Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à LCI le 11 février 2003, sur la position française concernant l'Irak, la réforme des modes de scrutin pour les élections régionales et européennes, le débat entre les courants dans le PS et la question des sans-papiers.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser -. Est-ce que vous diriez, comme J. Lang, "bravo la France !", après le veto posé par la France, l'Allemagne et la Belgique, à l'OTAN, contre l'installation de missiles préventifs en Turquie ?
- "Il faut tout faire pour éviter la guerre. Et, de ce point de vue, toutes les initiatives diplomatiques, toutes les positions fortes sont les bienvenues. Notamment dans cette période, dans la discussion à l'OTAN, il ne fallait pas accepter cette position américaine, qui voulait être une position de force. Le Gouvernement a eu raison d'opposer son veto ou, plus exactement, de ne pas accepter cette position. Nous, nous soutiendrons toutes les initiatives diplomatiques, dès lors qu'elles permettent de renforcer les inspecteurs, de prolonger leur mission et d'éviter la guerre. Il faudra néanmoins que la France ait une logique, c'est-à-dire qu'on ne peut pas s'opposer aujourd'hui parce qu'il n'y a pas de preuves à une entrée en guerre en Irak, comme le voudraient les Etats-Unis sous couvert des Nations unies et, il ne faudra pas, le moment venu, s'il n'y a pas davantage de preuves, hésiter à mettre le veto au Conseil de sécurité. C'est ce que nous avons demandé au président de la République : faute de preuves, pas de guerre."
Et si preuves ?
- "Si preuves, cela mérite d'être discuté. Et si on peut détruire les armements irakiens sans faire la guerre, c'est quand même mieux."
Vous demandez un débat à l'Assemblée nationale. Est-ce que ce débat doit avoir lieu tout de suite ou après le nouveau rapport des inspecteurs ?
- "Il faut sans doute maintenant attendre le rapport des inspecteurs - c'est le 14 - et faire en sorte d'avoir toutes les informations permettant d'éclairer la représentation nationale et, surtout, de donner une position de la France qui puisse être comprise de tous et au-delà de nos frontières."
Aujourd'hui, l'opinion publique soutient évidemment le Gouvernement. Elle ne veut pas de la guerre ; est-ce qu'elle a forcément raison ?
- "Je ne pense pas que l'opinion soutienne le Gouvernement ; l'opinion soutient la France dans ses efforts de paix, soutient toutes les initiatives qui peuvent se produire à l'échelle de l'Europe ou ailleurs, elle ne veut pas de la guerre. Elle ne veut pas de la guerre au sens de cette guerre-là, parce que, quand il a fallu intervenir au Kosovo ou en Afghanistan, les Français avaient compris quel était le sens de ce conflit. Pourquoi fallait-il intervenir en Afghanistan ? C'était pour lutter contre les réseaux d'Al-Qaida. Et là, il y avait la preuve qui était apportée qu'entre le régime taliban et Al-Qaida, il y avait des liens. Donc, les Français ont compris l'intervention militaire. De la même manière, au Kosovo, lorsqu'il a fallu chasser les amis de Milosevic, qui mettaient en cause durement un peuple, il y avait motif et il y avait preuve. Ce que les Français ne veulent pas, comme beaucoup d'Européens, comme beaucoup d'hommes et de femmes dans le monde, c'est une guerre sans preuves. A partir de là, il y a une lucidité et il faut que le Gouvernement ne soit pas simplement dans un rapport de gagner du temps, mais dans un rapport qui doit empêcher la guerre."
Est-ce qu'on entre dans un nouveau rapport dans les relations transatlantiques ?
- "Il faut être simple, là aussi. Nous sommes les amis des Etats-Unis, nous sommes solidaires des Etats-Unis par rapport à la lutte contre le terrorisme, notamment par rapport à ce qui s'est passé le 11 septembre, mais en même temps, nous ne sommes pas soumis aux Etats-Unis dans leur volonté de faire la guerre à l'Irak. Nous leur disons qu'on peut obtenir le même résultat, faire céder S. Hussein ou désarmer l'Irak, sans faire la guerre. C'est quand même mieux. Ce n'est pas être leur ennemi que de leur proposer une solution pacifique et meilleure."
Il faut le faire céder ou il faut le faire partir ?
- "Le mieux serait de faire partir S. Hussein. Ce serait sans doute l'objectif de toute diplomatie. Mais pour l'instant, il faut le faire céder."
L'autre bataille qui s'engage aujourd'hui est à l'Assemblée nationale : c'est la réforme des modes de scrutin pour les régionales et pour les européennes. Vous êtes farouchement contre cette réforme, alors qu'elle pourrait vous profiter. C'est une posture politique ou c'est une défense du pluralisme ?
- "Ce serait mal servir nos propres intérêts - puisqu'on nous dit que nous, les socialistes, on serait bénéficiaires de ce mode de scrutin - que de vouloir desservir les intérêts de la démocratie. Je ne crois pas qu'on s'honore à capter des électeurs contre leur gré, dans un mode de scrutin qui serait organisé à cette fin, alors que la vie démocratique, c'est de convaincre les électeurs. La leçon que nous avons tirée du 21 avril - douloureuse, pour ce qui nous concerne - est qu'il fallait donner aux Français l'envie d'aller voter, de voter en l'occurrence pour des formations démocratiques."
Ils avaient le choix, il y avait 18 candidats !
- "Ils n'ont pas forcément voté, ils se sont dispersés. Le mieux c'est quand même qu'on leur donne des raisons d'aller voter et de voter pour les forces politiques qui ont vocation à gouverner."
Pardonnez-moi, mais c'est justement une méthode anti-dispersion que le Gouvernement veut mettre en place.
- "Mais empêcher les électeurs de faire leur choix n'est pas forcément les conduire à faire un choix. Donc, ces modes de scrutin peuvent favoriser l'abstention, ce qui serait quand même le pire dans une démocratie. Mais je trouve quand même assez désolant que dans cette période que l'on a décrite tout à l'heure comme étant grave, comme étant menaçante, il n'y ait de volonté du Gouvernement aujourd'hui, que de faire passer un mode de scrutin dont la seule fin est de satisfaire ses convenances personnelles, en l'occurrence politiques, au travers de l'UMP. C'est pourquoi les socialistes, alors même qu'on leur dit que ce serait leur intérêt, vont se mobiliser contre ce mode de scrutin, qui est à la fois complexe - donc, qui va favoriser l'abstention -, qui est injuste et qui va finalement écarter les Français de ce qui est quand même une vertu dans notre pays : cela s'appelle le pluralisme."
"Convenance", c'est le terme qui avait été employé par J. Chirac et par la droite, au moment de l'inversion du calendrier. Vous employez ce terme à dessein ?
- "Il faut éviter de modifier les règles du jeu, on le sait bien, surtout quand ces règles du jeu - ce qui n'était pas le cas pour l'inversion du mode de scrutin [sic] - sont faites simplement pour le bénéfice d'une seule formation politique, qui se trouve en plus majoritaire aujourd'hui, et très largement, dans l'ensemble des parlements."
Une majorité solide dans un conseil régional, ce n'est pas intéressant ?
- "Le mode de scrutin actuel tel que nous l'avons modifié en 1999, permet d'avoir une majorité dans tous les conseils régionaux. Ce qui est donc en cause, ce n'est pas d'avoir des conseils régionaux avec majorité stable, c'est d'avoir des conseils régionaux avec majorité UMP ou pas !"
Vous réunissez les contributeurs, c'est-à-dire tous ceux qui veulent se compter au congrès. Le Nouveau Parti socialiste, le trio Peillon-Montebourg-Dray, ne viendra pas ; le Nouveau monde d'H. Emmanuelli ne viendra pas non plus. Mais M. Aubry revient. Alors, tout va bien ?
- "Ma démarche est de rassembler sur un projet clair. Donc, tous ceux qui le veulent doivent travailler dans cette direction. Et c'est ce que je m'applique à faire. Je pense qu'il faut un Parti socialiste fort, il faut une opposition forte, à un moment où il y a des plans sociaux - on voit ce qui se passe à Air Lib -, où il y a une montée des licenciements et, parfois, de ceux dont on ne parle jamais dans les petites entreprises, où il y a des remises en cause du service public - on le voit avec la Banque de France et avec La Poste. Il est important qu'il y ait un Parti socialiste qui soit lui-même rassemblé, mais sur un projet clair, délibéré en commun."
Il fallait faire expulser les sans-papiers du gymnase Japy ?
- "Lorsqu'un maire - je le suis aussi - est confronté à une occupation d'un gymnase ou d'un lieu public, non pas pour quelques jours, mais peut-être pour quelques semaines ou quelques mois, il était important de faire en sorte qu'il y ait évacuation. Mais ce qui est important, c'est de régler au cas par cas sans doute, mais de régler les problèmes de sans-papiers. Quand un gouvernement leur retire même le droit de se soigner - parce que c'est cela qui est en cause : le Gouvernement a fait voter un texte qui prive les sans-papiers du droit d'aller se soigner -, effectivement, il peut y avoir des mouvements."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 février 2003)