Interview de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, à RTL le 5 novembre 2002, sur le projet de loi de Nicolas Sarkozy sanctionnant la prostitution.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief.- Les prostituées défileront cet après-midi, à Paris, entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Elles considèrent que dans le projet de loi Sarkozy, on les identifie à des criminelles et on les renvoie en prison.
- " D'abord, qui peut croire un instant que des milliers de jeunes femmes et d'hommes aussi, que nous croisons sur les trottoirs de Paris et de province aient fait le choix de la liberté ? Je crois qu'aujourd'hui, ces personnes prostituées sont victimes par définition de réseaux. Souvent d'ailleurs de réseaux internationaux, de réseaux criminels, et c'est naturellement à ces réseaux que s'adresse ce texte"
C'est évidemment dans ce texte que N. Sarkozy propose qu'on sanctionne non seulement le racolage actif, ce qui était déjà le cas, mais aussi le racolage passif. Alors, évidemment, les prostituées se disent "on interdit la prostitution purement et simplement ", c'est ça ?
- "Je comprends qu'elles se disent cela, mais ce n'est pas elles qui sont visées d'abord. Ce sont encore une fois, les réseaux qui exploitent toutes ces filles, tous ces garçons qui, encore une fois, sont asservis à un système prostitutionnel qu'ils n'ont pas choisi - souvent, d'ailleurs, ce sont des jeunes femmes ou des jeunes gens qui viennent de l'extérieur. Le dispositif qui est prévu est très cohérent : il y a d'abord ce signal très fort, avec un système dissuasif, des amendes effectivement"
7 500 euros.
- "C'est le montant de la peine maximum. Mais de toute façon, il est dissuasif. Le but c'est véritablement de dire à l'ensemble de ces réseaux : "le marché français, c'est terminé ! Vous ne pourrez plus exploiter sur le territoire national ces personnes", qui encore une fois, sont en général très vulnérables, très faibles et qui ont été amenées souvent de force. Je vous engage à regarder d'ailleurs certains témoignages, c'est une souffrance, c'est une violence qui n'est pas d'ailleurs acceptable dans une démocratie moderne. Et aujourd'hui beaucoup de pays européens, beaucoup de voix s'élèvent contre ce qu'il est convenu d'appeler "la traite des êtres humains", et c'est bien dans ce cadre que se situe cette loi. "
Oui, mais il y a une ambiguïté parce que dans cette loi on sanctionne d'abord les prostituées apparemment, on ne parle pas de la traite des êtres humains et des réseaux. C'est ce que reproche un certain nombre d'adversaires de ce projet. Ils disent "mais attendez, il faut s'attaquer aux réseaux pas aux personnes !"
- "On s'attaque au réseau en touchant le marché lui-même. Car je ne vois pas comment, autrement, nous pourrions interdire à ces réseaux l'accès du territoire français en leur permettant d'utiliser, je dirais leurs " marchandises ", puisque nous en sommes là, n'est-ce pas ? Il s'agit véritablement d'une exploitation du corps considéré comme une véritable marchandise : c'est un esclavage moderne. Donc, pour toucher ces réseaux, il faut effectivement mettre en place un système parfaitement dissuasif. Ce système passe par les prostituées. Alors qu'allons-nous faire ? Parce que le système ne se limite pas à ces amendes, il est surtout accompagné d'une part de mesures qui permettront à celles et à ceux qui voudront coopérer avec les services de police et de justice d'obtenir une autorisation de séjour dans des conditions qui vont être définies. Et puis surtout, j'ai proposé un plan d'accompagnement social qui sera tout à fait ambitieux et tout à fait important et adapté. Je pense à cette seconde chance que nous voulons leur offrir. "
Pour aider les prostituées à s'en sortir ?
- "Voilà. C'est ce que je souhaite absolument. Je crois qu'on ne peut pas dans un pays moderne, accepter cette violence ordinaire, quelle que soit d'ailleurs l'origine des prostituées - étrangères ou françaises. Donc, nous avons décidé de proposer un plan qui s'inscrit dans la durée et qui, à travers la prévention, mais aussi l'accompagnement et le soutien aux associations permettra d'apporter effectivement une seconde chance. "
On a vraiment le sentiment qu'il y a un double discours : N. Sarkozy veut un peu rassurer les riverains du Bois de Boulogne à Paris et vous, vous dites aux prostituées "on va vous aider à vous en sortir". Ce n'est pas un peu ambiguë cette manière de traiter le problème ?
- "Non, je crois qu'au contraire c'est assez cohérent, parce qu'on ne peut pas, naturellement, conduire une politique qui ne soit pas aussi une politique d'accompagnement social lorsqu'il s'agit d'êtres humains. Car, précisément, ce qui nous guide c'est la dignité, c'est le retour à la dignité de toutes ces personnes qui sont aujourd'hui, encore une fois, dans un état de souffrance réelle. Et donc, la politique sera très globale : elle permettra d'avoir effectivement ce volet qui est un signal - encore une fois, je le rappelle, très fort et très vigoureux au niveau des réseaux -, et puis aussi un dispositif qui sera parfaitement adapté, puisqu'il va s'accompagner, qui plus est, d'une réflexion sur le droit des victimes - qui est actuellement en cours au ministère de la Justice - et de la transposition de tout le dispositif de ce qu'il est convenu d'appeler "la Convention de Palerme", qui est une convention qui, précisément, a pour objet la traite des êtres humains, et qui au plan européen permettra de prévoir un dispositif complet."
Mais ce n'est pas prévu dans le projet Sarkozy. Par contre, les sénateurs proposent un amendement, justement, pour traiter, pour sanctionner de façon extrêmement vigoureuse cette traite des êtres humains. Vous considérez qu'il faudrait accepter rapidement cet amendement des sénateurs ?
- "Vous avez raison, ce n'était pas prévu dans le texte de N. Sarkozy. En revanche, le ministre de la Justice était en train de réfléchir à cette évolution de notre droit pénal. Donc, je pense effectivement que nous pourrions tout à fait accélérer l'histoire. "
Et accepter l'amendement des sénateurs ? C'est ce que vous suggérez ?
- "Pourquoi pas !"
De façon plus globale, vous avez entendu comme nous l'Abbé Pierre s'inquiéter et même être très sévère avec le projet de loi Sarkozy ; c'est une première pierre dans le jardin du ministre de l'Intérieur qui réussissait plutôt bien jusqu'à présent ?
- "Il faut rappeler que pour la première fois, un gouvernement s'engage. Je le dis pour la prostitution, parce qu'il ne faut pas oublier quand même que ce sujet a été longtemps dans l'indifférence générale. Aujourd'hui, le Gouvernement s'engage et s'agissant de la mendicité c'est exactement le même raisonnement. Qu'est-ce qu'il y a derrière tout cela ? Il y a des organisations, il y a des gens qui exploitent"
Oui, mais le sentiment qu'on a, c'est qu'on s'attaque aux individus que l'on voit à l'extérieur et pas vraiment aux réseaux.
- "C'est le moyen, peut-être indirect, mais c'est le moyen de toucher ces réseaux. Il n'y en a pas d'autre que de donner tous les signaux nécessaires pour dire que le marché français c'est terminé pour ce type d'organisation. "
Alors N. Sarkozy est contredit par l'Abbé Pierre et on a aussi le sentiment six mois après l'arrivée de J.-P. Raffarin, que ça commence à devenir un peu compliqué, qu'à l'intérieur de l'UMP, ça chahute un peu. Il a mangé son pain blanc, comme a dit J.-M. Ayrault le chef du groupe socialiste ?
- "Je ne pense pas un instant. Au contraire, moi qui suis très souvent sur le terrain, puisque je suis aussi élue locale, je puis vous dire que j'ai le sentiment que les Français conservent une confiance totale à l'égard du Gouvernement et que ceci se justifie, me semble-t-il, par trois choses : d'abord le fait que les engagements aient été tenus. L'Etat a été restauré dans son autorité, l'emploi a été affirmé comme une priorité nationale"
Il est plutôt fragile là...
- "Le contexte est fragile, mais les dispositions que nous avons prises vont naturellement dans le bon sens. Et puis les grandes réformes attendues : nous évoquions à l'instant la décentralisation, mais aussi la réforme des retraites, la réforme de l'enseignement vont être les prochains chantiers. Je crois que J.-P. Raffarin - pour lequel d'ailleurs j'ai vraiment beaucoup d'admiration parce que c'est véritablement un homme de très grande qualité et de vérité - a conduit ce Gouvernement exactement dans l'esprit dans lequel il s'était engagé. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 novembre 2002)