifs devant son talent de communicant -, il y a une vraie réalité, c'est le démantèlement de toute une série de dispositifs sociaux qui vont se traduire demain par de graves difficultés pour les Français. Ce sont les 35 heures, les emplois-jeunes, la loi de modernisation sociale, alors que c'est en ce moment qu'il faudrait faire des efforts de solidarité."
On est en train de faire un peu marche arrière sur la loi de modernisation sociale.
- "On ne sait pas très bien ce que veut le Gouvernement. Ce que je sais, et c'est grave, c'est l'augmentation des chiffres du chômage, c'est l'annonce de centaines de plans sociaux.."
Ce n'est pas le Gouvernement qui les décide.
- "Nous avions mis en place un dispositif législatif qui protégeait les salariés, qui visait à freiner l'appel aux plans sociaux. Le Gouvernement fait exactement le contraire."
Quand le Premier ministre dit qu'il faut arriver à la fin des déficits en 2007, c'est évidemment la rigueur annoncée ?
- "La rigueur annoncée, oui. Le ministre du Budget a dit lui-même qu'après le vote du budget, il allait y avoir des annulations de crédits. Cela veut dire un plan de rigueur, cela veut dire un plan d'austérité. On y arrive et il y aura beaucoup de victimes au passage, c'est-à-dire les Français les plus modestes."
J.-P. Raffarin dit qu'il est fier de son gouvernement, notamment, apparemment, de son ministre de l'Intérieur, puisqu'il admire son énergie - vous en avez un peu pâti l'autre jour à l'Assemblée nationale. Je voudrais vous poser une question sur la Corse : N. Sarkozy a envisagé l'éventualité d'un référendum dans le cadre de la décentralisation. Est-ce que finalement cela ne vous paraît pas une bonne chose ?
- "Pourquoi pas, mais là n'est pas l'essentiel. Ce que je constate, c'est que la droite, qui est aujourd'hui au pouvoir, le président de la République lui-même, n'ont eu de cesse d'attaquer le plan Jospin pour la Corse. Pour l'essentiel, le plan Jospin, les accords de Matignon, c'est ce que le gouvernement Raffarin est en train de faire. Je ne comprends pas très bien que pendant des mois, on ait entendu une campagne aussi virulente contre le projet de L. Jospin, comme par exemple le rapprochement des prisonniers du lieu où vivent leur famille. Cela a été un véritable scandale ! On a même eu droit à des campagnes de presse, la majorité des journaux était contre le plan Jospin ; aujourd'hui, c'est le silence qui règne. J'aimerais quand même poser une question : est-ce que ceux qui, hier, étaient contre le plan Jospin sont d'accord avec la "corsisation" des emplois, c'est-à-dire des emplois réservés dans l'administration aux seuls Corses ? Est-ce que cela n'est pas une atteinte au principe républicain ? Cela est passé à la trappe, on ne s'en est pas rendu compte, c'est passé très vite, c'est quand même cela qu'a annoncé N. Sarkozy dans son voyage en Corse la semaine dernière."
Trois anciens Premiers ministres - P. Mauroy, M. Rocard et L. Fabius - ont signé ensemble une tribune dans Le Monde hier, où ils appellent à un manifeste commun de tous les socialistes pour 2004. Vous l'auriez signée cette tribune ?
- "Oui, parce que c'est une très bonne initiative. D'abord, ce sont trois grandes personnalités qui ont gouverné et qui sont crédibles sur la scène internationale."
On ne les a jamais vus signer ensemble...
- "Non, mais ce qui est important, c'est qu'ils lancent un appel aux socialistes européens. Ne laissons pas se bâtir avec l'élargissement une simple Europe du libre-échange. L'Europe n'a de chances de réussir et d'intéresser les peuples que si elle est une vraie Europe politique, c'est-à-dire aussi une Europe qui porte un projet social et qui existe sur la scène internationale, dans la diplomatie, dans la défense, et qui peut peser pour régler un certain nombre de questions. Regardez par exemple aujourd'hui la question de l'Irak, regardez la question du Moyen-Orient. Il y a des choses à dire, il y a des choses à faire, il faut que l'Europe devienne une véritable puissance. Je crois que ces trois anciens Premiers ministres ont eu raison de le dire et de le dire en lançant un appel à tous les socialistes européens."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 octobre 2002)