Interview de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle,à RFI le 25 novembre 2002, sur la violence à l'égard des femmes, la mobilisation de la France en faveur de la nigériane Amina Lawal, la violence conjugale et la prostitution.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

P. Ganz -. Nous allons parler de la violence à l'égard des femmes. Mais comme vous êtes ministre du Gouvernement, également de politique. Est-ce que cette menace de conflit avec les routiers qui se concrétise un petit peu, ces conflits annoncés pour cette semaine marquent l'épreuve de vérité pour le gouvernement Raffarin ?
- "Je pense que le Premier ministre, J.-P. Raffarin, a eu raison de faire cet appel à la responsabilité. Il me semble que c'est un appel entendu. La grève, les manifestations, sont naturellement des droits extrêmement importants dans notre société, mais je crois qu'il est tout à fait essentiel aussi d'avoir à l'esprit l'importance pour les entreprises de pouvoir continuer à fonctionner dans de bonnes conditions, dans une conjoncture qui, effectivement, n'est pas la plus facile, même si elle est loin d'être aussi catastrophique [qu'on le dit]."
Votre sentiment est que le Gouvernement doit faire tout ce qu'il faut pour que cela puisse continuer à fonctionner ?
- "Absolument, mais tout en respectant, encore une fois, ces droits que j'évoquais. Mais il me semble que le message est passé et qu'il est entendu."
Vous avez, sur le revers de votre veste, un petit ruban blanc, qu'on ne connaît pas encore en France. Qu'est-ce qu'il marque ?
- "Ce ruban est un appel et c'est aussi un signe de reconnaissance. Un constat doit être rappelé : en France, six femmes meurent chaque mois à la suite de violences conjugales et une sur dix se plaignent de violences. C'est un constat absolument inacceptable et cette journée qui, pour la première fois, est marquée en France, a pour objet de légitimer la parole, de faire en sorte que toutes les femmes victimes puissent s'exprimer et surtout n'acceptent jamais l'inacceptable. Et puis d'éveiller la conscience collective sur ce point."
Donc, ce petit ruban est un signe de solidarité, de mobilisation contre la violence faite aux femmes. Vous espérez qu'il y en aura beaucoup de porté aujourd'hui, dans les allées du pouvoir par exemple, à l'Assemblée nationale ?
- "Je le souhaite. Mais ce qui me paraît très essentiel - et je vous remercie de m'avoir invité -, c'est de pouvoir dire combien nous avons à nous mobiliser pour faire en sorte que cette situation, en France mais aussi dans les pays européens car aucune société n'y échappe, puisse trouver une atténuation très très très sérieuse, avec un certain nombre de mesures, bien évidemment."
La situation des femmes a été posée d'une manière un peu dramatique avant cette journée. Je veux faire allusion à ce qui s'est passé au Nigeria où l'opposition à un concours de beauté, Miss Monde 2002, a finalement conduit à des émeutes qui ont fait 200 morts, 11 000 personnes déplacées. Comment, quand on est en charge d'éveiller la conscience de ses concitoyens à ce qu'est la violence, vit-on ce type d'événement ?
- "Je veux d'abord rappeler que la France s'est mobilisée très tôt en faveur de cette jeune Nigériane, Amina Lawal pour, bien sûr avec la communauté internationale, la sauver et nous avons naturellement les meilleurs espoirs à cet égard. Mais, de fait, l'environnement de ce pays n'est pas très ouvert."
Ce n'était pas une bonne idée d'y organiser Miss Monde ?
- "Je ne sais pas si ce n'était pas une bonne idée, mais, à l'évidence, il faut faire progresser une notion qui m'est très chère : partout dans le monde, les droits fondamentaux, les droits attachés à la personne humaine, doivent être privilégiés et, de plus en plus, s'imposer, y compris à un certain nombre de conceptions, de traditions, de diversités culturelles. Car il est tout à fait essentiel que nous soyons, bien sûr mobilisés sur ce que nous constatons d'inefficace ou d'inacceptable en France, en Europe, mais aussi en tant que citoyennes du monde, à tout ce qui se passe de tout aussi horrifiant sur le reste de la planète."
Est-ce qu'il y a des idéologies, des façons de penser la religion qui sont des violences faites aux femmes ?
- "Il faut faire la différence entre, effectivement les religions et leur épanouissement tout à fait normal, y compris sur le territoire français. Nous sommes une République laïque qui a vraiment, dans ses principes, celui de permettre l'expression de tous les cultes. Mais, naturellement, cette expression trouve ses limites dans le respect des lois de la République."
Il y a eu récemment une jeune fille qui a été brûlée vive par un jeune homme auquel elle avait refusé, non pas ses faveurs, mais simplement "de sortir avec lui", comme disent les jeunes aujourd'hui. Est-ce que cela vous inquiète ? Est-ce que vous avez l'impression que les femmes ou les jeunes filles sont de plus en plus menacées par ce type de violence ?
- "Il y a effectivement, dans certains quartiers où, du reste, ces dernières années s'étaient installées des zones de non droit notamment, une recrudescence de certaines violences. Je crois qu'il faut absolument combattre cette évolution par un retour du dialogue, un retour du message fort de la République et aussi une application de la loi ."
C'est plus dur d'être une jeune fille qu'un jeune homme dans ces cités, en ce moment ?
- "C'est tout à fait possible car, en effet, on voit se recréer une sorte de rapport de force, qui n'est pas du tout compatible d'ailleurs avec le principe d'égalité qui m'anime, et qui m'anime sur l'ensemble du territoire de notre pays, sans aucun amalgame du reste."
Le Gouvernement est très attentif à la répression des crimes et délits, mais également à ce qu'il faut faire vers les victimes. Qu'est-ce que vous, qui êtes chargée de la Parité, de l'Egalité professionnelle, qui êtes un peu le regard "femme", même s'il est porté par d'autres ministres du Gouvernement, vous souhaitez sur ce dossier de la violence faite aux femmes ?
- "D'abord, avec D. Perben, nous souhaitons apporter une aide beaucoup plus concrète aux victimes en général. Les femmes victimes de la violence naturellement, sont comprises dans ce projet. Cela passe par des mesures simples : un exemple qui consiste - cela fait partie vraiment des réflexions actuelles - à faire en sorte que ce soit le conjoint coupable et non victime qui ait à quitter le domicile conjugal. Mais de façon plus approfondie, ce qui est important, c'est de faire en sorte que par une éducation renouvelée, les femmes n'aient jamais à se retrouver victimes. C'est-à-dire qu'elles puissent, grâce à un principe d'égalité mieux intégré, comprendre qu'elles n'ont pas à accepter l'inacceptable, encore une fois. Il faut qu'à la fois nous protégions, nous accueillions mais en même temps que nous fassions une sorte de prévention intelligente pour que "plus jamais ça".
Concrètement, cette prévention va-t-elle vous amener à aider davantage les associations de femmes qui luttent contre ces violences, en France ou à l'étranger ?
- "Oui. Et surtout, en lien avec les ministres en charge de l'éducation, je souhaite vraiment que nous réinculquions ce principe de respect, de considération de l'autre et d'égalité."
Ce serait dans des cours de morale ?
- "Il y a un certain nombre de documents qui vont être préparés. Et puis aussi, c'est un esprit naturellement. C'est la volonté de faire en sorte que ces principes égalitaires animent les générations dès le plus jeune âge et qu'on ne se retrouve pas dans des situations comme celles que nous connaissons aujourd'hui."
La prostitution, vous le dites, est une violence faite aux femmes ? Est-ce que punir le racolage passif, ce n'est pas ajouter une violence supplémentaire ?
- "Non. C'est, je crois, globalement, aider les femmes - et les hommes d'ailleurs en la circonstance - à se sortir d'un système d'asservissement qui est absolument intolérable . Le but recherché par cette loi est de stopper, de dire "non" aux trafiquants internationaux et de leur interdire le marché français."
Mais si les filles et les garçons qui se prostituent ne peuvent plus être dans la rue, est-ce qu'ils ne vont pas être dans des maisons d'abattage ?
- "Non. Je crains plutôt qu'ils n'aillent dans d'autres pays. C'est pourquoi nous portons très loin et très haut la voix de la France auprès de nos voisins européens, pour leur demander de faire ce que nous faisons, c'est-à-dire d'éradiquer un marché incompatible avec des démocraties modernes."
Il y a dans quelques jours, à Syracuse, une réunion au niveau international sur une convention contre la traite des êtres humains. Vous y serez ? La France est l'un des rares pays à l'avoir ratifié. Cela va prendre du temps, non ?
- "Nous allons faire en sorte que l'Histoire s'accélère. Parce que, vous avez raison, il y a urgence et il faut que l'Europe se mobilise contre ces réseaux internationaux et le marché assimilable à l'esclavage moderne qu'ils organisent."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 novembre 2002)